L'appel
~Erell~
Je suis en pleine discussion avec Iseult lorsque je reçois un appel de la part de Solal. La jambe gauche tendue et posée sur la commode d'Iseult, je manque de tomber à la renverse tellement je suis surprise.
— C'est qui ? me demande ma sœur, en équilibre sur un pied sur son pouf.
— Solal, je réponds alors que nous fixons toutes les deux le téléphone.
Je laisse l'appel sonner, trop stupéfaite pour esquisser un geste.
— Tu réponds pas ?
— Si, si !
Au moment où je fais mine d'attraper mon téléphone, il s'éteint. Je me redresse sur mes deux pieds, déverrouille l'objet et rappelle aussitôt. Si Solal m'appelle, c'est que ça doit être important. Déjà que par message, c'est difficile de le faire parler alors je ne vois pas pourquoi il m'appellerait juste pour évoquer le temps du jour.
— C'est qui en fait, Solal ?
Le téléphone à l'oreille, je lui dis que c'est un garçon de ma classe pour ne pas éterniser le sujet. Malheureusement, ma petite sœur est plus perspicace que je ne le pensais :
— Eh ! C'est pas le mec trop beau qui était à la cathédrale quand tu m'as demandé de te donner un chiffre et qui était là ce matin aussi ?
Je n'ai pas le temps de répondre parce que Solal accepte l'appel et que je perçois sa respiration au bout du fil. Je lève un doigt pour faire taire Iseult.
— Solal ? Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu m'appelles ? Il y a un problème ?
Pendant un instant, je crois qu'il ne va pas répondre. Mais il finit par me raconter qu'il a fait une crise d'angoisse et qu'il est à l'hôpital. Il me dit qu'il n'a jamais eu aussi peur avant cette crise.
— Tu vas bien, maintenant ?
— Je ne sais pas. Mes tuteurs viennent de m'avouer que ma mère n'a pas été pendant huit ans d'affilée hospitalisée. Elle a fait plusieurs séjours là-bas, évidemment, mais elle a essayé de vivre seule plusieurs fois, sans que ça marche. En juin dernier, elle a rechuté.
Il se tait et je cherche quelque chose à dire. Je trouve ça injuste que ses tuteurs lui aient menti pendant tant de temps, surtout lorsque l'on sait à quel point il aime sa mère.
— C'est...
— Ils m'ont menti, lâche Solal en me coupant la parole. J'aurais pu la voir depuis bien longtemps et même vivre avec elle. Mais ils m'ont menti alors qu'ils savent très bien que je voulais la voir. C'est ma mère ! Ça ne devrait pas être difficile de deviner que je veux la voir, si ? Je ne comprends pas. Le pire, c'est qu'ils ont été informés de chaque avancée sur sa santé, sans jamais m'en parler. Erell... soupire-t-il. Je sais pas quoi faire.
— Je te comprends. Ils n'auraient pas dû faire ça, mais ils doivent forcément avoir une raison. Tu as le droit d'être en colère et triste, ok ? Mais il faut que tu leur en parles pour comprendre.
— Sincèrement, j'ai pas envie d'en parler. Je vais encore finir dans un état. Je suis même pas capable de supporter les nouvelles qu'on me fait.
— Eh ! Solal, ne te dénigre surtout pas. C'est totalement normal que tu réagisses comme ça, surtout quand on voit comment tu as grandi et comment est ta vie. Tu sais, je trouve déjà très courageux de vivre autant de choses comme celles-ci. Tu te débrouilles très bien.
Il soupire et se tait. En face de moi, Iseult m'observe, les sourcils froncés. Je sais qu'elle essaie de deviner de quoi on parle. Elle devrait savoir que je lui raconterais de toute façon.
— Tu veux que je vienne ? je propose.
— Non ! Non, ne t'inquiète pas, je vais bien. Merci.
Je souris. Il me remercie, ce qui veut dire que j'ai servi à quelque chose, au moins. Même si je me doute qu'il doit souffrir, je suis quand même contente qu'il se soit confié à moi alors qu'il ne parle jamais de rien. Je me demande ce qui l'a fait changer d'avis pour qu'il ait envie de me parler. Peut-être notre conversation de ce matin, à la messe. Déjà ce matin, il était un peu plus bavard que d'habitude.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu me rappelles ou tu m'envoies un message, d'accord ?
— Tu dis à personne ce que je t'ai dit. Je veux que personne soit au courant, surtout pas les gars. Si je t'ai raconté ça, c'est parce que tu es la seule au courant pour... A peu près tout. Tu diras rien ?
Je le rassure et raccroche après lui avoir dit que ça ira mieux. Je pose mon téléphone, m'allonge au sol et soupire. La personne qui a dit un jour que la vie est pleine de surprises avait raison. Je n'aurais jamais imaginé que Solal me parlerait de son plein grès et voilà que ça arrive.
— Alors ? s'impatiente Iseult.
— Oui, Solal c'est ce mec-là comme tu dis. Il a fait une crise d'angoisse et du coup il est allé à l'hôpital. Il voulait me raconter un truc.
— Quoi, comme truc ?
— C'est un secret. Mais c'est au sujet de sa mère, qu'il a pas vu depuis longtemps, à cause de... Complications.
Elle hoche la tête tout en me regardant avec suspicion. Je sens arriver sa question alors je l'encourage à le faire plus vite.
— Tu l'aimes ?
Mes yeux s'écarquillent en entendant sa question. Je pensais qu'elle me demanderait si c'était mon amoureux, mais cette question est bien différente. Je réfléchis à la réponse que je peux lui donner tout en me questionnant également.
— C'est mon ami, je finis par répondre.
— Mais encore ? continue-t-elle avec un grand sourire.
— Je ne l'aime pas comme tu le penses.
— Je pense quoi ?
— Tu le sais très bien.
— Non.
Je me lève brusquement et secoue la tête.
— Je l'aime beaucoup, mais je ne suis pas amoureuse de lui.
— Pas encore.
J'essaie de cacher le sourire qui naît sur mes lèvres en me détournant d'elle, mais Iseult l'aperçoit. Elle a l'intelligence de ne pas insister et le silence se fait dans sa chambre. Je me replace comme j'étais il y a de cela dix minutes, la jambe tendue sur la commode, et me penche en avant pour faire travailler ma souplesse. Puis, Iseult et moi reprenons notre conversation, comme si de rien n'était.
[...]
Les jours qui suivent l'appel de Solal ressemblent à ceux d'avant, mais sont étrangement différents. Solal est toujours fidèle à lui-même et ne parle presque pas, mais nous savons tous les deux que quelque chose a changé. Désormais, il me fait confiance et ne me traite plus comme une étrangère. Je passe la plupart de mes récréations, comme d'habitude, avec Rose et Lou-Ann et lorsque cette dernière va rejoindre Samuel, je la suis. Si Lou-Ann est contente de ne plus être la seule fille parmi tous les amis de Samuel, je sais que Rose est déçue que nous ne passions plus de récrés, juste toutes les deux. Néanmoins, elle comprend et me pousse même de plus en plus à aller voir Solal quand il est seul. Ce que je fais. Par contre, il est impensable que j'écoute ses conseils qui consistent à aller dire à Solal que je l'aime et que je veux me marier avec lui. Premièrement, parce que c'est faux, et deuxièmement parce que je n'ai pas fait tout ce chemin avec Solal pour qu'il me fuit. Je le connais suffisamment pour savoir qu'il n'hésiterait pas à couper les ponts parce que je lui fais peur.
Moi, celles qui me font de plus en plus peur, ce sont mes amies. Lou-Ann, Rose et Imane me tannent pour que je leur avoue, au moins à elles, que je suis amoureuse de Solal. Heureusement que je n'ai mis ni Carla, ni Axelle dans la confidence, sinon ce serait pire. Le truc, c'est que plus on me répète quelque chose, plus j'y crois. Et je sais grâce à elles, ou à cause d'elles, que je suis trop attachée à Solal. Je m'en suis rendue compte le jour où Imane s'est mise à faire la danse de la joie, en plein milieu de ma chambre, parce que j'abordais le sujet Solal. Elle m'a crié que si je n'éprouvais rien pour lui, je n'en parlerais pas autant. Elle dit que je ne peux pas m'empêcher de parler de lui et qu'elle était sûre qu'au lycée, je passais ma vie à l'observer. J'ai dû lui avouer que, oui, j'étais attachée à lui, mais sûrement pas au point de l'aimer et de vouloir sortir avec lui. Par contre, je n'aurais reconnu pour rien au monde que je dévisageais Solal dès qu'il passait près de moi. De toute façon, ça ne voulait rien dire.
Le jeudi soir, après avoir passé la journée à me plaindre de Madame Cilla auprès de Solal à cause d'un contrôle surprise, je suis allée à la danse. Assises au milieu de la salle, les regards tournés vers nous, Imane et moi commençons à danser. Notre chorégraphie est enfin au point et Alma a demandé à voir. Si je suis stressée à l'idée qu'Alma rejette tout notre travail, Imane est confiante. Il faut dire qu'elle n'a pas de problème avec Alma. Je sais qu'elle n'hésiterait pas à nous interdire notre chorégraphie seulement parce que je suis là. Je ne comprends pas vraiment cette haine qu'elle me voue, si on peut appeler ça comme ça. Quand j'étais petite, j'étais son élève préférée : je retenais les pas de chaque chorégraphie et même ceux des autres filles. Mais au fil des ans, elle a commencé à se désintéresser de moi. J'ai fini par analyser les gestes et paroles des autres pour comprendre ce qui n'allait pas chez moi. Je crois que c'est parce que je parle trop et que je suis la seule à m'opposer à elle. Personne d'autre n'ose le faire. Malheureusement pour elle, je ne pense pas que ce soit une raison suffisante pour me détester autant. Enfin, du moment qu'elle ne me vire pas du cours, je suppose que ça me va.
La musique s'arrête et nos respirations haletantes se calent sur le même rythme lorsqu'Imane et moi échangeons un regard. Puis, nous levons les yeux vers notre « public », sourions et esquissons une révérence. Lola commence à applaudir doucement et tout le monde la rejoint, jusqu'à ce qu'Alma stoppe tout d'un geste. Elle nous observe l'une après l'autre et je sens mon ventre se nouer à l'idée qu'elle réfléchit à sa sentence.
— C'était très beau, en rythme avec la musique et touchant, débute-t-elle et je me mets à sourire. Mais c'est loin d'être parfait.
Devant moi, Carla et Axelle grimacent et je les fixe en espérant qu'elles comprennent que je pense comme elles. J'aimerais regarder Imane mais Alma le prendrait pour un affront, alors j'attends qu'elle développe sa pensée.
— Imane, c'était très bien, il y a juste quelques petites choses à revoir mais rien de très grave. Erell, il faut que tu fasses attention à ne pas trop te laisser emporter par la musique. C'est un duo, tu dois donc prendre en compte Imane avant de vouloir raconter quelque chose. Si tu étais toute seule, il n'y aurait pas de problème. Tu as aussi un souci avec les comptes, tu avais un poil de retard sur Imane mais on va travailler ça.
Je n'ose même pas respirer, de peur qu'elle ne change d'avis. Je n'arrive pas à savoir si son discours est un oui ou un non. Le silence s'éternise et nous fixons toutes notre professeure, dans l'attente d'une suite. Elle finit par claquer dans ses mains et tout le monde se relève. Imane se tourne vers moi et me lance un sourire triomphant.
— On a réussi, me chuchote-t-elle.
— Pas de messes basses dans mon cours ! tonne Alma et nous sursautons.
Les filles et les deux garçons viennent nous rejoindre pour faire face à Alma. Un carnet à la main, elle note je ne sais quoi sur notre prestation. Alors que les conversations commencent à se faire, Alma se lève et annonce :
— Timéo et Benjamin, mettez-vous en place pour votre duo. Les autres, vous pouvez vous asseoir, je vais faire passer tout le monde sur vos chorégraphies. Le groupe d'Imane, on verra la votre après, comme ça on aura plus de temps.
Nous retournons donc nous asseoir et Axelle et Carla nous avouent qu'elles ont été impressionnées par notre duo.
— Honnêtement, si elle avait refusé de vous faire danser, j'aurais fait un scandale, lâche Carla.
— Tu te serais transformée en Erell, se moque Axelle.
— Tu verras, ça fait du bien de dire ce qu'on pense, sans non plus être méchante, bien sûr.
— Bien sûr, répète Imane avec un sourire.
— Silence ! Imane et Erell, vous me montrerez la vidéo de votre chorégraphie pour que je me fasse une idée plus nette de ce qu'il faut travailler. Benjamin et Timéo, c'est à vous !
Je hoche la tête alors qu'elle est déjà passée à autre chose. Avant que la musique s'élève, je murmure aux filles :
— Pour fêter ça, il faut qu'on organise une soirée ensemble. Samedi soir, ça vous va ?
Silencieusement, elles tapent toutes les trois dans la main que je leur tends pour accepter le marché.
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