La révélation
~Solal~
Depuis jeudi, je n'arrive pas à me sentir bien. J'ai tout essayé : sortir avec Nairobi, faire mes devoirs ou aller au skate park avec les garçons. Rien n'a marché. Les paroles de Maurice tournent en boucle dans mon esprit. Et par-dessus, mes propres paroles, adressées à Erell et son visage décomposé quand je l'ai plantée au parc. Je ne sais pas pourquoi je me sens aussi coupable, pour tout. Je crois que tout est de ma faute. Je repousse tout le monde, tout le temps. Ma mère, Jean, Alexandre, les garçons, Laureen et... Erell. Mais en même temps, je ne comprends pas pourquoi ils s'accrochent autant et espèrent autant être dans ma vie. Je suis très bien tout seul, j'ai seulement besoin de Nairobi. Même si j'avoue que ces derniers jours, ça ne m'a pas vraiment aidé d'être en sa compagnie. Peut-être que si j'en parlais à Jean ou Alexandre, je me sentirais mieux ? L'idée prend de plus en plus de place dans ma tête et je me décide à leur parler. Leur parler de Maurice. Et il faudrait aussi que j'aille à la messe aujourd'hui.
Je ferme brusquement mes cahiers. Tant pis pour ce matin, je continuerais plus tard mes devoirs. Je descends au salon où la télé est allumée. Personne ne la regarde alors je migre à la salle à manger, après avoir ouvert à Nairobi qui attendait dans le jardin. Mes tuteurs sont là, assis devant des tas de papiers qui jonchent la table.
— Ça va ? s'assurent-ils sans lever les yeux vers moi.
Je vacille soudain. Ils n'en n'ont rien à faire de mes problèmes. Je le savais de toute façon. Il faut que je sorte. Mais mes pieds restent cloués au sol, comme si mon inconscient voulait que je reste et leur parle.
— Tu veux quelque chose ? me demande Jean en me regardant.
Je secoue la tête et mon corps m'obéit enfin. Je les préviens que je sors en ville et ils acquiescent. Nairobi attend que je prenne sa laisse mais je l'ignore. Je dois sortir seul.
— Au fait, cet après-midi on ira marcher ! s'écrie Alexandre alors que je claque la porte.
Ce n'est qu'en sortant de ma rue que je prends conscience que je repousse même ma meilleure amie.
[...]
En entrant dans la cathédrale, je la remarque tout de suite. Erell est assise tout devant, ses longs cheveux me permettant de la reconnaître. A côté d'elle, la famille que j'ai vu la dernière fois que je suis venu. C'est donc elle sa famille. Pendant plusieurs secondes, je reste là à les fixer, en me demandant à quel point j'ai merdé dans une vie antérieure pour ne pas pouvoir avoir de famille. Je ne bouge que lorsque j'aperçois une dame se diriger vers moi. Je m'enfuis dans la nef, aussi silencieusement que possible puisque la célébration a déjà commencé depuis de nombreuses minutes.
Cette fois, je décide de ne pas parler. Je n'ai pas envie d'y croire aujourd'hui, seulement de réfléchir. Et puis, ça ne servirait à rien. Je me contente d'écouter ce que dit le prêtre ou les chants qui s'élèvent jusqu'au ciel. Etonnamment, tout cela m'aide à m'apaiser. Assez pour me sentir un peu mieux que quand je me suis levé ce matin. La messe suit son cours et quand les conversations débutent, je suis surpris de voir qu'elle est finie. Je retourne parmi les fidèles et cherche Erell des yeux. Je ne sais pas vraiment pourquoi parce qu'en vérité, je préférerais l'éviter, comme toujours. Mais je n'arrive pas à lutter. Je la repère vers le milieu, en pleine discussion avec une de ses sœurs, et ancre mes yeux dans les siens. Elle me fixe un instant, sans laisser paraître aucune émotion, puis glisse un mot à sa sœur et me rejoint.
— Salut, je fais.
Elle me répond par un sourire timide et j'ai l'impression que les rôles se sont inversés. Mais ça ne dure qu'un instant parce qu'elle prend la parole :
— C'était qui ?
— Qui ? je réponds.
— Celui qui voulait te parler jeudi.
— Oh...
J'hésite à lui dire et réalise que je voulais en parler à Alexandre et Jean, alors pourquoi pas à Erell puisque ça a l'air de mieux l'intéresser qu'eux.
— Mon grand-père. Enfin, c'est ce qu'il dit.
— Comment ça, ton grand-père ?! s'écrie Erell et je dois lui rappeler que nous sommes encore dans la cathédrale.
Tout le monde est sorti et je décide donc de poursuivre la conversation en allant également retrouver l'extérieur. Erell me suit, docilement.
— Je n'ai pas de famille, je lui annonce après avoir pris une grande inspiration. Je vis avec mes deux tuteurs et la seule personne qui me reste de ma famille est ma mère, qui est en hôpital psychiatrique à cause de... Bref, je l'ai pas vue depuis que j'ai dix ans. Mon père est mort d'un cancer quand j'étais tout petit. Et je n'ai jamais connu mes grands-parents. Jusqu'à jeudi.
Je m'arrête un instant, pour reprendre ma respiration. Je n'ai pas l'habitude de parler autant, encore moins quand il s'agit de parler de moi. En même temps, je réfléchis à ce que j'ai encore envie de lui révéler.
— Il t'a dit quoi, alors ? insiste Erell.
— Qu'il me cherchait depuis quelques semaines et qu'il venait tout juste d'apprendre que j'existais. Au début, j'ai pas trop réagi. Et puis après, il m'a dit qu'il voulait parler à ma mère, pour en savoir plus sur son fils, mon père. Il l'a abandonné pour je ne sais plus quelle raison. Tout ce qui l'intéressait, c'était de mieux connaître mon père, alors qu'il ne sait même pas comment ma mère ou moi vivons.
— Mais... Tu le crois ?
— Comment ça ?
— Tu trouves pas ça bizarre qu'un inconnu vienne te voir comme ça et te raconte toute sa vie, alors qu'il a même pas de preuves ? Si ça se trouve, c'est juste un malade qui veut s'amuser avec toi.
— Non. Je sais que c'est la vérité, je tranche. Je le sens.
Nous nous taisons tous les deux, le temps de réfléchir et de descendre les marches pour rejoindre les pavés. En une heure, le temps s'est assombri et il pleut. Je n'ai qu'un tee-shirt mais j'apprécie de sentir l'eau tomber sur moi. Comme si ça me purifiait. Je ne peux m'empêcher de me sentir encore un peu mieux. A côté de moi, Erell offre son visage au ciel et tire la langue pour attraper les gouttes d'eau. Elle rit et je souris en secouant la tête. C'est vraiment une enfant.
— J'adore la pluie, m'explique-t-elle. Je trouve ça magnifique.
— « J'aime marcher sous la pluie, parce que personne ne peut voir mes larmes ».
— Charlie Chaplin.
Je hoche la tête et elle me fixe, semblant chercher quelque chose. Elle est interrompue par son beau-père qui l'appelle, au fond de la place. Aussitôt, cette image me rappelle notre première rencontre. Quand je gardais tout pour moi et que je ne me confiais pas bêtement à une fille. Malgré tout, je n'arrive pas à me trouver si bête que ça. Je déteste parler de moi mais je ne peux qu'avouer que ça m'a fait du bien. Il y a de cela un mois, je n'aurais pas pu l'imaginer. Il faut croire que même après dix-sept ans d'existence, les habitudes changent.
— Solal, m'appelle Erell pour que je me reconcentre sur elle. Moi non plus je n'ai pas de famille.
Elle dit ça précipitamment et je secoue avec force la tête. Ce n'est pas vrai.
— Si.
Elle se retourne d'un coup et s'éloigne, me laissant seul. Il ne me reste en tête que son visage assombri par ses révélations.
[...]
L'après-midi, mes tuteurs tiennent leur promesse faite le matin et m'obligent à aller marcher avec eux. Nairobi à mes côtés, nous avons l'air d'une vraie petite famille en se promenant à travers la forêt. Pendant un moment, Alexandre et Jean me racontent leur semaine et j'écoute sagement. Enfin, en vérité, je n'écoute que d'une oreille. Encore une fois, ma rencontre avec mon grand-père m'occupe l'esprit. Je ne sais pas pourquoi ça me perturbe autant. Ou peut-être que si, mais je n'ai pas envie de l'avouer. J'ai beau me répéter que Maurice n'est intéressé que par son fils, je ne peux m'empêcher de penser que c'est moi qu'il voulait voir et rencontrer. Et ça me rassure de savoir que quelqu'un a envie de me connaître, quelqu'un qui est de ma famille. D'un autre côté, je n'ai pas vraiment envie de le laisser entrer dans ma vie. Parce que je sais très bien que dès que je commencerais à m'attacher à lui, il sera trop tard. Trop tard pour moi. C'est pour cela que je mets autant de distance entre les gens et moi. Malheureusement, en ce moment, ça ne fonctionne pas trop. J'ai beau repousser Erell, elle s'accroche et me force à lui révéler des choses. Je ne sais pas comment elle fait pour que j'ai envie de lui parler autant de moi alors que les personnes que je connais depuis plus longtemps ne m'ont jamais entendu me confier. Ou très peu.
— Pas vrai, Solal ? m'arrête Jean.
Je ne cherche pas à savoir plus longtemps ce qu'il me veut et ne réfléchis pas avant de dire :
— J'ai rencontré mon grand-père.
— Quoi ? lâche Alexandre alors que Jean s'arrête net et que même Nairobi penche la tête sur le côté.
Je me mets donc à leur raconter toute la rencontre que j'ai vécu jeudi et leur avoue même mes doutes. Je parle vite, pour que personne ne m'interrompe et m'impose ainsi le silence. Si je me tais, je sais que je ne recommencerais pas mon récit. Et j'ai vraiment besoin d'en parler. Quand j'ai fini, Jean prend la parole tandis qu'Alexandre réfléchit :
— Donc il est revenu pour voir ta mère, c'est ça ?
— Oui.
— Tu lui as dit quoi concernant ce sujet ?
— Que je ne l'avais pas vue depuis longtemps et qu'elle était en hôpital psychiatrique. Après, je suis parti.
Alexandre se racle la gorge et Jean passe une main dans ses cheveux. Ils échangent un regard gêné et je comprends directement qu'ils me cachent quelque chose.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Tu aimerais la voir ? demande Alexandre.
— Maman ? Bien sûr que oui. J'attends de la revoir depuis des années.
— Je pense que ce serait bien d'organiser une visite parce qu'elle a des choses à te dire.
— Comment ça ? Comment tu peux savoir ça ? je m'emporte un peu.
— Parfois, commence Jean, on a... On a des nouvelles par l'hôpital. Tu es sa seule famille, alors on est mis au courant.
Je ne réagis pas tout de suite. Parce que je ne sais pas ce que je suis censé faire. Mon cerveau bloque sur quelque chose que je n'arrive pas à atteindre. Depuis toutes ces années, mes tuteurs ont des nouvelles de ma mère et je n'ai jamais rien su. Depuis toutes ces années, je prie pour qu'on soit réuni. Depuis toutes ces années, j'aurais pu la voir. La colère monte en moi, je la sens enfler et j'aimerais la retenir mais je ne m'en sens pas capable. De toute façon, j'ai bien le droit d'être énervé. Je m'arrête brusquement et me tourne vers mes tuteurs. Ils m'imitent et je plante mon regard rageur dans le leur. Je m'apprête à leur hurler dessus quand un poids s'abat sur mes épaules. Et je fonds en larmes. Je n'arrive pas à les arrêter et elles coulent en torrent. Et je tremble de tout mon corps et je me sens nauséeux.
— Solal... Je suis désolé... dit Alexandre en s'approchant de moi.
J'arrive à peine à l'entendre mais je recule. Je me laisse tomber par terre, en plein milieu de la forêt. Je rapproche mes genoux de mon torse et pose ma tête. Je ne parviens pas à me calmer et chaque seconde qui passe me vole un peu d'oxygène. Bientôt, je m'aperçois que je suffoque. Je tente d'avaler de grandes goulées d'air, sans succès. Je ne fais que m'étouffer. Une main se pose dans mon dos et je relève la tête pour regarder Jean. Il comprend aussitôt mon regard paniqué et articule des mots que je ne saisis pas. Je m'affole lorsque je comprends que je n'entends rien. Des bouffées de chaleur m'envahissent et mon souffle se coupe. Cette fois, je ne peux rien faire. J'ai la bouche grande ouverte mais pas un son n'en sort et l'air ne veut pas entrer non plus. Je repense à Erell qui m'avait dit d'en parler à un médecin et puis je sombre. Tout devient noir et je me sens tomber.
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