PARTIE I - Chapitre 10
Coucou !
Enfin, je suis de retour après plus d'une semaine sans poster !
Le voilà, il est là, le chapitre 10, enjoyyyy !
J'ai adoré l'écrire et vous allez vite comprendre pourquoi ;-)
Trop hâte d'avoir vos avis !
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Dans le foyer de la cheminée, le feu crépite, illuminant la pièce d'un halo chatoyant. Assise dans la pénombre, je fixe les flammes en silence, bercée par le tic-tac rassurant de l'horloge. Il est presque vingt-heures et je n'ai toujours aucune nouvelle de Léandre.
Après une douche bien chaude et de nouveaux vêtements secs, je suis descendue au rez-de-chaussée pour tenter de trouver Jehan dans l'espoir d'obtenir plus d'informations. Malheureusement, il n'en savait pas plus que moi depuis le dernier message de Térence, lui indiquant que son frère avait bien été pris en charge. Je l'ai alors laissé retourner à ses mondanités sans y prendre part, découragée à l'idée de me joindre aux convives sans mon amoureux.
J'ai ensuite déambulé dans la maison avant d'atterrir dans la bibliothèque, attirée par la collection impressionnante de livres anciens. Serviable, Ernest m'y a fait apporter une tasse de thé au lait avec du miel et quelques sablés au beurre, le tout présenté dans un magnifique service en porcelaine d'Indochine.
J'ai évidemment tout avalé sans demander mon reste, avant de m'affaler sur l'une des bergères. Vidée par toutes les émotions de la journée, j'ai fini par m'assoupir un moment. Lorsque je me suis réveillée, quelques heures plus tard, le feu avait été allumé dans la cheminée et le plateau de mon en-cas débarrassé.
Un long bâillement me saisit alors que je finis par me lever pour aller admirer la vue depuis la fenêtre. D'un geste délicat, j'écarte les lourds rideaux de velours grenat pour contempler la beauté du ciel rose de ce début de soirée.
Depuis la fin d'après-midi, la pluie a totalement cessé et le beau temps est revenu, même si la température reste encore un peu frisquette. Dans le jardin, plusieurs invités assis sur des fauteuils en rotin, discutent avec animation, cigarette à la main, me rappelant alors à quel point j'aurais bien besoin d'en griller une.
Les nerfs un peu à vif, mon attention se porte sur l'une des femmes du groupe. Contrairement aux autres, elle se démarque par sa beauté froide et son port altier. Autour d'un visage aux traits saillants, ses cheveux d'un blond presque blanc sont tirés en une sorte de chignon banane très sophistiqué alors que sa peau laiteuse d'une perfection presque absolue est à peine maquillée.
Vêtue avec soin, elle arbore également une chevalière au petit doigt ainsi qu'une bague de cocktail sertie de rubis. Je ne sais pas d'où elle vient, ni qui elle est, mais il y a quelque chose de royal chez cette fille et même si elle suit la conversation avec intérêt, elle semble être au-dessus du reste, détachée. À première vue, je dirais qu'elle est scandinave. Danoise peut-être ou finlandaise. En tout cas, impossible de ne pas la remarquer au milieu des autres, on ne voit qu'elle.
Tout à coup, alors que je suis toujours en pleine contemplation, la porte de la bibliothèque s'ouvre, puis claque derrière moi et stupéfaite par l'intrusion, je pivote pour découvrir l'identité de l'importun. En reconnaissant la démarche souple et autoritaire de Térence, je cligne des yeux, abasourdie de le trouver ici alors que je le pensais encore à l'hôpital avec son frère. Où est Léandre ? Sont-ils rentrés tous les deux ? Pourquoi personne ne m'a prévenue ?
Précédé de peu par son chien, je le regarde s'avancer directement vers la vieille mappemonde sur pieds avec une détermination farouche qui m'interpelle. De là où je me trouve, en partie dissimulée par le rideau, il ne me voit pas – pas tout de suite, du moins. Perturbée, j'en profite alors pour l'étudier.
La mine ténébreuse et préoccupée, il ouvre la partie supérieure du globe pour y attraper une bouteille d'alcool avant de se servir un fond de verre qu'il avale dans la foulée, cul sec. D'emblée, les muscles de sa mâchoire se crispent sous la brûlure de l'alcool soulignant les lignes carnassière de cette dernière.
Je devrais me manifester, lui annoncer ma présence pour ne pas avoir l'air d'une folle qui l'espionne dans un coin sombre. Pourtant, quelque chose en moi me pousse à rester là où je suis, muette et spectatrice, à apprécier l'opportunité probablement unique de pouvoir l'observer à son insu.
Encore une fois, je remarque que, contrairement à ses frères, sa beauté est d'une dureté de marbre. Sans éclat, brute, féroce. Sur ses traits, la vivacité de la jeunesse a laissé place aux turpitudes pesantes de la vie adulte. Son faciès, pourtant plastiquement sublime, raconte une histoire tragique. Mystérieuse et trop sinistre pour les petites filles comme moi. Une histoire que la copine de son frère ne devrait pas avoir envie de découvrir...
De ma place, je constate également qu'il porte encore sa tenue de chasse. Est-il monté directement ici après son arrivée ? Avait-il tellement besoin de ce verre d'alcool qu'il n'a pas pu attendre une seconde plus avant de satisfaire sa soif ? Pourquoi ? Monsieur le comte aurait-t-il finalement une âme ?
Autour de son verre, ses doigts se mettent à trembler et en le réalisant, il dégrafe les premiers boutons de sa redingote dans un geste presque rageur avant de dénouer sa cravate qu'il jette sur le fauteuil à côté de lui. Puis, sans attendre, il se resserre un autre verre. Me tournant à présent pratiquement le dos, je fais un pas sur le côté pour mieux l'entrevoir, mais en décalant mon pied sur le sol, le parquet émet un grincement sonore qui me fait grigner.
Eh merde.
Alors qu'il s'apprêtait à boire une autre lampée de sa boisson, il suspend son geste, les lèvres à quelques centimètres du bord de son verre. Affolée, je retiens mon souffle en fermant les yeux une seconde, embarrassée au point d'avoir envie de disparaitre. Nullement inquiet à l'idée d'être peut-être en présence de quelqu'un qu'il ne connait pas, il porte finalement l'alcool à sa bouche, sans daigner reconnaitre ma présence d'un regard.
Croyant un instant qu'il ne m'a finalement pas localisée, je prends une profonde inspiration mais quand sa voix grave retentit à travers la pièce, mon expiration se paralyse dans ma gorge.
— Vous devriez monter, Léandre est dans sa chambre.
Son intonation est moins abrupte que prévue, mais elle n'en demeure pas moins assurée, arbitraire – désabusée. Ses mots ont beau m'inviter à rejoindre son frère, ils n'ont d'affables que le nom. C'est un ordre, pur et simple.
Cette fois, je n'hésite pas et sors de ma cachette. Toujours dos à moi, je m'avance jusqu'au milieu de la pièce et m'arrête au centre du grand tapis persan. Sur ma droite, Néron s'est couché près de la cheminée, tranquille et indifférent au monde qui l'entoure.
Depuis qu'il est entré dans la bibliothèque, une question me taraude l'esprit. N'y tenant plus, je me lance dans l'espoir d'obtenir une vraie réponse et non pas un truc énigmatique que lui seul peut comprendre.
— Comment va-t-il ?
Dans quel état est-il ? Voilà ce que mon interrogation sous-entend réellement. Cette fois, il se retourne pour me faire face et j'avale ma salive, frappée par l'intense vibration masculine qui se dégage de lui. En dépit de la grandeur de l'endroit, il domine tout l'espace, me donnant ainsi l'impression d'être prise au piège et le contraste de nos deux physionomies est saisissant.
Ébranlée, je me fige, les yeux braqués sur les boutons défaits de sa chemise qui révèlent un soupçon de son torse musclé.
Seigneur, pourquoi faut-il qu'il soit si... viril ?
— Vu les circonstances, m'informe-t-il, cela pourrait être pire, mais son rétablissement risque d'être long.
Les bras le long du corps, il me dévisage, calculateur, indéchiffrable, les traits tendus. Un peu plus et je pourrais croire qu'il essaye de m'effrayer, de me tester. Il est toujours si sûr de lui, intimement convaincu de m'avoir percée à jour, mais il ne sait rien. Rien du tout.
— Long, à quel point ? demandé-je avec prudence, jamais certaine de savoir comment me comporter en sa présence.
— Je crains que vos vacances ne soient gâchées, jeune fille, il ne pourra pas remarcher de l'été.
Primo, il peut se mettre son « jeune fille » là où je pense et secundo, sa technique d'intimidation ne fonctionne absolument pas. Qu'est-ce qu'il s'imagine ? Que je suis futile au point de rebrousser chemin au moindre pépin ? Que l'invalidité passagère de Léandre me fait peur ? Je n'ai peut-être que vingt ans, mais je ne suis pas une ordure.
Mal interprétant mon expression, il renchérit :
— Vous devriez rentrer chez vous, Elsa, car à moins que vous ne souhaitiez lui faire la lecture pour le reste de votre séjour, vous allez sacrément vous ennuyer.
Son petit air suffisant m'arrache un sourire mauvais.
— C'est ce que vous attendez de moi ? Que je fasse mes valises ?
Sans faire attention, je m'avance vers lui d'un pas avisé, bien qu'irrésistiblement attirée. En me voyant faire, son expression se transforme lentement et son arrogance cède sitôt sa place à une certaine agitation.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit, tempère-t-il.
Son regard semble me mettre en garde, me supplie presque de rester là où je suis.
— Mais c'est ce que vous pensez. Vous me pensez tellement superficielle et intéressée... Quel est le problème, cher comte, vous doutez que l'on puisse aimer votre frère juste pour ce qu'il est et non pour ce qu'il a ?
Il reste immobile malgré l'ardeur de ses yeux d'eau de roche.
— Vous l'aimez ?
— Vous évitez ma question, mais bien sûr que j'aime Léandre, pourquoi croyez-vous que je sois ici ? Pour voler l'argenterie ?
Ses lèvres s'agitent dans un sourire discret, presque invisible mais plein de charme qui déclenche une envolée de papillons dans mon ventre. Déstabilisée par la beauté renversante de ce dernier, il me faut une seconde pour permettre à mon cerveau de redémarrer. Dieu sait qu'il peut être détestable mais son sourire n'en demeure pas moins à tomber.
Que palle(1). Une si vilaine âme dans le corps d'un si bel homme.
— Je me fie à ce que je vois.
Évidemment, le contraire m'aurait étonnée. Foutu cartésien !
— Et que voyez-vous, au juste ?
Nous sommes désormais assez proches pour que je puisse sentir son odeur, un mélange entêtant de cuir, de terre mouillée et de musc éventé par le grand air. Rien à voir avec l'odeur fraîche et citronnée de Léandre.
Et la comparaison est pertinente parce que... ?
Légèrement incliné vers moi, il m'épingle du regard et je me sens soudain à cran, fragile, écrasée par sa stature avant qu'il ne murmure :
— Des problèmes.
Sa repartie semble avoir mille sous-entendus différents sans qu'aucun n'ait du sens dans ma tête. En quoi suis-je un problème ? Qu'ai-je fait pour qu'il mette ma parole en doute ? Pourquoi me craint-il à ce point ? Je ne comprends pas. Que voit-il en moi de si alarmant ? A moins qu'il se sente lui-même menacé ? Mais pour quelle raison ? Que pourrait-il redouter d'une fille comme moi ?
Je lève le menton, rapprochant un peu plus mon visage du sien. Trop proche de lui, ma tête se met à tourner, mes oreilles à bourdonner et une chaleur étouffante envahit ma poitrine. Entre nous, un truc se met à vibrer comme une corde que l'on pince, tourmentant chacune de me terminaisons nerveuses.
— Des problèmes pour lui... ou pour vous ? articulé-je en battant des cils.
Il humecte ses lèvres, regarde rapidement ma bouche et mon estomac se contracte, affolé. Je ne sais pas ce qu'il me prend à insinuer qu'il pourrait s'émouvoir de ma présence sous son toit mais je risque gros. J'aimerais pourtant tellement comprendre d'où vient cette inimité à mon égard.
Cette fois, son visage se fend d'un rictus somptueusement cruel qui tombe directement sur ma poitrine palpitante. La profondeur maussade de ses yeux bleus, semblable à celle d'un ciel sans nuages – vide, calme et arctique, me fait redouter ce qui va suivre car mon intuition me dit que je ne vais pas aimer sa réponse.
— Ne vous flattez pas trop, Elsa, vous n'aurez jamais suffisamment d'importance pour me causer des problèmes.
Aïe.
Heurtée par sa muflerie, je sens le sang monter dans mes oreilles jusqu'à les faire presque éclater alors que mes joues se mettent à brûler de honte. Voilà qui s'appelle se faire rembarrer en beauté. Le mec ne fait même pas semblant d'avoir du tact ou de jouer les gentlemen.
Déstabilisée, il m'en fait carrément perdre mon latin et pour enfoncer le clou, je me mets à bégayer comme une demeurée :
— Vous... vous êtes...
... un sale enfoiré de première et si vous n'étiez pas le frère de mon mec, je vous giflerais !
Voilà ce que j'aimerais lui dire. Ça et tout un tas d'autres choses pas très sympathiques. Ce n'est franchement pas l'envie qui manque de l'insulter. Rien ne me ferait plus plaisir que de lui rabattre le caquet, mais encore une fois, je ne le peux pas.
— Je suis quoi ? répète-t-il de ce ton majestueux qui me fait grincer des dents.
Le long de mes cuisses, mes poings se resserrent pour tenter de ravaler l'odieuse frustration qui me noue les tripes.
Respire, ignore-le, rejoins Léandre.
— Allez-y, Elsa, dites-le pour voir.
Je ne peux pas le laisser s'en tirer à si bon compte, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ?
Pourtant, je vois bien qu'il le fait exprès, qu'il essaye de me provoquer pour me pousser à la faute, pour lui fournir le prétexte qui lui permettrait de me virer de chez lui. Il n'attend qu'une seule chose, c'est que je lui en donne l'occasion. Il a tellement envie que je sois celle que son esprit retors imagine, une petite peste vénale et mal éduquée. Il peut toujours courir, je ne lui donnerai pas cette satisfaction.
Entre nous, l'air crépite d'étincelles de défi et d'excitation malsaine. Je n'ai jamais ressenti ça, été si stimulée par un échange et si je n'étais pas sûre et certaine de ce que je ressens pour ce connard, je pourrais presque croire apprécier notre affrontement.
Résolue à ne pas le laisser m'atteindre, je me drape de ma dignité comme d'une cape invisible et avant de tourner les talons, je lâche d'une intonation parfaitement maîtrisée :
— Vous avez raison, je vais monter.
Sans attendre de réaction de sa part, je me dirige vers la sortie, mais au moment où je m'apprête à poser la main sur la poignée de la porte, sa voix sombre et traînante fissure l'air de la pièce dans une ultime provocation.
— C'est tout ? Il faut croire qu'à défaut d'être intéressante vous êtes, au mieux, décevante.
Cette fois, je vois rouge. Piquée à vif, mon estomac se noue d'indignation tandis que les prémices d'une grosse colère se met à monter irrémédiablement en moi. Furieuse et à bout de tout self-control, je fais volte-face dans sa direction.
— Vous savez ce que vous êtes, Térence ?
Mon accent est acerbe, agacé, mais je ne peux plus me permettre d'être civilisée, il en va de mon honneur. Quoiqu'il advienne, les chiens sont lâchés. Je n'en ai plus rien à foutre. S'il veut me virer après ça, soit. Ce n'est pas l'idéal, mais je trouverai une solution comme j'en ai toujours trouvé.
Lentement, je remonte la pièce sans l'écarter une seule seconde de mon champ de vision. Comment ose-t-il me parler ainsi ? Je ne suis peut-être pas la reine de Saba, mais je n'en mérite pas moins respect et déférence. Je suis un être humain, pas un foutu clébard.
Gentilhomme, mon cul, oui !
Mes iris ne sont plus que deux lance-flammes et à la manière dont il me fixe, mon regard est aussi corrosif que du napalm.
— Vous êtes un tyran, sifflé-je, frémissante de colère, sans tempérer la puissance de mon intonation. Un connard de tyran sans vergogne qui se prend pour le roi Soleil. Seulement, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais tout ne tourne pas autour de vous, mon vieux.
Mutique, il me jauge, les paupières plissées, tranquille et étrangement... déridé ? Trop aveuglée par mon exaspération, je continue ma diatribe sans y prêter attention, plus enragée que jamais. J'ai probablement l'air d'une hystéro avec mes cheveux de tigresse et ma salopette en jean maculée de tâches de peinture, mais je ne suis plus à ça près.
— Vous n'avez d'absolu que votre bêtise et votre méchanceté. Vous voulez que je vous dise ? Je ne suis peut-être pas suffisamment digne d'intérêt pour votre petite personne, mais je le suis pour votre frère, alors ayez au moins la décence de le respecter. En bref, soyez un homme, ou du moins, essayez d'agir comme tel si le concept vous est un tant soit peu familier.
C'est bas et immature or visiblement, c'est comme ça qu'il veut le jouer, alors pourquoi se museler ? Je suis peut-être dingue de lui avoir dit tout ça, de me mesurer à ce type qui a deux fois mon âge et j'ai probablement dépassé les bornes mais, bon sang ce que ça fait du bien !
À bout de souffle, je lève la tête pour le sonder et lorsque je découvre son expression, un frisson se forme dans le bas de ma nuque pour descendre le long de ma colonne vertébrale. Il me dévisage avec tellement d'intensité que ma respiration s'emballe.
Dans la pénombre, ses prunelles brillent comme deux pierres précieuses et pendant un quart de seconde, je crois y lire un semblant d'exaltation. À croire que me voir perdre mon calme lui fait prendre son pied, comme si c'était exactement ce qu'il voulait depuis le départ, non pas pour me le reprocher, mais parce que l'idée de me voir sortir de mes gonds le subjugue.
Je dois probablement mésinterpréter et pourtant...
Trop vite, son regard change pour se teinter d'un amusement obscur, bien moins loquace que le précédent. Troublée, je pince ma lèvre inférieure entre mes dents pour tenter de contrôler mon essoufflement.
De son côté, nullement contrarié par mon invective, il tapote paresseusement sa poitrine pour chercher quelque chose avant de sortir ses cigarettes de la poche intérieure de sa redingote. Sans se presser, il en éjecte une en frappant le cul du paquet contre son avant-bras dans un geste mâle étonnamment fascinant et la porte directement à ses lèvres. Sitôt, le clapet de son Zippo résonne dans la pièce silencieuse avant qu'une flamme ne viennent faire rougeoyer l'extrémité de son bâton de tabac.
Nerveuse et dans l'expectative, je le regarde faire, l'adrénaline crépitant encore dans mon système. La clope calée entre le majeur et l'index, il se met à avancer dans ma direction, sans hâte et plus décontracté que jamais, laissant derrière lui un nuage de fumée. Incapable d'effectuer le moindre geste, je me concentre sur le son de ses bottes martelant le paquet.
En le sentant s'approcher, mes oreilles se mettent à chuinter alors que des fourmillements me courent sous la peau, dévalant avec force le labyrinthe de mes vaisseaux. Son attention est pleinement focalisée sur moi, déterminée et l'impact de son regard me cloue sur place.
Qu'est-ce qu'il va me faire ? M'assommer et m'enterrer vivante dans le parc de la propriété ? Je pourrais disparaitre et personne ne saurait jamais ce qu'il m'est arrivé. Par sûre que l'on m'entende crier six pieds sous terre. Quelle horreur. Finalement, c'est peut-être ça son secret, le comte Térence Villeneuve d'Alayone n'est autre que la réincarnation désirable et moins bouffie de Barbe Bleue... Merde, je n'aurais peut-être pas dû le traiter de connard.
Cependant, au moment où il se trouve à ma hauteur, il me prend par surprise en me dépassant avant de marquer un temps d'arrêt. Épaule contre épaule, nos corps tournés dans des direction opposées, je frémis malgré moi. Nous sommes si proches l'un de l'autre que je peux entendre sa respiration lente et profonde. Seuls quelques centimètres nous séparent et pourtant j'ai la nette impression de le sentir partout autour de moi.
Il n'a toujours rien dit. Pas un mot depuis mon coup de sang et ça me rend nerveuse. Très nerveuse. Ma poitrine se soulève à un rythme laborieux et pour une raison qui échappe aux lois de la logique, je me surprends à fermer les paupières une brève seconde pour savourer l'effet que me procure sa proximité. Une seconde durant laquelle il en profite pour tourner la tête et me regarder.
Lorsqu'un instant plus tard, je lève le menton pour l'imiter, nos regards se chevillent l'un à l'autre dans une quiétude étonnante, une intimité transgressive qui devrait m'alarmer et me faire reculer en vitesse. Au lieu de cela, je contemple un instant les traits de son visage, les rides au coin de ses yeux, sa mâchoire affirmée sur laquelle une barbe poivre et sel a déjà commencé à repousser, la cicatrice de sa bouche si sensuelle... Seigneur, je ne devrais pas avoir autant envie de la toucher, de passer la pulpe de mon pouce sur ses reliefs. Qu'est-ce qui me prend ?
Je vois sa langue effleurer rapidement sa lèvre inférieure et la vision déclenche une série de palpitations dans les profondeurs de mon corps. Que sommes-nous est en train de faire ? Je ne comprends rien. N'étions-nous pas en train de nous engueuler, il y a tout juste une minute ? Comment est-il parvenu à retourner la situation à son avantage ?
— Térence..., articulé-je à voix basse dans l'espoir de le faire réagir.
En m'entendant l'appeler par son prénom, son visage se rembrunit légèrement comme si je l'avais froissé or je suis incapable d'en déterminer la raison. En toute franchise, je suis incapable de comprendre quoi que ce soit lorsqu'il est question de lui.
— Vous êtes encore plus belle lorsque vous êtes en colère, murmure-t-il d'une voix grave, primitive et éraillée, les prunelles consumées par un mariage d'émotions contradictoires.
Le peu d'air qu'il me reste dans les poumons s'évanouit alors d'un seul coup et sous le choc, je reste une minute, ou peut-être plus, à le dévisager, bouche bée, totalement interdite. J'ai du mal à croire ce que je viens d'entendre. Toutefois, en dépit de la démentielle fébrilité qui m'habite, je soutiens son examen, la respiration saccadée entre mes lèvres entrouvertes. Il faut que je me calme, ce n'est rien, ça ne veut rien dire, ce n'est qu'un compliment, c'est tout. Il constate, point. Comme pourrait le faire un ami, un oncle... Oh misère, alors pourquoi ai-je la sensation que c'est plus que ça – beaucoup plus ?
En nous, la tension monte d'un cran tandis que je m'efforce de reprendre le contrôle et de museler la pointe de désir qui jaillit dans ma poitrine.
C'est absurde, inconcevable et mal. Très mal.
L'estomac noué, le cœur au galop et l'esprit en vrac, je serre les dents puis réponds d'un ton que je veux égal :
— C'est tout ce que vous avez à dire ?
J'essaie d'être le plus factuelle possible mais tout en moi semble engourdi. Mon corps, ma raison, mon discernement. En saisissant ma question, une lueur fanfaronne se met à briller dans ses iris.
— C'est la seule chose que j'ai en stock. Vous auriez voulu autre chose ?
Son impassibilité me fait lever les yeux au ciel et exaspérée, je fais la moue. Ce qu'il peut m'horripiler ! À chaque fois que j'ose espérer qu'il baisse la garde, il revêt aussitôt son manteau d'indifférence qui me rend folle.
— Ce que je voudrais, c'est une réponse honnête de votre part.
La manière qu'il a de me scruter est étonnamment chaleureuse et je suis totalement pendue à ses lèvres, malgré ce que je tente de lui montrer.
— Une réponse honnête à quoi ? demande-t-il en me considérant avec attention, de plus en plus amusé. Au fait que je sois un tyran sans vergogne qui se prend pour le Roi Soleil ? Qu'est-ce que vous voulez que je réponde à cela ? Vous avez probablement raison.
Sa désinvolture m'arrache un petit rire incontrôlé et l'atmosphère s'en allège instantanément. Je réalise alors que mes insultes ont ricoché sur lui sans l'atteindre. Inébranlable, il prend même cela comme un jeu. Je l'amuse, le divertis, comme n'importe quel bouffon le ferait avec son roi. Blessée dans mon orgueil, je tends le menton avec obstination, bravache et rétorque :
— Vous avez oublié « connard ».
Il cligne des yeux.
— Je vous demande pardon ?
Toujours positionnés en sens inverse, j'esquisse un petit rictus mesquin.
— Un connard de tyran sans vergogne qui se prend pour le Roi Soleil, précisé-je en insistant sur le deuxième mot. Vous avez oublié le mot le plus important.
Puisque rien ne le touche, autant y aller franco. Après tout, au point où j'en suis, j'aurais bien tort de me priver.
— C'est impardonnable, réplique-t-il avec un certain sens de l'humour qui me prend par surprise.
Mince alors, qui aurait cru qu'il en était capable ?
— Un crime de lèse-majesté, renchéris-je, en me mordant la langue pour réfréner mon envie de sourire. Puis-je monter maintenant ?
Il se tourne de sorte à me faire face et d'un geste de la main, il m'invite à rejoindre la porte.
— Personne ne vous en a jamais empêchée.
Je pince les lèvres, dubitative.
— Votre goujaterie m'en a empêché.
La tête penchée légèrement sur le côté, il se contente de m'observer et lorsque l'expression de ses prunelles redevient insondable, je devine que la conversation est close.
— Montez le rejoindre, Elsa.
Sa voix masculine ricoche sur tout mon corps et je me force à lui répondre sur le même ton désinvolte, l'ironie en plus :
— Dois-je faire la révérence avant de partir ?
Sans se départir de sa malice si peu coutumière, il opine du chef.
— Ça serait mieux, oui.
Cette fois, je souris carrément.
— Vous pouvez aller au diable.
Il laisse échapper un petit rire doux, bas, doté d'une lascivité légèrement rauque comme le ferait quelqu'un qui ne rit pas souvent et mon cœur se serre puis bat plus vite en l'entendant.
Sainte Marie, mère de Dieu, ce rire...
— Mais je suis le diable, Elsa.
La gorge obstruée par une boule de la taille d'un poing, je laisse échapper un grognement réprobateur et tourne enfin les talons pour m'éloigner. M'éloigner loin de lui et de son charme grisant inattendu qui me retourne de l'intérieur alors qu'il ne le devrait pas.
— Alors bonne soirée, Satan.
(1). « Quelle misère ! » en italien.
****
Mouhahahaha, alors alors alors ? Ça vous a plu ?
Dites-moi tout dans les commentaires ;-)
Diane xxx
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