Les reproches

~Erell~

Je suis assise, dans les bras de Solal, en train de pleurer. Je ne sais pas quelle affirmation est la plus étrange entre le fait que je sois avec Solal ou que je pleure. Parce que je déteste pleurer devant les autres, et je déteste encore plus quand c'est devant mes proches. Je ne supporte pas qu'ils me voient comme ça. Et puis, ce n'est pas le rôle des autres de me rassurer, c'est mon rôle à moi. Même si j'avoue que parfois, ça fait du bien. En l'occurrence, même si je suis affreusement gênée de laisser libre court à mes sentiments, je n'échangerais ma place auprès de Solal pour rien au monde.

J'ai tellement espéré qu'il revienne ces dernières semaines que je suis aussi heureuse que bouleversée. Les deux sentiments sont si entremêlés entre eux que je n'arrive pas à les identifier. Mais ce n'est pas grave, il faut seulement que je profite du moment et que je ne le gâche pas en réfléchissant trop.

Je me demande ce qui l'a fait changer d'avis. Si c'est le fait de m'avoir vu avec Adrien ou seulement s'il m'aime vraiment. J'ai dû mal à croire réellement ce qu'il m'a dit. Parce qu'en ce moment je fais tout de travers et on m'a surtout dit des choses négatives à mon sujet. Je n'arrive pas à savoir qui dit la vérité. Après tout, plusieurs personnes m'ont reprochées mon comportement et seul Solal a démenti ces reproches. Je déteste être dans cet état, je déteste qu'on s'en prenne à moi parce que j'ai beau faire semblant que tout va bien, que j'ai confiance en moi, il suffit d'un mot pour que je le crois. De toute façon, je me mens en pensant que j'ai confiance. Et je mens aux autres parce qu'ils le croient réellement. Certes, je m'en fiche du regard des autres mais je doute constamment et j'ai peur de ne pas être assez bien.

— J'ai peur que, si je ne donne pas toute mon énergie pour les autres, ils vont me détester, je murmure.

— Comment ça ?

— Peut-être que ça ne se voit pas, mais je fais toujours en sorte que les autres soient heureux avant moi. Je n'arrive pas à faire autrement. Parce que si je ne fais rien, ils partiront. Si je ne fais pas assez, ils ne vont plus m'aimer.

— Tu n'as pas besoin d'en faire trop. Juste d'être là quand tes proches en ont besoin et te le demandes. C'est toi la personne la plus importante dans ta vie.

— J'ai l'impression de m'entendre, je grince.

— Alors ça veut dire que tu y croies et que tu le sais.

— Non. Fais ce que je dis, pas ce que je fais. J'applique beaucoup ce conseil à moi-même. Pour moi, ce sont les autres qui méritent le plus d'attention.

— Tu ne peux pas être heureuse si tu ne penses pas à toi.

— Si, ça me fait plaisir. En plus, j'ai constamment l'impression que ce n'est pas assez.

— Tu n'as pas besoin d'en faire trop avec moi, en tout cas. Je veux que tu penses à toi avant tout.

— Ça va être difficile, je dis avec un sourire triste.

La fin de la récrée s'annonce soudain mais nous restons assis, blottis l'un contre l'autre. Je n'ai aucune envie de retourner en cours. Et pourtant, j'ai maths complémentaires. Pour une fois, je me tais et Solal parle. Il me dit qu'il voit son grand-père une fois par semaine, qu'il va manger chez lui le soir et qu'il lui raconte sa vie et celle de son père. Il a revu sa mère, mardi dernier, et ils sont allés à la bibliothèque de la ville où elle est. Il me dit qu'elle est exactement comme dans son souvenir, seulement, un peu plus joyeuse. Ils ne bavardent pas autour du passé mais plutôt du présent. Sa mère veut entendre absolument toute sa vie.

— Je lui ai parlé de toi, aussi.

Je relève la tête brusquement, un sourire étirant mes lèvres et je demande timidement :

— C'est vrai ?

— Oui.

Et là, je n'y tiens plus. J'ai terriblement envie de l'embrasser.

— Est-ce... Est-ce que je peux t'embrasser ? je m'assure.

Il émet un petit rire gêné et hoche la tête. Je pose mes lèvres contre les siennes et je songe que je ne pourrais plus m'en passer à partir de maintenant. Je le considère comme un premier baiser, parce que celui là est sincère et consenti. Et qu'il ne se termine pas en catastrophe.

[...]

Le mercredi d'après, je me décide enfin à aller essayer d'arranger les choses avec Imane. Depuis quatre jours, elle fait comme si je n'existais pas alors que je la vois à l'arrêt de bus, quand je passe pour aller au lycée. Hier, j'ai préféré éviter la danse. De toute façon, Alma me l'interdit tant que je ne me suis pas excusée. Ce que je ne ferais pas, parce que je ne suis en rien responsable de tout ça. Les autres, eux, n'ont pas eu de réprimande. Et personne, pas même Axelle et Carla, n'ont tenté de me défendre. Enfin, ce n'est pas comme si je n'avais pas l'habitude après tout...

Je suis donc devant la porte de la maison d'Imane, à me demander si j'ai bien fait le bon choix. Et puis, je finis par toquer parce que c'est ma meilleure amie et qu'elle ne doit pas m'en vouloir tant que ça.

C'est Najeb, son frère, qui m'ouvre la porte :

— Salut, me dit-il, puis d'une voix traînante, il crie, Imane, c'est pour toi !

Il laisse la porte ouverte et je m'engouffre alors qu'il remonte les escaliers. Je reste sur le paillasson, hésitant à monter dans sa chambre ou pas. Finalement, je l'entends descendre et elle se poste devant moi. Dès qu'elle me voit, son visage se décompose.

— Qu'est-ce que tu fais là ? m'agresse-t-elle.

— Je suis venue te parler. Ecoute, je suis désolée pour ce qu'il s'est passé, vraiment. Je suis déçue qu'on n'ait pas pu danser ensemble. J'attendais le jour de l'audition avec impatience et...

— Si tu l'avais vraiment voulu, tu serais restée avec moi attendre l'heure.

— Mais j'avais entièrement le temps d'aller acheter à manger. Tu sais comme j'aime manger. J'avais super faim.

— J'arrive pas à croire que t'aies pu me faire ça, alors que tu savais très bien à quel point ça comptait pour moi. Je te l'ai dit plusieurs fois, et je voulais vraiment avoir une place au conservatoire.

— Mais Imane, je commence à m'emporter, je n'ai rien fait du tout ! Je n'ai pas fait exprès de tout foirer, je te jure que je m'en veux. Mais je ne suis pas responsable, on était plusieurs dans l'histoire. Pourquoi tu n'en veux pas aux autres ?

— Parce que c'est toujours toi qui commande. Alors excuse-moi de ne pas te croire, mais je vois mal comment quelqu'un d'autre aurait pu te convaincre de changer de chemin, assène-t-elle en me regardant droit dans les yeux.

Surprise par la violence de ses propos, je ne trouve rien à répondre. Je pensais vraiment qu'elle ne m'en voulait pas et qu'elle avait juste été dévastée en apprenant qu'on ne passerait pas. Je n'aurais jamais imaginé qu'elle me dise tout ça.

— Tu peux partir, maintenant, s'il te plaît ? Je n'aime pas que les gens qui m'ont déçue restent chez moi.

— De toute façon, je n'ai pas envie de rester une seconde de plus, je mens.

— Très bien.

Elle m'ouvre la porte et je passe devant elle en essayant de retenir mes larmes, encore. Je crois que je viens de perdre ma meilleure amie.

De retour à la maison, je claque la porte d'entrée avec la ferme intention d'aller pleurer dans ma chambre. Malheureusement, ma mère en a décidé autrement. Son téléphone à la main, elle m'observe un instant.

— Ça ne va pas ?

— Si, si, je la rassure.

— D'accord. Je viens d'avoir ton père au téléphone. Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu t'étais disputée avec lui ? Je croyais que tu ne voulais pas aller chez lui la dernière fois parce que tu avais quelque chose de prévu avec tes copines et que tu avais vu avec lui.

Je hausse les épaules et me contente de retirer mes chaussures, ne voulant pas éterniser la discussion. Jusqu'ici, j'ai plutôt bien vécu le fait de ne pas voir mon père et de ne pas penser à lui. J'aimerais que ça continue. Mais quand je passe devant elle, ma mère m'attrape le bras pour m'arrêter.

— J'aimerais qu'on en parle, s'il te plaît.

Je soupire mais la suit dans le salon, vide de présence humaine. Je m'assieds et elle reste debout.

— Alors, qu'est-ce qu'il se passe ?

— Rien.

— Erell, insiste-t-elle en s'installant à mes côtés.

— C'est juste qu'il s'en fiche que je sois là ou pas, alors autant ne pas y aller.

— S'il s'en fichait réellement, il n'aurait pas appelé pour en parler. Il ne t'aurait pas harcelée de messages aussi, d'après ce qu'il m'a dit.

— Sûrement.

— Il faut que tu le rappelles. Ou que tu lui en parles ce week-end.

— J'ai pas envie de le voir, j'irai pas.

Elle ne répond rien, sans doute surprise par mon attitude, moi qui suis toujours conciliante et sérieuse avec elle.

— Est-ce que tu peux au moins m'expliquer correctement ce qu'il s'est passé, s'il te plaît ?

— C'est rien d'important.

— Comme l'histoire de l'audition de danse, je suppose ?

— Exactement.

Elle croit sûrement que cette discussion va se dérouler comme celle que l'on a eu samedi soir, quand elle a insisté pour que je lui raconte ce qu'il s'était passé avec Alma et que je l'ai fait. Mais cette fois, c'est différent. Alma m'a énervée alors que mon père m'a blessée. Et ça, il est hors de question que je lui dise. Elle n'est déjà même pas au courant que je me suis disputée avec Imane.

— Dans ce cas, tu préviendras ton père que tu n'iras pas chez lui ce week-end. Je ne le ferais pas à ta place.

Elle n'attend pas de réponse et s'en va. Je sais qu'elle est déçue que je ne me confie pas. Moi, j'avoue que je suis un peu déçue qu'elle ne remarque pas à quel point je vais mal.

— Erell ? Ça va ? me demande Alba quand je passe devant sa chambre.

— Oui, ne t'inquiète pas, je lui dis en faisant mon plus grand sourire.

— Tu es sûre ?

Je hoche la tête et me détourne vivement, pour ne pas qu'elle voit que je suis sur le point de pleurer. Je me glisse dans ma chambre et m'allonge sur mon lit, en étoile. Je fixe le plafond et attend que les larmes arrivent, mais bizarrement, rien ne vient. Je me sens juste vide et lassée. Pendant un instant, je songe à envoyer un message à Imane pour me confier, jusqu'à ce que je me rappelle qu'elle est justement la cause de mon état. La seule personne à qui je peux tout dire m'a tourné le dos. Je n'arrive pas à croire comment elle peut me penser responsable de tout ça. Je sais qu'elle est déçue de ne pas avoir dansé, mais moi aussi. Et plus qu'elle ne le pense. Nous avons travaillé si dur et si longtemps que je n'aurais pas pu penser à gâcher cela. Même avec l'imagination débordante que j'ai, je n'aurais pas envisagé de le faire. Mais je suppose qu'elle s'en fiche de ce que je peux bien penser ou éprouver. Elle s'est fait son avis et c'est tout ce qui lui importe.

J'essaie de penser à autre chose, pour me changer les idées. Quelque chose qui me rende heureuse mais j'ai beau chercher, tout ce que je trouve ce sont les moments que j'ai passé avec ma meilleure amie. Et puis, une image me revient en tête et je me souviens. J'attrape mon téléphone et vais sur la conversation avec Solal. Je souris entre mes larmes en me rejouant notre baiser et tape un message à son intention. Il m'a dit que si j'avais besoin de lui parler, je ne devais pas hésiter. Alors, c'est ce que je fais.

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