T W O

THOMAS
ouvres les yeux, je suis là

Il fait encore bien chaud en septembre, pas comme en été, mais assez pour juste porter un pull léger le soir, alors que je me retrouve actuellement dans la cours de la maison de Mathis, une bière à la main et un pétou dans l'autre.

Concrètement, que demander de plus ?

Je ne sais pas comment Mathis fait pour que sa mère lui autorise d'organiser autant de soirée chez lui, en sachant qu'il arrive toujours une couille. Une fois, avec Erwan et Nathan, on était tellement rond qu'on a jeté son poisson rouge dans son jacuzzi. Et à l'époque, on avait que quinze ans.

Je revois la tête de Mathis quand il a vu le pauvre poisson rouge au milieu des bulles. Ça avait l'air de lui plaire pourtant à Sushi, mais c'était la panique pour le blond. Il a bien mis une vingtaine de minutes à attraper Sushi pendant que nous, on le filmait et que Nathan, tellement mort de rire, qu'il a failli se pisser dessus.

C'était la bonne époque. Il n'y avait que Erwan, Nathan, Mathis et moi, et quand l'envie lui prenait, Annabelle venait avec nous. Je ne me rappelle plus d'ailleurs si elle était là, le soir où on a mis Sushi dans le jacuzzi.

— Wesh t'as un poisson rouge ! J'entends une voix féminine s'exclamer, une voix que je ne connais pas.
— On ne touche pas à Sushi !
— Tu l'as appelé Sushi ?
— Ouai, ça te pose un problème ?
— C'est comme si j'appelais mon cheval lasagne.

Je ne peux m'empêcher d'exploser de rire et je suis obligé d'aller voir qui est la jeune femme avec autant de répartie. Quand je passe la tête par la porte fenêtre, je remarque directement Erwan plié de rire sur le canapé (qu'on a taché pas mal de fois au passage) et une jeune femme que je finis par reconnaître, Hiara.

Au collège, Hiara était déjà une bombe atomique. Avec son teint hâlé, ses grands yeux de couleurs miels et ses cheveux tout bouclés, elle a toujours fait tourner des têtes. Nathan était sorti avec quand on était en troisième.

Elle est là, devant le bocal, les mains posées sur ses hanches, regardant Mathis avec un air de défi.

— Tu ne l'as pas vraiment appelé Sushi, hein ? Tu dis ça pour te foutre de ma gueule ?
— Mais je te jure, il s'appelle vraiment Sushi.

Le rire d'Erwan redouble d'intensité face au sérieux du blond pour persuader la jolie métisse que ce n'est pas des balnaves. La discussion poursuit ainsi cinq minutes durant lesquelles mon meilleur pote a bien failli s'étouffer quelques fois. Une autre adolescente apparaît derrière elle. Grande et longiligne, blonde décolorée et un visage parsemé de grain de beauté, je l'aperçois d'ici. Rose.

— Écoutes, son poisson peut s'appeler Pierre Paul Jacques, j'm'en tamponne. File mon sac, j'vais fumer.

Sur ses mots, on lui tends son fameux sac et moi, je me retrouve comme un con, obnubilé par ses moindres gestes. Quand elle arrive sur le balcon et s'installe autour de la table basse, je comprends rapidement ce qu'elle va faire. Je regarde ses longs doigts vernis de noir sortir un pocheton de son sac, brûler une partie de la boulette de shit et effriter ensuite assez rapidement. À un moment, elle finit par lever les yeux sur moi.

— Y'a moyen tu te rendes utiles au lieu de me mater ? Fais moi un tonk, s'il te plaît.

Je me retrouve happé par ses yeux verts. Je les ai vu il y a deux semaines de ça, en passant le portail de notre lycée. Je me rappelle très bien de cette couleur que j'ai imaginé plusieurs fois dans mes nuits. Son regard m'a retourné. Je ne sais pas comment expliquer tout ce qu'il me fait.

Je peux lire tellement de choses dans ses yeux, des choses que je ne comprends, que je ne saisis pas. Pourtant j'ai déjà parlé avec elle quelques fois. Mais à l'époque j'étais avec Maya et je ne la voyais pas comme je la vois maintenant. Saisissante.

— Bon, tu te bouges là ?

J'attrape un morceau de carton que je roule entre mes doigts, essayant de faire un W parfait. Rose finit par le prendre et elle finit son joint, tellement beau que j'ai de la peine de ne pas le fumer. Joint à la bouche, elle approche son briquet du tube nocif tout en relevant ses yeux sur moi.

Il commence à faire tard et seule la flamme et les quelques lumières d'extérieurs illuminent son visage. De nouveau, je me retrouve scotché à son regard vert. Elle reste ainsi, tirant la première latte, me fixant. Et quand elle recrache la fumée âcre, je ne peux m'empêcher de baisser mes yeux sur les lèvres. Je vois apparaître un sourire en coin, un sourire pour lequel je donnerai beaucoup. Il s'agrandit et d'un coup, elle se lève et s'en va rejoindre sa copine Hiara.

— Wesh, Thomas, ça va ?

Toujours retourné par ses yeux et son sourire, c'est Mathis qui vient me sortir de ma transe.

— Ouai, ouai... J'ai envie de fumer.
— Tiens, finis-le, t'as l'air d'en avoir besoin. Il s'assoit là ou était Rose quelques minutes avant. T'as pas l'air bien. J'allume le joint, frottant mes yeux avec mon pouce et mon index, essayant de retrouver les idées claires.
— Ouai, je suis un peu ailleurs.
— J'ai vu. C'est encore Maya ? J'ai envie de lui dire non, mais maintenant qu'il a prononcé son prénom, son doux visage s'imprime au fond de ma rétine. T'sais, j'sais que t'as fait le con, mais tu ne mérites pas tout ce qu'elle te fait maintenant. Je le regarde boire une gorgée de son verre, sûrement whisky coca le connaissant.
— Comment ça ?
— Elle se venge et je trouve ça pas cool. J'ai fait une soirée avec elle la semaine dernière et son comportement n'est pas celui qu'elle a. Ou qu'elle avait. Je ne la reconnais plus. Alors soit elle fait tout ça parce qu'elle sait que tu vas finir par l'apprendre et qu'elle veut te le faire payer, ou alors, c'est vraiment devenue une salope. Wesh, t'endors pas sur le joint frère !

Mathis est le type que je connais qui dit wesh le plus de fois. Sûrement qu'il disait ça à l'époque pour se donner un genre, sûrement qu'il le fait toujours. Ce que j'aime chez lui, c'est qu'il peut très bien philosopher d'un coup, comme maintenant, alors que la plupart du temps, il fait le con. Je crois qu'il a peur de montrer qui il est vraiment, pourtant c'est là qu'il est le meilleur.

— T'sais, j'ai merdé avec Maya. Je me souviens de cette soirée. J'avais envie de coucher avec Solène, je l'ai fait. Ça ne se passait pas bien avec Maya à ce moment-là, en plus, elle était dans le sud avec sa famille. J'me sens encore plus comme de la merde...
— On fait tous des conneries, mais t'as assumé direct. Elle devrait soit te pardonner et arrêter son cinéma, soit elle coupe totalement les ponts avec toi. Mais là, elle est pas claire. Je vois bien comment tu es, et c'est pas le Thomas avec qui je suis devenu pote. Et moi, j'veux pas te voir comme ça.

Je lui souris, essayant de le rassurer. Un éclat de voix me fait tourner la tête et je me retrouve une nouvelle fois happé par le regard hypnotisant de Rose. Elle est là, son visage à moitié dans l'ombre, appuyée contre un mur. Elle me sourit avant de détourner le regard. Cette fille a quelque chose, quelque chose dont j'ai envie de découvrir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top