PARTIE I - Chapitre 18
DING DING DING, C'EST L'HEURE !
Comme promis, voici le chapitre 18 ;-) Un chapitre un peu différent, pour détendre un peu l'atmosphère et qui apporte quelques réponses... ou plutôt quelques mystères supplémentaires. Quelles seront vos théories..? Je suis déjà curieuse de vous lire, en espérant que les commentaires sur les paragraphes fonctionnent cette fois-ci, histoire que je sache exactement ce que vous commentez...
Bonne lecture !
***
Plantée devant le miroir de ma salle de bains, le corps enroulé dans une large serviette, je fixe mon reflet dans la glace d'un œil vide et épuisé. Il faut dire que la nuit n'a pas été de tout repos. Après mon entrevue avec Térence et avoir regagné ma chambre, j'ai eu un mal fou à trouver le sommeil, l'esprit déchiré entre une immense culpabilité et la griserie que m'a procuré notre échange.
J'en veux à Léandre, c'est certain, mais est-ce une raison suffisante pour fantasmer sur son grand frère ? Spoiler : absolument pas, putain. Je culpabilise terriblement d'éprouver ce que je ressens en sa présence et pourtant, le sentiment me parait parfois si violent, si incontestable, qu'il me semble vain de lutter contre.
D'un autre côté, une bonne partie de ma raison sait que tout ceci est insensé. J'aime Léandre, c'est un fait. En plus d'être mon mec, il est surtout mon meilleur ami, celui qui me fait rire, me rend heureuse, insouciante. Imaginer ne serait-ce que lui faire du mal me déchiquète en mille morceaux.
La poitrine secouée par un long soupir, je passe mes mains sur mon visage humide en tirant sur la peau de mes joues. Je me sens hideuse, malsaine et diabolique. Oui, la perfidie, même si elle n'est que morale, rend définitivement laid.
C'est à croire que Térence est à la fois ma rédemption et mon châtiment, le tout parfaitement sanglé dans le costume d'un diable tentateur. D'autant plus, qu'il ne doit probablement pas se poser un dixième des questions que je me pose. Pour tout dire, je ne suis même pas sûre qu'il soit réellement attiré par moi comme je le suis par lui. D'ailleurs, que m'a-t-il dit qui me laisserait le penser ? Rien, ou presque.
Parfois, je regrette d'être venue à Savigny. Tout serait plus simple si je n'étais pas si sotte, impulsive et immature. Enfin, il parait qu'on a le karma que l'on mérite.
Génial, merci du cadeau.
Désormais sèche, je me débarrasse de ma serviette et traverse ma chambre dans mon plus simple appareil pour aller enfiler mes sous-vêtements. Une fois vêtue d'une robe t-shirt à rayures bleues et blanches, je me maquille rapidement, puis vérifie mes messages sur mon téléphone.
Il est à peine neuf heures du matin et l'agitation dans les couloirs du château est déjà à son comble. Avec la soirée de ce soir, le personnel est sur les chapeaux de roues. Cela fait déjà deux bonnes heures que je les entends s'affairer depuis le rez-de-chaussée.
L'estomac relativement noué, j'hésite une brève seconde à descendre pour aller petit-déjeuner, quand quelqu'un frappe doucement à la porte de ma chambre. Curieuse de savoir qui cela peut bien être, je l'invite à entrer d'une voix forte et quelques secondes plus tard, la tête de Léandre apparait à travers l'entrebâillement.
Ah, c'est lui. Le timing ne pouvait pas être plus parfait.
— Je peux te parler ? me demande-t-il d'une voix douce tandis que j'enfile mes petites créoles dans les trous de mes oreilles.
Je hoche la tête en le regardant pénétrer dans la pièce, muni de ses béquilles. Je constate alors qu'il est de plus en plus à l'aise et se déplace de mieux en mieux avec. Tant mieux. Je sais combien l'immobilité est une torture pour lui.
Plutôt détendu, il se dirige vers mon lit pour s'asseoir sur les draps défaits puis d'un petit geste de la main, il m'invite à le rejoindre.
— J'aimerais que l'on parle de ce qui s'est passé hier ? me propose-t-il, les yeux pleins d'espoir.
Comment refuser ? À quoi bon le fuir et le punir un jour de plus ? Plus vite nous aurons réglé cette histoire, plus vite les choses rentreront dans l'ordre et m'aideront à me recentrer sur ce qui est compte réellement. Ce qui est vrai, palpable et non le produit de mes fantasmes méprisables : Léandre, notre relation, notre amitié. Après tout, je lui dois bien ça et puis, il me manque tellement...
— D'accord, acquiesce-je en allant m'asseoir près de lui.
Une fois à ses côtés, je prends le temps de remarquer qu'il porte la même chemise que la veille et que, sur ses épaules, cette dernière n'a plus aucune forme tant elle est froissée. Ses yeux sont plus pâles, moins brillants, et sur ses joues habituellement lisses, pousse le début d'un chaume blond foncé qui lui donne un air négligé très peu habituel.
— Je suis désolé, Elsa, vraiment. Je m'en veux tellement que je n'en ai pas dormi de la nuit...
Moi non plus... mais pas tout à fait pour les mêmes raisons.
Soudain, Juliette et ses manigances me paraissent totalement dérisoires face au tourment qui mine mes pensées. Il ne m'a jamais dit qu'il la connaissait ? La belle affaire ! Quelle importance, finalement ? Surtout s'il n'entretient aujourd'hui avec elle qu'une relation mondaine et forcée... Non, j'ai des choses bien plus graves à gérer, comme mon attirance exponentielle pour son frère, par exemple.
— Je n'ai pas été cent pour cent honnête avec toi et c'est impardonnable, poursuit-il sans prendre le temps de respirer entre chacun de ses mots.
Et moi ? L'ai-je été une seule fois ? Quelle hypocrite, putain ! Je le blâme pour quelque chose que je fais depuis des mois. Ma famille, László et maintenant son frère... Qui suis-je pour lui donner des leçons d'honnêteté ?
Tout s'embrouille dans ma tête, mais à y regarder de plus près, un sentiment prédomine tous les autres : la honte. Ne devrais-je pas d'abord balayer devant ma porte avant de lui faire des reproches ? Seigneur, quel drôle de couple nous formons à se mentir tout azimut.
En réalité, il nous faudrait un nouveau départ, une nouvelle chance de repartir sur de bonnes bases. Ou comme dirait Descartes, faire tabula rasa du passé.
— Je te dois aussi des excuses, tu sais..., articulé-je à voix basse en glissant ma main dans la sienne.
— Des excuses ? s'étonne-t-il en nouant ses doigts aux miens. Mais, pourquoi ?
— Pour toutes les choses que j'aurai dû te dire et que je ne te t'ai pas dite. Tu sais, on a tous nos secrets et je serai de mauvaise foi si je te le reprochai. Tu avais raison, j'ai surréagi en voyant Juliette. Le choc de la découvrir avec toi a pris le pas sur ma logique et tout est parti en vrille.
Il me couve alors d'un regard compréhensif.
— Cela n'enlève rien au fait que ça t'ait quand même blessé.
— C'est vrai, confirmé-je en haussant les épaules, mais je ne t'en veux plus, ou pas... peu importe. Tout ce que je veux, maintenant, c'est que l'on avance dans la bonne direction.
Cette fois, un éclair de soulagement passe sur son beau visage.
— Je suis heureux de te l'entendre dire.
Ma paume toujours liée à la sienne, je tourne davantage les hanches dans sa direction, calant un genou sur le matelas.
— Promettons-nous au moins une chose.
— Tout ce que tu veux..., murmure-t-il en caressant le dos de ma main avec douceur.
— Promettons-nous qu'à partir de maintenant, nous serons toujours honnêtes l'un envers l'autre.
Un sourire tendre fleurit sur ses lèvres.
— Je te le promets.
Je hoche la tête et le lui promet également avant de me pencher pour embrasser ses lèvres puis le prendre dans mes bras. Il me rend aussitôt mon étreinte avant de déposer un baiser à la base de mon cou et de me murmurer des mots tendres qui me font du bien à l'âme.
Voilà. C'est cela qui compte. Rien d'autre. Ni Juliette, ni Térence. Juste nous. Et c'est sur cela que je dois me concentrer. Définitivement.
Plus de Térence, plus de rencontre fortuite au milieu de nuit, de rendez-vous nocturne dans son bureau. Tu payes ta dette et basta !
— Tu es prête pour ce soir ? embraye-t-il d'un ton beaucoup plus badin, balayant ainsi définitivement notre dispute.
— Ce soir... ? m'étonné-je avant de comprendre. Oh, le bal, tu veux dire ? Non, je n'y vais pas.
Surpris par ma réponse, il recule la tête pour me regarder droit dans les yeux.
— Comment ça « tu n'y va pas » ? Attends, même le boiteux de service que je suis y sera, quelle est ton excuse ?
Sa description de lui me fait pouffer.
— Je n'irai pas car je n'ai pas de costume, Léni, rétorqué-je à deux doigts de lever les yeux au ciel tant la raison est évidente. Si tu voulais que j'y participe, il fallait me prévenir en avance, histoire que je m'organise. Je n'ai pas toujours peur du ridicule, mais je ne me pointerais pas à un bal costumé en short et en baskets. Hors de question !
Il esquisse un rictus désolé en entendant mon reproche légitime.
— C'est vrai, pardonne-moi, j'avoue que ça m'est un peu sorti de la tête, mais Milo, on organise cette soirée tous les ans depuis des décennies, tu crois vraiment qu'on n'aurait rien à te prêter ? Ma mère a fait garder tous nos costumes des années précédentes dans des malles, il doit forcément y avoir quelque chose qui te conviendra.
Je tords ma bouche, un brin sceptique.
— Tu crois ? Je veux dire, ça ne va pas les déranger ?
— Déranger qui ? se moque-t-il gentiment. Térence ? C'est un emmerdeur, mais je ne suis pas sûr qu'il soit très chaud à l'idée de se déguiser en Cléopâtre ou en Marie-Antoinette...
— Ah, ah ! Tu as très bien compris ce que je voulais dire.
Il lâche un petit rire distingué, plein de charme, qui me met aussitôt du baume au cœur. Je suis contente de le retrouver, de me nourrir à nouveau de cette complicité saine qui nous lient depuis nos débuts. Son rire et sa bonne humeur taquine commençaient réellement à me manquer et je suis heureuse de voir qu'il reprend du poil de la bête.
Nous enchaînons ensuite sur les origines de la création dudit bal, son organisation et son importance dans la région et comme à notre habitude, une fois que nous sommes lancés, il est presque impossible de nous arrêter.
Nous finissons toutefois par prendre la décision de descendre ensemble pour rejoindre les autres pour le petit-déjeuner et lorsque nous entrons dans la salle à manger, je suis secrètement soulagée de constater que Térence n'est pas là.
Aux abonnés absents depuis son accident, Léandre est accueilli avec des hourras par les amis de la famille alors qu'il prend place à côtés d'Henri et d'un type que je ne connais pas mais qui s'avère être, en réalité, le frère cadet d'Olympe.
— Alors ? Ce tête-à-tête sous les étoiles ?
Je tressaute en entendant la voix de la jolie rousse derrière moi et fais volte-face pour la découvrir une tasse de café à la main.
— Oh, super, très romantique ! lui mens-je en priant intérieurement pour ne pas rougir comme une tomate.
Elle acquiesce en souriant avant de porter sa boisson chaude à ses lèvres, puis, après avoir avalé une gorgée, elle me demande :
— Prête pour ce soir ?
Décidément, ils n'ont que ça à la bouche, ce matin !
Je lui explique alors la situation et Olympe étant Olympe, elle s'empresse de m'entraîner vers Octavie pour tirer au clair « cette histoire de malles pleines de costumes ». La sœur de Léandre confirme qu'elles existent bel et bien, puis me suggère d'emblée d'aller faire des essayages.
Travaillant dans le milieu de la mode, sa cousine s'enthousiasme illico à l'idée de me looker pour la soirée et propose de nous assister. Ravies, nous acceptons puis finissons par nous asseoir autour de la table pour avaler rapidement quelques toasts beurrés et une fois repues, nous prenons congés des autres avant de remonter à l'étage.
Je n'ai jamais vu de déguisements aussi beaux. D'ailleurs, je les soupçonne d'être plutôt de vrais vêtements d'époque, hormis peut-être celui de Marilyn Monroe ou de la fée clochette. Cardinal, mousquetaire, marquise, paysanne du 18ème siècle ou habit de lumière de torero... il y en a pour tous les goûts !
— Joli, mais un peu trop... ou peut-être pas assez... Olympe, t'en penses quoi ? lui demande Octavie alors que je tourne sur moi-même pour leur montrer mon tailleur rose des années 60 à la Jackie O'.
— Non, il lui faut quelque chose de plus... redoutable !
D'une impulsion, cette dernière se lève de mon lit, sur lequel elle était à moitié allongée, et se dirige vers les deux malles posées sur le sol, qui regorgent de vêtements. Cela fait déjà le sixième que j'enfile et je commence un peu à désespérer de trouver quelque chose qui me convienne. Tout est magnifique, mais rien ne me semble approprié.
— On va trouver, ne t'inquiète pas, me rassure Octavie. Je crois qu'Oly en fait une affaire personnelle.
Je glousse en l'entendant tandis que cette dernière, désormais à genoux, farfouille énergiquement dans le méli-mélo de taffetas, dentelles et autres fanfreluches qui dépassent des cantines en métal.
— Il me semblait qu'une année, tante Mad s'était déguisée en danseuse de flamenco, non ?
Danseuse de flamenco ? Voilà qui pourrait davantage convenir à ma personnalité et à mon physique.
— Tante Mad ? Tu divagues ! rigole la sœur de Léandre. Elle est plutôt du genre à se déguiser en Mère Teresa.
Olympe lui répond quelque chose qui la fait rire et je souris en les écoutant se chamailler. Même si elles sont bien plus âgées que moi, j'apprécie sincèrement de passer du temps en leur compagnie. Elles sont drôles, spirituelles et si l'une est clairement plus originale que l'autre, leur duo fonctionne à merveille.
J'avoue que j'aurais adoré avoir une ou deux cousines de mon âge avec qui faire les quatre cents coups, et, même si j'ai Dani, ce n'est clairement pas pareil. Ma mère étant ce qu'elle est, je n'ai jamais vraiment évolué dans ce genre d'univers. Je n'ai pas eu de sœur ou de tante suffisamment proche pour partager ce fameux lien sororal, cette solidarité féminine que peuvent entretenir les femmes entre elles et pour être honnête, je n'ai jamais eu de véritable amie, non plus.
Plus jeune, pour pallier mon manque affectif maternel, je passais le plus clair de mon temps avec mon père ou mon cousin et plus tard, j'étais trop échaudée, trop défiante pour me lier plus intimement avec la gente féminine. En effet, lorsque votre mère passe sa vie à constamment vous reprocher d'exister et n'a de cesse de vous dénigrer, il est assez difficile de garder foi en son propre sexe.
Bien sûr, j'ai quelques copines de promo, je ne suis tout de même pas totalement associable, mais je n'ai jamais fait en sorte de creuser plus loin. Mes amitiés restent généralement très superficielles, si l'on peut réellement les appeler comme telles.
— Je crois que j'ai trouvé ! s'exclame Olympe en faisant glisser la fermeture Éclair d'une housse en tissu tout en se redressant sur ses pieds. Tu te souviens du costume que portait tu-sais-qui, il y a dix ans ?
Sitôt, les yeux bleus d'Octavie s'écarquillent de stupeur avant qu'elle ne secoue vivement la tête.
— Quoi ? Non, Oly, on ne peut pas !
Interpellée, je les dévisage, l'une après l'autre, incertaine. Quel est le problème ?
— Et pourquoi pas ? Avoue que cela serait absolument époustouflant sur elle !
Alors que la brune parait de plus en plus horrifiée par l'idée, la rousse, elle, semble toute excitée de sa trouvaille.
— Tu as perdu la tête, on ne nous le pardonnerait jamais. D'ailleurs, je ne comprends même pas que Maman l'ait gardé...
De qui parlent-elles ? Je suis perdue, là... Qui ne pardonnerait pas quoi ?
— Attendez, les filles, je ne veux surtout pas créer de problème, me sens-je obligée d'intervenir.
— Arrête, tu dramatises ! réagit Olympe à l'intention de sa cousine, c'était il y a des années ! Je parie que personne ne s'en souvient et que surtout, tout le monde s'en fout...
Visiblement, je parle dans le vide...
— Bien sûr qu'on s'en souvient ! C'était sa... (ses yeux dévient un instant vers moi)... bref, c'est hors de question !
— Et moi, je dis qu'il faut qu'elle l'essaye ! s'obstine la styliste en descendant davantage la fermeture Éclair pour sortir la tenue de son écrin.
— Que j'essaye quoi ? m'agacé-je en élevant la voix pour tenter de me faire entendre.
— Ça !
Elle écarte les pans de la housse pour dévoiler un somptueux costume d'odalisque, constitué d'un pantalon bouffant en brocart de soie turquoise brodé de fils d'or, surmonté d'un jupon ouvert sur le devant, en voile transparent orné de sequins, ainsi que d'une brassière assortie, incrustée de pierreries.
Émerveillée, c'est à mon tour d'ouvrir grand les yeux, alors qu'irrésistiblement attirée, je fais quelques pas pour me rapprocher.
— En plus, il y a tous les accessoires qui vont avec : bracelets, coiffe, bijoux, babouches ! s'extasie-t-elle, les yeux aussi brillants que les miens.
— C'est magnifique..., soufflé-je en effleurant les breloques accrochées à la ceinture.
C'est comme si Shéhérazade et Roxelane (1) avaient fusionné pour créer la plus parfaite des tenues. Difficile de croire qu'il ait été acheté dans le commerce, il a été réalisé sur-mesure, cela se voit. Mais pour qui ?
— C'est littéralement fait pour toi ! Avec tes cheveux bouclés, tes yeux en amandes, ta peau de pêche...
C'est vrai que je m'y vois déjà. Stimulée, mon imagination s'emballe et avant que je puisse les retenir, mes pensées dérivent vers Térence. En quoi compte-t-il se déguiser ? Je ne serais pas étonnée qu'il opte pour le costume d'un homme de pouvoir. Alexandre Le Grand, Napoléon Bonaparte, Gengis Khan...
— À qui était-il ? finis-je par demander malgré tout, curieuse de savoir pourquoi ce déguisement fait tant polémique.
Un silence presque asphyxiant s'abat soudain sur la pièce et les yeux toujours braqués sur le costume, je redresse la tête pour comprendre ce qu'il se passe. Gênée, Olympe fuit aussitôt mon regard, puis pose le sien sur sa cousine qui, n'en menant pas large non plus, le lui rend avec une certaine amertume.
Sous mes yeux étonnés et sans m'y faire prendre part, les deux femmes se mettent alors à entretenir un échange silencieux, houleux, lourd de reproches et après quelques secondes à me faire mariner dans un climat délétère, Olympe reporte son attention sur moi en ouvrant la bouche pour me répondre :
— Il appartenait à la f...
— ... à une amie de la famille ! l'interrompt immédiatement Octavie en lui lançant une œillade accusatrice.
Je hausse les sourcils, absolument pas crédule. Pense-t-elle réellement que je vais avaler ça ? Pourquoi tous ces secrets pour un malheureux bout de tissu ? Qui était sa propriétaire ? Une ennemie ? Une maîtresse ? À les entendre, il s'agit du diable en personne ! Et surtout, qui risquerait d'en être offensé si je m'aventurais à le porter ? Les Alayone ? Une famille rivale ? Le putain président de la République ?
La première pousse un soupir résigné avant de murmurer « c'est vraiment ridicule ! » dans sa barbe et avant que je puisse poursuivre mon enquête, la sœur de Léandre s'approche de moi en souriant.
— Écoute, Oly a raison, j'en fais des tonnes, tu devrais l'essayer, je suis certaine que ça t'ira à ravir.
— Bien entendu que j'ai raison ! râle l'intéressée.
— Tu es sûre ? Je ne veux pas créer d'incident diplomatique ou un truc du genre...
Elle rigole, un peu embarrassée.
— Je suis désolée si je t'ai laissé penser que cela pourrait être le cas. À bien y réfléchir, je vois bien à quel point ce costume te plait et franchement, cela serait bête de t'en priver pour quelque chose qui n'a plus vraiment d'importance.
— Exactement ! renchérit Olympe.
Je lui jette un bref coup d'œil alors qu'elle m'adresse un sourire d'encouragement.
— D'accord..., répliqué-je, pas tout à fait convaincue.
— Tiens !
La rousse me tend le vêtement et sans attendre, je disparais dans la salle de bains pour l'essayer. Après avoir ôté le tailleur rose, je m'empare du pantalon en soie et de la brassière que je passe dans la foulée. Par chance, ils semblent être à ma taille, même si je soupçonne l'ancienne propriétaire de posséder un physique moins généreux que le mien.
Une fois vêtue, j'enfile les babouches assorties, les bracelets de bras et de chevilles, la parure de bijoux dorées sertie de pierres fines et pose sur mes cheveux la coiffe voilée, inspirée du traditionnel turban. Avec ça, inutile de porter un masque, cela cache ce qu'il faut de mon visage, c'est parfait.
Avant de quitter la pièce, je prends une seconde pour me regarder dans la glace et lorsque j'y aperçois mon reflet, j'en reste coite.
Porca puttana! (2)
Je ne peux pas porter ça, c'est sublime mais bien trop... spectaculaire. Trop voyant, audacieux, dénudé. Pas de doute, vêtue de la sorte, je suis l'image même des célèbres odalisques des harems de l'empire ottoman, si souvent fantasmées sur les toiles des plus grands orientalistes. Une esclave sexuelle parée d'or et de lumière, soumise au bon vouloir de sa majesté le Sultan.
Bon sang, mais qui a eu suffisamment de cran pour porter un truc pareil ? Car il en faut de la confiance en soi pour se déguiser ainsi, pour oser apparaitre en public si peu couverte. J'ai personnellement l'habitude, mais ce n'est pas le cas de tout le monde...
Pour faire court, à l'exception de mes jambes, je ne suis que peau nue. Le pire étant mes seins, qui, parfaitement ajustés dans leur brassière, se dévoilent en grande partie dans un décolleté très échancré, presque indécent.
— Oh pute borgne ! Vivi, viens voir ça !
Perdue dans la contemplation de mon reflet, je ne l'avais pas entendue arriver. Surprise, je sursaute et pivote pour découvrir Olympe sur le pas de la porte, l'air aussi ébloui que le mien. Une seconde plus tard, Octavie apparait à ses côtés et sans pouvoir se retenir, elle porte sa main à sa bouche pour masquer le décrochement spectaculaire de sa mâchoire.
— Mon Dieu !
Terriblement gênée, je sens monter en moi une bouffée de chaleur qui colore aussitôt la peau de ma gorge.
— Alors ? demandé-je en me dandinant sur moi-même, peu certaine de me fier à leur expression choquée.
— Tu es..., commence Oly en s'avançant, hypnotisée.
— ... époustouflante ! termine sa cousine qui, elle, est restée à sa place.
— Je savais que c'était fait pour toi ! jubile la rousse en me détaillant de la tête aux pieds. Franchement, qui en douterait ? À part Octavie, bien sûr...
Dans son dos, cette dernière rigole.
— C'est incroyable, vraiment, agrée-je en glissant mes mains sur le tissu soyeux du pantalon, mais je ne suis pas certaine de pouvoir mettre ça...
La peau de son front tacheté d'éphélides se plisse en signe de confusion.
— Pourquoi pas ?
— Et bien, c'est quand même un peu...
Je marque une pause pour trouver le mot juste. Comment dire ?
— Un peu quoi ? répète-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
— Un peu... obscène ?
Magnifique, certes, affriolant, sexy, mais trop... tapageur.
— Je vois, commente-t-elle, non sans esquisser un petit sourire. Vivi, en quoi comptes-tu te déguiser ce soir ?
L'épaule appuyée contre l'encadrement de la porte, Octavie fait mine d'examiner ses ongles, l'air de pas y toucher, puis rétorque :
— En vahiné.
Scotchée par sa réponse, je lâche un petit couinement abasourdi qui les fait glousser toutes les deux. Sérieusement ? Avec le pagne, la couronne de fleurs et les noix de coco en guise de soutien-gorge ?
— Et je serais en Aphrodite, ajoute Olympe en s'esclaffant carrément. Autant te dire que tu ne seras pas la seule en petite tenue.
— Vraiment ?
— Oui ! C'est un bal costumé, Elsa, tu as le droit d'incarner qui tu veux, c'est le but du jeu et c'est ça qui est drôle !
En voyant ma tête, son rire redouble d'intensité.
— Bah quoi ? Tu pensais qu'on serait toutes en robes à crinolines ou quoi ?
Gênée d'être si prévisible et bourrée d'a priori, j'admets :
— Un peu.
Elle lève les yeux au ciel.
— Après, on doit sûrement avoir un déguisement de Sissi qui traine quelque part, si tu y tiens vraiment.
— Non, non, ça ira, rétorqué-je en secouant diligemment la tête. Je garde celui-là.
— Sage décision, approuve-t-elle en posant sa main sur mon bras. Et puis, dis-toi qu'il y aura des centaines d'invités à ce bal, tu pourras facilement te fondre dans la masse, si tu le souhaite !
— Elle a raison, ne t'en fais pas pour ça, si c'est ce qui t'inquiète, intervient Octavie. À moins d'être celle qui ouvrira le bal avec mon frère, tu n'as pas vraiment à craindre les feux des projecteurs.
À l'évocation de Térence, mon attention s'aiguise immédiatement sans pouvoir me contrôler et alors qu'Olympe se lave les mains, j'ouvre grand les oreilles pour ne pas perdre une bribe de leur échange.
— D'ailleurs, tu sais qui aura l'hôôônneur de danser avec lui ? demande-t-elle en exagérant sa prononciation alors que sa cousine m'aide à ôter mon couvre-chef sans m'arracher la moitié des cheveux.
Voilà une question intéressante. Danser la première valse avec le maître de maison est, même encore de nos jours, souvent réservé aux hôtes de marque ou considéré comme une marque d'égard. Qui va-t-il donc choisir ? Antonina ?
— Comment veux-tu que je le sache ? Je ne suis pas dans sa tête !
— Ton frère est un connard de mystère, bougonne-t-elle en attrapant une serviette pour se sécher. Elsa, je peux utiliser ça ?
Je hoche la tête l'air de rien, tout en ôtant mes bijoux, pour ne pas leur montrer à quel point leur conversation m'intéresse. C'est comme si je n'étais pas là, et cela me convient très bien.
— Il choisira probablement Maman, comme tous les ans.
Youhou, c'est d'un fun !
— Je ne comprendrais jamais pourquoi il n'a pas refait sa vie...
Hein ? Refait sa vie ? Comment ça « refait sa vie » ? Attendez une seconde... il était en couple ? Je veux dire « officiellement » ?
— Tu sais très bien pourquoi et puis, tu oublies Antonina.
Olympe ricane en arrangeant sa coiffure devant le miroir.
— Non, non, je te parle d'un vrai truc, d'une relation officielle avec des sentiments. Antonina n'est « que » sa maîtresse, mime-t-elle avec les guillemets, et malheureusement pour elle, tout le monde est au courant.
Quand ça ? Avec qui ? Est-ce que c'était sérieux ? Étaient-ils mariés ? À première vue, rien ne le laisse penser. J'ai été dans son bureau et je n'ai vu ni portrait ni photos ni rien qui pourrait prouver l'existence passée d'une femme dans sa vie.
— Non pas que j'aime particulièrement discuter de la vie sentimentale de mon frère, mais qu'est-ce que tu en sais, au juste ? Il est peut-être très amoureux d'elle, après tout.
— Ah ! s'exclame-t-elle avec suffisance. C'est peu probable. Je connais une tripotée d'hommes amoureux et crois-moi, il ne l'est pas.
Ont-ils été longtemps ensemble ? Pour quelles raisons ne le sont-ils plus ? À quoi ressemble-t-elle ? Est-elle jolie ? Intelligente ? Je ne comprends pas, où est-elle à présent ?
— On n'en sait rien et à moins de le lui demander directement...
— Ouais, ne compte pas sur moi.
Pourquoi personne n'en parle jamais ? C'est comme si cette femme n'avait jamais existé. Même Léandre, qui n'est pas franchement réputé pour être une tombe, n'a jamais rien laissé filtré.
— Quelle heure est-il ? s'interroge soudain Octavie en regardant sa montre. Olala, déjà onze heures ! Il faut que je file chercher Enguerrand au tennis, je vous laisse !
Sans perdre une seconde, elle enjambe les différents costumes abandonnés sur le sol et sort de la pièce pour rejoindre ma chambre.
— C'est ça, tire-toi et surtout ne nous aide pas à ranger ! plaisante Oly alors qu'elle a déjà disparu.
Est-ce lui qui est parti ? Elle ? Sont-ils séparés ? Divorcés ? L'aime-t-il encore ? Mon Dieu... est-elle encore en vie ? Dans le cas contraire, cela pourrait expliquer pas mal de choses, mais alors, pourquoi cacher son existence ? Car j'ai bien l'impression que c'est de cela dont il s'agit.
Perturbée par ce nouvel élément, je mets plusieurs longues secondes avant de réaliser que je suis désormais seule dans la salle de bains. Qui est vraiment cet homme ? Combien de facettes encore inconnues comporte sa vie ? Que cache-t-il d'autre derrière les portes closes de son âme ? Olympe a raison, c'est un mystère, y compris pour sa famille or quelque chose en moi se croit capable de le découvrir
D'ailleurs, je me demande si... Stoooop !
Il faut que ça cesse, que j'arrête ce petit jeu, tout de suite. J'avais promis, nom de Dieu ! Plus de théories, d'interrogations, de curiosité mal placée à son sujet. Térence d'Alayone ne m'intéresse pas... plus... bref, je me comprends.
Léandre, pense à Léandre.
— Elsa, j'ai besoin de ton aide ! m'interpelle Olympe depuis l'autre pièce.
Déterminée à respecter ma parole, je m'empresse de la rejoindre en m'efforçant de ne plus y penser, sans réaliser qu'en faisant des efforts pour m'en convaincre, je suis probablement déjà foutue.
(1). Favorite et épouse du Sultan Soliman le Magnifique (1520 – 1566).
(2). « Bordel de merde ! » en italien.
***
Qui a hâte d'être au bal masqué ? Personne ? Bon, tant pis, je saute ce chapitre, alors....
HAHAHA ! *humour de merde*
See you later aligator!
Diane xxx
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