PARTIE I - Chapitre 15
Seigneur, j'ai l'impression d'avoir déserté Wattpad depuis 6 mois ! C'est terrible ! Je suis désolée ! Je sais que vous vous êtes impatienté et que vous avez hâte de lire la suite des aventures d'Elsa et Térence, voici donc un nouveau chapitre !
Je ne sais pas encore si je posterais de nouveau rapidement, car je déménage dans 3 semaines et c'est un peu la folie à la maison, mais je tenais à le faire aujourd'hui, car on est le 1er février et c'est le jour de mon anniversaire ! Donc, c'est un petit cadeau pour vous !
Bref, j'espère que vous n'avez pas oublié l'histoire et les chapitres précédents car ce chapitre là est... euh, comment dire ? Tendu ? Ahaha !
Enjoyyy !
***
Après un repas bref avalé sans grand appétit, je passe le reste de la journée enfermée dans ma chambre à ressasser ma conversation avec Léandre sans réussir à mettre exactement le doigt sur ce qui me dérange.
Je conçois très bien qu'il lui soit difficile de couper totalement les ponts avec Juliette, étant donné l'étroite relation qu'entretienne leurs deux familles mais ce que je ne comprends pas, en revanche, c'est la raison pour laquelle il me l'aurait caché.
Ses justifications ne tiennent pas debout. Et dans une logique qui m'échappe encore, je reste persuadée que les motivations de ses cachoteries sont ailleurs. Derrière son discours se trame autre chose, un truc plus accablant, plus honteux. J'en suis convaincue.
Lorsque la pendule accrochée au mur sonne dix-neuf heures, je décide de sortir un moment pour prendre l'air avant d'assister au dîner aux chandelles auquel Olympe m'a expressément conviée. D'ailleurs, depuis qu'elle a appris un peu plus tôt dans la journée que je ne comptais pas assister au bal de demain soir, elle s'est mise en tête de me convaincre à tout prix d'y participer.
D'après elle, c'est un événement à ne surtout pas manquer, ne serait-ce que pour la décoration, la beauté des costumes et le feu d'artifice. Je l'avoue, l'idée est tentante mais je n'ai absolument pas de quoi me déguiser convenablement pour ce type de soirée. J'ai toutefois accepté son invitation pour ce soir, désireuse de me changer un peu les idées. Tant pis pour Léandre qui, pour une fois, se contentera de dîner seul dans sa chambre.
J'ai beau faire la fière, toute cette histoire m'ébranle bien plus profondément que je ne le laisse paraître. J'en suis même au stade où j'en viens à douter de ma présence ici. Ne serait-il pas plus raisonnable de rentrer à Paris ? De mettre un peu de distance entre lui et moi ? Je n'en sais rien. La drama queen italienne jalouse et possessive qui est en moi a généralement tendance à surréagir quand il s'agit de son mec. Il est probable que j'exagère la situation. Comment savoir ? Plus rien n'a de sens dans ma tête.
Ma relation avec Léandre a toujours été sans nuage, facile, agréable, mais si je dois être tout à fait honnête, nous n'avons jamais partagé ce que beaucoup de couples très investis peuvent partager au quotidien. De Léandre, je ne sais que l'essentiel. Toutes choses considérées, peut-être même que le superficiel. Avant son invitation à le rejoindre dans sa famille pour l'été, je ne connaissais de lui que ce qu'il avait bien voulu me confier. Autrement dit, pas grand-chose.
Avec le recul, je réalise que je serai presque incapable d'affirmer que je connais mon mec par cœur. De sa famille, il ne m'a jamais confié que le strict minimum. Ses ex ? Je n'en ai jamais entendu parler. Quant à son passé, je n'en sais que peu de choses.
Toutefois, je peux difficilement le lui reprocher. Ce n'est pas comme si j'avais fait l'effort de creuser. Notre histoire d'amour n'a jamais été plus sérieuse que ça et nous nous en sommes toujours contenté. Je veux dire, on n'est rarement sérieux quand on a dix-huit ans. À notre âge, la vie est faite pour être vécue sans se soucier des conséquences. C'est la beauté même de la jeunesse. Quoi qu'il en soit j'en subis aujourd'hui pleinement le résultat.
Épuisée moralement par toute cette histoire, je lâche un long soupir qui soulage un instant le poids qui pèse sur ma poitrine avant de me diriger vers ma penderie pour passer en revue mes tenues pour ce soir.
Non pas qu'il faille se mettre sur son trente-et-un, après tout, ce n'est qu'un dîner, mais j'ai envie de faire un effort, de troquer mes habituels t-shirts et shorts en jeans pour quelque chose de plus joli, de plus sexy. Peut-être pour me prouver que toutes les Juliette de la Terre ne pourront jamais m'enlever mes atouts.
L'espoir fait vivre...
Distraitement, je fais défiler les cintres les uns après les autres sur la barre de la vielle armoire en noyer, réalisant très vite que la seule option correcte qui s'offre à moi n'est autre qu'une petite robe tube en jersey rouge au décolleté carré, extra courte et très moulante.
Ravie de ma trouvaille, je la décroche et la plaque aussitôt contre moi pour me donner un aperçu. D'emblée, un petit sourire s'épanouit sur mon visage. J'adore cette robe. Elle est hyper simple, ne paye – à première vue – pas de mine, mais une fois sur mon corps, elle booste instantanément ma confiance en moi. Efficace, elle en dévoile juste assez, souligne mes formes sans vulgarité et me fait un cul d'enfer.
Parfait, c'est absolument de ça dont j'ai besoin : me sentir belle et désirable, même si je n'ai personne à séduire, hormis mon amour propre.
Sans attendre, je file sous la douche, me lave rapidement les cheveux, puis une fois soigneusement maquillée et hydratée de la tête aux pieds, j'enfile ma tenue comme on enfilerait un gant parfaitement taillé. Seul petit bémol : les chaussures. Hormis mes Vans, je n'ai apporté qu'une seule paire de tong et de tropéziennes toutes abimées. Pas terrible pour aller dîner en présence de toute l'intelligentsia de la région... Tant pis, je n'ai pas le choix, mes baskets feront bien l'affaire pour cette fois.
De retour dans ma chambre, je récupère un petit foulard coloré que je noue en bandeau autour de ma tête pour maintenir en place ma chevelure encore humide, puis glisse des petites créoles torsadées en or dans les trous de mes oreilles.
Accoutrée ainsi, je ressemble comme deux gouttes d'eau à une bohémienne, les jupons et le tambourin en moins. On est loin de l'élégance racée d'une princesse russe, mais bon, on compose avec ce que l'on a. Satisfaite néanmoins du résultat, je jette un dernier regard dans le miroir puis sors de la pièce pour rejoindre le rez-de-chaussée.
Dans le hall, plusieurs domestiques s'affairent à transporter d'immenses candélabres en bois sculpté dans le jardin, sous les directives d'Ernest qui, porte-document à la main, coche minutieusement sa liste des tâches qu'il reste à accomplir avant le bal de demain.
Ne souhaitant pas le déranger, je me faufile derrière lui, puis bifurque sur la droite pour sortir par le grand vestiaire. Dans ce coin de la demeure, l'atmosphère est plus calme et hormis Néron, le labrador de Térence, qui dort à côté du paillasson, la voie est entièrement libre.
Décidée à aller dire bonjour aux chevaux, je me dirige vers les écuries. Située juste après la cour d'honneur, je mets peu de temps à rejoindre le bâtiment qui, à vue de nez, est aussi ancien que le reste de la propriété.
Conçue comme une maison, il abrite essentiellement des chevaux de chasse, mais aussi quelques-uns d'attelage et d'art équestre. Somptueusement bâti, l'ensemble est desservi par un large couloir formant une galerie composée d'une dizaine de boxes, donnant elle-même sur une cour. Plafonds à entrevous de briques sur solives métalliques, dallage aux armes des Alayone, lambris en bois verni et massif, tout est magnifique.
Un fois à l'intérieur, les odeurs si caractéristiques de foin, de fumier, de cuir et de poussière assaillent mes narines. J'adore venir ici. Rien n'est plus apaisant que de passer du temps avec ces admirables bêtes. D'ailleurs, c'est même prouvé ! Les animaux ont une incidence positive sur le corps : ils réduisent le stress et apaisent les tensions.
Habituée des lieux, je passe devant la sellerie, puis me dirige directement vers le box d'Athénaïs, une magnifique jument à la robe pie, dont le nom lui a été donné en hommage à la marquise de Montespan, dont la mère de Léandre est une descendante directe.
En m'entendant arriver, cette dernière passe sa longue tête à travers la grille à col de cygne de la porte et pousse un doux frémissement pour me saluer.
— Coucou, ma beauté, lui dis-je en tendant la main pour la poser sur son naseau.
Docile, elle se laisse faire sans broncher, m'autorisant silencieusement à poser mon autre main sous sa crinière, là, où son pelage est tout chaud.
— Je t'aurai bien apporté une carotte mais il parait que tu es au régime.
Visiblement mécontente, elle m'adresse une œillade désabusée qui me fait glousser.
— Désolée, il faut souffrir pour être belle.
Les minutes suivantes passent paisiblement tandis que je fais le tour des autres boxes. Le calme ambiant, uniquement rythmé par quelques hennissements deci delà, m'apaise et rassérène mon esprit à la vitesse grand V.
Plongée dans mes pensées, je caresse nonchalamment les oreilles d'un beau pur-sang quand un craquement sonore retentit derrière moi. Aussitôt mis en alerte, mes sens s'aiguisent et dans un mouvement rapide, je me retourne. Pourtant, en faisant face à la galerie qui s'étend sous mes yeux, je suis surprise de constater que je suis toujours seule.
Prudente, je me détache du mur et avance d'un pas.
— Il y a quelqu'un ?
Le silence me répond mais pour une raison que je ne saurai expliquer, j'ai la nette impression de ne plus être seule.
— Thomas, c'est toi ? appelé-je l'un des palefreniers avec lequel j'ai pris l'habitude de bavarder.
Toujours pas de réponse. Zut. Je ne le sens pas. Pas du tout. Le ventre secoué par une peur insidieuse, je ne bouge pas, les nerfs tendus, sur le qui-vive, espérant à tout moment à voir apparaitre le visage de quelqu'un que je connais. Seulement, plusieurs secondes s'écoulent sans qu'il ne se passe rien.
Bon, j'ai dû rêvé. Respire, Elsa. Tout va bien.
Quelque peu rassurée, ma garde s'abaisse d'un cran alors que les muscles de mes épaules se dénouent peu à peu. La poitrine secouée par un long soupir, je décide de rentrer immédiatement au château, plus tout à fait à l'aise à l'idée de rester seule ici. Je finis donc par marcher vers la sortie quand un léger sifflement retentit. Comme un signal. Un signal qui glace aussitôt mon sang et fait enfler mon cœur d'affolement entre mes côtes.
Cette fois, sûre et certaine de ne pas l'avoir inventé, je presse le pas, submergée par un sentiment de panique et lorsque la silhouette d'un homme drapé de noir apparait à l'extrémité de la galerie, je pile tout net. Puis, sans hésiter une seconde, prise d'un très mauvais pressentiment, je fais demi-tour pour sortir de l'autre côté.
D'emblée, le type s'élance à ma suite, confirmant mes doutes et au moment où je me mets à courir, deux autres silhouettes se matérialisent devant moi, bloquant fatalement mon passage vers la sortie.
Prise au piège, je m'arrête, alarmée, l'adrénaline pulsant férocement dans mes veines, sans vraiment savoir quoi faire pour leur échapper. Paralysée par l'angoisse, mon regard passe d'une sortie à l'autre de manière frénétique pour évaluer rapidement la situation. Les deux issues possibles sont bloquées et à moins qu'une faille dimensionnelle ne s'ouvre sous mes pieds, je suis cuite. Totalement à leur merci, faite comme un rat.
Merde, merde, merde, putain !
Les membres tremblants et le ventre déchiré par l'angoisse, je regarde les trois hommes s'avancer dans ma direction pour me rejoindre. À mesure qu'ils s'approchent, mes poings se resserrent jusqu'à faire s'enfoncer mes ongles dans mes paumes.
Décomposée mais lucide, je ne prends même pas la peine d'essayer de deviner leur identité. C'est inutile. Au fond de moi, je sais parfaitement de qui il s'agit et la raison de leur présence ici. Ce que je ne sais pas, en revanche, c'est comme je vais réussir à me sortir de là sans y laisser ma vie...
Enfin, quand ils arrivent à ma hauteur, la démarche assurée et conquérante, je fais l'effort de me redresser sur moi-même, de lever le menton puis de carrer les épaules pour me donner un semblant de prestance. Démarche totalement vaine, mais qui a le mérite de me redonner un peu de courage pour affronter ce qui va suivre.
Fébriles, mes yeux passent d'un homme à l'autre sans reconnaitre leur visage, mais comme n'importe quel mafieux à la mine patibulaire, les hommes de László se ressemblent un peu tous. Il n'y a qu'à observer leurs visages impitoyables aux joues mal rasées, leurs costumes sombres parfaitement repassés et leurs armes semi-automatiques à peine dissimulées entre les pans de leur veste, pour comprendre qu'ils n'appartiennent pas à la famille des Bisounours.
Après quelques secondes à s'observer mutuellement en silence, l'un deux, le plus petit des trois, s'approche d'un pas, les traits raides et les yeux vides. Je comprends alors d'emblée qu'il est le chef de la bande et qu'il mènera la danse.
Sans attendre qu'il m'adresse la parole, je le devance et d'une voix que j'espère assurée, je lui demande :
— Comment m'avez-vous trouvé ?
La réponse n'a en réalité pas grande importance. Ils sont là et c'est tout ce qui compte à présent. Mon cerveau essaye simplement de gagner du temps dans l'espoir irréaliste de trouver un moyen de me sortir de ce guêpier. J'imagine néanmoins que cela doit avoir un rapport avec l'appel récent de Dani. Je ne serai pas étonnée qu'ils aient mis son téléphone sur écoute ou quelque chose du même genre.
En dépit de l'absence totale d'humanité de son expression, le type passe sa langue sur ses lèvres, puis se fend d'un sourire effroyable qui hanterait les cauchemars des plus téméraires.
— La question n'est pas là, curvă (1), et tu le sais.
Son accent à couper au couteau m'écorche les oreilles. Je ne sais pas ce que signifie « curvă », mais quelque chose me dit que ce n'est pas un compliment. Le sbire derrière moi se rapproche, menaçant, attirant mon attention et dans un mouvement absolument pas subtil, il décale sa veste sur le côté pour me laisser entrevoir les contours de son couteau de combat, accroché à sa ceinture.
C'est bon, Rambo, respire, j'ai compris le message.
Je déglutis pour tenter de déloger la boule brûlante qui pèse à présent dans ma gorge, l'esprit soudain obnubilé par l'idée que ce sont peut-être les ultimes minutes qu'il me reste à vivre. Ici, dans ces écuries, où personne n'aurait l'idée de venir me chercher.
Peu à peu, l'éventualité s'installe dans ma tête, plante ses griffes, prend racine. Je vais mourir seule, bêtement, des mains d'un nabot aux dents gâtées par le tabac et l'alcool, en colère contre le monde entier, sans avoir pu régler le dixième du foutoir qu'est devenu ma vie. C'est d'une tristesse absolument pathétique et j'en suis la seule et unique responsable.
Quoiqu'il en soit, les faits parlent d'eux-mêmes. Je n'ai pas les dix-huit mille euros que László me réclame et aussi utopique qu'a pu être mon optimisme jusque-là, je ne les aurais pas de sitôt, voire jamais. Je n'ai plus la moindre illusion, plus d'espoir, ni le courage ou la force de me voiler la face. Je suis déjà morte, je le sais et si j'en juge le sourire assoiffé de sang du chefaillon qui me fait face, il le sait également. À ce stade, je me demande même comment j'ai pu y croire une seule seconde. Il fallait être complètement stupide !
— Où est l'argent ? embraye le type de plus en plus agressif.
Dans un mécanisme de défense, mes bras nus s'enroulent autour de mon buste alors que je recule contre la paroi boisée de l'un des boxes.
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
Il faut croire que, contrairement à moi, ma stupidité a encore de beaux jours devant elle.
— Ne joues pas à ce petit jeu-là avec moi, curvă. Je ne suis pas un homme très patient.
Son ton tranchant comme une lame de rasoir me fait frémir de la tête aux pieds. Je ne sais même pas pourquoi je continue à faire l'autruche. Probablement pour ne pas à avoir à affronter la réalité qui m'attend. Seulement, la réalité est belle et bien là, en face de moi, armée jusqu'aux dents. Difficile de passer à côté.
— Je n'ai pas l'argent, finis-je par avouer en fermant brièvement les paupières, la poitrine en feu.
Ma confession ne semble surprendre personne – probablement parce qu'ils doivent avoir l'habitude de gérer les gens comme moi – ceux dont l'incapacité à régler leur dette se voit sur leur visage. Je parierai ma chemise que c'est même leur spécialité : éliminer les mauvais payeurs.
Oh joie.
— Alors on va avoir un petit problème, ricane-t-il en replaçant correctement le bracelet de sa montre autour de son large poignet.
Ma mâchoire se crispe alors qu'une décharge d'adrénaline se met à crépiter dans mes veines, effrayée à l'avance par ce qui va suivre. Que va-t-il se passer, maintenant ? Ont-ils l'ordre de m'éliminer ? Où ? Ici ? Ailleurs ? Est-ce que cela sera rapide ? Non, j'ai vu trop de films pour savoir que cela sera sûrement lent, douloureux et qu'ils en tireront beaucoup de plaisir.
— Qu'est-ce que vous allez me faire ?
Je ne sais même pas pourquoi je lui pose la question car, clairement, je n'ai pas envie de le savoir.
— Ça sera au patron d'en décider, mais en attendant, tu vas gentiment venir avec nous.
Je sens chacun de mes muscles se contracter en l'entendant et sans pouvoir me retenir, je lâche un :
— Non.
Au même instant, je jette un coup d'œil à ses mains. Petites, boudinées et poilues. Repoussantes au possible. Mon Dieu, aidez-moi, s'il vous plait, envoyez-moi un signe, de quoi me défendre, une pluie de sauterelles, n'importe quoi.
— Ce n'était pas une question. Radu ! aboit-il à l'encontre du sbire numero uno qui se tient à sa droite.
Le corps lourd de Radu, puisque c'est ainsi qu'il se nomme, se met en branle, bien décidé à me hisser sur son épaule comme un vulgaire sac de patates. Des signaux d'alarme hurlent dans mes oreilles alors que l'effroi éclate au centre de mon thorax. Terrorisée à l'idée qu'il me touche, je recule précipitamment, sans penser à son acolyte numero dos dans mon dos.
— Minou, minou, minou, minou..., fredonne le premier avec un sourire salace révulsant qui provoque sur ma langue un goût âpre et nauséeux.
Une lueur profondément malveillante se met à briller dans ses prunelles et ce n'est qu'en percutant le large torse du deuxième que je réalise mon erreur. Épouvantée, je m'étrangle en tentant d'avaler ma salive puis me retourne d'un seul coup, tandis qu'il s'empresse de m'attraper avec brutalité par les épaules pour m'immobiliser. Aussitôt, les battements de mon cœur ralentissent alors que l'odeur capiteuse de son après-rasage m'agresse les narines.
Je suis coincée. Je vais vomir. C'est fini. Putain.
Du fond de mon esprit diminué par la peur, j'entraperçois les contours flous de mon courage diminuer à vue d'œil alors que sous mes paupières, une question s'y imprime en lettre capitale : POURQUOI ?
Pourquoi ai-je voulu sauver la peau de la seule personne au monde qui ne ferait jamais l'effort de sauver la mienne ? Pour tout dire, je ne sais même pas si elle se souvient encore que j'existe... Tu parles d'un gâchis. Quelle idiote, mais quelle putain d'idiote ! Dani avait raison, elle ne mérite pas que je crève pour elle. Seulement, maintenant, c'est trop tard.
Regardez-moi perdre ma vie pour la sienne.
La poigne du type se resserre autour de mes bras, me sciant violemment la peau et m'arrache un petit couinement de douleur.
— Vous me faites mal ! protesté-je, indignée, l'estomac enserré par le dégoût alors que j'essaye de me débattre pour lui échapper.
Malgré la fatalité de ma situation et indépendamment de mon moral, déjà six pieds sous terre, mon corps, lui, résiste, se rebelle, bien décidé à lutter jusqu'à son dernier souffle.
— Tiens-toi tranquille, grogne-t-il en me faisant pivoter contre lui pour me lier les mains derrière le dos.
— Lâchez là.
L'intonation cinglante d'un homme retentit soudain derrière nous, fouettant l'air comme un coup de martinet. Dans mon dos, le type se raidit immédiatement mais n'obéit pas pour autant. Chamboulée par ce revirement de situation inattendu, je tente de tourner la tête pour comprendre ce qu'il se passe mais n'aperçois malheureusement pas grand-chose par-dessus ses larges épaules.
Cependant, je devine sans mal que mon sauveur est armé et que le canon de son calibre, quel qu'il soit, est directement pointé sur le gorille qui me retient prisonnière
— Maintenant, insiste-t-il avec une intransigeance et une autorité telles, qu'elles trahissent d'emblée son identité.
Merci, mon Dieu.
En reconnaissant la voix grave de Térence, un sentiment de soulagement imbibe soudain mon esprit et mes muscles se décrispent d'un cran. Ce n'était pas vraiment le genre de signe auquel je m'attendais, mais vu la merde dans laquelle je suis, je n'ai pas les moyens de faire la difficile. Lui, Ernest ou le Pape de Rome, finalement peu importe, du moment que ça m'aide à me sortir de là.
En face, le caïd fait tout de suite mine de porter sa main à sa ceinture pour récupérer son flingue mais aussitôt, le bruit caractéristique d'une gâchette que l'on enclenche éclate dans le silence du lieu, à présent mortel.
Aïe, ça se corse.
— Je ne ferais pas ça, si j'étais vous, lui intime Térence avec une placidité saisissante, sans s'émouvoir un instant de la situation.
Je ne vois pas le regard que ce dernier lui lance, mais il est assurément assez dissuasif pour arrêter le criminel dans sa course.
— Maintenant, dites-lui de la lâcher.
Son ordre claque entre les murs de l'écurie et plusieurs secondes s'écoulent sans que le roumain ne bouge, affrontant le nouvel arrivant dans un duel de regards hargneux qui me fait craindre le pire. Bon sang, s'il décide de dégainer, tout cette histoire va finir dans un bain de sang, même si l'idée de retrouver ma liberté fait renaitre l'espoir dans ma poitrine.
Plus responsable que je ne l'aurai cru, il finit par obéir et d'un petit geste du menton, il somme son sous-fifre de le faire. Aussitôt, la prise de Radu s'allège considérablement et avant que je puisse le réaliser, il me délivre.
— Elsa, donnez-moi votre main.
La large de paume de Térence apparait sur ma gauche et en une seconde, je l'attrape. Sans pour autant éloigner son arme du dos de Radu, il me tire derrière lui pour me mettre à l'abris, tandis que, d'une légère pression de son fusil de chasse, il invite l'autre à rejoindre ses comparses.
Une fois à ses côtés, la silencieuse intensité de sa fureur me fait frémir de la tête aux pieds. Même sans voir son visage en détails, je peux sentir toute la contrariété qui l'habite, ses épaules se soulevant au rythme maîtrisé de son souffle tranquille. Ténébreux, hostile, il exhale une aura sauvage et intimidante. Une aura propre à celle d'un mâle intrinsèquement dominant.
— Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous faites ici, embraye-t-il avec une nonchalance redoutable qui me sidère, mais je vous donne exactement deux minutes pour foutre le camp de ma propriété.
Wow, ok, ça a le mérite d'être clair.
— Putain, mais on attend quoi pour buter ce guignol, au juste ? aboi la troisième crapule qui, jusque-là, ne nous avait pas fait le plaisir d'ouvrir la bouche.
Le plus petit lui ordonne de la fermer, réfléchissant manifestement à la meilleure façon d'avancer ses pions. Des trois mafieux, il est le seul à être armé d'un revolver et à moins d'être totalement irresponsable, il sait pertinemment qu'il n'aura jamais le temps de s'en saisir avant que Térence n'appuie sur la gâchette. Il est acculé et il le sait.
De plus, il a conscience d'être sur une propriété privée, appartenant à un type qui a probablement plus de connexions dans les hautes sphères qu'ils n'en auront jamais. Pègre ou pas. Le risque est donc trop important pour oser le buter.
— Une minute, décompte Térence, imperturbable. Décidez-vous, messieurs, l'heure tourne et j'ai d'autres projets pour ma soirée que celui de devoir enterrer vos trois corps au fond de mon jardin.
Mon Dieu, mais comment fait-il pour être si détaché ? Si peu affecté par tout ce cirque ? On parle quand même de trois mafieux prêts à tout pour récupérer leur argent ! À sa place, j'aurai probablement déjà fait pipi dans ma culotte (ce qui, quand j'y pense, est peut-être déjà le cas).
— Lâche ton arme, mon vieux, tu...
Le coup de feu part avant même que le type puisse terminer sa phrase. Ne m'y attendant pas, je pousse un cri strident en portant mes mains à mes oreilles alors que, dans un bruit de craquement, de la poussière tombe du plafond vers lequel Térence vient de tirer. Très impressionnée, je finis par détacher lentement mes mains de mon visage en le dévisageant, les yeux ronds, alors qu'il continue de toiser ses adversaires avec une indifférence absolue.
Troublée par cette démonstration étourdissante de virilité, mon regard le balaye rapidement de haut en bas, avant de s'attarder sur son allure. Assurément préoccupée par la présence des trois autres, je n'avais pas remarqué qu'il portait un smoking.
Vêtu de cette façon, le cou sanglé par un nœud papillon noir, les épaules parfaitement carrées dans sa veste sombre, son gilet assorti et sa chemise immaculée, le tableau ne manque pas de piquant – particulièrement, les mains chargées d'un calibre 12. Je me demande alors ce qui a bien pu l'attirer par ici. Étant donné sa tenue, il était sur le point de rejoindre ses invités pour le dîner, alors pourquoi être passé par les écuries ?
— Ne me tentez pas, gronde-t-il de sa voix profonde sans se départir de son aplomb.
Mes yeux se posent ensuite sur ses joues rasées de frais ainsi que sur ses cheveux noirs, plaqués sur son crâne. Peigné de la sorte, les angles sévères de son visage sont tout spécialement mis en valeur et font ressortir encore plus ses yeux. Je dois avouer qu'ainsi, il est saisissant de dangerosité et ferait presque de l'ombre au diable en personne.
— On veut juste la fille, tente de négocier le mafioso dans une dernière tentative.
Je grimace en l'entendant, effrayée par l'éventualité que Térence accepte. Après tout, me livrer lui permettait de se débarrasser de moi et des problèmes qui vont avec.
— Trente secondes, continue-t-il malgré tout, incorruptible.
— Tu ne payes rien pour attendre, curvă, me menace le leader de la bande, agacé d'être obligé de battre en retraite. On reviendra... (sa langue passe sur ses dents du haut dont plusieurs sont en or) ... pour toi... (il me pointe du doigt avant de dévier vers Térence) ... et pour ton chevalier servant.
— Ne vous donnez pas cette peine, rétorque aussitôt Térence, nullement effrayé par ses intimidations. Quoi qu'elle vous doive, considérez sa dette réglée. Intérêts inclus, cela va sans dire.
Estomaquée par ses paroles, je me tourne vers lui en secouant vivement la tête.
— Quoi ? Non, Térence...
Sans me jeter un regard, il ajoute :
— Vous pourrez dire à votre... (une ombre de sourire sarcastique passe sur ses lèvres alors qu'il cherche le mot adéquat) ... patron... que la somme sera sur son bureau avant demain soir.
Aveuglée par mon obstination et prise dans le tourbillon de mes émotions, je pose ma main sur le haut de son bras pour attirer son attention, bien décidée à lui éviter de s'impliquer plus qu'il ne l'est déjà.
— Non, je ne peux pas vous laisser faire ça...
En me sentant le toucher, il baisse la tête pour poser ses yeux sur notre point de jonction avant de les remonter pour les plonger dans les miens. L'éclat furieux et exalté que je lis alors dans ses prunelles aigue-marine me fait immédiatement lâcher ma prise et comme si je m'étais brûlée les doigts, je les recroqueville dans un poing serré.
— Croyez-moi, vous n'avez pas envie de négocier avec moi.
— Mais je...
— Messieurs, m'interrompt-il en reportant son attention sur les trois hommes, je ne vous retiens pas.
— Ouais, on reste en contact, rétorque le type avant de tourner les talons, suivis de près par ses acolytes.
Une fois qu'ils ont enfin disparu, libérant l'espace de leur présence maléfique, le silence envahit de nouveau les lieux, nous enveloppant comme une seconde peau. Totalement immobile, je regarde Térence baisser lentement son arme, le cœur à deux doigts de sortir de ma poitrine et la gorge toujours nouée par l'appréhension.
Malgré un danger immédiat écarté grâce au départ des hommes de László, quelque chose me dit que je ne suis pas encore tout à fait sortie d'affaire. Car même si le frère de Léandre m'a gracieusement sauvé la mise, je suis néanmoins consciente de lui devoir des explications. Et pas des moindres.
Les yeux toujours tournés vers la sortie, il ne bouge plus, le dos roide et les mâchoires contractées. Seuls ses longs doigts pianotant lentement dans le vide trahissent son impatience. Je me sens mal, fautive, étouffée par ma culpabilité, comme une petite fille qui s'apprêterait à être grondée par son papa.
— Je peux tout vous expliquer..., soufflé-je pour amorcer la conversation tout en mordillant nerveusement l'intérieur de ma joue.
Au bout d'un long, très long moment, il se tourne enfin vers moi et la vision de lui me fait déglutir avec peine alors que mon souffle se bloque misérablement dans ma trachée. Si son visage n'est rien d'autre qu'un masque austère, ses yeux, eux – d'une profondeur vertigineuse – expriment consternation et mécontentement. Il est furax. Totalement furax.
Olala.
Il va me passer un savon, je le sens venir gros comme une maison et même si tout mon être est prêt à s'y opposer, je ne peux pas dire que je ne l'ai pas mérité.
— Allez-y, Elsa, siffle-t-il entre ses dents blanches. Expliquez-moi ce que la petite amie de mon frère trafiquait, seule, avec des mafieux des pays de l'Est, dans les écuries de ma foutue propriété ?
(1). « Pute » en roumain.
***
J'espère que ce nouveau chapitre vous a plu et vous a fait frissonné !
Est-ce qu'on aimerait pas Térence encore plus après ça ? Mouhaha !
Hâte de lire vos avis !
Diane xxx
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