Chapitre 27
Le froid n'est pas aussi mordant qu'il devrait l'être, j'y suis assez résistante pour qu'il ne m'affecte pas, je n'ai jamais autant aimé être une non-humaine. Après plusieurs heures passées à me morfondre assise contre un mur, la nuit tombant, j'ai décidé d'essayer de trouver une solution. Je me suis mise à errer dans les rues de la ville pour rester en mouvement et éviter que l'on me retrouve. J'ignore si la police me cherche ou a abandonné l'idée de me causer du tort, mais cela m'étonnerai qu'ils aient laissé une mineure inconnue dans la nature alors qu'un homme leur avait vraisemblablement demandé de m'emmener. Je maintiens donc ma capuche bien en avant sur ma tête et garde les yeux rivés au sol pour ne croiser aucun regard.
Plusieurs solutions s'offrent à moi, mais aucune ne me semble satisfaisante. Je pourrai essayer de trouver un asile quelque part en comptant sur la bonté de quelqu'un, mais je ne me sens pas capable d'accorder à nouveau ma confiance à un humain. Je pourrai aller chez Laura, mais le risque qu'elle appelle Hervé ou la police est trop grand malgré le fait qu'elle semblait contre cette idée, rien ne me le garantie à cent pour cent. Je pourrai essayer d'aller chez Oktar, mais je ne connais pas le chemin et la distance est trop grande pour que j'y aille au hasard, me perdre n'est pas envisageable dans cette situation. Je préfère donc rester où je suis pour le moment, je n'ai pas de besoin immédiat, le froid n'est pas ingérable et la faim ne me tiraille pas l'estomac. Je suis capable de survivre jusqu'à ce qu'une occasion de me sortir de ce pétrin se présente.
Que faire désormais ? Où puis-je attendre et qu'est-ce que je peux espérer exactement ? Un miracle me semble bien optimiste, j'ignore même de quelle nature il pourrait être. J'ai beau réfléchir, en restant réaliste je ne vois rien qui s'offre à moi pour rebondir sur ce qu'il vient de m'arriver. J'ai la sensation désagréable de m'être faite voler mon avenir, mes espoirs, que tous mes efforts viennent d'être réduits à néant par les choix d'un seul homme. Je me sens en colère, mais surtout déçue par cet humain et par moi-même. Je le savais, j'en avais conscience, je n'ai fait que me le répéter encore et encore. Je n'aurai jamais dû accorder ma confiance à qui que ce soit, pas aveuglément, pas aussi rapidement.
Je marche dans les rues désormais sombres, les quelques éclairages des magasins suffisent à maintenir le paysage visible mais ne parviennent pas à rivaliser avec la lumière du jour. Sans me rendre compte où je vais, j'arrive sur une place où il y a encore du monde. Sans me méfier, je marche au milieu des passants, le regard dans le vide, les mains dans les poches. Un bruit attire mon attention, ce sont des éclats de rire mêlés à de la musique, des adolescents discutent entre eux assis sur des marches. Je m'arrête pour les observer quelques secondes. Ils doivent être un peu plus vieux que moi, mais pas de beaucoup, si j'étais humaine j'aurai pu faire partie de leur bande. Rire ainsi, sans stress, sans pression, sans peur du lendemain. Cette vie paisible qui m'est inatteignable, qui me nargue sans se lasser. Je fais volte face pour m'éloigner, mais quelque chose m'attrape le bras, ou quelqu'un.
- Hey, me dit un jeune garçon, un de ceux qui étaient assis sur les marches. Désolé de te déranger, mais je t'ai vu me regarder et je me suis dit que...
- Lâche moi, dis-je sèchement sans écouter ce qu'il me raconte.
- Quoi ? me demande-t-il étonné.
- Lâche moi, répété-je une nouvelle fois.
- Pourquoi t'es froide comme ça, j'étais poli, non ?
- Lâche moi, dis-je à nouveau, agacée.
- C'est bon calme toi, je t'ai pas agressé !
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
Sans que je ne m'en rende compte tout le petit groupe d'amis s'est approché pour voir ce que nous faisons, mon instinct s'affole et me dit que si je ne m'en vais pas rapidement quelque chose va mal finir, sois pour moi soit pour eux. Je tire d'un coup sec pour me libérer de l'emprise du garçon et m'éloigne les mains dans les poches, mais le petit groupe se déplace pour me bloquer le passage.
- Tu vas où toi ? me demande un des adolescents devant moi. Y'a quelque chose qu'on a pas réglé.
- J'ai des choses à faire, laissez moi tranquille, dis-je sans le regarder.
- Je m'en fous de ton programme, t'as agressé un pote et ça passe pas.
- Je n'ai rien fait du tout alors maintenant foutez moi la paix et laissez moi passer !
- C'est qu'elle s'énerve, rit l'un d'entre eux en venant mettre son bras autour de mes épaules.
Sans que je ne le contrôle, mon corps bouge. Mes mains attrapent le garçon et le tirent en avant pour le plaquer au sol, son souffle se coupe lorsque son dos tape contre les pavés de la place. Je ne comprend ce que j'ai fait qu'après, le groupe d'amis est abasourdie et j'en profite pour les bousculer afin de passer entre eux en courant. L'un d'eux attrape mon manteau, sans avoir besoin d'y réfléchir plus longuement je l'ouvre et fais glisser mes bras dans mes manches pour l'enlever et pouvoir partir librement. Je m'enfuis une nouvelle fois, mais personne ne me poursuit, je n'en vaut pas la peine. Je me retrouve rapidement dans des ruelles non éclairées où je m'arrête, enfin seule et tranquille. Je me fait la promesse à moi-même de ne plus jamais aller dans des lieux bondés, c'est bien trop dangereux et imprévisible. A la place, je décide de rester dans cet endroit désert, de m'asseoir contre un mur et d'attendre ce que la vie peut bien me réserver pour la suite.
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La faim, cette sensation désagréable d'une bulle de vide dans le ventre qui tiraille l'estomac. Je ne l'avais pas ressentie depuis bien longtemps. Mais elle n'est rien comparée à la soif. Ma bouche est sèche et pâteuse, ma gorge douloureuse, je suis incapable d'emmètre le moindre son. Je me sens épuisée, sans ne rien faire de fatiguant pour autant. Ce sont là les conséquences d'être à la rue depuis maintenant trois jours, du moins si ma notion du temps est bonne. Peut-être que cela fait moins longtemps, peut-être plus, je l'ignore. Je suis perdue dans la ville, dans l'espace, dans le temps, dans ma vie. Les humains m'ignorent sur mon passage, personne ne me prête attention, à part quelques hommes qui espèrent obtenir un numéro que je ne possède pas, ou pire. Je ne m'arrête plus pour parler à qui que ce soit, mes journées se résument à marcher pour aller nulle part, je ne veux pas rester immobile et prendre le risque de geler sur place, la mort arriverait sans crier gare.
J'oubli comment j'en suis arrivée là, mais les souvenirs restent encore trop précis à mon goût. J'aimerai qu'ils disparaissent, ne plus ressentir ces sentiments amères qui me rongent toujours plus, ne plus voir ce que j'avais peu à peu réussir à construire être réduit à néant. Comment pourrais-je à nouveau m'investir, me motiver à rendre ma vie meilleure quand à chaque fois que j'en fais l'effort c'est vain ? Je ne peux plus accorder ma confiance à qui que ce soit, et encore moins confier ma vie et mon intégrité. Tout me semble perdu, mourir a l'air d'être la seule solution pour achever mes souffrances...
Je me fais bousculer par un passant qui, comme moi, ne regardait pas où il allait. Le choc me sort de mes pensées, je me rend compte que je suis arrivée dans une rue avec du monde, ce que je veux à tout prix évité. Comment suis-je arrivée ici, surtout inconsciemment ? Mon instinct aurait dû me pousser à esquiver ce genre de lieu, pas m'engouffrer dedans. Mais il suivait autre chose, un appel, comme une voie intérieure qui me dit de la suivre. Cette sensation, je ne la connais que trop bien. C'est celle qui m'a conduite auprès d'Oktar.
Je ne vois aucune raison qui pousserait le Nafif à aller en ville, j'en déduis donc que cela doit en être un qui m'est inconnu, ou peut-être pire. Peut-être s'agit-il d'un Erevent, je ne parviens pas encore à faire la différence sans les voir de mes propres yeux. Que dois-je faire ? Je me vois mal aller à sa rencontre et lui demander de l'aide, surtout s'il s'agit d'un habitant de la Base. Il n'accepterai pas de porter secours à celle qui a blessé et probablement tué leur précieux Chef de Guerre, Hiro. Dois-je me contenter de l'ignorer ? C'est sans aucun doute la meilleure solution...
Je ne peux pas m'y résoudre. Sans pour autant vouloir prendre contact avec le non humain, je dois au moins le voir, savoir pourquoi il est en ville. Je suis mon instinct, il me mène à un marché bondé de monde, des gens serrés les uns aux autres en train d'acheter divers produits. Il y a du bruit, beaucoup de bruit, et beaucoup de paires d'yeux pouvant potentiellement me porter préjudice. Je n'ai plus de capuche à me mettre sur la tête depuis que j'ai perdu mon manteau, je dois donc me contenter d'avancer la tête baissée pour éviter de croiser le regard de qui que ce soit. Plus j'avance, et plus la sensation se fait forte, à tel point que mes bougent avancent toutes seules sans que je ne le contrôle. Je suis obligée de me concentrer pour reprendre possession de mon corps lorsque je sens qu'il est tout près. J'observe les alentours à sa recherche, la foule m'empêche de voir correctement mais me confère un bon camouflage. Puis mon regard se pose sur lui.
Il est de dos, en train de discuter avec un vendeur de couteaux de toutes sortes. Un bonnet recouvre sa tête et son long manteau sombre m'empêche de visualiser la forme de son corps, mais même un aveugle peut voir qu'il est immense et tout en muscle. Sa silhouette me rappelle celle d'Oktar, aussi imposante qu'un Erevent. Je reste cachée derrière les passants et continue d'observer le non-humain tandis qu'il paye son article et s'en vas. Je n'aperçois toujours pas son visage, je décide de continuer à le suivre étant donné qu'il ne semble pas m'avoir remarqué. Sa présence ici est plus que louche, et bien que je ne sois plus concernée par toutes ces histoires de guerres entre deux peuples, je ne peux m'empêcher de m'intéresser à ces intentions. L'homme n'est pas compliqué en prendre en filature, il dépasse tout le monde d'au moins cinq bon centimètre, contrairement à moi qui me faufile discrètement entre les passants sans me faire remarquer. Il est difficile d'apercevoir une souris maigrichonne au milieu d'un champ.
Le non-humain disparaît à un angle de rue, je m'en approche en restant méfiante mais me détend quand je le vois au loin, marcher de manière insouciante. Je suis étonnée qu'il n'ai pas senti ma présence, je n'ai pas eu d'entrainement de filature, peut-être suis-je naturellement douée pour cela. Je ne m'en pleins pas et continue de suivre de loin l'homme de plus en plus mystérieux. Il entre dans une boutique, je m'en approche sans y entrer, cela serait prendre trop de risques. Je me cache derrière une poubelle et observe l'entrée du petit magasin jusqu'à ce que l'homme en ressortent, son sac de courses gonflé par ses achats. Je le vois en fin de face, et mon cœur loupe un battement lorsque je reconnais le Nafif qui se tient face à moi.
Ses yeux verts semblent m'avoir repérés sans me voir, je l'observe depuis l'espace entre la poubelle et le mur, la fente est trop petite pour qu'il puisse me reconnaître à son tour, mais il s'approche sans crainte en frottant son bouc. De quoi peut-il avoir peur ? C'est un Nafif expérimenté contre qui j'ai déjà perdu, il est confiant. Avant qu'il ne puisse me voir, je sors de ma cachette et me met face à lui, les mains tremblantes de soulagement. La surprise sur son visage ne m'étonne pas, mais je ne le vois bientôt plus, ayant enfoncé le miens dans son torse. Mon étreinte est faible, je n'ai plus la force de réellement le serrer dans mes bras, il entoure les siens autour de mes épaules pour me réconforter, et calmer mes sanglots que je ne contrôle pas. Mes jours d'errance sont terminés, j'ai retrouvé celui qui m'avais déjà sauvé une fois, et je ne le quitterai plus.
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