Chapitre 36
La nuit est claire, la pleine lune brille dans le ciel ce qui me permet de voir sans difficulté le chemin que j'emprunte. Les animaux dorment, aucun oiseau ne chante dans les branches des arbres hormis les quelques rapaces nocturnes en chasse, ils me rappellent à chaque hululement que je ne suis pas seule dans cette forêt. Après ce qu'il s'est passé la veille avec Hervé, j'ai décidé de partir mettre les choses au clair entre moi et l'humain qui m'a recueilli quand j'ai quitté la Base. J'ignore encore ce que je vais lui dire exactement, mais je dois le convaincre d'arrêter de me poursuivre et de ne plus aller voir Oktar, cela pourrait être un danger pour tout le monde. J'arrive près de sa maison, je m'arrête à la lisière du bois, encore hésitante. J'ai décidé sur un coup de tête d'aller lui parler sans me préparer à l'avance, il est presque minuit, je n'arrivais pas à dormir à force de m'inquiéter de la situation. Rien ne me dit qu'il est réveillé, qu'il acceptera de me parler, qu'il n'appellera pas la police. Je commence à regretter mon choix, mais c'est la seule solution qui s'offre à moi si je veux garantir notre nature de non-humains secrète.
- Tu te prend vraiment la tête pour rien, soupire Haïlwidis dans mon esprit. Un bon p'tit coup de griffe dans la gorge et le problème est résolu.
- On en a déjà discuté, tout ne se règle pas de cette manière.
- Avoue que cette simplicité te tente, ne serait-ce qu'un tout petit peu. Si tu veux je m'en occupe, t'aura pas à avoir ça sur la conscience madame "j'ai une morale".
- Ce n'est pas qu'une question de morale, faire ça ne ferait que nous rajouter des problèmes sur le dos.
- Si tu l'dis.
Une lumière s'allume à la fenêtre du salon, Hervé doit s'être levé pour prendre quelque chose à manger comme il le faisait lorsque je vivais avec lui. Je profite de l'occasion pour entrer dans le jardin et me placer devant la porte d'entrée, la main sur la poignée. Je dois prendre une grande inspiration avant de l'ouvrir silencieusement. J'entre dans cette pièce qui m'est encore familière, sans un bruit, c'est à peine si j'ose respirer. Je m'avance, je m'apprête à entrer dans la cuisine mais le vieil homme apparait soudainement devant moi, sans me voir, trop perdue dans ses pensées. Mon cœur loupe un battement. Lorsque l'humain se stoppe net et se tourne lentement vers moi, les yeux écarquillés, tous mes muscles se crispent, je n'ose plus bouger comme si rester immobile allait me rendre invisible. Hervé marque un temps d'arrêt, le souffle court avant de respirer à nouveau. Il tend la main vers moi, je n'ai aucun mouvement de recul, j'attend de voir ce qu'il compte faire. Il pose sa main sur le haut de mon crâne avant de sourire, son visage trahissant un mélange de tristesse et de joie.
- Tu as bien grandis Ellie, me dit le vieil homme de sa voix rauque. Et tu as pris du poids, ca me rassure.
Je ne dis rien, je ne sais quoi répondre. Je voudrais m'énerver contre lui, et j'aurai tous les droits de le faire. Cependant, la petite étincelle d'émotion que je vois briller dans ses prunelles m'en dissuade. C'est peut-être la nostalgie des moments passés à ses côtés qui me serre le cœur, ou ma conscience qui me die de ne pas juger un homme sur ses pires erreurs mais sur ses meilleurs actes. Et la meilleure chose qu'il ai faite pour moi a été de me sauver la vie. S'il n'avait pas été là je serais peut-être morte dans la forêt, ou j'aurai erré seule sans trouver Oktar. Je ne peux pas lui en vouloir d'avoir été dépassé par les évènements, ce n'est qu'un Homme...
- Je suis vraiment désolé Ellie, soupire-t-il en retirant sa main de mon crâne après quelques secondes de silence. Je n'aurai jamais dû contacter la police, on aurait dû discuter tous les deux... J'ai été stupide.
- Ca c'est sûr, dis-je sèchement en croisant les bras. La communication c'est quand même la base dans une cohabitation, ça aurait au moins été bien de me prévenir.
Hervé se gratte la gorge et détourne le regard, honteux, avant de me fixer à nouveau. Je comprend dans son expression qu'il a des questions à me poser, et je m'y attendais. Me voir débarquer chez lui soudainement alors que j'ai disparu à plusieurs minutes de route il y a de cela de nombreuses semaines doit soulever plusieurs interrogations.
- Comment es-tu arrivée ici ? Où es-tu logée ? C'est l'homme qui vit seul dans la forêt je suis sûr, j'espère qu'il n'est pas dangereux...
- Je ne peux pas te répondre Hervé, l'arrêté-je pour éviter qu'il n'aille trop loin. Ca pourrait nous apporter des problèmes à tous les deux.
- De quoi tu parles ? s'étonne-t-il d'un ton inquiet. Qui est cet homme ?
- Ne me pose pas plus de questions, et ne va plus là-bas non plus. Si je suis venue ici c'est seulement pour te dire ça.
- Donc tu voudrais que je ne te vois plus du tout alors que tu es juste à côté avec un inconnu ?
- A mes yeux tu es plus un inconnu que lui, dis-je en plantant mon regard dans le siens.
Le vieil homme semble d'abord choqué avant de sourire tristement, comme s'il comprenait. Je soupire, je tire mes cheveux en arrière pour cacher mon malaise dû à l'ambiance pesante qui s'installe. Je cherche une solution pour briser la glace qui s'est créée entre nous, et je n'en vois qu'une seule sans savoir si c'est réellement une bonne idée.
- Il ne faut plus que tu viennes me voir, mais je pourrais te rendre visite de temps en temps si tu veux, proposé-je.
- Vraiment ? sourit-il. Tu viendrais voir le vieux croulant que je suis ?
- Si tu me promet de ne le dire à personne, oui. Maintenant que je ne serais plus un poids pour toi on peut repartir sur de bonnes bases.
- Tu n'as jamais été un poids pour moi, Ellie, murmure le vieil homme. C'est seulement que je ne savais pas comment gérer la situation, c'étais moi le problème, pas toi.
- Si tu le dis, dis-je en haussant les épaules. Je dois y aller maintenant, il se fait tard.
- D'accord, rentre bien...
Je me dirige vers la l'entrée, suivie par Hervé. J'ouvre la porte, mais le vieil homme m'arrête avant que je sorte.
- Ellie, me dit-il, me faisant me retourner. Merci d'être venue me voir malgré ce que j'ai fait. Je suis rassuré de voir que tu vas bien.
Je ne dis rien, j'hoche simplement la tête avant de quitter la demeure et de prendre le chemin du retour. Mes épaules semblent bien allégées, un poids s'est enlevé de ma poitrine. Ma relation détruite avec Hervé m'avait bien plus affectée que je ne le pensais. Je ne l'ai pas côtoyé longtemps, mais il avait pris une place assez importante dans mon histoire pour que j'ai des regrets à son égard. Maintenant que mon corps et mon esprit guérissent grâce à Oktar et ma relation avec Haïlwidis qui s'améliore de jour en jour, je me sens capable de me préoccuper de choses plus futiles comme le contact que j'ai avec un humain. J'en suis heureuse.
- N'oublie pas que tu me dois un service, me rappelle Hal' dans mon esprit.
- Je m'en souviens, ne t'en fais pas. J'attend simplement que tu trouves ce que tu veux.
- J'ai déjà trouvé, déclare-t-elle sûre d'elle. J'ai vu dans tes souvenirs que quand tu étais enfant tu avais des boucles d'oreilles.
- C'est vrai, acquiescé-je. Mais mes trous se sont rebouchés à force de ne pas en porter.
- J'en veux.
Je m'arrête quelques secondes au milieu des bois, surprise. Je m'attendais à beaucoup de choses de la part de l'Erevent, comme vouloir un plat en particulier ou aller en ville, explorer un peu les alentours. Mais jamais je n'aurai crû qu'elle me demanderait un bijou.
- Tu es sûre de toi ? demandé-je. Pourquoi tu veux des boucles d'oreilles ?
- J'aime bien comment ca rend, et mes oreilles sont vides, explique-elle en s'allongeant dans le néant. Les Erevents aiment bien avoir des ornements sur leurs cornes, leurs oreilles ou leur queue mais moi je n'ai rien.
- D'accord... On en parlera à Oktar demain.
Je reprend mon chemin en mettant fin à la conversation, après plusieurs minutes de marche j'arrive chez le Nafif. Sans être surprise, je remarque que les lumières sont allumées au sous-sol lorsque j'ouvre le passage dans le placard de la maison délabrée. Jamais je n'aurai pu partir sans qu'il ne s'en rende compte. Je m'attend à un sermon, j'inspire un grand coup avant de descendre à sa rencontre. Je le retrouve assis sur le canapé, un livre ouvert en main. Quand j'arrive il lève les yeux vers moi et ferme le livre. Je tire mes cheveux en arrière, attendant qu'il prenne la parole.
- Tu es allée voir l'humain, pas vrai ? commence-t-il d'un ton qui ne laisse transparaitre aucun agacement.
- Oui, avoué-je. J'avais besoin de mettre les choses au clair avec lui.
- C'est bien, et qu'est-ce que tu en as tiré ?
- Il ne viendra plus dans les parages, mais j'irai peut-être le voir de temps en temps pour qu'il ne s'inquiète pas.
- Je ne te parle pas du résultat de votre conversation, mais ce que tu en retiens. Comment tu te sens maintenant par rapport à avant ?
- Je me sens mieux, plus légère.
- Dans ce cas tant mieux.
Oktar se lève du canapé dans un grognement dû à l'effort et se dirige vers sa chambre. Je reste plantée au milieu de la pièce, hésitante, avant de l'interpeller.
- Tu n'es pas fâché ? demandé-je inquiète.
- Pourquoi je le serais ? dit-il en se retournant. Tu fais ce que tu veux.
- Oui mais j'aurai pu te mettre en danger, divulguer ton identité ou je ne sais pas...
- Je ne te crois pas assez stupide pour faire ça, me dit-t-il dans un sourire.
Le Nafif se tourne à nouveau vers sa porte, pose la main sur la poignée sans ouvrir.
- Je suis juste énervé pour une chose, commence-t-il sans se retourner. La prochaine fois que tu pars, préviens moi. Je m'en fiche que tu fasses des choses qui me mettent en danger, je suis grand je sais me débrouiller tout seule, gamine. Mais je préfère savoir où tu es si jamais il t'arrive quelque chose.
Sans me laisser répondre, il entre dans sa chambre et referme la porte. Sous le choc de ses paroles lourdes d'émotions, je dois m'asseoir quelques instants pour me remettre. Le coude appuyé sur la table de la cuisine, le front posé dans ma main, je vois des gouttes tomber sur mes cuisses. Des larmes coulent sans que je ne m'en rende compte, et je ne comprend pas leur présence. La colère du Nafif m'aurai-t-elle effrayée ? Où serait-ce dû à mon soulagement ? Je m'essuie les yeux d'un revers de la main avant de me lever et d'aller à mon tour dans ma chambre. Je m'assois sur mon lit, pas vraiment préparée à dormir, l'esprit trop plein des derniers évènements. Ma reprise de contact avec Hervé s'est passée plus rapidement que je le pensais, je m'attendais à ce qu'il essaie de me retenir, me dissuader de partir. Il a dû tirer des leçons de ses erreurs, c'est bon à savoir. Je dois tout de même rester méfiante, rien ne me dit qu'il n'appellera pas la police pour venir enquêter ici et arrêter Oktar. Je dois y faire attention, même si le Nafif me dit qu'il sait se débrouiller seul je ne peux pas le laisser se faire embarquer par des problèmes dont je suis la source. Il s'inquiète pour moi et le sentiment est partagé, il semble trop prendre de responsabilités en tant que seul adulte. Il se surmène pour m'aider, et même s'il me dit qu'à ma façon je l'aide aussi je ne peux pas le laisser tout gérer tout seul.
Je pousse un profond soupir. J'observe le flacon posé sur ma table de nuit. La poudre noire qu'elle contient semble se mouvoir dans ma direction, comme si je l'attirais, ce qui attise ma curiosité. Depuis que Oktar nous a offert cette colonie de Textilis à Haïlwidis et moi, nous n'en avons pas reparlé. Je sais qu'il s'agit d'une sorte de vêtement qui se créé tout seul en se nourrissant de mon Leporementium, mais le Nafif de m'a pas expliqué comment cela fonctionnait.
Je prend la fiole dans ma main et en observe le contenu. Hésitante, je dévisse le bouchon et verse la poudre dans le creux ma main. La sensation est chaude et froide à la fois, poudreuse mais liquide. Je la regarde sous tous les angles possibles, attendant une certaine réaction de sa part, mais rien ne se passe hormis ses mouvement habituels ressemblant à un tortillement d'asticots. Oktar m'ayant parlé de réaction au Leporementium, je me concentre pour faire passer mon flux d'énergie dans ma main. L'effet est immédiat, à l'instant même où ma magie entre en contact avec les petites créatures elles se mettent à se multiplier à une vitesse exponentielles, grimpant le long de mon bras, plaquées contre ma peau comme un gant grandissant. Elles déchirent mes vêtements pour prendre leur place, changent de forme et d'apparence, se séparent pour créer une tenue complète en trois parties. Je me lève pour mieux observer ce qu'il vient d'apparaître sur mon corps. Des bottes à la semelle épaisse recouvrent mes pieds, je porte une sorte de legging et un teeshirt dos nus n'entrant donc pas en contact avec mes cicatrices, le tout dans le même noir que les Textilis sous leur forme d'origine. Alors que je pense que l'assortiment est complet, les créatures se divisent à nouveau au niveau de mon col pour venir recouvrir ma gorge et ma bouche afin de masquer le bas de mon visage. Une partie de mon haut se détache de chaque côté pour recouvrir mes membres avec des mitaines dotées d'une plaque de métal sur le dos de la main, quand à mon pantalon il s'épaissit pour me créer une ceinture. Cette fois-ci, et je l'ai vérifié en attendant une minute entière sans que rien ne se passe, ma tenue est complète.
Je m'assois sur mon lit, fatiguée par ce qu'il vient de se passer. Les Textilis auraient-ils absorbés une trop grande quantité de mon Leporementium ? Il faudra que je le demande à Oktar à l'aube après lui avoir parlé du projet d'Haïlwidis. Je n'ai qu'une idée en tête c'est dormir. Sans que je n'ai besoin de faire quoi que ce soit consciemment, mes vêtements changent à nouveau, me faisant sursauter de surprise, pour se transformer en une tenue plus légère. Un simple débardeur et un short large, une tenue de nuit. Je souris, agréablement surprise par les capacités de cette invention des Aelez. Je ne peux m'empêcher de penser aux habitants de la Base qui ne peuvent plus profiter d'une telle création. Suis-je réellement digne d'en porter les dernières traces sans n'avoir rien fait pour le mériter ? Je me souviens des conseils d'Oktar et décide de ne pas me torturer plus longtemps l'esprit. Je le remercierai pour ce cadeau à mon réveil sans culpabiliser pour mes actes.
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