Chapitre 28
La différence de température me brûle le bout des doigts, je m'étais habituée au froid de l'extérieur alors être soudainement dans un espace chauffé n'est pas des plus agréables. Mais je ne m'en pleins pas, j'en suis même soulagée. Je me sens à nouveau en sécurité, entourée et non abandonnée, dans un lieu que je connais bien. Le canapé d'Oktar est bien plus confortable que les trottoirs de la ville et mon estomac qui criait famine il y a peu est à nouveau alourdit par la nourriture que j'ai ingéré quelques minutes plus tôt. Mes paupières sont lourdes à cause du manque de sommeil, il est difficile de dormir convenablement sur un trottoir ou contre une poubelle, en terre inconnu avec autant d'humains potentiellement menaçant aux alentours. Je voudrais me reposer, mais je ne le peux pas pour le moment. Mon sauveur a besoin d'explications, et je ne peux que le comprendre.
- Alors, qu'est-ce qu'il s'est passé gamine ? me demande-t-il, assis sur une chaise en face de moi.
- L'humain qui s'occupait de moi a voulu m'emmener à la police, mais je me suis enfuie avant, dis-je tristement, encore affligée par cette vérité.
- A la police ? s'étonne le Nafif. Mais pourquoi ?
- Va savoir, je devais le déranger à force de squatter chez lui...
- Quand bien même, vous auriez pu trouver une autre solution ensemble.
- Tu penses vraiment que la communication est un point fort des humains ? demandé-je en arquant un sourcil.
- Non, en effet.
Oktar frotte son bouc, pensif. Je sais à quoi il songe, il cherche quoi faire de moi maintenant que je n'ai nulle part où aller. Je ne veux plus être un poids, plus me sentir comme une gêne, aussi je refuse de lui imposer ma présence chez lui. Je ne me permettrai pas de lui demander mais espère au fond de moi qu'il le suggère de lui-même.
- Au final, je pense que c'est une bonne nouvelle, dit-il soudainement.
- Pardon ? m'étonné-je.
- Eh bien oui, tu n'auras plus à t'inquiéter de devoir rentrer chez l'humain pour ne pas éveiller de soupçons, tu peux rester ici tout le temps maintenant. Ton entraînement sera plus efficace.
Je reste bouche bée. J'espérais qu'il propose cette solution, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il le fasse avec autant d'entrain, presque joyeusement. Jusqu'à maintenant il m'avait laissé penser que ma présence chez lui à long terme serait une nuisance, était-ce seulement par rapport à Hervé ?
- Tu es sûr que ça ne te dérange pas que je reste ici ? demandé-je inquiète. Cela pourrait bien durer plusieurs années...
- Pourquoi cela me dérangerait-il ? Je vis seul depuis plus d'une décennie, un peu de compagnie ne serait pas de refus.
Je souris malgré moi, je ne devrais pas être aussi satisfaite de la situation. Les dieux seraient-ils avec moi pour que la chance soit ainsi de mon côté ? Ai-je le droit de compter sur quelque chose d'incontrôlable pour que ma vie ne soit pas un enfer ? Pour l'instant c'est ma seule option, j'y suis forcée jusqu'à ce que je devienne assez forte pour pouvoir faire mes propres choix, être autonome. Et j'ai plus que jamais l'occasion de le devenir sans que rien ne vienne se mettre au travers de ma route. J'ai confiance en Oktar, pour le moment il ne m'a jamais déçu et m'a même surprise par ses bonnes actions envers moi, je n'ai jamais demandé autant d'aide de sa part mais l'accepte avec joie.
- Tu vas rester sur le canapé pour le moment le temps que je t'aménage une chambre, m'explique Oktar. Si tu veux te reposer dès maintenant tu peux aller dans ma chambre sinon je vais te déranger.
- Je peux attendre, merci.
Oktar semble analyser si je dit vrai ou si je refuse simplement d'assumer mon état de fatigue, mais il peut chercher autant qu'il veut il ne le saura pas, je l'ignore moi-même. Je me sens complètement vidée d'énergie, mais quand même capable de tenir le reste de la journée et bien plus encore, comme si j'avais une deuxième ou troisième batterie encore pleine. Je ne devrais pas les utiliser alors que j'ai le luxe d'avoir le choix de me ménager, mais je n'ai pas envie d'abuser de la gentillesse du Nafif.
L'homme semble abandonner l'idée de lire en moi et se dirige vers la petite cuisine pour ranger les courses qu'il a acheté plus tôt. Je voudrais l'aider mais l'endroit ne m'est pas encore assez familier pour que je sache où chaque chose doit aller, je me contente donc de plier les sacs de kraft vides et les poser sur la table. Oktar me souris en remerciement, il ouvre la bouche pour me dire quelque chose mais un son aigue viens l'interrompre. J'ignore d'où il provient, le Nafif ne semble pas aussi perdue que moi, simplement surpris. Il se dirige vers les escaliers qui mènent à la partie non habitée de la demeure, celle qui sert de leurre pour les humains afin qu'ils n'aient pas de suspicion sur l'identité d'Oktar. Je le suis, mais arrivés en haut des escaliers, à l'entrée du placard qui cache le passage secret, il s'arrête et se tourne vers moi.
- Reste ici, me dit-il à voix basse. J'ignore qui c'est il vaut mieux que tu restes cachée pour le moment.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demandé-je sans comprendre.
- Quelqu'un a sonné à la porte, c'était ça le bruit. Comme je ne sais pas qui c'est on ne peut prendre le risque qu'on nous voit ensemble.
- D'accord, dis-je en hochant la tête.
Oktar va seul à la porte, je referme celle du placard pour diminuer les chances d'être vue mais reste près d'elle pour entendre ce qu'il se passe. Le Nafif déverrouille l'entrée puis l'ouvre.
- Eh bien, vous en avez mis du temps, remarque un homme. Bonjour monsieur, police nationale.
Mes muscles se crispent d'appréhension, je respire profondément pour me détendre.
- Bonjour... répond Oktar, la confusion s'entend dans sa voix.
- Je peux entrer ? Il ne fais pas très chaud.
- Bien sûr, ne faites pas attention au bazar.
Oktar fait entrer l'homme dans le salon de fortune, j'entend leurs bruits de pas aller jusqu'au canapé où le Nafif m'avait mise lors de notre première rencontre.
- Que me veut la police ? demande Oktar.
- Je ne sais pas si vous êtes au courant mais on nous a rapporté la disparition d'une jeune adolescente dans la ville d'à côté, nous voudrions savoir si vous l'avez vu.
- La ville n'est pas toute proche, cela m'étonnerait qu'elle vienne jusqu'ici. A quoi ressemble-t-elle ?
- A peu près cette taille là, cheveux blonds très longs, yeux bleus...
- Non, je n'ai vu personne qui lui ressemble, à vrai dire je ne vois pas grand monde, rigole Oktar dans le but de détendre l'atmosphère.
Le policier rit à son tour, mais j'ai comme le sentiment que ce n'est pas sincère, comme forcé. Comme suspicieux.
- Je vais être honnête avec vous, quelqu'un pense que vous avez passé plusieurs heures avec elle avant qu'elle ne disparaisse, dit soudainement l'homme.
- Comment ça ? s'étonne Oktar. Je vous l'ai dit, je n'ai vu personne ressemblant à cette description et je passe peu de temps avec les gens, et encore moins des adolescents.
- J'ai bien compris, seulement la personne qui s'occupait d'elle avant sa disparition habite tout près d'ici et raconte qu'elle passait ses journées dehors. Il pensait qu'elle restait seule, mais quand on lui a expliqué que quelqu'un habitait dans les alentours, vous, il a immédiatement déclaré que c'est pour cela qu'elle passait son temps dehors.
Je reste bouche bée, assise contre le mur du placard, les mains tremblantes. Tout est de ma faute, j'ai mis Oktar dans une position délicate à cause de mes caprices. Hervé a compris que je ne m'amusais pas à construire une vulgaire cabane dans la forêt, et savoir qu'une jeune adolescente passait son temps avec un homme adulte est plus que louche. Comment arranger cette situation ? Oktar risque-t-il d'être arrêté à cause de moi ?
- Je ne sais pas qui vous a raconté ça, mais je n'ai vu personne par ici depuis un bon moment. A-t-il des preuves de ce qu'il avance ? Je suis un solitaire, je n'aime pas la compagnie, je vois mal ce que j'aurai pu faire de mes journées avec une gamine. Lancer de telles accusations sans preuves est bien effronté. Je ne comprend même pas de quoi on m'accuse.
- Rien, laissez tomber, soupire le policier d'un ton abattue. Vous connaissez les vieux de nos jours, toujours à s'imaginer n'importe quoi. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.
Sur ces paroles j'entend quelqu'un se lever du canapé et prendre la porte. La maison devient silencieuse, je n'ose pas sortir par peur d'être vue et mettre Oktar plus dans l'embarras qu'il ne l'est déjà. Des grincements du parquet accompagnés de bruit de pas me parviennent et se rapprochent, je suis soulagée de voir le Nafif ouvrir la porte du placard pour me libérer de ma cachette, mais un sentiment de honte vient bientôt prendre le dessus. Sans dire un mot j'enfonce ma tête entre mes bras, complètement abattue. J'entend les genoux de l'homme craquer lorsqu'il s'accroupit pour se mettre à ma hauteur, posant délicatement sa main sur ma tête.
- Tu as dû avoir peur, dit-il doucement d'un ton compatissant. C'est fini maintenant, il est parti tu ne risques plus rien.
Ma gorge me fait souffrir tant le nœud d'émotion qui s'y forme est gros. Oktar est toujours aussi avenant même dans cette situation où je n'étais pas la plus en danger. Je relève la tête d'un seul coup pour planter mon regard dans ses yeux verts.
- Je ne risquais rien du tout, c'est toi qui aurais pu avoir des problèmes à cause de moi ! m'écrié-je. Depuis qu'on s'est rencontrés je ne te cause que des soucis, je t'ai même blessé directement une fois alors que toi, tu ne fais que m'aider encore et encore. Aujourd'hui tu m'as littéralement sauvé la vie en me ramenant chez toi, et là tu viens d'entrer en conflit avec la police mais tu m'as une fois de plus défendue. Je ne comprend pas pourquoi tu fais tout ça pour moi ! Explique-moi comment on peut être aussi gentil en continu ? Comment tu peux autant me donner quand je ne te rend rien en retour ?
Des larmes se sont mises à couler sur mes joues sans que je ne m'en rendre compte, je les efface d'un revers de la main, ne voulant pas encore une fois être une victime à réconforter. J'en ai plus qu'assez de tenir ce rôle, de subir ma propre vie. Mais les évènements s'enchaînent sans que je ne puisse m'y préparer, me prenant au dépourvu. Je n'arrive pas à tout gérer à la fois.
Oktar s'assied en tailleurs devant moi, son visage est d'abord neutre ce qui est très effrayant, mais quand il pose son regard sur moi un tendre sourire vient l'éclaircir. Ses yeux verts sont chaleureux, cette douceur qu'il dégage ne fait que grossir la culpabilité qui me sert le cœur. Encore une fois, je ne fais que me plaindre en attendant qu'il me rassure.
- Tu te trompes sur toute la ligne, El-Yah, me dit-il calmement, sa voix semble être une douce mélodie dans mes oreilles tant elle est posée. Ne me vois pas comme un sain, je n'en ai pas l'étoffe. Il ne s'est pas passé une seule fois où je t'ai aidée sans arrière pensée. Tu penses que je t'ai sauvé la vie, mais c'est le contraire.
Je reste sans voix, sans comprendre où il veut en venir. J'ai beau fouiller dans ma mémoire je ne vois aucun moment où je lui porté secours, comme il l'a fait tant de fois.
- De- de quoi tu parles ? bégaie-je.
- Avant que je ne te rencontre, je passais mes journées seul, à tourner en rond sans savoir quoi faire, explique le Nafif. Depuis que j'ai quitté la Base je ne tue plus personne et j'en suis heureux, mais j'ai perdu ma raison d'être. La guerre, les batailles, c'est tout ce dont j'étais capable. Alors se retrouver dans un monde en paix du jour au lendemain, complètement abandonné, ça déboussole, et j'y suis resté quinze ans. Tu es la mieux placée pour savoir que des années à rester seul peuvent te faire perdre la tête, ma solitude était en train de me rendre dingue. Puis je t'ai rencontré El-Yah, et tout a changé.
Son regard s'illumine de milliers d'émotions que je ne parviens pas à déchiffrer. Est-ce parce que je ne peux les comprendre ou parce que mes propres sentiments sont trop forts pour que je ressente ceux des autres ? Je l'ignore.
- Au début j'ai eu peur, avoue-t-il en riant. Je pensais que les Nafifs venaient me chercher de force et voudraient me punir pour avoir déserté. Mais il s'est avéré que tu étais tout aussi perdue que moi, voir plus. Je me suis vu en toi, et tout s'est éclaircie dans ma tête. Si je parvenais à te sauver, alors je me sauverai en même temps. Tu as redonné un sens à ma vie El-Yah. C'est toi qui m'apporte de l'espoir, pas l'inverse.
Le sourire qui tire les traits de son visage est plein de compassion et de gratitude. Deux sentiments qui se reflètent dans les larmes qui coulent à nouveau sur mes joues. Elles sont aspirées par le tee-shirt d'Oktar lorsqu'il me prend dans ses bras, ses bras forts qui me procurent une impression de sécurité que je ne veux quitter. Cette aura paternelle que je voyais en Hiro se retrouve en lui, jamais je n'aurai crû avoir la chance de retrouver une telle relation un jour. Je ne pourrai jamais rembourser la dette que j'ai envers Oktar, mais je peux au moins la diminuer. Car grâce à moi, et grâce à lui, nous ne seront plus jamais seuls.
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