✧ | 21 - ❝ éblouies par la nuit ❞

Le froid de février se faisait bel et bien ressentir. Les grandes rues sombres de New York, éclairées par les mille petites lumières qui donnaient vie à la ville, semblaient porter un léger manteau de givre qui faisait briller les trottoirs goudronnés. Il y avait une douce odeur qui flottait dans l'air, un parfum de gel qui embaumait les allées et respirait l'hiver. Et puis, au cœur de ce paysage urbain, se perdaient de multiples passants pressés et de nombreux véhicules aux phares allumés.

Ce n'était qu'un univers d'obscurité et de lumière, qui mêlait à la fois le bruit de la ville et le silence du monde. Pourtant, Minseo appréciait cette ambiance hivernale un peu décalée. Elyne la suivait sans jamais trop s'éloigner, la boule au ventre. C'était beau, mais aussi grand, et l'angoisse ne la quittait jamais réellement. Elle qui aimait les Etats-Unis de tout son cœur, qui avait toujours vu ce pays comme un immense paradis moderne, la voilà qui paniquait au beau milieu du décor qui la faisait habituellement rêver.

Minseo se retourna tout à coup, comme consciente de l'état de sa camarade.

— On est bientôt arrivées, ne t'inquiète pas.

Elyne hocha la tête. Elle s'inquiétait sans vraiment savoir pourquoi, intensifiant les tremblements qui parcouraient déjà son corps, sans doute à cause du froid.

— Tu n'as pas de gants ? s'étonna Minseo, qui avait adapté son allure au pas de la jeune fille.

Elle soupira, comme si elle était responsable d'une enfant qui ne pensait plus à rien. Quoiqu'Elyne se sentait définitivement comme tel : l'esprit anesthésié par l'anxiété qui coulait dans ses veines de manière constante, elle avait du mal à faire fonctionner son cerveau correctement.

— Donne-moi ça, râla Minseo en attrapant la main de l'adolescente.

Elle coinça ensuite leurs deux mains entrelacées dans la poche de son manteau fourré, et se mit à marcher d'un pas plus rapide.

Elyne se laissa entraîner par le rythme de sa camarade, et voulut lui jeter un regard reconnaissant. Mais la jeune fille avançait trop vite, et seul ses longs cheveux flottant dans l'air du soir restaient visibles à ses yeux. Alors, dans un souffle des plus discrets, elle murmura :

— Ne me lâche pas.

Minseo ne s'arrêta pas. Au fond de sa poche, elle sentait la main d'Elyne qui se réchauffait peu à peu.

— Je ne te lâche pas, finit-elle par répondre.

Ces quelques mots semblèrent perturber Elyne, qui continua pourtant de suivre sa camarade, s'accrochant à sa main comme si sa vie en dépendait.

Le trajet continua dans un silence étrangement confortable, qui enveloppait tendrement les deux jeunes filles. Et quelques minutes plus tard, sans que ni l'une ni l'autre ne s'en rende vraiment compte, elles se retrouvèrent devant l'Empire State Building, qui s'étirait tranquillement jusqu'aux étoiles.

— C'est immense, laissa échapper Minseo.

— Merci de m'avoir emmenée avec toi, lâcha soudainement Elyne en guise de réponse.

Sa camarade parut tout à coup étonnée. Cela n'avait pas été chose facile, mais il lui avait été difficile de voir Elyne s'enfermer dans un tel état de déprime alors même qu'elle se trouvait dans la ville de ses rêves. Sans compter que la jeune fille ne lui avait pas rendu la vie facile, et elle le comprenait : elle se sentait quelque peu coupable de s'être incrustée dans son voyage, telle une véritable intruse.

Minseo tenta toutefois de se libérer l'esprit de ces pensées intrusives et rentra dans le bâtiment. Toujours accrochée à sa main, Elyne suivait la cadence, quoique légèrement chamboulée par le mouvement soudain de sa camarade. Les deux filles rentrèrent alors dans le grand hall d'entrée et achetèrent un ticket pour pouvoir monter jusqu'à l'un des observatoires.

Ensuite, tout se passa comme dans un rêve. Le grand ascenseur leur permit d'arriver au quatre-vingt-sixième étage en quelques secondes. Et puis, les parois grises s'ouvrirent, laissant place à une grande salle vitrée, qui donnait elle-même sur une terrasse sécurisée en plein air. Les mains toujours entremêlées au chaud, les deux filles s'avancèrent parmi la petite masse de touristes qui les accompagnait. Sans se lâcher, elles se glissèrent discrètement entre les groupes de visiteurs et finirent par atteindre la fameuse plateforme.

En face des deux adolescentes s'étalait la ville entière.

Au cœur de la nuit newyorkaise, entre les buildings de béton et les allées de goudron, toutes les lumières de la ville brillaient.

Chaque éclat, bien qu'artificiel, rendait ce morceau de monde un peu plus beau, et partout où l'on posait le regard, il y avait une lueur. En cette froide nuit de février, New York s'était illuminé de tous ses feux, et ni Elyne, ni Minseo, ne surent détacher leur regard de ce fabuleux paysage.

Elles restèrent ainsi un long moment, emmitouflées et accrochées l'une à l'autre, à admirer la nuit. Un vent frisquet les fit tout à coup frissonner, et les deux filles se serrèrent l'une contre l'autre par réflexe. Elyne ne put s'empêcher de jeter un regard à Minseo, qui tenait toujours fermement la main de sa camarade ; elle semblait hypnotisée par les lumières que renvoyaient les milliers d'immeubles en contrebas. Elle remarqua ensemble le bruit étouffé des klaxons et de la rumeur de la ville, qui se heurtaient cependant au vent hivernal.

Tout semblait cotonneux, et le monde lui-même paraissait étouffé par cette bulle dans laquelle les deux filles s'étaient réfugiées inconsciemment. Cette visite presque improvisée paraissait désormais être une évidence aux yeux d'Elyne, qui se sentait étrangement apaisée.

Était-ce le fait de voir une si grande ville d'aussi haut, qui lui permettait de prendre un véritable recul sur les derniers événements, ou bien peut-être la présence de Minseo contribuait-elle à ce sentiment de sérénité qui lui était auparavant complètement inconnu ?

Elyne ne savait plus trop quoi penser. Une petite voix lui soufflait de lâcher prise, de profiter du moment présent, mais il était difficile de ne pas vouloir tout contrôler. Elle tenta cependant de se laisser aller quelques instants, profitant du silence chaleureux qui les entourait, elle et Minseo, malgré le froid extérieur.

Mais sa bonne résolution fut soudainement entaillée par de fortes vibrations. Elyne sursauta, ce qui sépara précipitamment les mains des deux adolescentes.

Minseo parut tout à coup gênée de la situation et porta ses mains gantées à ses joues refroidies alors que sa camarade extirpait son portable de son sac.

— Allô ? Qui est-ce ? demanda Elyne en retournant dans la salle pour pouvoir téléphoner tranquillement.

Une pointe d'agacement semblait doucement se dessiner dans la voix de la jeune fille. Elyne avait décroché sans regarder de qui venait l'appel, et son cœur battant à tout rompre lui donnait l'impression d'avoir été surprise en mauvaise posture. Alors, lorsque la voix de son père résonna à l'autre bout du fil, elle ne put s'empêcher d'exploser.

— Pourquoi est-ce que tu m'appelles ? grogna la jeune fille sans même saluer son interlocuteur.

— J'avais envie de te parler, de prendre de tes nouvelles ! s'exclama ce dernier un peu trop gaiement. Comment ça se passe, la vie à New York ? Tu as rencontré des américains, tu visites des trucs sympas ?

— Comme si ça t'intéressait, cracha-t-elle en guise de réponse.

L'adolescente sentit ses émotions déborder, comme à chaque fois qu'une conversation la frustrait profondément. Ses yeux devinrent humides, mais elle tenta tout de même de retenir ses larmes. Il fallait bien faire bonne figure au milieu de tous ces touristes.

— Elyne, tu abuses. Je sais que je suis loin d'être un père parfait, mais j'essaie de me rattraper. J'essaie d'apprendre à mieux te connaître, à communiquer avec toi... mais si je suis le seul à faire des efforts, ça ne marchera pas.

Elyne roula des yeux, comme exaspérée par la conversation qui venait pourtant juste de commencer.

— Je m'en fiche, rétorqua-t-elle en serrant les dents. Après toutes ces années à faire comme si je n'étais d'aucune importance à tes yeux, je refuse de te parler juste pour que tu puisses satisfaire ta bonne conscience.

D'un geste tremblant, elle raccrocha au nez de son père. Puis, elle se rapprocha du mur le plus proche et, malgré tous les visiteurs qui allaient et venaient, s'effondra en larmes contre ce dernier.

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