Chapitre 35
Mon sang boue dans mes veines, je l'entend distinctement traverser tout mon corps grâce à l'adrénaline. L'excitation du combat est une chose enivrante, je l'ai toujours ressentie sans pouvoir m'en délecter, je le sais, je m'en rappelle. Toutes ces fois où je me battais dans l'arène de Valak, je prenais plaisir à détruire mes victimes une à une, les voir trembler de peur à la simple évocation de mon surnom "la tueuse blanche". Mon tatouage clair normalement absent chez les Erevents a marqué les esprits, aujourd'hui encore je le regarde avec fierté, encore plus grands qu'auparavant. Ces moments étaient les seuls où je pouvais avoir un semblant de liberté, moi qui n'avait aucun contrôle sur ma vie je pouvais avoir celle des autres entre mes mains et la détruire à ma guise comme la mienne l'a été. Maintenant que j'ai gouté aux vrais sensations de maîtriser son corps et sa pensée, jamais plus je ne pourrai m'en passer. C'est une drogue qui est à la portée de tous mais que l'on m'a refusée pendants des années, je ne la cèderai plus à quiconque la réclame.
Je suis obligée de retenir mes coups lorsque j'attaque Oktar, malgré mon instinct qui me hurle ses ordres je ne souhaite pas le tuer. J'ignore si c'est la volonté d'El-Yah qui déteint sur moi ou si c'est ma propre décision, mais à chaque fois que mes griffes ou mes poings atteignent le corps du Nafif mon cœur se serre d'appréhension. Dans des conditions pareil, profiter du combat est vain, je ne peux pas me libérer complètement. Je sens la frustration monter en moi, je regretterai presque l'époque où je ne pouvais rien ressentir à part l'exaltation que cela me procurait de sentir du sang couler à flot dans ma gorge.
Alors que mon corps ne bouge plus que machinalement, n'ayant pas besoin de réfléchir ou me méfier face à un adversaire aux capacités physiques bien inférieures aux miennes, Oktar fait un mouvement que mon instinct n'avait pas prévu. Cela fait déjà quelques minutes que nous échangeons des coups dans la salle d'entraînement, nous nous sommes beaucoup déplacés durant le combat en emportant dans notre fougue des objets et des armes tombés à terre. Je ne m'attendais pas à ce que le Nafif utilise son pouvoir pour attirer une dague dans sa main et me menacer la jugulaire avec. Je parviens à la lui faire lâcher d'un coup de pied au poignet, mais il virevolte avec une aisance que je n'ai jamais vu chez un non Erevent, se place derrière moi et m'attrape la gorge avec son bras avant d'attirer une nouvelle fois la lame pour la placer contre ma peau. Je reste immobile, mes ailes tressaillent dans mon dos, chacune grande ouverte de chaque côté de l'homme qui m'immobilise afin de m'assurer un bon équilibre. De par sa grande taille et sa largeur d'épaule il me domine parfaitement, me donnant l'impression d'avoir une montagne postée derrière moi, inébranlable. Est-ce l'odeur de sa transpiration suite à l'effort qui me donne l'impression qu'il émane de lui une aura si dangereuse que moi, la tueuse blanche, reste immobile face à sa menace ?
Oktar lâche la dague, elle tombe à mes pieds dans un bruit strident qui fait vibrer mes oreilles, et recule en me libérant de son emprise. Je reste encore quelques secondes sous le choc, tout s'est passé très vite. Je dominais plus de la moitié du combat, il n'a pris le dessus que sur les derniers instants mais cela lui a suffit pour me mettre hors jeu alors que je n'ai à aucun moment réussi à l'acculer d'une quelconque façon. J'avais beau le frapper assez fort pour lui faire des dégâts, lui bloquer le passage ou l'attraper il trouvait toujours un moyen de m'échapper et reprendre le combat. Est-ce parce que j'étais trop confiante, ou pas assez concentrée ? Qu'est-ce qui a permis à lui, un simple Nafif sans pouvoir exceptionnel, de vaincre une des Erevents les plus puissants que j'ai rencontré ? Aucun n'a jamais réussi à rivaliser avec ma force ou ma vitesse, comment a-t-il pu aussi rapidement ?
- Je sais, ricané-je nerveusement. Je n'étais pas à fond, j'avais trop peur de blesser le précieux amis d'El-Yah.
- Je sais que tu n'étais pas à fond, me dit le Nafif en rangeant le matériel éparpillé dans la pièce. La façon dont tu bougeais était bien trop crispée pour que cela soit normal, je me suis dit qu'en te laissant du temps tu te relâcherai et mettrai toute ta force mais non, donc j'ai mis fin au combat avec que cela ne s'éternise.
- Tu n'arrivera pas à me faire croire que tu avais tout sous contrôle, dis-je sèchement. Les Nafifs sont tellement imbus d'eux-mêmes, toujours là à vous vanter...
- Tu as le droit de ne pas me croire, rit-il. D'ailleurs je te remercie de t'être retenue, ca me rassure sur tes intentions.
- Je... balbutié-je en secouant mes oreilles de gêne. Je ne l'ai pas fait parce que je tiens à toi, je ne te connais même pas ! Ca aurait juste été chiant si El-Yah m'avait détesté.
- Donc tu te soucie de ta relation avec elle, ca me fait plaisir.
Oktar sourit de toute ses dents, je ne sais quoi répondre à ce genre d'attaque sournoise. Je n'ai aucun intérêt pour cette Nafif qui me prive de ma liberté par sa simple existence, tout ce que je fais c'est pour me faciliter la vie. Je suis mon unique priorité et je le serais toujours, ce n'est pas un homme imbus de lui-même qui va me faire croire le contraire. Ceux qui font passer les autres avant eux-mêmes sont des hypocrites qui recherchent l'amour de leur prochain, je ne m'abaisserait pas à ce niveau.
Mon ventre se met à gargouiller bruyamment, je pose ma main dessus pour tenter de le calmer mais il ne fait qu'exprimer sa faim de plus belle. Il est vrai que depuis le réveil d'El-Yah aucune de nous deux n'a nourri notre corps, et je viens de faire une activité physique intense l'estomac vide, si je n'avale pas rapidement quelque chose j'aurai bientôt des vertiges. Oktar semble le comprendre, il m'invite à le suivre dans la cuisine où m'attendait depuis quelques minutes un petit déjeuner classique préparé la veille. Je déguste donc pour la première fois une salade de fruit, le jus explose dans ma bouche accompagné de mille saveurs que j'identifie une à une. C'est la première fois de ma vie entière que je peux savourer un repas, dans l'arène de Valak il m'arrivait de manger des morceaux de viandes ou de pain rassis de temps à autres pour m'éviter de mourir de faim, mais rien de vraiment goûtu. Tandis que là, les parfums sucrés, acides et amères se mélangent dans ma bouche, titillant mes papilles jusqu'à m'en faire réclamer encore et encore. Je mange jusqu'à ne plus être capable d'avaler quoi que ce soit, et malheureusement à cause de la taille limitée de mon estomac cela veut dire que je n'ai pas pu prendre grand chose. Je me fait la promesse silencieuse de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour améliorer mes capacités à manger, c'est un plaisir dont j'aimerai pouvoir profiter pleinement à l'avenir.
- Je suis content que ma nourriture te plaise, me sourit Oktar en débarrassant la table.
- Dans de telles circonstances tout aurait pu me plaire, je n'ai jamais rien mangé de ma vie, dis-je d'un ton dédaigneux.
- Si tu le dis, rit-il. Tu veux sortir ?
- Dehors ? m'étonné-je. Je pensais que vous vouliez pas qu'on me voit, toi et El-Yah.
- Si je te surveille et que tu restes près de la maison cela devrait aller, il n'y a jamais personne qui passe par ici.
Sans attendre plus longtemps, et surtout par peur qu'il ne change d'avis, je me lève précipitamment et me dirige à l'étage pour sortir de la maison. J'entend le Nafif derrière moi râler, il ne s'attendait pas à ce que j'y aille de suite et sans l'attendre, il peine à suivre mon rythme. Je m'arrête devant la porte d'entrée, presque hésitante. Je n'ai jamais connu l'extérieur, même lorsque j'étais chez les Erevent je ne pouvais connaître la sensation d'un monde ouvert, les enfants d'Edma vivant à l'abri des regards dans une gigantesque grotte. Oktar semble ressentir mes réticences, il reste derrière moi sans me hâter, attendant tranquillement que j'ouvre cette porte. J'essaie de me convaincre, de quoi pourrait-je avoir bien peur ? Pourquoi suis-je en train de douter ? Il n'y a pas d'humains pour me craindre, pas d'Erevent pour m'enchaîner et me frapper, pas de Nafif pour me tuer. El-Yah est déjà allée dehors, elle y a été abandonnée par Hervé mais s'en est sorti grâce à l'homme qui est dans mon dos. Oserait-je lui demander... ?
- Tu ne t'éloigne pas, hein ? dis-je d'un ton sec sans me retourner de peur qu'il ne remarque mes véritables sentiments. Si j'ai des emmerdes il vaut mieux que tu gère la situation.
- J'y compte bien, ne t'en fais pas.
Je prend une grande inspiration, et appuie sur la poignée. Une brise légère vient faire voleter mes longues mèches rouges et s'engouffre dans les palmes de mes ailes, me faisant reculer d'un pas. Je les resserrent dans mon dos pour éviter un quelconque accident, je ne voudrais pas tomber devant le Nafif, j'ai une certaine réputation à maintenir. J'avance de quelques pas, le soleil viens taper ma peau noire de sa chaleur, si je n'étais pas une Erevent sa lumière m'éblouirait. Mes pieds nus sont chatouillés par la verdure, les brins d'herbes se coincent entre mes orteils, tous mes sens sont sollicités sans que cela ne soit désagréable pour une fois. Pas de hurlement à vous glacer le sang, seulement le bruit du vent et le chant des oiseaux mêlés aux battements de cœur et à la respiration des êtres vivants alentours. Je perçois le son des remous du ruisseaux non loin d'ici, l'odeur froide et humide emplit mes narines. C'est comme si mon corps était dans un cocon après des années à vif, toutes mes plaies internes et externes guérissent par le simple fait d'être enfin à l'air libre. Je respire réellement après tant de temps à étouffer au sain de mon propre corps.
Une brindille se casse, mon oreille se dresse pour capter les sons. Quelqu'un marche à une dizaine de mètres sur la droite, Oktar étant juste derrière moi cela ne peut pas être lui, il s'agit forcément d'un étranger. Sans concerter qui que ce soit, je me précipite à l'intérieur de la maison et referme la porte derrière moi. Le Nafif appelle mon prénom, surpris par ma réaction soudaine, mais comprend à son tour ce qu'il se passe. J'observe par la fenêtre, cachée par un rideau décrépis, un humain dépasser les arbres pour arriver dans la clairière où vit Oktar. Ce dernier s'avance à son tour, sa carrure est menaçante sans qu'il ne cherche à intimider l'étranger qui n'en est pas vraiment un.
- Hum, excusez-moi de vous déranger, commence Hervé hésitant mais déterminé. J'aurai quelques questions à vous poser.
- A quel sujet ? demande Oktar.
- Il y a un petit moment maintenant j'hébergeais une jeune fille, maigre avec de très longs cheveux blonds. Vous ne l'auriez pas vu par hasard ?
- La police m'a déjà interrogé à ce sujet, il n'y a pas de ça par ici, répond le Nafif pour couper court à la conversation. Maintenant excusez moi, mais j'ai des choses à faire.
Oktar fait mine de se diriger vers la porte d'entrée mais le vieil homme lui attrape le bras pour l'arrêter. Mes muscles se contractent, je suis à l'affut de la moindre menace bien que je doute que ce frêle humain puisse faire quoi que ce soit face au guerrier expérimenté.
- Permettez-moi d'insister, elle passait son temps dehors et je l'ai déjà retrouvée dans les environs une fois. Je ne cherche pas à la ramener à la maison, je veux seulement savoir si elle va bien. S'il-vous-plaît.
Je sens le regard d'Oktar se poser sur moi à travers la fenêtre. Il m'interroge silencieusement, mais dans l'état actuel des choses je ne peux pas prendre de décision. C'est El-Yah qui est concernée, je ne peux pas décider quoi faire à sa place. J'aimerai aller voir cet homme pour lui cracher toute ma colère au visage pour avoir tenté de nous livrer à la police, je serais curieuse de voir sa réaction face à mon apparence.
- Ne fais pas ca, me dit El-Yah dans mon esprit, c'est la première fois qu'elle prend la parole depuis que j'ai eu le contrôle de notre corps.
- Pourquoi pas ? Avec un peu de chance, il en ferait une crise cardiaque et nous serions enfin débarrassés.
- J'ai dit pas de morts inutiles, Laura et Maël ne méritent pas de perdre un proche encore une fois.
- Qu'est-ce qu'on en a à foutre franchement...
- S'il-te-plaît Hal', me demande-t-elle dans un soupire. Tu auras ce que tu veux en contrepartie mais cette fois fais ce que je te demande.
J'hésite encore quelques instants, la mine piteuse de l'homme dehors ne fait que renforcer mon envie de me venger de ses actions. Mais je ne peux pas laisser passer la chance d'obtenir quelque chose sans me démener pour l'avoir, je secoue donc la tête pour signifier à Oktar qu'il n'a pas notre autorisation pour divulguer notre présence. Il s'empresse donc de répéter à Hervé qu'il ne nous connait pas, ce dernier part après avoir insisté encore un peu, ce qui me permet de pouvoir quitter ma cachette. Je m'assois en tailleurs par terre en soupirant, le Nafif entre à ce moment là et a une mimique d'amusement.
- Tu te moques de moi ? m'énervé-je.
- Bien sûr que non, se défend-t-il. J'ai juste trouver ta réaction presque mignonne, on dirait une petite fille.
- Mignonne ?!
Je m'étoufferai presque d'agacement. Depuis que j'ai pris le contrôle j'ai bien remarqué la manie qu'à Oktar de me taquiner bien plus qu'avec El-Yah, ou en tout cas différemment. Est-ce une forme de bizutage, ou cherche-t-il à évaluer mes limites ? Je ne lui ferais pas le plaisir de m'énerver à chaque fois pour si peu, je n'ai qu'à ignorer ses tentatives jusqu'à ce qu'il se lasse. Après avoir arrêté de rire de mes réactions, il quitte la pièce quelques secondes avant de revenir, un bocal en verre dans les mains. Je me lève, intriguée par cet objet qu'il pose sur le table basse en face du canapé décrépi. Je m'agenouille à côté et rapproche ma tête du bocal, j'observe son contenu, une sorte de fine poussière noire et mouvante. Je fais une grimace en reculant la tête, sceptique face à cette étrange texture.
- Qu'est-ce que c'est que ca ? demandé-je à Oktar tandis qu'il s'assoit dans le fauteuil à côté de moi.
- Ce sont des Textilis, la dernière colonie encore en vie.
- Et c'est quoi des Textilis ?
- Ce sont des petites créatures qui se nourrissent du Leporementium d'un hôte pour se multiplier. Ils peuvent changer de couleur et de nature à volonté, ils sont donc connus pour leur utilisation en tant que vêtements auto-régénérants.
- Qu'est-ce que ca veut dire, comment ca fonctionne ?
- Pour faire simple, une colonie de Textilis va se lier à un hôte par le Leporementium et ressentir ce dont il a besoin en matière de tenue. Ce sont des vêtements intelligents et vivants.
- Je n'avais aucune idée que ce genre de choses pouvait exister...
- C'est une création des Aelez dans le but de pallier au problème des vêtements qui se déchirent après chaque transformation en dragon, m'explique le Nafif. L'hôte a beau être loin, sa colonie le retrouvera toujours. Celle la, c'est la dernière qui existe, ils n'en fabriquent plus les recherches ont disparus dans un incendie qui a causé la mort de leur inventeur. Elle était conservée dans la réserve et quand j'ai déserté je l'ai prise comme monnaie d'échange contre ma liberté si jamais l'on me retrouvait. Aujourd'hui je te l'offre.
Je ne sais quoi dire, aucun mot ne sort de ma bouche, pas même un merci. J'ignore à quel point cette chose peut être précieuse aux yeux des enfants d'Adem, en tout cas ca l'est assez pour que Oktar le vole afin d'assurer sa liberté. Je ne peux que comprendre son besoin de sécuriser ce qu'il a durement gagné, une petite voix me dit que nous ne sommes pas si différents mais je la chasse rapidement. Nos histoires n'ont rien à voir, lui n'a pas été torturé et trahis par sa propre famille, j'aurai donné tout ce que j'ai pour avoir sa vie paisible de Nafif privilégié. S'il pense qu'en me faisant un cadeau je deviendrai aussi fleur bleue qu'El-Yah à son égard il se trompe, ce n'est pas ça qui va attiser ma sympathie. Elle accorde sa confiance trop vite, je ne ferai pas les mêmes erreurs qu'elle. Nous n'avons d'autres choix que de cohabiter, il est donc temps que chacune de nous ai un rôle. Je serai notre conscience, celle grâce à qui plus jamais nous ne seront trahies et brisées. Je nous protègerai, et s'il faut que je me retrouve en haut d'une pile de cadavre pour cela c'est avec plaisir que j'éliminerai mes ennemis.
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