✧ | 27 - ❝ corps à cœur ❞
Elles n'avaient pas eu besoin de parler. Après tant d'émotions, les deux adolescentes avaient simplement fini par somnoler sur le lit d'Elyne jusque tard dans la matinée, avant que les rayons du soleil hivernal ne les réveillent et que Minseo ne se décide à se lever pour fermer le rideau de la chambre.
— Merci, réussit à articuler Elyne alors qu'elle s'était enfouie sous les draps pour terminer sa nuit trop courte.
Minseo ne répondit pas et rejoignit son propre lit, sans toutefois réussir à se rendormir. Les images de la veille tournaient en boucle dans sa tête sans qu'elle ne puisse y faire quoi que ce soit. Elyne comptait-elle faire comme si de rien était ?
Elle se laissa aller au confort de son oreiller et tenta de se détendre, même si son cœur accélérait et que ses joues se réchauffaient à chaque fois que le souvenir de la veille lui revenait en mémoire.
— Elyne, finit-elle par appeler d'un ton hésitant.
Un bougonnement étouffé par les couvertures lui répondit avant que le visage de la concernée ne surgisse, arrachant un petit sourire à Minseo.
— On peut parler ?
Elyne frotta ses yeux encore rougis par les émotions de la veille avant d'enfouir son visage dans ses mains.
— Je suis pas sûre de comprendre pourquoi on a fait ça, grimaça-t-elle. C'était n'importe quoi, on était fatiguées, c'était une erreur ce truc.
Minseo haussa les sourcils, visiblement étonnée par les propos de sa camarade, alors que ses paroles la frappaient en plein cœur.
— Merci, ça fait plaisir, cracha-t-elle tout à coup. J'ai compris que tu pouvais pas me saquer, mais t'aurais juste pu le dire avant de jouer avec mes sentiments, merde !
Elle n'avait pas eu à réfléchir bien longtemps. Les propos d'Elyne creusant un peu plus la plaie qui ornait désormais son cœur, elle attrapa un jean, un sweatshirt et des chaussures dans l'espoir de quitter la chambre au plus vite. Qu'avait-elle fait pour qu'Elyne soit une telle connasse envers elle ?
Elle ignora les larmes de rage qui se mettaient tout à coup à dévaler les pentes de ses joues en même temps qu'elle s'habillait, mais lorsqu'elle s'apprêta ensuite à sortir, son bras resta bloqué en arrière.
Elyne s'était levée et la retenait, les yeux emplis de gêne et de honte. Minseo la dévisagea alors, presque soulagée de trouver une certaine culpabilité dans le regard de sa camarade. Qu'essayait-elle de faire ?
— Attends Minseo, c'est pas ce que je voulais dire, osa la jeune fille d'une voix hésitante.
— Ah bon ? Pourtant, il n'y avait pas plus clair comme message, lâcha-t-elle sans desserrer les dents.
Elle dégagea son bras de l'empreinte de l'adolescente d'un coup sec avant de croiser les bras, un air sévère scotché au visage.
— Parle maintenant ou n'entends plus jamais parler de moi, reprit-elle tout à coup malgré les larmes qui perlaient au coin de ses yeux.
Elyne soupira. Il lui fallait être honnête.
— Je suis vraiment la pire personne au monde, commença-t-elle. Il y a un truc en moi qui m'empêche de t'apprécier à ta juste valeur et ça me dévore de l'intérieur.
Minseo leva les yeux au ciel.
— Explique, ordonna-t-elle. Parce que moi, je t'apprécie vraiment, si tu n'avais pas encore compris.
— C'est juste que... Depuis que je t'ai rencontré, j'ai l'impression de te devoir te haïr. Quand j'ai appris qu'une autre personne allait rejoindre le même programme d'échange que moi, alors même que j'avais tant bossé pour être prise, j'avais l'impression que mes sacrifices avaient été vains et ridicules. J'avais même peur que tu me voles cette place dont je rêvais depuis des mois. C'est complètement débile, hein ?
— Pas forcément, répliqua Minseo en haussant les épaules. Quoique j'aurais préféré que tu m'en parles depuis le début. Ou que tu m'ignores vraiment, histoire que j'évite de souffrir pour rien.
Elyne essuya une énième larme. Elle ne se sentait pas légitime de pleurer ; c'était elle la méchante de l'histoire.
— En fait, j'ai l'impression d'être obligée de te détester alors que je tiens à toi, finit-elle cependant par bredouiller difficilement.
Contre toute attente, Minseo se mit à rire. De confusion peut-être, mais de soulagement aussi. Elyne était particulièrement étrange, mais le fait qu'elle admette l'apprécier était aussi inattendu qu'appréciable.
— T'es vraiment quelqu'un qui se prend la tête pour rien, sourit-elle entre de nouvelles larmes. En temps normal, je n'aurais jamais osé m'imposer comme ça, dans un tel projet. C'est juste que... quelqu'un s'est désisté, et j'ai pris sa place.
Elyne ne retint plus ses larmes, honteuse. Désormais, elle ne se voyait plus que comme une idiote exécrable et égoïste. Sans compter que sa camarade se tenait là, un sourire compréhensif collé au visage, alors qu'elle ne méritait même pas son attention.
— Bon, la responsable m'a plus ou moins pistonnée, c'est vrai, ajouta Minseo. Mais je devais partir, c'était... urgent.
— Je suis tellement désolée, murmura Elyne entre deux sanglots.
Elle sentait les nœuds qui enserraient son cœur se défaire les uns après les autres, laissant s'écouler la rage qui la tourmentait inconsciemment depuis le jour du départ. Au fond de son être, les remords grouillaient, la dévorant de l'intérieur, et la jeune fille ne put rien faire d'autre que de cacher son visage dans ses mains.
— Tu n'as pas pris ma place, reprit-elle, la gorge nouée. Tu n'as pas détruit mon rêve, tu n'as rien fait de mal. Et je suis... je suis...
Minseo leva un sourcil, attendant la suite.
— Je suis une énorme égoïste qui ne pensait qu'à son petit voyage à l'autre bout du monde. Je voulais tellement fuir que j'en ai oublié mes propres valeurs.
— Eh, je voulais fuir aussi, après tout. On a tous nos raisons de réagir d'une manière ou d'une autre, fit Minseo d'une voix douce.
Elyne détourna la tête, le regard fuyant. Bien sûr qu'elle avait réagi de manière excessive, sous le coup d'une colère qu'elle-même ne comprenait pas vraiment. Elle avait été détestable pendant des jours et sa culpabilité semblait ne jamais vouloir s'arrêter de la hanter. A vrai dire, la situation était encore plus désagréable lorsqu'elle pensait à la façon dont sa camarade avait pris les choses : calmement, sans rancune ni rancœur, et avec pour seule réponse des paroles rassurantes qu'elle ne méritait pas.
Son trouble fut d'ailleurs bien vite remarqué par Minseo, qui posa sa main sur l'épaule de la jeune fille d'un air bienveillant.
— Maintenant qu'on s'est expliquées, j'ai besoin de savoir une seule chose, continua-t-elle. Est-ce que tu te sens capable de passer au-dessus de tout ça et de me voir telle que je suis, sans préjugés ?
— Comment tu fais pour être si calme et si mature dans une telle situation ? lâcha Elyne en guise de réponse, alors qu'elle tentait de sécher ses larmes.
— N'importe quoi, pouffa l'adolescente avant de reprendre son sérieux. Alors, tu me la donnes, cette réponse ?
Elle regarda sa camarade dans les yeux, le regard empli d'un espoir nouveau. Et puis, Elyne s'approcha d'elle pour l'embrasser. Un petit baiser tout léger, tout rapide, qu'elle sentit à peine, mais qui voulait dire beaucoup.
— OK, répondit seulement Minseo d'une voix émue, alors que ses mains se perdaient sur le visage mouillé de celle pour qui son cœur battait. OK, ça me va comme réponse.
A ces mots, Elyne retenta le coup. Cette fois, les deux filles s'embrassèrent simplement, sans hésitation ni larmes, et se déplacèrent jusqu'à l'un des lits sans pouvoir se quitter des yeux l'une de l'autre. Elles se laissèrent ensuite tomber dessus, le cœur soudainement mille fois plus léger.
— Je crois que j'espère secrètement que Madame Carteau ne nous rappelle jamais, lâcha tout à coup Minseo. Je commence à m'habituer à ces couettes fleuries, même si elles sont super moches.
Pour la première fois depuis longtemps, le rire d'Elyne résonna dans toute la pièce alors que Minseo se levait pour ouvrir les rideaux de la chambre.
— Il est presque midi, alors non seulement on va laisser entrer le soleil dans cette pièce, mais en plus on va se préparer pour aller manger ! s'exclama-t-elle.
Toujours sur le lit, l'adolescente acquiesça sans grande conviction. Les muscles et le cerveau encore fatigués de la veille et de toutes les émotions qui avaient traversé son corps en si peu de temps, elle s'était laissée sombrer dans le moelleux de son lit. Elle ferma les yeux une demi-seconde, comme pour rechercher un quelconque repos de son esprit, mais n'entendit pas Minseo qui se déplaçait dans la chambre. Puis, elle fut tout à coup tirée de son minuscule sommeil par un frisson, l'odeur de camélia familière venant chatouiller ses narines.
Elle ouvrit les yeux. Minseo était là, agenouillée à côté du lit, les bras croisés sur la couette fleurie. Elle ne regardait pas Elyne, mais ses cheveux foncés s'étalaient sur le tissu en frôlant le bras de cette dernière.
Ce contact fit sursauter l'adolescente. De nouveau, en quelques minutes à peine, l'atmosphère s'était remplie d'une électricité grisante, et malgré l'euphorie qui parcourait sa peau, la jeune fille en était ravie. Prise d'un élan soudain, elle se mit à jouer avec les cheveux de Minseo, faisant de petits mouvements circulaires avec ses doigts dans l'espoir d'apaiser un peu son cœur.
— Tu les trouves beaux, mes cheveux ? demanda soudainement la jeune fille, toujours accoudée au lit.
— C'est une question piège ? rétorqua Elyne du tac au tac.
Elle entendit Minseo sourire.
— Peut-être.
Elyne n'avait pas l'habitude de s'exprimer sur ses sentiments, et encore moins d'être ainsi prise au dépourvu par cette fille qui la comprenait étrangement mieux que quiconque. Pourtant, dans cette chambre aux tristes couleurs où tant d'heures s'étaient écoulées, elle décida d'être sincère envers celle qui lui donnait envie d'être une meilleure personne.
— Ils sont magnifiques, mais ils ont l'air de t'embêter.
— J'aimerais bien les couper, mais ma mère ne veut pas, répondit-elle doucement.
— Je peux le faire, si tu veux.
Minseo se redressa sans crier gare, toujours agenouillée malgré l'inconfort de sa position. Les deux filles n'eurent d'autre choix que de se faire face ; les yeux dans les yeux, le corps de l'une frôlant celui de l'autre, et les longues mèches de l'adolescente effleurant de nouveau la peau claire d'Elyne.
— Je ne suis pas capable d'aller à l'encontre de mes parents, regretta-t-elle.
La jeune fille posa une main tendre sur sa joue.
— On n'a qu'à dire que c'est moi qui m'en occupe. Comme ça, tu pourras m'accuser.
Contre toute attente, Minseo sembla réfléchir sérieusement à la proposition. Dans son cœur s'opposait ce nouveau désir de liberté presque farouche, qui lui donnait envie de croire que tout était possible, à cette obéissance qui lui avait valu tant de marques sur le corps auparavant. Ce qui aurait pu passer pour une décision banale pour quelqu'un d'autre prenait tout à coup une importance capitale. Et si Elyne lui coupait les cheveux, là maintenant, tout de suite ?
— D'accord, mais après on va manger, finit-elle par affirmer, non sans une petite appréhension.
Pourtoute réponse, Elyne embrassa spontanément le front de Minseo, ce qui fitrougir le visage des deux adolescentes instantanément.
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