Les excuses

~Solal~

Le lundi matin, une semaine après avoir parlé d'Erell à mes amis, je me décide enfin à aller lui parler. Et m'excuser. Avant aujourd'hui, je n'osais pas l'aborder parce que je ne savais pas comment m'y prendre. J'ai réfléchi pendant des jours et des nuits, je me suis imaginé quoi lui dire des centaines de fois et j'ai douté de ma décision. A force de me confier à Nairobi et d'aller courir pour ne plus penser, je me suis dit que j'allais le faire, même si je n'étais pas sûr de moi. Evidemment, j'ai continué à douter mais ce matin, en franchissant les grilles du lycée, je sais ce que je vais faire.

J'irai la voir à la récréation. Nous n'avons aucun cours en commun ce matin et j'ai deux heures de permanence avant de la voir. Je ne veux pas y aller tout de suite parce que je n'aurais pas assez de temps pour lui parler. Dans la cour, je la cherche du regard. C'est devenu une habitude, tous les matins. Je sais qu'elle est toujours avec Rose et Lou-Ann, assise sur une table de pique-nique en pierre. Pourtant, aujourd'hui, ses amies sont seules. J'espère qu'elle n'a pas décidé de sécher les cours pile le jour où j'ai décidé de faire un pas vers elle. Peut-être qu'elle a un rendez-vous médical ce matin. Parce que ce n'est pas vraiment son genre de louper les cours. Même si je sais qu'elle ne fait que bavarder, je sais qu'elle ne raterait pas une occasion de voir ses amies. Soudain, je me rappelle d'une chose. Je me dépêche de sortir mon téléphone pour regarder la date. 24 novembre. Et le 22, elle m'avait dit que c'était son audition de danse. Elle me l'a assez répété pour que je n'oublie pas. Et pourtant, j'ai oublié. Samedi, je n'y ai pas pensé du tout. Je m'en veux aussitôt. Elle qui était si heureuse de son duo avec sa meilleure amie. Je n'ai même pas pensé à elle et je ne lui ai pas envoyé de message pour lui souhaiter bonne chance. Alors que je savais que ça comptait beaucoup.

Je suis vraiment trop con. Je l'ai blessée, seulement parce que j'avais peur. Et maintenant, c'est peut-être trop tard. Sans réfléchir, je compose son numéro et l'appelle. Je suis planté au beau milieu de l'entrée du lycée et les élèves me bousculent pour passer. Ils font tellement de bruit que si elle décroche je n'entendrais rien. Je m'avance dans la cour et croise les doigts pour qu'elle réponde. Mais elle ne le fait pas. Je tente une nouvelle fois de l'avoir. Je tombe encore sur le répondeur et au bout de quatre fois, je laisse tomber. Si je ne la vois pas à la récréation, j'irai chez elle. Je ne peux pas attendre plus longtemps.

Les mains moites et le cœur soudainement battant, je me retourne pour me diriger vers les bâtiments. Et c'est là que je la vois. Elle marche aux côtés d'Adrien et ils sont en pleine discussion. Ma bouche s'ouvre d'elle-même et je ne réagis même pas. Je sais qu'Adrien et elle se parlent quand nous sommes en cours mais je ne pensais pas qu'ils étaient autant amis. Je les regarde entrer dans le forum. Elle ne m'a même pas vu. Tant mieux, je crois que c'est mieux comme ça. Je ne savais pas que je m'étais trompé à ce point. Comme un automate, je vais m'installer à une table à l'extérieur. Et malgré le froid, j'y reste durant deux heures, à méditer.

[...]

A dix heures, la sonnerie me sort de ma torpeur. Je me lève et m'enfonce dans la marée de lycéens pour rejoindre les couloirs. Je sais à peu près où Erell a cours et j'espère la trouver. Parce que même si c'est trop tard, je tiens à m'excuser. Je suis loin d'être une personne sans cœur alors je me dois de le faire. Après cinq minutes de recherche dans tous les couloirs possibles, je ne l'ai toujours pas trouvée. Je descends donc pour la chercher au forum mais il y a tellement de monde que je doute qu'elle soit là. Alors, je retourne dehors. Je fais deux fois le tour de la cour avant de la découvrir.

Elle est encore avec Adrien. Je les aperçois bavarder et j'essaie de garder mon calme. Je ne sais pas pourquoi mais ça me fait l'impression d'une immense trahison. De leur part à tous les deux. Pourtant, ils ne me doivent rien. Enfin, Erell ne me doit rien en tout cas. Parce que je me suis assez confié à Adrien pour qu'il sache que je l'aime. J'avais pensé qu'il me comprenait mais apparemment il n'en a rien à faire. Et ça me fait mal de comprendre que je me suis trompé. Je sers les poings pour m'empêcher d'aller les confronter.

Tout à coup, Erell s'effondre en pleurs. En plus de me trahir, Adrien la fait pleurer. Sans réfléchir, je romps la distance qui me sépare d'eux. Une fois devant Adrien, je le pousse de toutes mes forces et il tombe par terre.

— Eh ! s'écrie-t-il. Qu'est-ce que tu fous ?

Je me contente de le toiser, comme toute réponse. Je tremble de tous mes membres et pour une fois, ce n'est pas à cause d'une crise d'angoisse. Je me retiens de toutes mes forces de ne pas le frapper parce que ça ne me ressemble pas. Mais une partie de moi veut libérer toute ma haine.

— Y'a quoi, Solal ? demande-t-il en se redressant.

— Je pensais que t'avais compris le message la dernière fois, je dis en me rapprochant de lui pour l'empêcher de se relever.

— Quel message ?

Je m'accroupis et approche mon visage tout près du sien.

— Je croyais t'avoir dit que je l'aimais, je murmure en grinçant des dents.

— Euh... Tu l'as dit, et j'ai bien compris ça. C'est quoi le problème, je comprends pas.

Dans une vaine tentative pour me calmer, il pose sa main sur mon bras. Je m'en empare aussitôt et sers son poignet de toutes mes forces.

— Pourquoi tu lui parles ? Pourquoi tu la fais pleurer ?

— Tu peux arrêter de m'agresser comme ça ? essaie-t-il de se dégager. J'ai rien fait moi, puis Erell t'appartient pas.

— Je sais ! je m'exclame brusquement. Tu fais exprès ou quoi ?

— Attends, comprend-il soudain, tu crois que j'étais en train de la draguer ou je sais pas quoi ?

Je me tais pour le laisser cogiter. Je desserre ma prise et sans comprendre ce qu'il m'arrive, je me retrouve allongé sur le dos, Adrien au-dessus de moi. Je me débats pour qu'il me lâche et, sans faire exprès, lui décoche un coup de poing dans la joue. Je me recroqueville aussitôt mais pas assez vite parce que son coup atteint mon ventre. C'est le déclic qu'attendait mon cerveau pour se déconnecter. Je lui assène coups de pieds et coups de poings sans qu'il puisse riposter. Autour de moi, j'entends les gens s'approcher de nous et former un cercle. Mais ça m'est égal, je continue. Nous roulons l'un sur l'autre et je me redresse pour avoir le dessus. Au moment où je m'apprête à l'attaquer une nouvelle fois, une voix m'immobilise.

— Solal, arrête tout de suite ! m'ordonne Erell.

Des gens en profitent pour nous séparer mais je ne m'agite plus. J'observe le visage tuméfié de mon ami et regrette aussitôt. Moi qui sais plutôt bien me contrôler d'habitude, je ne comprends pas ce qu'il m'est arrivé.

— Solal, t'es sûr que ça va ? s'enquiert Marius, qui est en fait la personne qui m'a séparé d'Adrien.

— Je viens de faire une énorme connerie.

Il hoche la tête et je me tourne vers lui. Il n'a pas l'air énervé, surtout inquiet.

— Il s'est passé quoi ?

— Je t'expliquerai après.

Du coin de l'œil, je vois Erell s'avancer vers moi. Elle est encore en train de pleurer et je n'arrive pas à savoir si c'est à cause d'Adrien ou de moi. Je crois qu'elle va me dire quelque chose mais elle se contente de m'observer, les yeux brillants de larmes. Je comprends alors qu'elle attend que je fasse le premier pas. Mais avant, j'ai autre chose à faire.

— Je reviens, je lui dis.

Je me dégage de Marius, qui me tient encore le bras, et marche droit vers Adrien. Il parle avec Samuel et fait de grands gestes. Il est en train de s'énerver contre moi. Je me poste devant lui et nous nous fixons.

— Je suis vraiment, vraiment désolé. Je sais pas ce qu'il m'a pris. Vraiment.

— Tu m'as bien défoncé, répond-il seulement. Mais je crois que tu as raison. J'aurais pas dû parler à Erell. C'est juste que ces derniers temps on se parlait beaucoup par message, enfin souvent. Comme des amis, hein. Je te trahirais jamais. Et samedi elle répondait plus à mes messages. Tu ne lui as pas encore parlé depuis la dernière fois, c'est ça ?

— Non. Je savais pas...

— Je m'en fiche, je voulais juste savoir. Ce matin, elle est arrivée super triste et elle voulait pas me dire pourquoi. Alors, tout à l'heure, j'ai essayé de la faire parler. Elle s'est mise à pleurer. Je suis désolé, je voulais pas. Je voulais seulement l'aider.

— Pourquoi tu l'as pas dit plus tôt ?

— Je comprenais pas ce que tu insinuais. Et puis, tu voulais pas m'écouter de toute façon.

— Je suis vraiment désolé, je répète. En plus, t'es vraiment moche comme ça, je dis en faisant référence au bleu qui commence à s'étendre autour de son œil.

Il éclate de rire et nous nous prenons maladroitement dans nos bras, pour sceller notre réconciliation. Je suis content qu'il ne l'ait pas trop mal pris, lui qui démarre pourtant au quart de tour et qui met du temps à se calmer par la suite. Je crois qu'il a été si surpris par ma réaction qu'il n'en fait pas trop cas. Il faut dire que ça ne me ressemble pas. En plus, j'ai fait ça devant tout le monde alors que ce n'est pas mon genre d'être au centre de l'attention. Même si les gens se sont écartés, ils me regardent du coin de l'œil, comme si je m'apprêtais à sauter de nouveau sur Adrien. Mais les paroles d'Erell m'ont fait l'effet d'une douche froide et je suis totalement calmé. Et honteux.

— Ça va, Adrien ? demande Marius en s'approchant de nous.

— T'inquiète. En tout cas, on peut dire qu'on en apprend tous les jours. Je ne savais pas que Solal savait se battre.

— Oh, arrête, je trouve pas ça drôle, fait Sam'.

— Je suis désolé.

— C'est pas grave. Je suis content que vous vous soyiez déjà réconciliés parce que je sais pas comment on aurait réglé le problème, affirme Marius.

Je hoche la tête et je réalise soudain qu'Erell n'est plus là. Je prends congé de mes amis et repars à sa recherche. Je la trouve assise sur un banc, en train de pleurer.

— Tu pleures ? je demande bêtement m'asseyant à côté d'elle.

— Non, répond-elle en s'essuyant les joues.

Elle garde les yeux rivés au sol. Je me demande si c'est parce qu'elle m'en veut ou parce qu'elle ne veut pas que je la voie pleurer. Ça ne m'étonnerait pas de sa part.

— Je suis désolé. Je suis désolé de t'avoir repoussée l'autre jour. J'avais peur et j'ai trouvé que c'était une bonne excuse pour refuser de... Tu vois.

— Je vois, assure-t-elle avec un sourire triste. Je pensais vraiment pas que tu ne voudrais pas. Mais c'est pas grave, on peut pas aimer tout le monde et j'ai conscience que depuis le début, je suis chiante avec toi. Avec tout le monde de toute façon. Je ne t'en veux pas, c'est ma faute.

— Quoi ? N'importe quoi ! C'est entièrement ma faute, Erell. J'ai paniqué et je n'aurais pas dû parce que... Parce que je ressens la même chose que toi. Enfin, je suppose. Et t'es pas chiante. Enfin, si, bien sûr mais ça n'empêche pas le fait que je te... Que je t'apprécie. Même si au début tu m'énervais quand tu venais me parler, maintenant je suis content que tu sois là. Tu m'as aidée plus que n'importe qui, vraiment. Et je te remercie pour ça.

— De rien. Je ne fais que ça, de toute façon. Aider les autres et me faire jeter dès qu'on a plus besoin de moi. Pourtant, j'essaie vraiment que tout le monde soit heureux. Et puis, à la première occasion, on a plus besoin de moi alors que j'ai besoin de quelqu'un. Mais bon, je devrais avoir l'habitude après tant de temps à l'avoir remarqué.

— Arrête, je la supplie. J'ai fait une énorme erreur la dernière fois mais je ne te jetais pas, comme tu dis. C'est juste que j'ai pas su comment réagir. Mais je ne suis pas resté avec toi toutes ces semaines par intérêt, pour que tu me répares ou je ne sais quoi. Je suis resté parce que je me sens bien avec toi.

Elle reste silencieuse et je me maudis. Je n'aurais jamais dû faire ça. Maintenant, j'ai bien peur qu'elle ne veuille plus jamais me parler. Et elle aurait bien raison, parce que je n'ai pas été sincère avec elle. Ni avec moi, mais c'est une autre histoire. Ce qu'elle m'a dit m'inquiète un peu parce que j'ai l'impression qu'il s'est passé quelque chose. Elle qui est toujours optimiste et joyeux, je n'arrive pas à croire que je l'ai autant blessée. Et en même temps, je me dis que ça fait plus d'un mois qu'on ne se parle plus, donc ça pourrait très bien être de ma faute.

— Je ne t'en veux pas, tu sais, finit-elle par dire. Je comprends, même. Je crois que, parfois, je me déteste.

— Pourquoi ?

— Parce que je suis une horrible personne. Je ne pense qu'à moi et j'agis toujours sans réfléchir aux conséquences. Ça m'a coûté deux amis. Mais... Dis-moi, est-ce que tu trouves que je suis autoritaire et irresponsable ?

Je sens qu'elle s'empêche de pleurer quand elle renifle. Et moi, je ne comprends pas cette soudaine baisse de confiance.

— Je ne pense rien de tout ça. Enfin, tu es autoritaire, c'est vrai mais je ne vois pas le problème, on a tous nos défauts. Tu es loin d'être irresponsable et tu te soucies toujours des autres. Où est-ce que tu vas chercher tout ça ?

— Ma prof de danse. Elle m'a dit que j'étais immature, irresponsable et que j'étais une mauvaise amie pour tout le monde. Et maintenant, Imane me déteste parce que j'ai raté notre duo. Je suis vraiment la pire amie de tous les temps mais je ne peux pas m'empêcher de penser que j'ai fait de mon mieux. En plus, ce n'était même pas de ma faute si on s'est perdues dans cette ville. C'est Timéo qui était sûr de lui et je l'ai écouté. Mais comme c'était moi la plus grande, je...

— Attends, je la coupe. Tu me parles de quoi là ?

— De l'audition de danse. C'était samedi. Je voulais aller chercher un sandwich avant mon passage avec Imane et je suis partie avec plusieurs personnes. Sauf qu'on s'est perdus et on est revenus trop tard pour mon audition. Alma et Imane ont dit que c'était de ma faute. Je me suis tout pris dessus alors que nous étions six à partir. Mais c'est toujours de ma faute de toute façon. Elle ne cherche jamais d'autre responsable.

Je suis horrifié par son histoire et je ne trouve rien à dire. J'ai l'impression que ce n'est pas du tout sa faute et que sa prof a été injuste avec elle, mais elle croit que c'est vrai. Je comprends que je vais devoir faire quelque chose que je déteste. J'en suis pourtant obligé vu les circonstances et Erell mérite que je lui dise.

— Erell, regarde-moi.

Elle se tourne vers moi, les yeux brillants et j'attrape ses mains.

— Je te trouve incroyable. Tu es drôle, mature et toujours là pour aider les autres. Tu es sûre de toi et je suis impressionné par ça parce que moi-même je ne le suis pas. Tu es toujours optimiste alors que moi je vois tout en mal. Moins en ce moment, j'avoue mais tu sais pourquoi. Tu as beau être autoritaire et trop bavarde, c'est comme ça que je t'aime.

— Hein ?

Je prends une grande inspiration, plante mes yeux dans les siens et répète :

— Je t'aime. Je sais pas comment c'est possible parce que y'a quatre mois j'étais complètement insensible, surtout à toi. Mais tu es tellement attachante et... Tu es tellement toi, que je ne peux pas faire autrement que t'aimer. Et j'ai besoin que tu me pardonnes parce que j'ai besoin de toi. J'ai pas besoin d'avoir une personne qui m'écoute ou à qui m'accrocher, j'ai besoin de toi, spécifiquement. Je t'aime vraiment, Erell.

Elle fond en larmes et je la regarde, surpris. Je ne pensais pas à une telle réaction. La voir dans cet état fait monter mes larmes également et je m'excuse encore une fois auprès d'elle.

— Je... Je suis désolée, dit-elle entre deux sanglots.

Pendant un instant, mon sang se fige. Elle va me dire que j'arrive trop tard et que j'ai trop déconné. Mais quand elle reprend la parole, c'est pour dire :

— Je suis désolée de pleurer. Je déteste ça.

— Ne t'inquiète pas, c'est totalement normal de pleurer.

— Solal ?

— Oui ?

— Moi aussi, je t'aime.

Elle s'approche de moi, se remet à pleurer et me sert contre elle. Timidement, je pose mon bras autour de son épaule et l'attire encore plus. Et pendant qu'elle se calme, j'arbore le plus grand sourire que j'ai jamais eu. Je crois que j'ai pris son conseil trop sérieusement mais maman avait raison : quand on aime quelqu'un, on se bat pour elle. 

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