Chapitre 19

   Malgré la menace évidente que représente cette question je reste sereine, comme si je pouvais avoir la certitude que je n'ai rien à craindre. Si mon identité lui est inconnue, ce n'est pas de ma volonté. Je n'ai pas à m'inquiéter des actions d'actions que je n'ai pas choisi.

   - Comme si je le savais, je ne connais rien de mon père, dis-je sèchement.
- C'est vrai que ton âge colle avec sa disparition, dit-il en caressant son bouc d'un air pensif. Tu ne l'as donc jamais rencontré?
- Jamais, et ce n'est pas pour moi déplaire. D'après ma mère il aurait voulu de me tuer.

   Le visage choqué du Nafif ne fait qu'agrandir ma colère. Comment se fait-il que personne ne croit Galaad capable d'une telle choisie? Était-il donc un modèle à ce point? J'aimerai tant avoir cette vision idéaliste de mon paternel, mais je ne ressens que du mépris à son regard. Qu'il ai essayé de me tuer ou m'ai simplement abandonné, il peut être le meilleur leader que ce monde ai connu ça n'en reste pas moins un père médiocre. 

   - Et qui peut bien être cette femme dont Galaad serait tombé amoureux? me demande-t-il amère, le regard suspicieux.
- Qu ... quelle importance? rétorqué-je sans assurance.
- Quelle importance? Avait-elle la moindre preuve publiée t'as raconté cela? Qui est-elle pour que tu lui fasses plus confiance en tout premier Chef de guerre, le sauveur des Nafifs?
- Elle ne vaut pas mieux que lui, c'est certain, mais elle n'avait aucune raison de moi mentir! m'offusqué-je sans vraiment comprendre ma colère, je ne vois pas de raison de défendre cette personne.
- Vraiment? Ne cherchais-t-elle pas ton approbation? Peut-être espérait-elle détruire la réputation de ton père, qui sait? Les gens peuvent être bien vicieux.

   Je ne dis plus rien, et me met à réfléchir. En réalité, rien ne me garantit qu'elle ne me mentait pas pour que je la suive dans son antre, là où ma vie a basculée. Cherchait-elle simplement à gagner ma confiance pour pouvoir m'emmener? Les Erevents peuvent être sournois à ce point, je le sais, j'en ai côtoyé pendant huit ans. Et en vérité, à part le fait que je sois une sang mêlée à coup sûr, rien ne me garantit que ce soit elle ma mère. Ma tête me fait souffrir, tout ce que je prenais encore pour acquis il y a peu est remis en question sans arrêt, je ne sais plus ce que je dois croire, ou en qui je dois avoir confiance. 

   - Pourrait on en revenir au sujet? imploré-je amèrement. Je ne peux pas aller où est mon père, il n'y a aucun autre endroit?
- Malheureusement non, soupire-t-il. Du moins pas pour quelqu'un de ton âge.
- Pourquoi cela?
- Tu n'as pas d'expérience, tu manques d'entrainement, de maturité et de savoir. Tu n'es pas adulte donc dans le monde des humains tu ne seras pas accepté sans personne pour t'accompagner. 
- Tu ne peux pas m'enseigner ce qu'il me manque?
- Il faut des années pour cela!
- Et alors? Tu as quelque chose de prévu, monsieur le déserteur? demandé-je en arquant un sourcil.
- Touché ...

   Oktar caresse son bouc, pensif, probablement pesant le pour et le contre. Je ne lui vois pas de raison valable de refuser de m'aider, à part éventuellement de l'égoïsme mais j'ai pu voir que les Nafifs étaient très aidants entre eux, je suis donc confiante. Le sourire qui étire soudainement ses lèvres me conforte dans mes déductions.

   - Je te préviens, cela fait bien longtemps que je n'ai pas joué aux professeurs.
- Je me doute bien. On commence quand?
- Doucement gamine, on ne commence pas des entrainements à la va vite, il faut de la préparation et de la théorie avant la pratique. Je vais avoir besoin que tu me donnes des informations sur toi pour adapter l'apprentissage.
- Quoi comme informations? demandé-je, une pointe de méfiance dans la voix.
 - Quel est ton pouvoir pour commencer?
- Tu m'as dit de ne pas le révéler comme ça. Quel est le tiens?
- Je vois que tu apprend vite, rie-t-il. Regarde.

   Le Nafif tend la main devant la table basse qui nous sépare où sont régulièrement nos tasses désormais vides. Je m'attend simplement à voir une onde de Leporementium, comme j'ai appris à le faire, mais à ma grande surprise la tasse de l'homme se met à bouger pour aller rapidement dans sa main, tel deux aimants qui s'attirent . Je reste bouche bée, j'ignore quel genre de pouvoirs peuvent avoir les Nafifs et comment ils fonctionnent, cet avant goût attise ma curiosité.

   - Comment as-tu fait? 
- Tu sais faire des ondes leporiques?
- Oui, c'est la première a choisi que j'ai apprise.
- Vois ça comme la même chose mais à l'envers, je peux attirer n'importe quoi et aussi repousser le reste en même temps si je le souhaite.
- Tu pourrais m'apprendre?
- Non, c'est une capacité que je suis le seule à avoir. Maintenant dit-moi, quel est ton pouvoir?

   Je reste hésitante quelques secondes mais me rappelle qu'une relation de confiance se fait dans les deux sens. J'inspire profondément.

   - Je suis une élémentiste du feu.
- Réellement?! s'exclame-t-il à la fois enjoué et choqué. Incroyable! C'est la première fois que j'en rencontre une! Ton père est de l'eau et de la terre, tu dois le tenir de ta mère.

   Je ne répond pas. Il ignore que ma mère est une Erevent, elle ne peut pas avoir de pouvoir, il est impossible que je l'ai hérité d'elle. L'origine de mon pouvoir est encore un mystère, un de plus à élucider.

   - Je vais devoir me renseigner un peu sur les elfes pour te donner des entraînements réalisés, mais en attendant nous pourrons t'exercer aux arts martiaux et leporiques.
- Les arts leporiques? Qu'est-ce que c'est ?
- Il s'agit de tout ce qui tourne autour du Leporementium, la source de notre pouvoir et de bien d'autres choses. Il faut apprendre à le ressentir, l'écouter, aller dans son sens, le contrôler. Ce n'est pas qu'une simple source d'énergie, c'est l'origine de toute chose choisie.
- Un peu comme un dieu? demandé-je en arquant un sourcil. Et Adem et Edma, que sont-ils dans tout ça?
- Ce sont avant tout nos créateurs, c'est pour cela que nous les considérons comme nos Dieux, mais en réalité ils ne sont pas tout puissant, 
- Je vois ...

   Je commence à réfléchir au sens de tout ça, ces histoires de dieu m'échappent. Pour quelle raison Adem et Edma nous ont-ils construits, et pourquoi cette guerre entre leurs deux créations? Ne sont-ils pas frère et soeur? Comment cela se fait-il qu'ils se haïssent au point de faire se battre leurs enfants? Je ne suis pas au courant de tout le passé des Nafifs et Erevents, peut-être qu'il me manque des éléments pour comprendre leur histoire. Nous continuons de discuter avec Oktar, passant d'un sujet à un autre sans laisser place au silence, me donnant l'impression de pour une fois avoir quelqu'un capable de me fournir des réponses claires et précises sans vouloir me préserver de la vérité . Un bruit vient nous interrompre, une voix familière, un hurlement. Sans nous concerter nous nous levons en même temps et nous précipitons dehors. Je prend le temps de capter la source du son puis me dirige dans sa direction, suivie de près du Nafif. Plusieurs centaines de mètres plus loin, nous nous cachons dans des broussailles et observons un vieil homme, hurlant et regardant autour de lui, à la recherche de quelqu'un.

   - Ellie! Ellie où es-tu? Reviens, ne reste pas dehors! Il va faire nuit! Ellie!

   Hervé m'appelle, sa voix rauque m'indique que cela doit faire plusieurs minutes il doit donc être épuisé. J'observe Oktar, ce dernier me lance un regard interrogateur, il doit se demander que fait un humain ici, je me penche vers lui pour lui apporter des réponses.

   - C'est Hervé, il m'a recueilli quand je me suis enfuie, il ne sait pas qui je suis.
- C'est pour ça qu'il t'appelle Ellie? Qu'est-ce que tu comptes faire?
- Je n'en sais rien ... Je ne peux pas retourner chez lui, c'est un humain!
- Tu peux très bien vivre parmi eux, ça ne nous empêchera pas de nous revoir, on dirait qu'il ne vis pas très loin de chez moi.
- Mais comment veut-tu que nous cohabitions? Et s'il découvrait ma véritable nature?
- Les humains sont forts pour s'avérer. Même si il voyait quelque chose un jour, il se convaincrait d'avoir imaginé, ne t'en fais pas.
- Maïs...
- El-Yah, si tu ne vas pas le voir il va appeler la police pour te retrouver! Toi tu seras emmenée aux services sociaux et moi je risque d'être accusé d'enlèvement alors vas-y!

   Je soupire, accablée. Je me lève à contre cœur et avance vers Hervé, triturant mes doigts à cause de mon malaise. Je me souviens de la raison de mon départ, pourquoi j'ai fuis cette maison pourtant accueillante. Je venais d'avouer au vieil homme que j'étais responsable de la mort de quelqu'un, j'ignore ce qu'il en pense après plusieurs heures à y avoir probablement réfléchi et je ne suis pas certain de vouloir le savoir. 

   J'arrive devant Hervé, il se fige après m'avoir enfin vu, je me crispe en appréhendant sa réaction. Il s'avère vers moi, je baisse les yeux en m'attendant à entendre des reproches, des insultes, des accusations. Je me considère moi-même comme un monstre, cela ne m'étonnerait pas d'être vu ainsi venant d'un humain. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, ce n'est pas de l'animosité qui émane de lui, mais un réel soulagement. Il me prendre dans ses bras, plaquant ma tête contre son torse, son coeur bat fort contre sa poitrine, fatigué d'avoir arpenté la forêt.

   - Je me suis tellement inquiété, soupire-t-il. Quelle idée tu as eu de t'enfuir comme ça?
- Je pensais ... dis-je d'une voix étouffée par le corps épais du vieil homme. Je pensais que tu ne voudrais plus moi revoir après ce que j'ai dit.
- De quoi tu parles voyons? Comme si tu étais capable d'une telle choisie! Peu importe ce que tu penses avoir fait, ce n'est pas avec une seule mauvaise action dans une vie que tu deviens mauvaise. Surtout si ce n'était pas volontaire.
- Mais, m'exclamé-je en m'éloignant d'un coup. On parle de meurtre! Ce n'est pas quelque chose qu'on peut ignorer!
- Homicide involontaire! Ne remet pas toute la faute sur toi, je ne connais pas le contexte mais je te vois mal tuer quelqu'un de sang froid.

   Je me masse les tempes, ne pouvant accepter de telles paroles. Cet homme doit être fou, je peux actuellement profiter de sa naïveté mais je ne peux pas prévoir ses réactions futures avec une telle façon de penser. Il ignore quelle quantité de sang j'ai sur les mains, et ce que je serais capable de faire pour assurer ma survie. Il ignore dans quel monde je vis, et je ne peux pas lui en vouloir, je préfère même l'épargner de cette vérité qui m'a autrefois déchirée. 

   Hervé vient poser ses mains sur mes épaules, je lève la tête et croise son regard glacé. J'y retrouve le même réconfort qu'avant, la même tendresse, et cette fois-ci je veux y croire. Je veux me laisser tenter par cet amour inconnu, celui d'un humain qui accepte une meurtrière dans sa maison, qui la défend et sillonne toute une forêt à sa recherche. Puis-je vraiment faire confiance en un être aussi étrange? J'ai l'habitude des personnes originales, tous les Nafifs et Erevents s'acceptent entre eux, ils sont tous responsables de beaucoup de morts. Mais lui non, lui ne connais que la paix alors comment serait-il capable d'accepter une telle chose?

   - Je connais ton secret, Ellie, murmure le vieil homme. Je dirais même ta honte. Et pourtant à aucun moment je n'ai pensé du mal de toi, parce que c'est comme ça que fonctionne l'espèce humaine. Nous pardonnons les pires crimes si nous arrivons à voir ne serait-ce qu'une fois de bonté dans la personne.
- Tu es bien sûr de toi? demandé-je peu convaincue. Ce n'est pas ce que mon expérience me dit.
- Il existe des personnes mauvaises, certes. Mais ceux-là ont perdu leur humanité depuis bien longtemps déjà. La tienne, je la vois encore.

   J'aurai aimé croire à ces paroles, j'aurai voulu m'y accrocher. Mais il ne faut pas être un génie pour comprendre l'avoir aucun sens. Je n'ai aucune humanité en moi, cela ne signifie rien à mes yeux. Je suis plus monstrueuse que n'importe quelle créature sur cette planète. Pourtant, le monstre que je suis attrapé la main tendue du vieil humain et le costume jusqu'à sa demeure. Le monstre que je suis ne perd pas espoir de se racheter un jour, profitant de sa longue espérance de vie pour faire pencher la balance vers le bon côté. Il faudra de nombreuses compensations pour parvenir à effacer tous mes crimes, mais avec les centaines d'années qui m'attendent que je devrais y parvenir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top