PARTIE I - Chapitre 19
Et voilà, il est là ! Le chapitre 19 !
Je sais que vous l'attendiez avec impatience. J'espère que vous allez aimer et que mes mots vous transporteront au coeur de cette soirée costumée et que vous l'imaginerez de la même façon que moi.
Trop hâte d'avoir vos avis !
Bonne lecture !
****
Je trace avec application un dernier trait de khôl sur ma paupière avant d'admirer le résultat final dans la glace.
Eh bah, c'est à peine si je me reconnais.
Moi qui n'ai pas l'habitude de me maquiller, j'admets que, cette fois, j'ai fait fort. Ne sachant pas vraiment par quoi commencer, je me suis inspirée d'un tutoriel make-up sur Tiktok pour m'aider et le résultat est franchement pas mal. Mes yeux sont charbonneux, mes pommettes rehaussées par une fine couche de fard et mes lèvres légèrement rosées. Plutôt simple, mais suffisant. Je crois que si je tentais d'en faire plus, je ressemblerais davantage à un camion volé qu'à une princesse ottomane.
Intimidée par l'image que je renvoie, je touche machinalement l'une des boucles de mes cheveux lâchés. À peine retenus par ma coiffe, ils tombent en cascade sur mes épaules et dégringolent dans mon dos nu, me donnant l'air d'une lionne.
Une lionne des mille et une nuits.
Nerveuse, j'attrape ma bouteille de parfum et m'en asperge généreusement avant de replacer correctement mon collier autour de mon cou, les doigts légèrement tremblants. En bas, la soirée a déjà commencé et depuis la fenêtre ouverte de ma chambre, je peux entendre la musique mêlée au bourdonnement sourd des conversations. Pour un début de soirée, il fait encore chaud et si le soleil a déjà disparu du ciel, il nimbe encore le parc d'une belle lumière orangée.
Déjà habillée, je sors de la salle de bains pour aller enfiler ma paire de babouche, pas encore tout à fait à l'aise avec la profondeur de mon décolleté. J'ai beau me mettre régulièrement à poil devant des gens, je ne suis pas très friande de vêtements tape à l'œil. Je m'habille souvent toujours pareil et ce n'est pratiquement jamais sexy.
C'est la soirée de tous les challenges apparemment...
Une fois prête, j'éteins les lumières et après avoir pris mon courage à deux mains, je sors de ma chambre, non sans en profiter pour toquer à la porte de celle de Léandre. Il était prévu qu'il descende avec Théo, mais dans le doute, je préfère vérifier. Ne recevant pas de réponse, je continue mon chemin.
En haut des escaliers, je repère aussitôt Henri qui, perché sur la première marche, fouille frénétiquement dans ses poches à la recherche de quelque chose. Concentré sur sa tâche, la mine préoccupée, il ne me voit pas arriver. Ne souhaitant pas lui faire peur, je m'approche doucement avant de lui adresser la parole :
— Salut Henri, tu as perdu quelque chose ?
En entendant ma voix, il se tourne dans ma direction tout en continuant à chercher avant de poser enfin ses yeux sur moi.
— Ouais, mon téléph...
La fin de sa phrase meurt sur ses lèvres lorsqu'il me découvre de pied en cap et en une fraction de seconde, son expression se froisse, ses paupières papillonnent, étourdies, alors que son regard devient confus, affecté.
Bah alors ? Qu'est-ce qui lui prend ?
— E-E-Elsa ? tente-t-il de deviner en bafouillant d'une manière si grotesque qu'elle me fait rire.
— Oui, confirmé-je, la gorge encore secouée par mon éclat de rire. Pourquoi tu me regardes comme ça ? J'ai un furoncle sur le nez, ou quoi ?
Ma moquerie semble le sortir de son état de choc et après avoir secoué la tête pour chasser les dernières traces de son émoi, il ajoute :
— Je... pardonne-moi, c'est juste que... tu lui ressembles tellement, je... ah, peu importe !
À qui ? À qui ressemblais-je autant pour qu'il en perde à ce point son latin ?
Trop excitée par les réjouissances qui nous attendent à l'étage du dessous, je balaye sa remarque et mes questions dans un coin de ma tête, me promettant d'y revenir plus tard.
Ayant manifestement retrouvé toute sa contenance, il finit par m'adresser un sourire tranquille et j'en profite alors pour enfin admirer son costume d'aviateur de l'aéropostal.
— Mermoz ? tenté-je de deviner en détaillant son blouson en cuir et sa culotte jodhpur.
— Saint-Exupéry, me corrige-t-il en sortant de sa poche un exemplaire de Vol de Nuit pour démontrer son propos.
— Oh, joli !
— Je te retourne le compliment, tu es... (il balaye à nouveau rapidement ma silhouette d'un regard agité mais appréciateur) ... vraiment sensationnelle.
Je le remercie, non sans rougir au passage et lorsqu'en bon gentleman, il me propose son bras pour descendre, j'accepte volontiers.
Au rez-de-chaussée, nous déambulons au rythme d'un concerto pour violoncelle d'Haydn tout en discutant jusqu'à la salle de bal où nos chemins se séparent très vite. Attirée par l'apparat de la pièce, je prends le temps d'admirer les lustres en cristal, les tableaux et dorures, le parquet Versailles, le plafond peint, les nombreux bouquets et guirlandes de fleurs ainsi que l'impressionnant nombre d'invités aux couleurs chatoyantes et aux visages masqués. Dire qu'il y a tous les styles et toutes les époques serait un euphémisme. Je n'ai jamais vu ça. Tout le monde a joué le jeu et pas qu'un peu.
Aussitôt, mon attention est attirée par la voix d'un aboyeur professionnel, qui, planté près des portes, annonce au compte-goutte l'arrivée des invités
— Son excellence monseigneur Hervé du Terry, évêque de Blois !
— Elsa ?
D'un mouvement ample, je pivote sur moi-même pour découvrir Léandre à quelques pas de moi, le corps soutenu par une belle cane et intégralement déguisé en Winston Churchill : complet-veston sombre, montre à gousset, nœud papillon, chapeau haute-forme et gros cigare.
Il avait originellement prévu de se déguiser en Jules César, mais les choses ont fait qu'il a dû changer d'idée en cours de route et pour lier l'utile à l'agréable, il a trouvé la brillante idée de se grimer en un personnage diminué. Histoire de coller à la réalité de sa situation.
Tout sourire, je m'approche avant qu'il ne le fasse, tout en prenant soin de ne bousculer personne sur mon passage. Une fois à sa hauteur, l'ombre d'un sourire subjugué vient caresser son beau visage et lorsque ses lèvres se posent sur ma joue, je devine sans mal l'ardeur du désir que je lui inspire.
— Mon Dieu, Milo..., souffle-t-il contre ma peau.
— Tu aimes ? souris-je timidement en posant ma main sur son torse.
— Si j'aime ? Le bal vient à peine de commencer et j'ai déjà envie de me barrer pour te montrer à quel point tu me fais bander, susurre-t-il à mon oreille d'une voix si sensuelle que j'en frissonne de la tête aux pieds.
— Buvons un peu de champagne avant, plaisanté-je en prenant deux coupes sur le plateau d'un serveur qui passe à ma gauche.
Il attrape celle que je lui tends avant de l'entrechoquer avec la mienne puis de la porter à sa bouche pour en boire une longue gorgée.
— La soirée va être longue..., grogne-t-il en fixant outrageusement ma poitrine.
— Arrête ! gloussé-je, gênée, avant de remarquer l'arrivée d'un petit groupe de convives parmi lesquels je reconnais Olympe ainsi que la chevelure dorée de Jehan qui, tout juste dissimulée derrière son masque vénitien, aide sa femme à se frayer une place parmi la foule, malgré son imposant ventre rond.
Juste à côté, je repère également Antonina. Affublée d'une tenue de danseuse étoile, elle est absolument ahurissante de beauté et de grâce. Son loup en plumes blanches cache à peine les traits racés de son visage, laissant sans mal deviner son identité. Ce qui est le cas d'un bon nombre de gens, finalement.
Avec délicatesse, elle accepte la flute que son cavalier lui propose, cherchant dans l'assemblée un visage familier. Celui de Térence, probablement. Seulement, alors que son regard passe d'un groupe à l'autre, il finit par s'arrêter sur moi et comme Henri avant elle, sa réaction me prend par surprise. D'abord déconcertée par ce qu'elle voit, elle fronce les sourcils, puis très vite, son regard se fait venimeux et, après m'avoir analysé de la tête aux pieds, il devient littéralement consterné.
Sans me quitter des yeux et comme montée sur des ressorts, elle tapote le bras de son ami pour attirer son attention avant de lui murmurer quelque chose à l'oreille. Aussitôt, le type me fixe à son tour et me sert dans la foulée le même type de mépris.
Bon sang, mais quel est le problème ?
Heurtée par une telle démonstration d'impolitesse et perplexe au possible, je fais volte-face pour leur tourner le dos. Cependant, les ignorer n'empêche pas mon cerveau de se poser mille questions. Pourquoi me dévisagent-ils comme si j'étais une... quoi ? Une bête de foire ? Un nuisible ? D'abord le cousin des Alayone, puis eux. Je n'ai pourtant pas l'impression d'être la plus dénudée des invitées ? Alors quoi ? Qu'est-ce qui cloche avec ces fringues ? À qui appartenaient-elles au départ pour déclencher ainsi de telles réactions ? Car je ne vois que ça pour expliquer leurs attitudes.
— Tout va bien ?
La voix de Léandre me parvient de manière assourdie et il me faut une seconde pour me raccrocher à l'instant présent.
— Comment ?
— Tu fais une drôle de tête, m'explique-t-il, un peu soucieux. Ça va ?
— Ah ! Oui, désolée, j'étais ailleurs, le rassuré-je avant d'embrayer sur autre chose pour changer de sujet. En quoi s'est déguisé Théo ?
— En Stanley Ipkiss, rigole-t-il avant de me montrer du doigt le dos d'un grand type affublé d'une jaquette jaune soleil et d'un chapeau assorti.
Je ris à mon tour en reconnaissant le célèbre costume de Jim Carey dans The Mask. Il fallait oser... mais ça lui va bien.
— Tu as faim ? me demande mon amoureux en désignant l'un des salons attenant où se tient l'un des nombreux buffets.
— Très ! m'exclamé-je en sentant mon estomac gargouiller.
Je n'ai pas avalé grand-chose de la journée et si j'en crois les contractions de mon estomac, il ne serait pas contre quelques petits fours pour éponger l'alcool que je viens d'avaler.
Il serait idiot d'être soûle avant que cela n'ait vraiment commencé...
Léandre me propose d'ouvrir la voie et après s'être appuyé contre mon bras, nous sortons de la salle pour rejoindre le salon de musique. Pour l'occasion, la pièce a été vidée de ses tables et fauteuils pour ne laisser dans un coin que le clavecin et la harpe.
— Un whisky coca et une autre coupe pour mon amie, demande Léandre au serveur qui se tient derrière le buffet.
Le type s'empresse de préparer sa commande alors que je pioche allègrement un canapé au foie gras sur un plateau. Toutefois, malgré mon apparente décontraction, j'ai la désagréable sensation d'être observée. Comme si tous regards de la pièce, qu'ils soient brefs ou plus appuyés, convergeaient, à un moment ou à un autre, irrémédiablement vers moi.
— Milo...
— Hum ? réponds-je, distraite, tout en regrettant intérieurement d'avoir choisi ce maudit costume.
Le tailleur de Jackie Kennedy aurait très bien fait l'affaire, finalement.
— Juliette est là.
Je manque de m'étrangler en l'entendant et alors que le serveur nous tend nos verres, j'attrape aussitôt le mien, le lui arrachant presque des mains, et le vide d'un coup sec. Il me faut au moins ça pour affronter cette garce.
— Un autre, s'il vous plait.
Le type me jette un regard étonné, mais s'exécute sans un mot. Une fois resservie, je pivote pour la voir arriver, la mâchoire contractée, parée d'un joli déguisement de petite marquise orné de nœuds et de galons brodés, le visage poudré et les cheveux recouvert d'une perruque baroque. La tête haute, le dos bien droit et se prenant visiblement pour la du Barry, elle pénètre dans la pièce en agitant son éventail.
Déjà agacée par son attitude de pimbêche et redoutant d'avance ses minauderies insupportables, je lève les yeux au ciel avant d'entamer mon troisième verre. Repérant aussitôt Léandre, elle esquisse un petit sourire avant de remarquer ma présence à ses côtés. D'emblée, son regard se charge de déception, sentiment qu'elle repousse très vite pour retrouver son habituel et odieux air crane.
Qu'est-ce qu'elle s'imaginait ? Que sa petite comédie d'hier m'avait effrayé ? Que j'étais repartie à Paris pour lui laisser le champ libre ? Ah ! C'est mal me connaître.
Sans se départir de sa superbe, elle s'avance dans notre direction mais avant qu'elle puisse nous atteindre, un type lui barre le chemin pour la saluer. Surprise, elle pile tout net alors qu'au même moment, la musique s'estompe dans l'autre pièce pour laisser place au brouhaha sonore des conversations.
— Que se passe-t-il ? demandé-je à Léandre qui m'invite à retourner dans la salle de bal.
— Je pense que Térence et Maman viennent d'arriver.
Immédiatement, l'aboyeur lui donne raison.
— Le comte Villeneuve d'Alayone et la comtesse douairière ! annonce-t-il d'une voix claire et forte.
Impressionnée par la solennité du cérémonial, je peine à maitriser l'onde de frissons qui dégringole le long de mon échine. J'ai vu suffisamment de films et séries historiques pour ne pas être totalement charmée par ce genre de choses. Quelle fille, un peu fleur bleue, n'a jamais vibré d'excitation en voyant Sissi faire son entrée à la suite de sa sœur Hélène, dans la salle de bal de la résidence d'été de l'empereur, à l'occasion de son vingt-troisième anniversaire ? L'empereur François-Joseph qui, subjugué par cette dernière, la préfèrera à sa sœur, à qui il était initialement promis... On ne fait pas plus romanesque ! Même si, soyons honnêtes, la réalité historique est bien moins glamour que la version édulcorée d'Hollywood...
En dépit de la densité de la foule, nous réussissons à nous imposer jusqu'à la piste pour apercevoir leur entrée et lorsque mes yeux se posent sur Térence, je dois m'y reprendre à deux fois pour tenter d'étouffer l'éclair de désir qui me traverse.
Prise de court, je pose discrètement la main sur mon ventre, puis expire lentement entre mes lèvres serrées pour soulager la pression entre mes côtes. C'est comme si sa soudaine proximité, doublée de sa force gravitationnelle écrasante, redonnait vie à toutes mes terminaisons nerveuses. Cela transcende toute logique et cela me dépasse complètement, que je le veuille ou non.
Le visage dénué de masque et le corps moulé dans un incroyable uniforme bleu de hussard du premier empire, il s'avance lentement, majestueux et envoûtant, au bras d'Adélaïde qui, elle-même, porte une robe en taffetas bordeaux de la même époque.
Très à l'aise dans sa veste courte, richement décorée de plusieurs rangées de boutons et brandebourgs dorés, appelée « dolman », et sa pelisse en renard posée sur son épaule gauche, il adresse à la foule un léger sourire de bienvenue avant de pivoter pour se mettre face à sa mère.
Il est tellement... fringuant ! Rasé de frais, coiffé sans l'être réellement, il porte l'uniforme comme un héros de roman. Un mètre quatre-vingt-dix d'élégance racée et de virilité impitoyable. Il m'apparait alors soudain plus charismatique, plus musclé, plus attirant encore que la veille. Une beauté brute et sensuelle.
Sous les yeux captivés des invités, les musiciens, perchés sur une tribune, entament une valse viennoise alors que dans un habile jeu de jambes, Térence entraîne sa mère sur la piste, nullement dérangé par son sabre qui lui bat les mollets. Parfaitement maître de lui-même, il virevolte avec rythme et souplesse, maniant son grand corps athlétique sans la moindre gaucherie... et offrant ainsi une idée précise de ses talents au lit.
Cet homme sait danser, aucun doute là-dessus.
D'emblée, mon imagination s'emballe et l'image de son corps en plein acte sexuel s'impose dans ma tête. Ses hanches étroites qui vont et viennent, les sinuosités sublimes de son dos massif, ses biceps tendus par l'effort, sa...
Mon Dieu, stop. Stop, stop, stoooop !
Combien de fois et en quelle langue va-t-il falloir que je me le répète pour que cela s'imprime enfin dans mon crâne ? Mon incapacité à me contrôler est absolument sidérante ! Ce qui, une fois de plus, me conforte dans l'idée qu'il faut absolument que je garde mes distances. Ce soir plus que jamais.
Après quelques tours, Térence effectue un discret geste de la main pour inviter les autres à se joindre à eux et en une seconde, la piste est envahie d'une bonne dizaine de couples. À côté de moi, Léandre pousse un long soupir qui me rappelle immédiatement à l'ordre.
Décidément, tu n'as honte de rien, ma pauvre fille.
— Tout va bien ? lui demandé-je, la voix légèrement tremblante et la gorge nouée par la culpabilité.
— Ça va, je suis juste un peu déçu de ne pas pouvoir t'inviter à danser.
Je me force à sourire et dans un geste tendre, je lui presse la main tout en maintenant mon attention sur la piste de danse.
— Ne t'en fais pas, ça n'a pas d'importance.
Ses doigts s'enroulent autour des miens.
— Si, j'aurais dû y penser et louer un fauteuil roulant pour faire comme le type du film que tu adores, tu sais ?
— Me Before You ? deviné-je, amusé qu'il s'en souvienne.
J'adore ce film.
— Ouais, voilà, confirme-t-il en hochant gravement la tête. Tu te serais assise sur mes genoux et j'aurais au moins eu l'impression de servir à quelque chose.
Atterrée par l'énormité de ce qu'il vient de dire, je lâche un petit rire incontrôlé.
— Tu as fini ton cinéma, Calimero ? Tu te fais du mal pour rien, je te dis que ça m'est complètement égal.
— Je suis un idiot, ce n'est pas en Winston Churchill que j'aurais dû me déguiser mais en Théodore Roosevelt, commence-t-il à ruminer.
Sentant son humeur virer de bord, je me décale pour lui faire face et sans me préoccuper des gens autour de nous, je prends son visage en coupe.
— Léandre.
Affirmant son appui sur sa canne, il finit par lever les yeux vers moi et je peux y lire tous ses doutes, sa fierté mal placée et sa virilité mise à mal.
— Je n'ai pas besoin que tu m'invites à danser pour savoir de quoi tu es capable, affirmé-je en effleurant son nez du bout du mien. Je te connais, je sais qui tu es et ce que tu vaux.
Déterminée à ne pas le laisser s'enfoncer dans son humeur morose, je glisse ma joue sur la sienne et contre son oreille, je murmure :
— Et si ça ne te convainc toujours pas, pense à toutes les fois où j'ai joui entre tes bras...
Ses lèvres s'étirent enfin dans un sourire et je sais que j'ai réussi à lui remonter le moral.
— Allez viens, allons rejoindre les autres, embrayé-je pour changer de sujet et sans protester, il se laisse entrainer.
Les heures qui suivent s'écoulent en un battement de cils. Après plusieurs valses et quelques rocks supplémentaires pour contenter l'ancienne génération, le petit orchestre fini par laisser sa place à de la musique plus contemporaine, transformant ainsi le bal en une soirée dansante des plus classiques.
Allongé sur l'un des transats, près de la piscine, les muscles un peu engourdis par l'alcool, j'écoute d'une oreille distraite Léandre bavarder avec ses cousins. Les yeux fixés sur le ciel étoilé, je souris mollement lorsque j'entends Olympe faire une blague à propos de Théo et de la fille au pair. Il faut dire qu'ils ne sont pas très discrets. Cela fait une demi-heure qu'ils ont disparus dans la pool house... Pas besoin d'être Einstein pour deviner qu'ils sont en train de s'y envoyer en l'air.
Les petits veinards.
Cela fait trop longtemps que je n'ai pas fait l'amour et le manque de sexe commence sérieusement à me peser. Je ne sais pas ce qu'en pense Léni, mais je ne serais pas contre une petite séance impromptue derrière un buisson. Une petite levrette cavalière qui me remettrait les idées en place.
Ça ne coûte rien de rêver.
— Je vais me chercher un truc à boire, quelqu'un veut quelque chose ? demande Henri en bondissant sur ses pieds.
Tentée par l'envie de me dégourdir un peu les jambes, je l'imite.
— Moi, mais je vais t'accompagner !
Il acquiesce et après avoir promis à Léandre de revenir très vite, je m'échappe au bras de son cousin. Évidemment, peu après avoir parcouru quelques mètres, Henri est arrêté par l'une de ses connaissances. Mourant de soif et peu encline à attendre qu'il ait terminé sa conversation, je lui fausse compagnie et continue mon chemin jusqu'au château, seule.
Une fois à l'intérieur, il me faut jouer des coudes pour réussir à atteindre le couloir qui mène aux salons et lorsque c'est enfin fait, je prends une seconde pour retrouver mes esprits. Je déteste la foule ! Depuis le jour où je me suis retrouvée coincée au milieu d'une marée de voyageurs dans l'un des halls de la Gare de Lyon, je suis devenue légèrement claustrophobe.
En continuant ma route, je jette machinalement un regard derrière moi, sans faire attention où je mets les pieds et avant que je puisse comprendre quoi que ce soit, je percute violemment quelqu'un.
— Mannaggia la misera! (1)
Sous le choc, je lâche un juron et me raccroche comme je le peux à sa veste pour éviter de tomber à la renverse, alors que pour me retenir, le type pose aussitôt sa large paume dans le bas de mon dos, directement sur ma peau nue. D'emblée, et pour une raison que je ne saurais expliquer, le contact de sa main chaude affole immédiatement mon rythme cardiaque et fait rugir mon sang dans mes tympans.
— Pardon, je suis désolée, bredouillé-je avant de lever les yeux vers lui. Je ne vous av...
En découvrant l'identité de l'homme, le reste de ma phrase sort dans un souffle à peine audible et le temps que mon cerveau assimile l'information, je suis au bord de l'apoplexie.
Bien sûr... il fallait que cela soit lui.
Étroitement collé contre mon corps, Térence met quelques secondes avant de réaliser à son tour qu'il s'agit de moi et lorsque c'est enfin le cas, comme les autres avant lui, ses yeux s'écarquillent légèrement de stupeur avant qu'il ne lâche un grognement étouffé. Puis, contre toute attente, alors qu'il devrait reculer pour adopter une position plus adéquate, il affirme sa prise sur mes reins et se met à me dévisager d'un air... mon Dieu... d'un air aussi éperdu que déboussolé.
Comme si j'étais un mirage et qu'il n'en croyait pas ses yeux.
Peu habituée à un tel étalage d'émotions de sa part, je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il lui prend de me tenir ainsi ? Devant tout le monde et au beau milieu de son foutu salon ? Les gens ont beau être égocentriques et indifférents, quelqu'un pourrait tout de même nous voir et jaser. Pour me donner raison, je tente un regard sur le côté pour m'assurer que personne ne nous observe avant de réaliser que, malheureusement, c'est déjà bel et bien le cas.
Merde.
Ignorant l'air alarmé d'Ernest, je reporte mon attention sur Térence et suis à nouveau frappée par l'expression de son regard. Ses yeux sont trop volubiles, trop bruyants pour qu'il soit dans son état normal. Quelque chose ne colle pas. Lui qui est habituellement si difficile à déchiffrer, m'apparait soudain aussi lisible qu'un livre ouvert. Sur ses traits, je devine d'abord du désarroi puis une profonde confusion avant qu'un éclair de douleur ne vienne effacer le tout. Une douleur si éclatante qu'elle gicle sur moi avec l'ardeur d'une houle déchaînée.
Seigneur tout puissant.
Captivée par tous les sentiments différents que reflète son visage, je déglutis, les veines parcourues d'une énergie nerveuse. C'est comme si sa cuirasse protectrice avait disparu pour ne laisser à la place qu'une plaie à vif et dans son cas, c'est absolument saisissant de beauté. Honnêtement, je ne vois pas d'autres mots pour le décrire.
— A-Alex ? finit-il par murmurer avec hésitation, d'une voix caverneuse, la respiration en exode.
Dans l'incompréhension la plus totale, mon dos se cabre vers l'arrière et ma tête recule pour tenter d'échapper au poids insoutenable de son regard. À qui croit-il parler ? Qui est Alex ? Ne voit-il pas que c'est moi ?
À moins que...
Aussitôt, les pièces du puzzle s'assemblent dans ma tête, les unes après les autres et tout me parait soudain logique. La conversation des filles à propos de mon costume, les appréhensions d'Octavie quant aux réactions qu'il pourrait susciter, la vie sentimentale de Térence... Voilà pourquoi il ne m'a pas reconnue. Il croit en réalité que je suis quelqu'un autre, quelqu'un qu'il a fréquenté et visiblement aimé, vu la ferveur avec laquelle il me serre contre lui.
Il pense que je suis cette Alex, putain.
Paralysée entre ses bras et incapable de prononcer le moindre mot pour me défendre, je le sens me détailler avec une intensité si incandescente qu'elle me fait suffoquer. De mon dos, sa main glisse finalement entre nous et vient se poser délicatement sous ma mâchoire, m'enserrant la gorge comme un collier. Sans forcer, il se contente de maintenir mon visage bien en face du sien, fasciné.
Profondément abasourdie par ce geste d'une possessivité absolue, je déglutis, les yeux sur sa bouche. Ce que j'éprouve quand il me touche... c'est si fort, si bon, instinctif. Je n'ai jamais ressenti ça.
À deux doigts de la syncope, mon rythme cardiaque trémule, s'accélère, tandis qu'un frisson incandescent parcourt ma colonne vertébrale et malgré l'ambiguïté de la situation, je sens mes paupières s'alourdir tandis que ma cage thoracique se gonfle dans une succession d'aspirations saccadées. Le désordre présent un instant plus tôt dans son regard a désormais déserté ses beaux yeux pour laisser place à une faim animale et, en dépit de son évident désarroi, je peux sentir son envie de moi rugir dans ses prunelles, vibrer, enfler entre nous.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? grogne-t-il finalement dans un accent grave, quoique qu'un brin teinté de fureur.
Perturbée par son brusque changement de ton et surtout son passage au tutoiement, je laisse échapper un petit hoquet d'hébétude. Toutefois, je reste lucide, je sais parfaitement que ce n'est pas moi qu'il désire, qu'il tutoie, qui l'ébranle et le met dans tous ses états, c'est elle. Alex. Moi, je ne suis qu'une image, qu'une copie fidèle et trompeuse. L'enveloppe d'un souvenir, d'un fantasme. Tout cela à cause de ce maudit déguisement ! Car j'en suis désormais persuadée, le costume était le sien.
Note à moi-même : penser à faire assassiner Olympe et Octavie pour cette belle idée de merde.
— Je ne...
— Quand cesseras-tu de me tourmenter ? me coupe-t-il en passant très légèrement son pouce le long de mon maxillaire puis sur le relief de mes lèvres entrouvertes.
Bordel de Dieu.
La caresse provoque dans mon ventre un éclair de délice, m'enflammant du bout des doigts jusqu'aux orteils.
— Hanter mes nuits ne te suffit plus ? m'accuse-t-il, les yeux dans le vague, visiblement perdu dans les méandres de ses pensées. Il faut également que tu le fasses ici, ce soir, dans ce costume que je déteste ?
Obnubilée par la contiguïté de nos corps et par la lueur de démence qui passe subrepticement dans ses prunelles, je prête à peine attention à ce qu'il me dit. Nous sommes tellement proches l'un de l'autre, qu'il n'y a rien de lui que je ne perçois pas. Les notes épicées de son après-rasage, son haleine maltée, ses cuisses fermes, la puissance de ses bras, la courbe de son érection contre mon ventre...
Putain, c'est trop.
Trop intime. Trop inattendu. Trop malhonnête. Tellement malhonnête.
Mon cœur bat si rapidement sous mes côtes que j'en ai mal à la poitrine. Je ne suis pas celle qu'il imagine, j'en ai seulement l'apparence et c'est affreusement humiliant. Et dire qu'avec cette tenue, j'espérais secrètement obtenir de lui une réaction, une marque d'intérêt, d'envie. Quelle vaste blague ! Oh, ça pour le faire réagir, ça le fait réagir, mais encore faudrait-il qu'il sache que c'est moi !
Brusquement très mal à l'aise, ma respiration devient haletante, désespérée de happer le maximum d'air possible. À l'étroit dans mes vêtements, j'ai soudain la sensation d'étouffer, la gorge prise en étau par une poigne invisible. J'ai besoin d'air, de fuir, tout de suite.
Alors, sans réfléchir une seconde supplémentaire, ragaillardie par la nécessité de m'éloigner de lui, je pose mes mains sur ses abdominaux et le repousse de toute mes forces. Surpris par ma réaction, il recule d'un pas, à peine ébranlé par mon geste et sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, je fais volte-face et prend mes jambes à mon cou, remontant le couloir dans l'autre sens pour atteindre la sortie.
— Alexandra !
J'entends son cri désespéré dans mon dos, mais ne me retourne pas.
Alexandra... s'il savait.
Le diable au corps et repérant du coin de l'œil l'arrivée de Jehan et d'Adélaïde, je presse le pas tout en essayant d'esquiver les invités sur mon passage. Invités qui me toisent avec une curiosité malsaine et consternée.
Une fois dans le vestibule, je me précipite à l'extérieur pour atterrir dans la cour d'honneur. Immédiatement, l'air doux de la nuit envahit mes poumons et dans une expiration tremblante, je pose mes mains sur mes hanches pour tenter de retrouver mon calme.
Nom d'un chien !
Est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer ce qu'il vient de se passer ?
1. Équivalent de « Nom d'un chien » ou « Bordel », en italien.
***
Les amies, ÇA SE CORSE... et la soirée n'est pas finie ! Mouhaha !
Lâchez-vous dans les com' !
Diane xxx
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