Minseo était descendue rejoindre les adultes responsables de l'auberge de jeunesse dans l'espoir de discuter avec eux et de leur poser quelques questions. Du moins, c'est ce qu'elle avait voulu faire croire à Elyne lorsque, essayant de cacher les larmes qui se formaient dans le creux de ses yeux, elle s'était presque ruée dans le couloir qui reliait toutes les chambres étudiantes entre elles.

La jeune fille se trouvait désormais presque malgré elle dans la grande pièce de vie, au sein de laquelle résonnait des rires et des discussions qui traversaient toutes les barrières linguistiques. Elle s'assit sur un des canapés et tenta de retrouver une certaine contenance, écoutant d'une oreille distraite les conversations joyeusement menées par les autres jeunes autour d'elles. Pour autant, les voix s'estompaient à mesure qu'elle laissait ses émotions prendre le dessus sur sa réflexion.

Elle essuya ses yeux d'un geste rageur, faisant valser les petites gouttes qui s'étaient amassées près de ses iris foncés dans la manche de son gilet. Pourquoi les remarques d'Elyne la touchaient-elles à ce point ? Elle savait depuis le début qu'elle n'était pas la bienvenue, et qu'elle aurait sans doute mieux fait de ne pas partir. Mais tout s'était précipité, faisant de ce projet improvisé une évidence à la fois soudaine et urgente.

Les yeux encore humides, Minseo savoura l'atmosphère de la grande pièce quelques instants, observant de temps à autre les gens qui passaient devant elle sans prêter attention à la jeune fille. Elle n'écouta que sa respiration, se laissant bercer par le flot de paroles et d'échanges un peu flou qui se faisait entendre en arrière-plan.

Le calme semblait avoir de nouveau pris possession de son être, et l'adolescente en fut ravie. Elle remonta alors dans la chambre, prise d'une motivation nouvelle, et récupéra son manteau ainsi que son sac. Assise sur son lit, le dos contre le mur, Elyne faisait semblant de ne pas la voir. Pour autant, lorsque Minseo s'apprêta à sortir de la pièce toute emmitouflée, elle ne put s'empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres :

— Tu vas où ?

— J'en sais rien, lâcha son interlocutrice d'un ton qui se voulait neutre. Ce n'est pas comme si ça t'intéressait de toute manière, si ?

Elyne se sentit comme transpercée par cette dernière remarque acerbe. Minseo avait raison : c'était évident qu'elle ne voulait rien savoir sur cette fille. Ce poids qui pesait sur tout son corps, ce n'était que la conséquence logique de cette étrange curiosité qui l'avait poussée à poser cette question. Ce n'était que pour cette raison, et aucune autre, n'est-ce pas ?

Malgré ses tentatives pour se rassurer quant au sentiment douloureux qui s'installait dans sa poitrine, la jeune fille ne put cependant retenir un léger soupir lorsque sa camarade passa la porte de la chambre. Il était évident que Minseo n'irait pas très loin, et qu'elle allait sans doute explorer un peu les environs avant de rentrer.

Pourtant, Elyne se surprit à se questionner sur son retour. C'était du grand n'importe quoi ! Elle ne savait jamais comment réagir en la présence de sa camarade, se sentant souvent tiraillée entre l'envie de lui en faire voir de toutes les couleurs, et quelque chose... qui ressemblait, contre toute attente, à ce qu'elle aurait pu confondre avec du soulagement, une sorte d'assurance, qui lui soufflait que tout allait bien se passer.

Minseo était à elle seule une petite bulle de confort et de douceur. Et Elyne ne savait pas vraiment si ce qu'elle ressentait n'était qu'une rage mêlée à une pointe de jalousie, ou si elle souhaitait, au fond d'elle-même et sans totalement se l'avouer, qu'elle l'autorisât à rentrer dans ce petit monde fait de nuages et d'étoiles qui avait l'air si confortable.

La jeune fille se laissa choir sur son nouveau lit sans oser déballer ses affaires. Elle alluma alors machinalement son téléphone, à la recherche d'une distraction qui lui ferait oublier la culpabilité qui se mettait peu à peu à ronger son cœur. Les dernières heures s'étaient brusquement enchaînées et rien ne s'était passé comme prévu, offrant à l'anxiété d'Elyne un immense terrain de jeu.

Sauf que la partie était vite devenue terriblement pesante, et que la présence de Minseo avait autant alimenté ses angoisses qu'elle les avait apaisées.

C'était comme si sa camarade de voyage possédait un super-pouvoir un peu spécial et étrange à la fois : cette adolescente lui tapait sur les nerfs, mais il était tout de même difficile de lui en vouloir. Sa conscience semblait prendre plaisir à lui rappeler régulièrement qu'il était bien trop facile de rejeter la faute sur les autres plutôt que de se remettre en question.

Et au fond d'elle, peut-être, Elyne aurait aimé être capable de prendre du recul, de mieux considérer Minseo. Mais c'était trop dur de s'autoriser une telle chose ; Elyne s'était raccrochée à son rêve américain pendant si longtemps, que ce voyage était devenu l'objectif ultime. Elle avait bien rangé les morceaux de son cœur et les bribes de son anxiété au fin fond de son être pour faire semblant d'aller bien. Elle avait travaillé, patienté, négocié, se permettant d'enfouir ses blessures là où personne ne pourrait jamais les retrouver pour rester concentrée.

Pour la jeune fille, ce n'était pas une chance de partir ; elle avait tant donné pour concrétiser ce voyage qu'elle pensait le mériter. C'était pour vivre cette nouvelle vie qu'elle avait encaissé les remarques de sa mère, les nuits de révisions à n'en plus finir, les efforts constants pour prouver qu'elle était assez méritante pour partir.

Elyne avait tout donné, et pas Minseo. Alors, Minseo n'avait pas le droit d'être ici. En apparence, la situation était plus que simple.

Mais il y avait un « mais ». Car Minseo était là, douce, gentille, rassurante. Elle avait de beaux cheveux, un parfum réconfortant, et un sourire grand comme le monde. Et puis, depuis le début du voyage, même depuis leur première rencontre, elle avait pris sur elle. Elle avait supporté les humeurs d'Elyne et pris la situation en main lorsque cette dernière était trop angoissée pour penser à faire quoi que ce soit de pertinent, et surtout, elle avait rendu chaque moment catastrophique un peu moins pesant.

— Elle a été là pour moi, réalisa cette dernière dans un souffle, avant de se rendre compte que prononcer ces mots lui arrachait tristement les lèvres.

Sous sa tête lourde de fatigue et d'émotions, la couette fleurie lui sembla tout à coup particulièrement confortable. Son corps épuisé par les derniers événements et par la nuit passée dans l'aéroport, elle sentit son esprit partir dans des contrées ensommeillées. Elle trouva toutefois la force de lutter et de se lever afin d'aller prendre une douche chaude, avant de retrouver son lit. Il n'était même pas midi, mais New York pouvait attendre.

Lorsque Minseo revint de son expédition, Elyne dormait à poing fermés. La jeune fille se glissa dans leur chambre commune le temps de poser ses affaires, laissant échapper un regard attendri sur sa camarade.

— Repose-toi, souffla-t-elle avant de s'éclipser de nouveau.

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