La dernière rentrée
~Erell~
— Alba dépêche-toi on va être en retard ! j'aboie en direction du plafond, un pied déjà dehors.
Comme toujours quand il s'agit d'école, ma sœur n'est jamais à l'heure. Elle fait tout pour retarder le départ. Sauf que cet après-midi, j'ai ma rentrée. Ça ne la dérange pas elle, puisqu'elle a déjà fait la première partie ce matin, mais moi si. Parce que je suis obligée de l'attendre alors que je ne veux surtout pas être en retard. Je ne sais pas comment elle fait pour ne pas être stressée, parce que moi, quand je suis rentrée en seconde, j'avais toujours peur d'être en retard. Je partais même de la maison trente minutes avant alors qu'il ne me faut que dix minutes pour me rendre au lycée. La seconde n'a pas l'air de l'effrayer.
— J'ARRIVE, s'égosille Alba.
— Pas la peine de crier comme ça, je chuchote.
Heureusement que mes parents ne sont pas là pour l'entendre crier comme ça. Et surtout pour ne pas la voir tout donner pour être en retard. J'attends encore quelques minutes, et comme je vois qu'elle ne daigne pas venir – je ne sais même pas ce qu'elle fabrique – je la préviens que je pars. Et effectivement, je claque la porte et ferme à clé. Mon sac sur le dos et mes clés dans la main, je m'éloigne de la maison. Tant pis pour elle.
Je rejette mes tresses collées dans mon dos et accélère le pas pour me distancer de chez moi. Et surtout pour faire courir Alba. Profitant du fait qu'elle ne soit pas encore là, je sors mon téléphone de ma robe en jean et commence à me filmer pour envoyer la vidéo à Imane. Je me plains d'Alba et lui souhaite une bonne rentrée. Nous ne sommes pas dans le même lycée même si nous vivons à deux pas l'une de l'autre. Moi, je vais dans un lycée privé, juste à côté de chez moi, et elle se rend au lycée public, à l'autre bout de la ville. La question est donc : comment est-ce qu'on s'est rencontrées ? La réponse est simple : à notre cours de danse classique, à nos cinq ans. Depuis, nous ne nous sommes jamais quittées.
— Erell, t'es chiante, attends-moi !
Je me retourne et éclate de rire quand je vois Alba courir sur le trottoir, son sac se déhanchant au rythme de sa course. Juste pour l'embêter, je lui envoie un bisou, me détourne et accélère. Pas énormément, parce que sinon j'arriverais en sueur et décoiffée au lycée.
— La vie d'ma mère, attend-moi !
— Parle pas d'elle comme ça déjà, je la reprends.
Je suis donc obligée de m'arrêter pour lui faire retirer ce qu'elle vient de dire. Quand elle arrive à ma hauteur, rouge et tremblante, je lui attrape le poignet.
— Je sais pas où t'apprends à parler aussi mal mais tu t'adresses pas à moi comme ça. Et maman elle a rien à faire dans cette histoire.
— Mais c'est bon, c'est juste une phrase que tout le monde dit ! Ça a rien à voir avec maman.
— Et alors ? Tu parles pas comme ça c'est tout. T'avais qu'à te dépêcher, je t'aurais attendue.
— T'es chiante, soupire-t-elle.
— Toi-même.
Son comportement est de pire en pire. Je ne sais pas ce qu'il lui arrive mais depuis un an elle est comme ça. Elle passe ses journées à râler, bouder et mal nous regarder. Et quand on lui demande ce qu'il se passe, elle grogne un « rien » tout à fait élégant. J'espère que la seconde va l'améliorer.
Enervée, je soutiens un rythme de marche élevé pour m'éloigner d'elle. Les abords du lycée se dessinent et les lycéens apparaissent. Nous montons la côte pour les rejoindre. Du regard, je cherche mes amies. Il y a tellement de monde que je ne remarque personne que je connaisse. J'avance vers les grilles lorsque je m'aperçois qu'Alba n'est plus derrière moi. Je me retourne et la vois, adossée contre le grillage vert qui délimite le terrain. Elle n'a pas l'air de vouloir continuer plus loin.
— Bon après-midi à toi aussi, je me moque.
Elle répond par une grimace et je continue mon ascension. De toute façon, je dois retrouver mes amies. Une chevelure rousse apparaît alors au loin et je sais déjà qu'il s'agit de Rose. Je l'appelle, ignorant les regards qui se tournent vers moi et cours la rejoindre. Elle est en pleine conversation avec une fille brune qui me tourne le dos. Je suppose que c'est Lou-Ann.
— Les filles ! Vous pouvez pas savoir à quel point vous m'avez manquées ! je m'exclame.
On s'embrasse et tout le monde parle en même temps pour raconter ses vacances. Comme d'habitude, c'est moi qui parle le plus. Je m'interromps après plusieurs minutes de monologue pour leur laisser le champ libre. Si je parle trop, je ne saurais même pas comment s'est passé leur été.
— Je suis partie avec Samuel dans le Sud. C'était génial ! Même si mes parents étaient toujours sur notre dos, on a pu profiter ensemble. On a fait de l'accrobranche, du jet-ski et pleins d'autres trucs ! s'extasie Lou-Ann.
— La chance ! je commente.
— Moi, je suis juste allée en Bretagne chez mes grands-parents, comme chaque année. J'ai rencontré mon petit cousin, il est trop mignon ! Il me souriait tout le temps ! ajoute Rose.
— Il a pas trop plu ?
— Erell, je te rappelle qu'en Bretagne, il pleut que sur les cons. Et je le suis pas.
— Comme sur la carte postale que tu m'avais envoyée. Est-ce que c'était pour me dire que je suis conne ? Parce que quand j'y étais allée, il avait plu !
— T'abuses ! pouffe Lou-Ann.
— Tu verras quand je t'emmènerai qu'il pleut pas là-bas.
— Je demande qu'à voir ! je finis par dire en me retenant de rire.
On continue sur un autre sujet de conversation en attendant que le lycée ouvre. A un moment, j'arrête de parler pour regarder un garçon entrer dans le lycée. Il me dit vaguement quelque chose. J'essaie de me souvenir de l'endroit où j'aurais pu le voir mais je ne trouve pas.
— Pourquoi tu regardes Solal comme ça ? m'interromps Lou-Ann.
— Qui ?
— Solal, le gars que tu fixes depuis cinq minutes.
— Pour rien. C'est qui ?
— Un pote de Samuel.
— Je me disais bien que je le connaissais, ça doit être parce que je l'ai vu avec Samuel.
Pourtant, je ne suis pas convaincue à cent pour cent que je le connaisse par l'intermédiaire du copain de Lou-Ann.
— Bon, on y va ? propose Rose.
J'acquiesce et nous entrons. Mes amies m'ont peut-être manquées, mais pas le lycée. J'aurais bien voulu que l'été se rallonge. En plus, c'était mon dernier été en tant que mineure. Je pense que j'ai bien profité avec tout ce que j'ai fait. Au début de juillet, je suis partie à la montagne avec ma famille et nous avons fait beaucoup de randonnées. C'était dur et on revenait à notre logement épuisés, mais nous riions tellement, pour tout et n'importe quoi que la fatigue fût reléguée au second plan. Ensuite, je suis allée avec mon père, Catherine et Adélaïde à Toulouse, pendant une semaine. On n'y a pas fait grand-chose mais j'ai passé du bon temps avec eux. Puis, fin août, Imane et moi avons rejoint sa grand-mère à Nice, pour des vacances à la mer. On est allées tous les jours à la plage, avons observé tous les beaux garçons qui se présentaient à nous et avons passé les meilleures vacances de notre vie.
J'ai beau avoir profité, j'aimerais tellement revivre ces moments. Maintenant, la seule chose qui comptera sera les cours et les devoirs. Le froid et le mauvais temps vont revenir et le soleil sera de nouveau timide. La routine recommencera. Je crois que je ne suis pas vraiment prête non plus à vivre ma dernière année de lycée. Mais bon, je suis bien obligée.
Accrochées sur les vitres du forum, les listes de classes se présentent à nous. Rapidement, nous les parcourons. Je croise les doigts pour être dans celle d'une de mes amies.
— Les filles ! s'exclame Rose.
— Quoi ? je lâche, stressée.
Je me penche sur elle pour lire la liste de classe des Terminales Générales 4. Je lis le nom de Lou-Ann, puis celui de Rose, et enfin, tout en bas, le mien.
— On est dans la même classe ! je crie.
— Sérieux ? Fais voir ? veut vérifier Lou-Ann.
Excitée, je lui colle le nez sur la feuille. Pour se venger, elle me tire une natte et je la laisse tranquille.
— C'est trop bien ! Ça va faire comme en seconde ! s'extasie-t-elle.
— Oui ! J'ai trop hâte, renchérit Rose.
Je suis soulagée parce que je sais d'avance que l'année va bien se passer. Mon année de seconde avait été géniale avec elles. Je connaissais déjà Rose au collège et nous avons rencontré Lou-Ann au lycée. Nous n'avions eu droit qu'à une année réunies jusque-là.
— Par contre, les classes ça va être n'importe quoi vu qu'on a déjà pas les mêmes spécialités nous trois, je commente pendant qu'on se dirige vers notre salle.
— Comme d'habitude, j'ai envie de dire. L'année dernière il y avait toutes les spécialités réunies dans notre classe. J'étais la seule à faire mon menu de spé, ajoute Lou-Ann.
— Tu faisais quoi déjà ?
— Maths, Philo et Histoire-géopolitique . J'ai enlevé maths du coup.
— Et toi, Rose, tu fais quoi ?
— SVT et LLCE anglais.
— Moi aussi je fais SVT ! Et physique, j'ai aussi pris maths complémentaires, je dis.
— Une vraie petite scientifique.
Nous continuons à parler des cours et des spécialités jusqu'à notre arrivée dans la classe. Comme la porte est ouverte, je passe la tête à l'intérieur de la salle en essayant d'être discrète. Je me pétrifie aussitôt et fais volte-face vers mes amies.
— Madame Branda... je murmure.
— Quoi ?
— Y'a madame Branda dans la salle. Ça veut dire que ça va être notre prof principale.
— HEIN ?! crie Rose, et tout le monde se retourne vers nous.
Je grimace et hoche la tête. L'horrible madame Branda sera malheureusement notre professeure principale.
— Mais attends je vais pas faire toute une année avec elle. Elle nous parle comme si on était des chiens. Et puis t'as vu comment elle s'habille ? Comme une...
— Attendez, vous parlez de votre prof d'espagnol de l'année dernière ? s'informe Lou-Ann.
— Oui ! répondons-nous en chœur.
— Elle est si horrible que ça ?
— Lou-Ann, je dis. Combien de fois on s'est plaint d'elle ?
— Trop de fois pour que je puisse te donner un chiffre précis.
— Exactement ! C'est une sorcière, je te dis !
— T'es sûre que c'est elle ?
— Oui. Sinon je l'aurais pas dit.
Lou-Ann, qui ne la connaît pas, avance sa tête et vérifie d'elle-même. Elle se retourne ensuite vers nous, le sourire aux lèvres.
— Y'a mon prof d'H2GSP de l'année dernière !
— Quoi ? Il fait quoi là ?
— Peut-être que c'est lui notre prof principal et que madame Brenda est là juste pour l'aider, j'essaie de relativiser.
— Oui, ça doit forcément être ça, se convainc Rose.
Soudain, madame Branda apparaît et nous nous taisons. Je croise les doigts pour qu'elle s'en aille mais elle nous invite à rentrer, nous jetant un regard noir au passage. Ça commence bien... Je lance un regard défaitiste à Rose et nous entrons les premières, suivies des trente autres personnes. On se précipite sur les tables de quatre du troisième rang et nous nous installons.
— Euh, fait une voix. Je peux m'asseoir à côté de toi ?
Je me tourne vers elle et observe la fille. Ses cheveux sont noirs, très foncés, et coupés courts. A l'inverse, ses yeux clairs me scrutent. Je ne me souviens pas de l'avoir déjà vue dans le lycée. Elle a l'air perdue. Je hoche la tête, lui souris, et recule la chaise pour qu'elle s'assoit. Rose me donne un coup de coude et m'interroge du regard pour savoir si je la connais. Je réponds par la négative et me penche vers ma nouvelle voisine.
— Tu t'appelles...
- Bonjour à tous ! Je suis madame Branda, votre professeure principale. Certains me connaissent déjà mais pour les autres, je suis professeure d'espagnol.
Je lève les yeux au ciel. On ne peut même pas discuter tranquillement ici.
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