Quentin a toujours eu du goût pour la fête. En fait il avait toujours eu du goût pour la démesure.

Élise et moi sommes arrivés trois heures après le début de la fête. La plupart des invités dansent au milieu de ce qui avait été un salon. Il y a aussi quelques filles qui discutent sur un canapé.

Apparemment Melinda et Karl ont rompu. C'est le problème de ce genre de soirée, on parle tous si fort que tout le monde est au courant de la vie de l'autre.

Élise me tient la main et me guide vers le bar. Je m'étais toujours étonné de la quantité d'alcool, je soupçonne que Quentin est une cave entière qui lui serve de réserve. Je tiens sous mon bras plusieurs paquets de chips et Élise tient fermement dans sa main gauche un autre petit paquet de cacahuète. Elle n'a en aucun cas l'envie de le partager.

"C'est à moi." Avait-elle dit dans l'épicerie et depuis elle n'avait pas lâché ce paquet.

Je vis Quentin au loin, il est assis à même le sol et lève les bras, je crois qu'il essaye de donner l'illusion qu'il danse. Il a l'air plutôt étrange mais je crois que l'alcool est aussi lié à ça.

Élise nous servit deux mixtures à la couleur étonnante dans des petits gobelets pour les coups de vodka et avala le tout cul sec. Au vue de la figure qu'elle fit par la suite, je n'ai pas suivit son exemple. Elle se servit un second verre et cette fois le fit trinquer contre le mien.

"À Amélie, à sa connerie, à la nôtre."

Elle s'est approchée de moi pour murmurer convenablement dans mon oreille. C'est fou comment son souffle semble me brûler lorsqu'il caresse mon cou. C'est torturant à quel point j'ai envie qu'elle reste si près de moi.
Elle s'éloigne à peine et boit son verre en fermant les yeux. Elle laisse le rythme des percussions l'entraîner, elle balançe ses épaules de gauche à droite et ses hanches suivent le mouvement. Elle danse les yeux fermées, l'alcool errant dans son corps alors qu'elle prend un troisième verre d'affilé.

J'aurai été de bons conseils si je lui avais retiré des mains. Je me serai sûrement comporté en ami si j'avais compris qu'elle se saoulait à cause de cette journée.

Mais je n'étais ni de bons conseils, ni un vrai ami. J'étais moi, Pierre. J'étais hypnotisé par elle, Élise.

Elle abandonne son verre parmi tant d'autres et sous des projecteurs installés sur les tringles à rideaux, elle se mit à tourner et à murmurer les paroles de la chanson. Chacun de ses mouvements, chacun de ses sourires semblent fluides, attirants. Elle pourrait faire parti de ce décor en désordre. Les lumières lui tombent dessus, le rouge danse sur ses joues, le bleu colore le blanc de ses bras...

Elle est magnifique.
Et je suis figé.

Je bois une demie gorgée de mon verre et le pose sur le bar, j'écoute la musique et mes pieds tentent de taper le rythme fou de cet électro...

Quentin m'attrape par les épaules, il a un sourire si grand qu'il doit avoir mal aux joues. Il me sert dans ses bras et je vois Élise disparaître dans la foule de danseurs.
Les lumières défilent sur le sol, le tourbillon de couleur semble l'avoir avalé.
Quentin me décoiffe et me sert un autre verre, il me murmure à l'oreille des mots  incompréhensibles...

Il amène sa propre boisson à ses lèvres, le liquide est violet.
Il en avale une gorgée en restant accroché à mon cou, il tangue sur ses pieds...
Il est drogué.

J'éloigne son verre, il geint comme un enfant. Quentin a des dreadlocks, il a un baggy et un marcel. Quentin fume tout et n'importe quoi. Quentin boit la drogue d'Amélie.

"Tu devrais te coucher."

C'est un gars sympa, pas prise de tête, assez loyal pour m'avoir ramené chez lui alors que j'étais ivre mort.
Quentin pourrait mourir avec cette drogue.

"Nooooon... La fête vient de commencer mon pote !!"

Il hurle dans mon oreille, et je supplie le ciel pour qu'il ne bave pas sur mon sweat. Je l'accompagne sur un canapé et je le fais s'asseoir. Il laisse tomber sa tête vers l'arrière et rigole avec une fille aussi pétée que lui.

Ça pourrait être désolant s'ils n'étaient pas amusants à rire en regardant le plafond. Je laisse mon regard dériver sur la table basse, les cachets sont déposés sur le bois foncé, les boissons sont violettes...

Élise a bu trois boissons.

Elle a disparu de la piste de danse.

Élise a bu trois boissons.

Elle est sur moi avant que je ne la vois.

"C'est moi qui suis droguée et toi qui est aveuglé."

Ses genoux sont de part et d'autres de mes jambes, elle est assise sur moi et a un sourire moqueur.

"Qu'est ce que tu regardes Pierre ?"

Elle a les pupilles dilatées, ses joues sont rosées et ses mains sont brûlantes. Celles-ci sont sur mon visage, elle touche mes pommettes et ses doigts glissent vers l'arrière de mon cou.

"Dit-moi Pierre..."

"Je te regarde."

Elise a un grand sourire et elle approche son visage du mien. Comme un réflexe mes mains sont autour de ses hanches.

Je sens son souffle sur mon menton, je sens son parfum autour de nous... Elle est à un pas de moi et elle glousse doucement.

" Tu attends quoi cowboy ?"

Elle n'attend pas ma réponse. Ses lèvres sont sur les miennes.
Et c'est ridicule.
Elle embrasse ma lèvre inférieure et je reste là, les yeux grands ouverts.

"Pierre tu dois m'embrasser tu sais..."

Elle laisse ses lèvres glisser sur ma joue droite.

Et son regard attire le mien.
Je sens sa main brûlante contre ma joue, elle touche à ma barbe de trois jours. Elle attend patiemment, elle respire si doucement...

"Qu'est-ce que tu fais Eli ?"

J'ai oublié comment respirer. J'ai oublié comment bouger. J'ai tout oublié sauf elle sur mes genoux. J'ai tout oublié sauf la sensation de ses lèvres sur les miennes.

"Ma dernière connerie."

Elle se penche une nouvelle fois et je rencontre ses lèvres à mi-chemin.
C'est doux.
C'est nouveau et familier.
Ça a le goût salé des cacahuètes.

Nous bougeons avec harmonie. Je sens à peine ses mains sur ma nuque, de la même façon je ne me souviens pas avoir disposé les miennes sur ses cuisses.

Je n'avais jamais embrassé quelqu'un de cette manière.
Je ne m'étais jamais senti libre.

Elle se retire du baiser doucement, elle se lève et me tire par la main pour fuir autre part, et je la suis, n'importe où tant qu'on est ensemble.

Et je ne veux qu'une chose c'est qu'elle m'embrasse encore. Je voudrai de nouveau me sentir complet.