✧ | 25 - ❝ nos cœurs agacés ❞

Le trajet du retour se fit en métro, dans un léger silence que Minseo n'arrivait pas à interpréter. Elle se sentait un peu barbouillée, encore sous l'influence de l'alcool qui parcourait ses veines. Elle avait bu la même chose qu'Elyne, mais son corps plutôt frêle ne semblait pas avoir supporté le mélange qui avait constitué un si joli cocktail auparavant.

Surtout, elle sentait que son esprit était encore un peu cotonneux, et cette sensation avait tendance à effacer ses repères et sa réalité. Elle réussit cependant à suivre sa camarade hors du métro et à marcher jusqu'à l'auberge de jeunesse, mais un obstacle la fit perdre pied à quelques centimètres du porche d'entrée.

— Oups, lâcha-t-elle en s'effondrant sur le goudron abîmé.

Elyne se retourna sans un mot avant de faire face à l'adolescente avec un air légèrement moqueur. Minseo s'était rapprochée de l'élément le plus accessible pour réussir à se relever, et se tenait maintenant à un lampadaire à moitié rouillé.

— C'est du joli, soupira Elyne sans pour autant cacher un petit sourire en coin. Ne me dis pas que t'es dans cet état après quelques verres ? Je croyais que tu serais plus en forme, vu que c'est toi qui as décidé de boire en première.

— Oui bon, ça va, bougonna la concernée alors qu'elle parvenait enfin à reprendre contenance.

Elyne se mit à rire sans ménagement et l'attrapa par le coude tout en époussetant son manteau, la rencontre de Minseo avec le sol encore un peu humide de la ville ayant légèrement sali ses vêtements

— Laisse-toi faire, je vais te ramener à la chambre.

La fatigue se lisait dans les yeux de l'adolescente, mais elle fit quand même l'effort de soutenir Minseo, qui semblait avoir oublié comment ses jambes fonctionnaient. Était-elle encore sous l'emprise de l'alcool, ou bien profitait-elle de la situation pour ne pas monter les escaliers par elle-même ? Elyne doutait un peu de son comportement, mais ne fit toutefois aucun commentaire. La nuit semblait ne jamais vouloir se finir, et ses émotions toutes aussi contradictoires les unes que les autres ne lui donnaient envie que d'une seule chose : dormir.

Elle sortit la clé de sa poche et entra dans l'auberge en essayant d'être discrète, avant de refermer délicatement la porte. Son trousseau dans une main, la taille de Minseo fermement accrochée dans l'autre, elle monta ensuite le grand escalier qui montait aux chambres en traînant sa camarade.

— Fais un effort, s'il te plaît, pesta-t-elle doucement en remarquant que Minseo se reposait complètement sur elle.

— Je fais ce que je veux, rétorqua cette dernière en guise de réponse.

Elyne leva les yeux au ciel. Ça n'allait pas recommencer ! La jeune fille se sentait vraiment fatiguée, et ses nerfs à fleur de peau ne l'aidaient pas à supporter le comportement de Minseo.

Pour autant, elle n'allait pas la laisser dormir au milieu de l'escalier. Dans quelques heures à peine, certains jeunes allaient sortir, et non seulement la lycéenne risquerait de gêner le passage, mais également de se prendre un sacré savon par les responsables de l'hébergement.

— Allez, Minseo ! chuchota-t-elle un peu plus fort.

L'adolescente râla encore une fois, avant de se décider à monter de son propre gré et de rejoindre la chambre. Elyne eût à peine le temps de d'ouvrir la porte que déjà, Minseo se jetait sur son lit, manteau et chaussures compris. Elle s'était échouée là, sans un mot de plus.

De son côté, Elyne prit le temps de se changer et de se brosser les dents dans la petite salle de bains qui jouxtait leur chambre. C'était bizarre de se dire qu'à côté, la fille qu'elle détestait, mais avec qui elle avait partagé une chambre toutes les nuits précédentes, était en train de s'endormir paisiblement. C'était encore plus étrange de se dire que malgré toutes les raisons qui la poussaient à râler contre Minseo, elle ne s'était jamais sentie aussi proche de quelqu'un, si l'on oubliait sa sœur.

Cette soirée était improvisée en tous points, et le voyage lui-même ne s'était absolument pas déroulé comme prévu mais elle avait tout de même passé de bons moments. Et bien que cela était difficile à accepter, Minseo y était pour quelque chose.

Elyne termina de se préparer pour aller dormir et retourna dans la chambre, mais fut stoppée par la vision de sa camarade. Minseo avait fait l'effort d'enfiler un pyjama et attendait de pouvoir utiliser la salle de bains en traînant sur son téléphone. Puis, lorsqu'elle vit Elyne debout, elle partit se brosser les dents à son tour sans un mot, baissant la tête au passage.

Là, derrière les longues mèches de la jeune fille, Elyne vit des yeux brillants. Et elle eût l'impression qu'un abîme sans fond s'était ouvert dans un coin de son cœur.

Comment faire face à cette sensation de vide qui creusait tout à coup son être ? L'adolescente se sentait submergée par toutes ces nouvelles émotions qui rentraient de plus en plus en conflit et prenaient de plus en plus de place. C'en était presque terrifiant, d'autant plus que son tumulte intérieur gagna encore en intensité lorsque Minseo fut de retour.

Puis, ce fut plus fort qu'elle. Lutter contre les larmes ne servait à rien. Elle avait toujours été la fille responsable, qui aimait contrôler son monde et avoir la main sur les moindres détails, mais jamais elle n'avait été aussi confrontée à l'inconnu que depuis le début de ce voyage. Ses habitudes avaient changé, et Minseo la poussait à se laisser aller sans même qu'elle ne s'en rende compte. C'était du grand n'importe quoi, elle ne se reconnaissait plus, et pourtant... elle se sentait libre.

Elyne s'était toujours dit qu'une fois en échange à New York, elle vivrait sa vie comme elle l'entendait. Mais maintenant que Minseo se trouvait dans l'équation et l'encourageait à vraiment lâcher prise, ce n'était plus pareil ; la cage qu'elle s'était elle-même construite pour rester en sécurité volait en éclats un peu plus chaque jour. Et il lui semblait presque que cette nuit avait fini de détruire les barreaux qui l'avaient retenue prisonnière si longtemps.

— Tu pleures ? demanda tout à coup Minseo, coupant court aux réflexions de la jeune fille.

— Non. Et toi ? répondit Elyne par réflexe.

— Non.

Les deux adolescentes se regardèrent un instant, les yeux gonflés, avant de se mettre à rire.

— Menteuse.

— Toi-même, lâcha Minseo dans un sourire.

Elle rejoignit Elyne qui était en tailleur sur son lit et se laissa tomber dessus, frôlant la jambe de sa camarade de ses cheveux au passage. Un léger courant électrique se forma à cet instant, faisant sursauter les deux filles.

— On a l'air malines, comme ça, renifla Elyne en essuyant ses petits yeux humides et fatigués.

Minseo laissa sa tête reposer sur la couette fleurie alors qu'elle se mettait à pouffer. Ni l'une, ni l'autre, ne comprenait quelque chose à cette nuit à la fois chaotique et éternelle. Il était tard, mais la journée allait commencer dans quelques heures à peine. Par la petite fenêtre de la chambre, on apercevait encore les lumières de la ville, prêtes à rester allumées jusqu'au petit matin, au grand dam de ceux qui manifestaient contre la pollution lumineuse et le gaspillage des énergies.

Au-dessus d'elle, le visage d'Elyne semblait plus apaisé qu'avant. Malgré les yeux rougis des deux filles et les péripéties de cette nuit un peu hors-du-commun, l'atmosphère était devenue particulièrement tendre.

Portées par l'ivresse de leur adolescence, sans trop comprendre ce qui les poussait à rester éveillées sur ce lit, Elyne et Minseo profitaient désormais de la présence de l'autre, sans que rien ne vienne perturber la douceur du moment.

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