Chapitre 22

   Je le fixe intensément, les yeux plissés, méfiante. Jamais je n'ai autant appréhendé un combat de toute ma vie, le duel qui se prépare sera tendu, il est impossible de savoir qui gagnera. J'observe ses formes grotesques, son aspect démoniaque, sa chair orangée et luisante qui ne demande qu'une chose, c'est m'atteindre pour m'éliminer. Je sers les points, agrippants mes vêtements si fort que j'en tremble. Ma respiration est saccadée malgré moi et mon pouls résonne dans mes oreilles. Oui, je peux le dire sans aucun doute, ce qui se tiens devant moi est le plus grand ennemi que je n'ai jamais affronté, rien ne me garanti que je m'en sortirai vivante et...

   - Tu vas le manger ce pamplemousse ?

   La voix d'Oktar me sort brusquement de mes pensées, me faisant ainsi sursauter. Je me tourne brusquement vers lui, il se tient à côté de moi les bras croisés, tapotant du pied avec impatience. Je soupire avant de me tourner à nouveau vers la source de mon mal-être. 

   - Je dois vraiment manger ça ? demandé-je d'une voix désespérée.
- Tu as déjà oublié ce que tu m'as promis hier ? Tu dois manger tout...
- ... tout ce que tu me donnes, je sais. Mais je m'attendais pas à devoir manger dès le début un truc aussi gros !
- Je ne t'ai donné que la moitié, n'exagère pas ! C'est un pamplemousse, ça a plus de jus que de chair, tu ne le sentira même pas passer. 
- J'aimerai te croire, soupiré-je. 

   J'attrape le fruit préalablement épluché par le Nafif, l'observe sous tous les angles, le renfile, l'inspecte. Je sens Oktar s'impatienter à côté de moi, il m'a bien dit que nous ne commencerions aucun entraînement si je ne mangeais pas quelque chose avant, et je me doute qu'attendre que j'avale cet aliment du démon ne doit pas l'amuser plus que ça. Je croque dans le fruit, son jus coule sur mon menton, je me penche au dessus de la table pour ne pas en mettre partout. J'arrache un morceau de chair et mâche doucement, le goût amer empli ma bouche et me donne la nausée, j'avale le plus  rapidement possible pour ne pas faire durer la torture.

   - Tu aurais au moins pu me donner quelque chose de bon ! m'exclamé-je.
- Tu n'aimes pas, s'étonne innocemment Oktar.
- C'est trop amer, je déteste ça.
- Je note pour la prochaine fois, mais essaie de finir quand même.

   Je fais la moue mais m'exécute malgré moi, réussissant à finir le pamplemousse en trois bouchées supplémentaire. Quand j'avale pour la dernière fois je suis prise d'un puissant haut le cœur, je plaque ma main sur mes lèvres pour empêcher mon dur labeur d'être réduit à néant.

   - Je te préviens, si tu vomis tu devras remanger quelque chose jusqu'à ce que ça passe.
- Tortionnaire... parvins-je à dire entre deux déglutition. Ce n'est pas en me gavant que ça va marcher.
- Crois moi, j'ai appliqué la manière douce. Je n'ai pas encore sorti mon entonnoir.

   Je suis prise d'un frisson à l'idée de devoir sentir de la nourriture passée dans ma gorge sans que je ne le contrôle, Oktar lui se met à rire face à mon appréhension. Je me rassure en me disant qu'il plaisante, mais j'ai du mal à m'en convaincre. Le Nafif peut être sans pitié lorsqu'il a une idée en tête, il est capable de faire les pires actions avec les meilleure intentions du monde.

   - Bien, dis Oktar en claquant des mains. On va enfin pouvoir commencer.
- C'est quoi le programme ? demandé-je en m'essuyant la bouche pour retirer le jus qui y était encore.
- Tu m'as bien dit qu'on avait toute l'après midi devant nous, c'est cela ?
- Oui, j'ai dit à Hervé que j'allais construire une cabane pour pouvoir y passer mes journées.
- Il a vraiment gobé ça ? s'étonne le Nafif.
- C'est un humain qui s'occupe d'une enfant traumatisée, il va pas chercher à comprendre, dis-je en haussant les épaules.
- Au moins ça nous donnera l'occasion de nous voir régulièrement, tu devrais vite progresser. Aujourd'hui nous allons commencer par vérifier si tu n'es pas liée à d'autres éléments que ceux de l'eau et du feu.
- Tu penses vraiment que ça serait possible ? C'est déjà beaucoup deux éléments, non ?
- Oui, rien qu'un seul c'est incroyable, mais on ne sait jamais. Vu tes antécédents généalogiques cela ne m'étonnerait pas que tu ais des capacités qui dépassent l'entendement.

   J'acquiesce sans grand enthousiasme. Il est vrai que je ne m'attendais pas à pouvoir contrôler l'eau, même le feu au départ cela m'avait choqué, mais m'être rendue compte que je possédais deux éléments contraires me satisfait amplement, et cela m'étonnerai que j'en ai plus. Galaad en contrôle deux également, la terre et l'eau, deux éléments qui s'accordent parfaitement et lui donnent le surnom d'homme de la nature. Les miens se complètent, tel le ying et le yang. C'est une trop belle coïncidence pour y croire vraiment, que j'ai un autre élément en plus viendrait briser cet équilibre qui se créé entre ces deux capacités. 

   Nous allons dans la salle d'entrainement où nous nous étions battus la veille, le simple souvenir de cette défaite cuisante me fait frissonner et la nourriture que je viens d'avaler menace de ressortir. Je sais que nous n'allons pas nous affronter à nouveau, Oktar a été très clair à ce sujet, il faut que j'ai gagné au minimum dix kilos avant de pouvoir espérer pratiquer les arts martiaux avec lui. Une petite partie de moi est rassurée, mais la majorité n'a qu'un idée en tête : m'améliorer pour être capable de survivre seule. Au lieu de nous installer sur les tatamis au milieu de la pièce nous nous dirigeons dans un coin où se trouve une étrange boîte ressemblant à un cercueil. J'arque un sourcil et m'arrête à un mètre de l'endroit, méfiante de ce que le Nafif me prépare.

   - J'ai travaillé toute la nuit pour fabriquer un mécanisme qui nous permettra de savoir si tu as l'élément de la terre, dit-il d'un air fier.
- Comment ça fonctionne ? demandé-je suspicieuse.
- On doit te donner l'illusion d'être enterrée vivante.
- Pardon ?!

   Je m'attend à voir un sourire apparaître sur le visage d'Oktar, mais il garde un air très sérieux qui ne fait que renforcer ma panique grandissante. Je balbutie quelques secondes, encore incertaine de la situation.

   - Il n'y a pas d'autres moyens ? Ca ne me semblait pas aussi radical pour l'eau.
- L'eau tu l'as contrôlée instinctivement, pareil pour le feu. Mais si on veut tester tes capacités avec des éléments que tu n'as pas encore contrôlé il faut le provoquer, et la peur est le moyen le plus efficace.
- Pourquoi la peur ? Ce n'est pas en ayant peur que je contrôle le mieux mes pouvoirs.
- Non mais c'est avec cette émotion que tu les déclenche le plus efficacement. Tu te rappelles de comment tu as utilisé le feu pour la première fois ?
- Oui, soupiré-je, attristé à l'idée de me remémorer ce genre de choses. J'ai tué trois Erevents qui me menaçaient.

   Oktar écarquille les yeux, visiblement impressionné. Je regarde ailleurs, mal à l'aise à l'idée d'avoir avoué un de mes nombreux crimes.

   - Impressionnant, siffle le Nafif. C'est donc la peur qui l'a déclenché. Si on avait dû le provoquer il aurait fallu t'enfermer dans une chambre froide.
- Oh, je m'attendais à devoir être brûlée vivante, haussé-je ironiquement les épaules. 
- C'est la deuxième méthode.

   Je fixe l'homme mais ne voit aucune pointe d'humour dans ses prunelles vertes. Plus j'apprend à le connaître lui et ses méthodes et plus je me rend compte à quel point l'univers dont je fais partis est barbare et sans pitié. J'ai déjà beaucoup souffert dans ma vie et il est clair que le pire est derrière moi, mais l'avenir n'est pas tout rose pour autant.

   - Et pour l'eau j'aurai dû être noyée ? demandé-je.
- T'as tout compris ! s'exclame-t-il ravi. Il faut être aux portes de la mort pour que ton instinct puise dans tes dernières ressources et te sauves en utilisant toutes tes capacités.
- Et donc là je vais devoir... commencé-je sans finir.
- Passer le plus de temps possibles enfermée, toutes les minutes j'enclancherai le mécanisme qui resserrera la boîte sur toi jusqu'à ce que tu utilises l'élément de la terre ou...
- Ou que je crève écrasée ? Est-ce que tu essaie de me tuer ? l'accusé-je à moitié sérieuse.
- Non, rassures-toi. Je vais te brancher des capteurs pour vérifier tes signes vitaux, si je vois que tu es trop en danger et que rien ne se passe je te sortirai. Tu es prête ?

   Oktar ouvre la boîte et me dévoile son intérieur. J'aurai voulu y voir un matelas et des coussins pour plus de confort, mais je suppose que si ce n'étais pas complètement plat, dur et froid comme la roche l'efficacité en aurait été affectée. Je respire profondément à répétition pour calmer mon angoisse, ce n'est pas en stressant sans même avoir commencé que je vais m'en sortir. Je pose un pied dans la boîte, puis l'autre, et m'allonge sur le dos à contre coeur. Une vive douleur me parcours dans tout mon dos mais s'apaise quand je parviens à détendre un maximum mes muscles. Le Nafif vient me coller des patchs sur la poitrine et les tempes et vérifie si les mécanismes sont en état de marche. Il se penche une dernière fois au-dessus de moi, je vois dans son regard une once de compassion. Je me demande encore si ses méthodes radicales sont réellement nécessaires, sont expression semble m'indiquer que si ce n'était pas le cas il trouverait autres choses. 

   - Bien entendu tu n'as pas le droit de forcer sur les bords ou d'utiliser d'onde de Leporementium, ça serait de la triche.
- Bien entendu... répété-je en grommelant.
- On va pouvoir commencer, j'espère que tu n'es pas claustrophobe, me dit-il avec un clin d'oeil.

   Sa dernière remarque me fait déglutir difficilement mais j'inspire un grand coup pour me calmer, tentative bien vaine quand je vois le couvercle se fermer pour me plonger dans le noir complet. Un bruit de loquet m'indique clairement que je n'ai aucune échappatoire possible, les battements de mon coeur résonnent dans mon crâne et le froid des parois me glacent les os. Mes épaules frôlent les côtés, il en est de même pour mon crâne et mes pieds. Je tend le bras devant moi pour voir quelle est la distance entre mon visage et le haut de mon cercueil. Mon souffle se coupe quand je remarque qu'il n'y a qu'une dizaine de centimètres. Tel est l'espace de liberté qu'il me reste actuellement. 

   Un bruit strident fait vibrer mes tympans, suivis d'un fracas. Je suis paralysée quelques secondes avant de retendre la main devant moi pour comprendre ce qu'il vient de se produire. La boîte a rétrécie d'au moins deux centimètres. La première minute est passée et la deuxième doit déjà être bien entamée. Je n'ai pas le temps de me remettre de mon effroi que le bruit effrayant résonne une nouvelle fois, mon espace de liberté a encore diminué. Mon souffle se répercute contre le métal froid pour m'exploser en plein visage, sa moiteur rend ma bouche pâteuse, à moins que ce ne soit à force de me mordre les joues de stress. Un goût métallique apparait soudainement sur ma langue m'indiquant clairement que je ne contrôle pas la force de ma mâchoire actuellement, je me suis mordue au sang sans m'en rendre compte. Et le bruit résonne à nouveau.

   Trois minutes enfermée passent à la fois trop vites et trop lentement. Je n'ai pas le temps de m'habituer à mon nouvel espace restreint qu'il diminue à nouveau. Dans la même durée mon corps est aussi douloureux que si j'étais restée dans cette position immobile pendant des heures. Ma notion du temps est broyée, malgré mon immobilité je perd tous mes repères, le manque d'oxygène me fait tourner la tête. Mais le pire reste à venir.

   Le bruit enclanche à nouveau le mécanisme, le couvercle froid de la boîte vient d'écraser contre ma poitrine, la pression est légère mais la peur de la prochaine minute écoulée me fait perdre la tête. J'halète, me tortille sur moi-même, tente de pousser sur les bords de la boîte pour l'ouvrir. La peur me fait oublier les règles de cet exercice, je donne coup de pieds et coups de poings autour de moi,  mais rien n'y fait. Je m'immobilise, les battements de mon cœur sont étonnement lents et ma respiration profonde bien qu'irrégulière. Du moins c'est l'illusion que me donne mon cerveau, sous l'effet de la terreur le temps s'allonge pour me délecter de mon effroi. 

   Le mécanisme s'enclanche une nouvelle fois, lent, bruyant. Je ressens le couvercle descendre doucement contre moi, oppressant ma cage thoracique, le poids sur mes poumons m'empêche de respirer, les larmes me montent aux yeux tandis que la panique s'empare de moi. Je me sens partir, mon esprit ne se concentre plus sur mes sensations, il est ailleurs. Il est autour de mon corps. Il est dans le métal froid, dans les murs de la pièce qui m'entourent, dans la terre et la roche qui maintient l'habitation de Oktar secrète. Je ressens tout ce qui m'entoure comme si j'en faisais parti. Le mécanisme s'enclanche. La pression se fait plus forte, j'entend un craquement qui résonne en moi. Serait-ce mes os qui se brisent ? Je n'aurai pas l'occasion de le savoir, je perd déjà connaissance.

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