Chapitre 30

   Le métal est froid sous mes pieds, mais il n'a pas le temps de devenir réellement désagréable. Les chiffres de la balance défilent rapidement jusqu'à s'arrêter pour afficher mon poids : quarante kilos et vingt-trois grammes. Je descend de la petite machine sans rien dire, Oktar reste lui aussi silencieux à côté de moi, attendant que je sois la première à réagir. Je souris, c'est la première chose qui me vient naturellement. J'ai atteint mon objectif et j'en suis fière, après près de deux mois à manger jusqu'à m'en donner mal au ventre, à m'empêcher de m'entraîner afin de reposer mon corps pour qu'il soit au meilleur de sa forme, j'ai réussi. Nous sommes le matin, je suis a jeun et ne porte qu'un simple tee-shirt. Et pourtant j'y suis,  je vais enfin pouvoir passer à une nouvelle étape, aller de l'avant. Mon sourire se fait plus grand à mesure que je prend conscience de ma victoire, il se répercute sur Oktar qui vient frotter énergiquement mon crâne. 

   - Félicitations gamine, me dit-il. Je pensais que ça te prendrait plus de temps de retrouver une condition physique acceptable, mais tu étais plus motivée que je m'y attendais.
- Evidemment, dis-je en tirant mes cheveux en arrière. Tu m'as donné un objectif bien précis, c'est devenu plus simple. Merci pour ton aide.
- Ne me remercie pas, je n'ai presque rien fait.

   Le Nafif s'éloigne avant que je n'ai le temps de le contredire, il accepte mal la gratitude des autres, j'ai pu l'observer au cours des derniers mois passés à ses côtés. Nous avons appris à nous connaître, à développer une réelle complicité qui commençait déjà à s'installer alors que nous nous connaissions à peine, comme si nous étions compatibles de nature. Une confiance aveugle s'est créée entre nous, elle est à la fois rassurante et inquiétante. Je sais que je peux compter sur lui en toute circonstance, mais j'ai peur que cela lui porte préjudice. Tout comme moi avec lui, il serait capable de me faire passer en priorité, je dois donc faire attention à lui pour compenser sa négligence envers son propre bien être. Parfois j'ai l'impression de m'occuper d'un enfant, mais ca me va, au moins je me sens utile.

   Je rejoins Oktar dans la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner avant d'entamer la journée. Etant donné que j'ai remplie la condition qu'avait le Nafif pour accepter de m'entraîner nous devrions commencer dès aujourd'hui. J'ignore quel sera le programme, mais je n'ai qu'une hâte c'est de mettre en pratique toute la théorie que j'ai pu apprendre récemment, que ce soit sur les arts Leporiques ou martiaux, sans oublier que je dois également apprendre à maîtriser mon côté Erevent. C'est la partie qui m'angoisse le plus, celle qui me semble le moins accessible, comme un simple rêve inatteignable. Oktar semble sûr de lui quand il m'explique la façon dont il compte s'y prendre, mais il n'a jamais eu à me voir sous cette forme destructrice. Je suis la seule a réellement avoir conscience du danger. 

   Après avoir fini notre repas nous nous retrouvons dans la salle d'entraînement, Oktar déplace quelques objets qui se trouvent en plein milieu des tatamis pour dégager la place avant de venir à ma rencontre. 

   - Bien, avant de pouvoir t'entraîner à proprement parler j'ai besoin de connaître tes capacités physiques, on va donc faire quelques tests, m'explique-t-il.
- D'accord, qu'est-ce que je dois faire ? demandé-je impatiente.
- Commence par trottiner en faisant le tour de la salle pendant que j'installe un peu de matériel.
- Et je dois m'arrêter quand ?
- Quand je te le dirais ou quand tu mourras d'épuisement, me dit-il avec un clin d'oeil.

   Je fais la moue mais m'attelle à la tâche et entreprend un petit footing à une allure modérée, le but n'étend pas de tester ma vitesse mais de m'échauffer et évaluer mon endurance. Oktar quand à lui déplace des objets, installe toutes sortes de machines et je doute que ce ne soit que dans le but d'évaluer mon niveau sportif. Je décide de ne pas y prêter attention et de me concentrer sur ma course. Mes muscles se réchauffent doucement, mon coeur accélère et ma respiration devient plus courte sans pour autant aller jusqu'à l'essoufflement.  Au bout de plusieurs minutes j'ai l'impression que mes pieds ne touchent plus le sol tant mes mouvements sont fluides et irréfléchis. Je l'avais déjà remarqué auparavant, mais courir semble être une deuxième nature pour moi, je n'ai pas souvenir de m'être déjà retrouvée épuisée après une simple course. 

   J'ignore combien de tour je fais, Oktar m'appelle après avoir passé un petit moment à m'observer, assis sur une chaise. Je m'approche de lui en reprenant facilement mon souffle.

   - Comment tu te sens ? me demande-t-il d'un ton qui laisse comprendre qu'il a déjà la réponse.
- Très bien, j'aurai pu continuer encore longtemps, dis-je avec fierté.
- Ca fait déjà quarante minutes que tu y est, je pense que tu ne m'en voudras pas si on passe à la suite, rit le Nafif en regardant sa montre.
- Quarante minutes ? m'étonné-je. J'ai l'impression d'en avoir fait dix...
- C'est bien, tu es endurante, on aura pas besoin de travailler ce côté.

   Je tire mes cheveux en arrière pour cacher ma satisfaction. Je suis contente d'avoir un point fort mais ne veux pas donner l'impression que ça me suffit, je sais que j'ai encore beaucoup de lacune, et les tests que Oktar me fait faire par la suite me le prouvent. On évalue ma force physique, ma vitesse, mon sens de l'équilibre, ma souplesse et mes réflexes. Mes capacités sont assez inégales, quand mon équilibre et ma réactivité sont hors pairs ma faiblesse musculaire et mon manque de souplesse sont particulièrement désavantageux. Je suis incapable de soulever mon propre poids plus de trois secondes, de battre Oktar à la course alors qu'il a une bien plus grande masse que moi à déplacer ou de toucher mes pieds en gardant les jambes droites. Au bout de presque deux heures à mettre mon corps à rude épreuve, je m'écroule sur le sol, morte de fatigue et le moral bas. Je peux enfin me rendre compte de tout le travail que j'ai à faire, le chemin que j'ai encore à parcourir. Le Nafif vient s'asseoir à côté de moi et me tend une serviette pour que j'essuie ma transpiration.

   - Ne déprime pas déjà, me dit-il. On commence tous quelque part et crois-moi tu as déjà un bon niveau, on a pas tant de travail que ça à faire.
- Je sais, soupiré-je. J'ai juste été habituée ces derniers temps à me dire que je suis dotée d'une force incroyable, et me rendre compte que ce n'est pas le cas dans tous les domaines c'est dur à encaisser.
- J'imagine que ça doit être un choc...
- Tu "imagines" ?
- Oui, je ne peux pas le comprendre, je n'ai jamais été dans ton cas. Je ne suis pas né avec des capacités exceptionnels.
- Pourtant tu es super fort.
- Parce que j'ai travaillé dur, et crois moi il y a bien plus fort, dit-il en riant d'un air gêné. Toi tu as des pouvoirs innés, donc si en plus tu t'entraines à fond tu finiras par être imbattable.
- Ca serait bien...

   Plus que quiconque, j'ai besoin de cette force. Je peux paraître vénale à désirer plus quand j'ai déjà des capacités supérieures à celles des autres, mais qui pourrait me blâmer pour cela ? Nous passons notre vie à nous entrainer, à apprendre dans le but de forger la meilleure version de nous-même, et dans mon cas je ne l'ai pas encore atteint et quelque chose me dit que je n'y parviendrait pas de sitôt. J'ai plusieurs étapes à franchir pour ne serait-ce qu'entrevoir l'idéal de force et de puissance que je dois égaler. Dans mon cas je vise même bien plus haut, je dois dépasser tous mes prédécesseurs, dépasser mon père, dépasser les dieux. Dans quel but ? Pourquoi ai-je autant d'ambition soudainement ? J'ai toujours crû qu'être assez forte pour vivre en paix, en autonomie et loin de cette guerre me suffirait, mais je me voilais la face. Ces batailles, ce sang qui a trop couler, ces larmes qui ont été versées, tout cela me concerne bien plus que je ne voulais me l'avouer. C'est mon peuple qui souffre, pas uniquement les enfants d'Edma ou ceux d'Adem, les deux réunis. Le rêve d'Oktar déteint sur moi, mettre fin à cette guerre en gagnant n'est pas la solution. Les deux côtés doivent perdre pour pouvoir mettre à part nos différents oubliés depuis longtemps et vivre en harmonie. 

   - Quand est-ce que tu pourras m'apprendre à me battre ? demandé-je, revigorée.
- Nous pouvons déjà commencer à t'apprendre les bases, ton corps se renforcera de lui-même avec l'entraînement, explique le Nafif en frottant son bouc. 

   Je me lève et me poste devant lui, main sur les hanches, bien décidée à commencer. Oktar a un petit rictus amusé avant de se relever et de se placer en face de moi, il m'observe de haut en bas d'un air concentré, ce qui me fait pencher la tête d'incompréhension.

   - Positionne-toi comme si tu allais te battre, me demande-t-il.

   Je suis d'abord surprise par sa demande mais m'exécute. J'essaie de visualiser un ennemi en face de moi et bouge mon corps en fonction, j'écarte légèrement le jambes pour un meilleur appuie et me penche en avant. Le Nafif semble contrarié tout en m'inspectant du regard.

   - Il y a un problème ? demandé-je, inquiétée par son expression.
- Aucun, je réfléchis simplement à quel style de combat t'enseigner...
- Un style de combat ? Il y en a des différents ?
- Bien sûr, tout le monde n'a pas les mêmes points forts et points faibles, on doit adapter notre façon de nous battre en fonction de ça mais aussi en fonction des capacités de l'adversaire. Tu ne te battra pas de la même façon si tu es quelqu'un doté d'une grande force contre quelqu'un de rapide que si tu avais une grande agilité contre un ennemi particulièrement grand.
- Je ne savais pas qu'il y avait autant d'élément à prendre en compte... Je n'ai jamais réfléchit quand je me battais.
- Je me doute, c'est ton instinct qui te dictais quoi faire. Mais le combat ce n'est pas seulement donné des coups au hasard en espérant que ça blesse l'adversaire. Si ton ennemi bouge la jambe droite d'une certaine façon tu auras une réaction bien précise à avoir, pareil pour chacun de ses mouvements, et selon l'environnement qui t'entoure.
- Tu arrives à retenir tout ça ?
- Les fondements de mon style de combat seulement, il en existe des nombreux je ne peux pas tout apprendre, et cela serait inutile je n'ai pas des capacités adaptées à tous.

   Je me rend compte que j'ai été bien naïve. Je pensais que tout serait toujours facile, que comme lorsque je me battais dans l'arène de Valak je n'aurai pas besoin de trop réfléchir pour me battre, mais il est vrai que je n'ai jamais participé à des duels équilibrés. Toutes ces victoires, je les ai eu par chance et par injustice, avec ma force et ma rapidité d'Erevent mais aussi mes capacités d'élémentariste. Mais contre un ennemi avec plus d'expérience, plus de force, plus de pouvoir, je serais totalement démunie. Oktar m'en a fait la démonstration lorsqu'il m'a plaquée au sol en quelque seconde pour me faire comprendre que je devais me remettre en forme physiquement. En réalité ma défaite n'est pas dû uniquement qu'à cause de mon poids plume, mais aussi de mes connaissance limitées en la matière. Je dois en apprendre davantage. Pour être aussi forte que je le souhaite, pour accomplir mon ambition je dois tout connaître.

   - Tu pourrais m'apprendre tous les styles de combat existants ? 
- Pardon ? me demande Oktar avec des grands yeux.
- Tu pourrais m'apprendre-
- J'ai bien entendu, mais tu n'as pas entendu ce que je t'ai dit ? Chaque style est adapté à différentes capacités, tu ne peux pas toutes les avoirs.
- Et si je pouvais ?
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- J'ai deux formes, deux apparences. Comme ça je suis déjà endurante, mais j'ai surtout mes capacités d'élémentaristes et ma grande quantité de Leporementium. Tandis qu'en Erevent...
- Tu as les capacités physiques d'un Erevent ! s'exclame Oktar. C'est vrai, tu est ambivalente !
- Exactement ! Quand je suis en Erevent j'ai beaucoup de force, je suis rapide et agile, tout ce qui me manque dans cette forme. Je veux bien entendu améliorer mes capacités quand même, mais je garde à l'esprit qu'en maîtrisant mon autre moitié je les aurais déjà pour acquises.

   Les yeux d'Oktar s'illuminent comme ceux d'un enfant. Je suis désormais habituée à son expression enfantine lorsqu'il se rend compte de toute ce qu'il peut faire avec moi qui serait impossible avec qui que ce soit d'autres. Et pour une fois, sa joie se reflète en moi. J'en ai maintenant la conviction, grâce à ma différence, à ma nature de Sang Mêlée, je peux devenir la plus grande guerrière qui ai exister et remporter toutes les batailles, peut-être même mettre fin à cette guerre. Et mon entraînement commence maintenant.

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