Chapitre 44
Ma tête me fait souffrir, chacun de mes muscles est crispé et je dois faire attention de ne pas bloquer ma respiration par mégarde. J'essaie de ressentir le monde qui m'entoure non pas au travers de mes sens comme l'odorat ou l'ouïe, mais grâce à ma sensibilité au Leporementium, sensibilité que je ne semble pas avoir. Les conseils d'El-Yah sont clairs, mais je n'arrive pas à les mettre en pratique et cela m'énerve. J'ai beau être une sang-mêlée, une Erevent reste une Erevent, je suis incapable de détecter et encore moins absorber l'énergie qui circule autour de moi ni même celle dans mon corps. J'ai beau me concentrer de toutes mes forces, je ne ressens que le souffle de l'air sur ma peau et les vibrations de mon coeur qui bat dans ma poitrine. Je soupire, accablée, avant d'ouvrir des yeux emplis de déception. Oktar, assis en face de moi, frotte son bouc d'un ai pensif.
- Tu n'y arrives toujours pas ? me demande-t-il.
- Non, craché-je de dépits. Je sais pas comment vous faites pour ressentir des atomes d'énergie mais moi je ne sens rien. J'en suis incapable.
- Tu as peut-être raison, mais les Erevents savent se transformer en dragon il doit donc y avoir un autre moyen pour toi d'y parvenir.
- Tu sais pas toi ?
- Je suis un Nafif qui as combattu les Erevents pendant des années, tu penses vraiment qu'entre deux batailles l'un deux m'a appris cela ?
Je me penche en arrière dans un plainte rauque, les bras tendus en appuis sur l'herbe fraiche pour me maintenir en équilibre. J'observe le ciel, celui que j'ai réussi à conquérir au prix de nombreux mois d'entraînements à m'effondrer au sol des centaines de fois jusqu'à me rajouter des cicatrices. A l'époque je n'avais aucun indice sur comment m'y prendre, comment faire fonctionner mes ailes, comme dompter le vent à l'aide de ma queue qui me serre de barre de navigation. Je n'ai pu qu'essayer, encore et encore, suivre mon instinct qui me murmurait ses conseils. Que ce passera-t-il si je l'écoute à nouveau pour parvenir à me transformer ?
Je reprend ma position de départ, le dos droit, les mains posées sur mes genoux, assise en tailleurs. Je prend une grande inspiration et visualise mon corps. D'un point de vue extérieur, je m'observe du bout de ma queue jusqu'à la pointe de mes cornes. Je m'imagine grossir, devenir énorme, changer d'apparence et de peau. Avoir des écailles qui me poussent de partout, mes membres qui s'étirent et se craquent pour changer de forme, ma mâchoire qui s'allonge. Ma peau semble se tendre, comme si de la boue avait séchée dessus et m'avait fait une carapace de terre mais que j'essayais à nouveau de me mouvoir, la faisant se craqueler. Ce n'est ni douloureux ni agréable, j'ai l'impression de ressentir cela de l'extérieur, que je suis seulement spectatrice de mes sensations. Rien ne m'atteint plus, j'observe mon corps changer sans pouvoir réellement le voir. Mon corps changer... Suis-je en train de me transformer ?
Cette prise de conscience me ramène à moi avec une telle force que c'en est douloureux. Mon souffle se coupe, mes yeux s'ouvrent, mon regard s'arrête sur mes mains. Je n'en reviens pas de ce que je suis en train de voir, je n'y croyais pas vraiment lorsque je me suis mise à réessayer de me transformer. Je ne suis pas un dragon, du moins pas complètement. Mes bras sont recouverts d'écailles noires, lisses et luisantes, je pourrai presque y voir mon reflet. Elles disparaissent petit à petit à mesure que je reprend ma véritable forme, je touche le reste de mon corps pour constater que seuls mes deus membres ont changés. Je retrouve mes mains, mes longs doigts avec au bout de fines griffes rouges. Je recommence enfin à respirer, la douleur s'estompe. Un sourire incontrôlable vient étirer mon visage, les émotions affluent en moi. La fierté fait gonfler ma poitrine, elle prend encore plus d'ampleur lorsque Oktar s'approche de moi en riant de joie.
- C'était incroyable Haïlwidis ! s'exclame le Nafif en m'attrapant les épaules. Comment as-tu fait ? Je n'ai senti aucune énergie être attirée par toi !
- Je ne sais pas vraiment, balbutié-je. Je me suis juste imaginée me transformer et... voilà.
L'homme frotte son bouc, pensif. Il ne peut s'empêcher de toujours chercher une explication logique à ce qu'il nous arrive, il analyse tout ce qui l'entoure. Il prend mes mains et les observe avec attention, les sourcils froncés.
- J'ai une théorie, mais j'aurai besoin que tu recommence pour être sûr, dit-il.
- A quoi tu penses ?
- Je pense que tu as utilisé ton propre Leporementium pour te transformer sans en absorber autour, explique-t-il. Si on prend en compte le fait que tu as bien plus de Leporementium en toi qu'un Erevent pur sang, c'est plausible.
- Mais pourtant El-Yah ne fait pas comme ça ? remarqué-je.
- Parce qu'elle n'a pas essayé, elle est capable d'absorber l'énergie autour de nous et comme je lui ai dit que c'était ainsi qu'il fallait faire elle a suivi mes instructions sans tenter autre chose. Ce qui l'a mise en danger.
- Tu crois qu'elle pourrait faire pareil ?
- Oui, et je pense même que cela serait plus prudent. Une transformation normale est longue et complexe car nous absorbons le Leporementium de l'air afin d'augmenter notre masse parce que nous n'en avons pas assez dans notre corps, mais ce n'est pas le cas de vous deux ! Vous pourriez être encore plus efficace et limiter les dégâts autour de vous.
J'observe la clairière autour de nous, elle porte encore les traces de la métamorphose d'Oktar alors qu'elle date d'il y a deux jours. C'est une capacité puissante, une carte maîtresse dans un combat, mais elle est à double tranchant. Elle épuise celui qui se transforme, prend du temps, augmente les risques d'être aperçus par des humains et en plus de cela elle détruit l'environnement. Je comprend mieux pourquoi je n'ai vu que deux dragons dans ma vie, les enfants des dieux évitent le plus possible d'utiliser cette technique. Si je pouvais m'en servir sans avoir toutes ces contraintes cela serait un atout de taille dans un combat.
- Je recommence, déclaré-je avec assurance.
Oktar hoche la tête et s'éloigne pour me laisser toutes la place nécessaire. Je prend une grande inspiration et ferme les yeux afin d'optimiser ma concentration. Je visualise mes mains lorsqu'elles avaient pris cette apparence étrange, couvertes d'écailles noires, les doigts plus longs et plus épais et le pouce remonté plus haut sur mon poignet. Il ne faut pas longtemps à mon corps pour réagir, en quelques secondes les sensations qui m'avaient surprises la première fois reviennent, je les laisse s'étendre à tout mon corps jusqu'à en devenir douloureux. Je me sens lourde et crispée, comme si je me transformais en un gigantesque rocher et non un dragon. Lorsque ma peau se met à me tirer au niveau du visage jusqu'à en ouvrir mes paupières contre ma volonté, je suis prise de vertige. Ce n'est pas Oktar assis devant moi contre un tronc que je vois en premier, mais la cime des arbres. De stupeur, je fais un pas en arrière, mais mon corps bouge de façon bizarre. Je trébuche et m'effondre au sol dans un bruit de tremblement de terre, ma respiration s'accélère puis se coupe lorsque je me rend compte qu'elle n'est pas comme d'habitude. Je la ressens différemment, comme si je découvrais chacun de mes organes lorsque l'oxygène y passe. En réalité, tout semble différent, mes sensations ont changé du tout au tout, rien n'est plus pareil. Je me suis transformée.
Je reprend du mieux que je peux mon souffle, je dois me concentrer pour ne pas respirer ma salive ou avaler de l'air. J'observe tout autour de moi sans bouger ma tête, mes yeux de chaque côté de mon crâne ont une vision périphérique, je suis capable de voir l'arrière de mon corps sans efforts. Je suis couverte d'écailles noires excepté au ventre et à l'intérieur des articulations, ce qui semble logique autrement je ne pourrai pas bouger correctement. Mes ailes et ma queue ne sont pas un problème à contrôler, j'ai l'habitude d'en avoir, mais leur champs d'effet est bien plus grand je dois prendre gare de ne pas renverser les arbres qui entourent la clairière. Je reste parfaitement immobile, trop craintive des répercussions du moindre mouvement, rien que le fait que mon ventre se gonfle à chaque inspiration m'angoisse. Je me sens comme une statue et n'ose rien faire jusqu'à ce que Oktar entre dans mon champ de vision. Il m'observe de long en large en frottant son bouc, lui qui me semblait gigantesque a désormais l'air d'une fourmis par rapport à ma taille actuelle. Mes membres commencent à trembler, je me suis immobilisée dans une position qui n'est pas adéquat pour la tenir très longtemps, le Nafif le remarque et lève la tête vers moi.
- Plie tes jambes Haïlwidis, me conseille-t-il sans hausser la voix, je suis donc surprise de l'entendre à ma hauteur. Allonge-toi doucement.
Je ne peux lui répondre, si c'était le cas je lui aurais dit que je n'ai pas confiance en ma capacité à me mouvoir en douceur, mais mes muscles commençant à ne plus tenir je décide de l'écouter. Je plie mes articulations le plus doucement possible jusqu'à sentir le sol contre mon torse apparemment plus bombé que mon ventre. Je me pose le plus délicatement possible et pousse un puissant soupir qui fait bouger des branches d'arbre lorsque je peux enfin relâcher mes quatre pattes. Une fois stable, je me donne le droit de bouger ma tête pour observer avec plus de facilité mon corps. Mes ailes serrées dans mon dos me permettent de voir la crête qui longe ma colonne vertébrale jusqu'à la moitié de ma queue, cette dernière très longue se termine en deux sortes de palmes fines. Mon corps est maigre, mais mon instinct me dit que c'est ce qui fait sa force, je me sens capable de me mouvoir rapidement avec une grande souplesse tel un serpent. Est-ce la une caractéristique d'un des type de dragon ? Quel est donc le miens ? Je baisse ma tête vers Oktar qui me regarde droit dans les yeux et sourit, comme s'il avait deviné le fond de mes pensées.
- Tu veux savoir dans quelle catégorie tu es, n'est-ce pas ? Tu es sans aucun doute une Tueuse, ta tête est fine et ton corps est tout en longueur, avec de l'entraînement tu seras très habile aussi bien sur terre que dans les airs.
Je souris, dévoilant ma gueule pleine de canine. J'aimerai pouvoir me lever mais j'ai encore des doutes quand à mes capacités de mouvement, cependant Oktar n'est pas du même avis. Il recule et me fais signe de la main, m'invitant à le suivre. J'hésite quelques instants avant de me lancer, si c'est lui qui m'y pousse je ne serais en aucun cas responsable de la moindre catastrophe. Je me lève, allongée ma tête atteignait à peine la cime des arbres lorsque je tendait mon cou mais debout c'est autre chose. J'ai une telle visibilité que j'ai l'impression de voler en étant sur la terre ferme, j'ai un aperçu de la forêt et au delà, si nous n'étions pas entourés de collines je pourrais voir bien plus loin. Je met une patte devant l'autre, devenir soudainement un quadrupède nécessite un petit temps d'adaptation, mais cela reste instinctif, après tout bébé nous marchions déjà à quatre pattes. Ma démarche est d'abord hésitante puis devient plus assurée à mesure que je m'habitue, j'ai du mal à imaginer à quoi je ressemble en ce moment étant donnée que je ne me suis jamais vu mais dans la réaction du Nafif qui avance à mes côtés avec des yeux émerveillés je dois dégager une certaine prestance. Nous arrivons sur la rive du petit lac qui marque la limite de notre propriété privée. Je penche la tête au-dessus de l'eau pour y voir mon reflet, ce que la surface lisse me montre me laisse sans voix.
Deux perles d'un rouge semblable à celui du sang me fixent, mes yeux sont perçant et me feraient frissonner de peurs s'ils n'étaient pas les miens. Oktar avait raison, j'ai une tête fine en pointe, mon crâne est couronné par plusieurs paires de cornes descendant jusque sur ma mâchoire. J'apprécie ce que je vois, je suis bien plus élégante que le Nafif lorsqu'il s'était transformé, sa tête rectangulaire lui donnait un air pataud. Je me redresse, faisant onduler mon long cou, et agite mes oreilles de contentement. J'ai réussi. J'ai accompli l'exploit de me transformer en dragon avant El-Yah, et je suis plus belle que ce à quoi je m'attendais. Nous allons désormais pouvoir partir accomplir notre destin, retrouver notre père et mettre fin à cette guerre d'une façon ou d'une autre.
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