Le skate

~Solal~

Le sourire aux lèvres, Nairobi à mes côtés, je franchis les quelques mètres qui me séparent du skate park. Marius et Adrien sont déjà en train de rider tandis que Sam' m'attend, assis sur sa planche. Pour la première fois, je ressens vraiment le plaisir d'être ici avec eux. Et puis, il faut dire que même si nous nous sommes déjà retrouvés ici depuis la fin des vacances d'été, ça n'a jamais été la même ambiance. Là, je retrouve bien l'atmosphère caractéristique des jours vides. Des jours qui passent sans que nous ne fassions rien de particulier. C'est la première fois des vacances que je vois les garçons. Et il ne reste que deux jours. Il faut dire que j'ai été occupé autant physiquement qu'émotionnellement. Ces derniers jours, je me suis posé des tas de questions sur ma vie, sur ce que je voulais et sur ce que je ressentais réellement. Je n'ai pas encore eu toutes mes réponses mais depuis que je me suis recentré sur moi-même, je me sens plus serein. Evidemment, il y aussi le fait que j'ai revu ma mère. Cette semaine, nous nous sommes revus une fois et elle a pu m'emmener visiter la ville où elle a vécu pendant toutes ces années. Sans surprise, elle m'a fait découvrir la bibliothèque et j'ai de nouveau apprécié le silence qui en émanait. Le silence et le bien-être. Après, nous sommes allés au musée, apparemment la passion de mon père. Elle a tenté des analyses des tableaux, en s'inspirant de ce que disait mon père. Même si parfois, cela n'avait aucun sens, ni dans ses mots, ni avec la peinture, j'ai beaucoup ri. Et j'ai bien vu que ça lui faisait plaisir de me voir comme ça. Il faut avouer que moi aussi ça m'a fait plaisir. D'être avec elle mais aussi de me voir comme ça. Ça faisait longtemps que je n'avais pas goûté au bonheur.

Quand j'arrive, Nairobi se précipite sur Sam' pour lui dire bonjour. Puis, elle fait de même avec Marius et Adrien, qu'elle fait tomber à la renverse. Marius éclate de rire tandis qu'Adrien râle en époussetant ses vêtements.

—  Salut, je dis.

—  Wow, lâche simplement Marius, alors que les autres me répondent de la même façon.

—  Quoi ?

—  Tu as... Tu es changé, je trouve.

Je hausse les épaules comme seule réponse, mal à l'aise sous son regard scrutateur. Il n'insiste pas et retourne à ses acrobaties. De mon côté, je m'accroupis et pousse Sam' pour qu'il me laisse un bout de planche.

—  On va la péter si on se met à deux dessus ! s'exclame-t-il.

Je lève les yeux au ciel mais accepte de m'asseoir par terre.

—  Et tu laisses ton pauvre pote au sol.

—  Ouais c'est ça, finit-il par rire, après un moment d'hésitation, surpris par ma remarque.

Je ne réalise qu'après que c'est un truc qu'Erell aurait pu sortir. Je m'en veux aussitôt de penser à elle. Je n'ai toujours pas réglé cette question même si maman m'a déjà bien poussée vers elle. Je me sens trop mal de l'avoir repoussée. Et même si elle fait comme si ça ne l'atteignait pas, je suis sûr que je l'ai blessé. Beaucoup trop pour pouvoir revenir.

—  Eh ! Tu m'écoutes ? me crie Sam' en agitant sa main devant mes yeux.

—  Pardon, qu'est-ce que tu disais ?

—  Je me confiais à toi, mais si tu ne veux pas m'écouter, répond-il, faussement vexé.

—  Si, t'inquiète ! C'est juste que je pensais à... A autre chose. Vas-y, je t'écoute.

—  C'est Lou-Ann.

Dès qu'il dit ça, ses épaules s'affaissent et je me rends compte qu'il a les traits tirés. Il n'a pas l'air au top de sa forme et je ne l'ai même pas remarqué, alors que j'aurais pu le deviner puisqu'il ne roule pas avec Marius et Adrien.

—  En ce moment, je sens qu'elle s'éloigne de moi, mais je comprends pas pourquoi. Elle a l'air distante et quand je lui en ai parlé mardi, elle m'a embrouillé en me disant que j'étais trop bête pour comprendre.

—  Hein ? Mais pourquoi elle t'a dit ça ? C'est pas son genre pourtant.

—  J'en sais rien. Je suppose qu'il y a un truc qui s'est passé et que j'ai pas vu. Mais je peux pas deviner si elle me parle pas quand j'essaie d'arranger les choses.

Je cherche quelque chose à dire, mais je ne suis pas professionnel des relations amoureuses.

—  Je me demande si on devrait pas rompre...

—  Mais, t'en as envie ? Tu l'aimes plus ?

—  Si, bien sûr que si ! C'est juste que c'est trop compliqué et si elle ne veut pas arranger les choses, je peux rien faire de plus... Franchement, ça m'énerve parce que je l'aime. Vraiment.

—  Ma mère m'a dit que, quand on aimait quelqu'un, on devait se battre pour cette personne. Alors, je serais toi, je tenterais tout pour pas la perdre.

—  Ta mère ? ne retient-il que de mon discours.

Je fuis son regard, ne voulant pas m'épancher sur le sujet. Il attend que je développe, alors pour changer de sujet, je propose :

—  Tu m'apprends à faire du skate ?

Là-dessus, ses yeux s'arrondissent et il pose une main sur mon front, comme pour vérifier si je ne suis pas malade. Je me dégage et affirme que je suis sérieux.

—  Mais t'as jamais voulu. T'es sûr ?

—  Il est temps que les choses changent.

Mais quand je monte sur son skate, je ne suis plus sûr de ma décision. Ce truc est beaucoup trop instable et même si Sam' me tient, je sens les regards de Marius et Adrien sur moi qui me mettent mal à l'aise. Ils nous rejoignent justement pour prêter main forte à mon nouveau professeur. Ensemble, ils essaient de m'expliquer comme répartir mon corps. Après avoir bien enregistré leurs conseils, je me place sur l'engin et prend une première impulsion avec mon pied gauche. Pendant un instant, je fends l'air et je songe que ce n'est pas plus compliqué à manier qu'une trottinette. Jusqu'à ce que je me rétame, la tête la première. J'ai le réflexe de mettre mes mains en avant pour me rattraper.

—  Putain, t'as fait un face plant ! se marre Adrien.

—  Ça va, So' ? s'inquiète Marius.

—  On va dire que oui, je réponds en ignorant ce qu'est un face plant.

Ils courent vers moi pour s'assurer que je suis bel et bien vivant et Marius décrète que je dois me protéger. Sam' me prête ses protections et son casque et je m'équipe rapidement. Ça me compresse et je ne peux pas faire tous les mouvements que je veux, mais au moins je ne risque pas un traumatisme crânien.

Le reste de l'après-midi se passe dans les rires et la bonne humeur. Je ne fais que tomber mais j'éclate de rire à chaque fois et Adrien me prend en vidéo pour immortaliser tous ces moments. Je ne râle même pas alors que je déteste ça. Je me dis que ça nous fera des souvenirs et puis je suis trop heureux pour me plaindre. Rapidement, j'apprends à rouler droit, en courbe et à m'arrêter. Je prends confiance en moi à chaque geste et pour une fois, je prends mes chutes comme une leçon. Je m'efforce de retenir ce que j'ai fait de mal pour ne pas le reproduire après. Les garçons sont étonnés de mes progrès et Adrien est jaloux que j'y arrive si vite.

—  Eh, venez on fait un skate ! lance Adrien à Marius et Sam'.

—  C'est pas déjà ce qu'on fait ? j'interroge.

—  Mais non, un S.K.A.T.E. C'est un jeu, m'explique-t-il.

—  Go, par contre on sait déjà qui va être le perdant, fait Marius en me jetant un coup d'œil.

—  Faudrait déjà m'expliquer les règles.

—  En gros, Samuel, puisqu'il joue pas, va nous donner des figures à faire. On a trois essais pour la réussir et si tu y arrives pas, tu prends une lettre. Le S, en l'occurrence. Le but c'est de pas perdre, quand t'as toutes les lettres du mot skate, t'es mort.

—  Euh, je vous rappelle que je viens de commencer et que je sais rien faire à part avancer, je fais remarquer.

—  T'inquiète, ça va le faire, me rassure Sam'.

Étonnamment, je ne leur fais pas réellement confiance là-dessus mais je me prends au jeu. La première chose que nous demande Sam', c'est de faire la descente d'une rampe. Si j'y arrive du premier coup, il complique rapidement les choses et je me retrouve bientôt avec toutes les lettres du mot skate, après être tombé de toutes les façons possibles. Après une énième chute et un énième fou rire, je reste allongé par terre, les yeux tournés vers le ciel qui s'assombrit. Nairobi, qui s'est amusée comme une petite folle en me voyant skater, vient me lécher la joue. Je l'attire à moi et la fait tomber. Son poids me coupe le souffle : j'avais oublié qu'elle était si lourde. Je la laisse se coucher contre moi et j'essaie de reprendre une respiration régulière. Les garçons se rapprochent de moi et s'allongent à leur tour.

Nous écoutons nos respirations, et toutes mes questions me reviennent en tête. Sans réfléchir, je commence à parler.

—  J'ai embrassé Erell.

—  Qu... commence Adrien mais la main qui s'abat sur sa bouche l'empêche de finir.

—  Je sais pas si je suis prêt. Je l'ai repoussée. Parce que la dernière fois que j'ai aimé quelqu'un, à chaque fois en fait, ça s'est fini mal.

—  Tu penses à qui ? demande Marius.

—  Laureen. C'était ma copine en quatrième. Imaginez-moi, jeune et innocent, persuadé que personne ne l'aimait, même pas sa propre mère. Quand elle m'a parlé pour la première fois, j'étais trop content qu'une fille s'intéresse à moi. Que quelqu'un tout court s'intéresse à moi. Je l'aimais beaucoup, on traînait toujours ensemble. Un jour, elle m'a invitée chez elle pour un après-midi. C'était horrible.

Je me tais, laissant le souvenir revenir à moi. Cela fait si longtemps que je le repousse et pour une fois je l'accepte.

—  Ses parents m'ont fait passer un interrogatoire. Sur mes parents, sur moi, sur ce que je voulais être. J'ai été incapable de répondre, parce que tout ce que je voulais c'était de voir ma mère. Je ne pouvais pas leur avouer qu'elle m'avait abandonnée et que je vivais en famille d'accueil. Je ne l'avais même pas dit à Laureen, j'avais honte. Depuis ce jour, je déteste me retrouver en présence des parents des autres. C'est pour ça que j'étais pas bien après être allé chez Erell.

—  Je suis désolé, je savais pas, jure Adrien en repensant à ce qui avait déclenché notre dispute.

—  Tu ne pouvais pas. Après ça, j'ai refusé de retourner chez Laureen ou même de la recevoir chez mes tuteurs. Je l'aimais toujours et je lui avais dit que je préférais qu'on se voit dehors. Elle a fini par me quitter en prétextant qu'elle ne voyait plus ses copines à cause moi. Et que, de toute façon, elle ne m'aimait plus.

—  C'était pas la même chose, dit Sam'. Vous étiez des gamins, vos sentiments étaient pas aussi forts que ceux qu'on ressent aujourd'hui.

—  Peut-être, mais ma mère aussi m'a quitté, et tout ceux que j'aimais. J'ai beau l'avoir retrouvée aujourd'hui, je ne suis pas prêt à me laisser m'attacher comme ça.

Dès que je prononce ces mots, je me rends compte à quel point ils sont faux. J'ai accepté d'accueillir Maurice, Jean et Alexandre dans ma vie. J'ai pris conscience que je les aimais véritablement et j'ai même pardonné à Maman. Je sais que je suis prêt, en vérité, à aimer quelqu'un d'autre. Surtout que c'est déjà le cas. Je suis seulement un trouillard qui se cherche des excuses.

—  Tu l'aimes ? me demande simplement Marius.

—  Oui, je souffle.

Et dans mon cœur, je sens un changement infime se faire. Je sais ce que je vais faire. Je vais aller m'excuser et lui dire en face. Il faut que je lui dise que je l'aime.

—  Je dois lui parler, je dis. Merci. Vraiment.

Pour la première fois, je suis heureux d'être entouré de mes trois amis. Dans la pénombre, je souris en songeant que, finalement, je ne changerais ma vie pour rien au monde.

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