✧ | 16 - ❝ là au dehors, le monde ❞

Elyne avait passé une bonne douzaine de minutes sur son écran, avant de relâcher l'appareil d'un geste las. Elle regardait désormais sa camarade dormir paisiblement, offrant sa confiance et sa fragilité à cette autre fille, enroulée dans l'immense couverture.

Quelques mèches d'un brun profond tombaient simplement le long des joues de la jeune fille endormie, encadrant son visage avec douceur. Minseo s'était glissée dans le sommeil le temps d'un instant, et les traits de la lycéenne semblaient déjà se détendre au fur et à mesure que son esprit prenait du repos.

Un peu malgré elle, Elyne s'empêcha de replacer les cheveux qui se laissaient tomber jusqu'au sol, tels des cascades d'une couleur intensément obscure, presque fascinante. Un air pourtant paisible affiché sur ses lèvres, Minseo gardait aussi sous ses yeux en amande de légers cernes. Il était difficile de dire si elle avait seulement été remuée par les événements du jour, ou si elle revêtait ce manteau de fatigue chaque jour malgré elle.

Elyne finit par hausser les épaules, puis les sourcils. Peu importait, finalement ; elle n'entendrait plus parler de cette fille dès que Madame Carteau leur aurait déniché de nouvelles familles d'accueil. Et puis, il ne fallait pas oublier que Minseo n'avait pas sa place ici. Elle n'était qu'une pièce rapportée, un banal ajout qui faisait sans doute tout de travers et qu'elle ne se voyait pas supporter plus de vingt-quatre heures.

Pourtant, lorsque le petit corps de Minseo s'approcha de celui de sa camarade, cherchant plus intensément encore le confort et la chaleur du plaid duveteux, Elyne se figea soudainement. L'odeur de camélia qui émanait de ses cheveux parvenait jusqu'aux narines de la jeune fille, transformant ces légers effluves de shampoing en un parfum éphémère qu'elle appréciait définitivement.

A ses côtés, Minseo s'était endormie pour de bon. Tout son être était rythmé par sa respiration régulière, et Elyne écoutait le souffle apaisant qui émanait de sa camarade d'un air serein. Cette nuit était étrange, et assez belle aussi. Même s'il lui était toujours aussi difficile d'accepter tous ces imprévus qui semblaient s'être mis d'accord pour faire de son voyage un cauchemar certain, il était toutefois intéressant de voir quelle tournure il prenait. Si on lui avait dit qu'elle finirait par s'endormir, elle aussi, dans un coin de l'aéroport new-yorkais, en compagnie d'une presque inconnue, elle ne l'aurait sans doute pas cru.

La jeune fille s'était assoupie depuis une petite demi-heure sans même s'en rendre compte. La vive lumière de son écran de téléphone avait cependant perturbé son léger sommeil, et l'éclat bleuté l'avait fait ouvrir ses yeux, non sans mal. Juste à côté d'elle, Minseo dormait toujours à poings fermés, sans même se soucier des quelques voyageurs qui passaient près des deux jeunes filles, pressés de prendre leur vol de nuit. Elyne se redressa sur ses coudes le temps de vérifier son téléphone : aucun message d'Ava ou de qui que ce soit d'autre n'avait frayé son chemin jusque dans ses notifications.

— Tu ne dors pas ? lui demanda une voix ensommeillée qu'elle commençait à connaître.

Minseo se tenait là, ses petits yeux en amande encore tout emplis de sommeil et ses cheveux légèrement désordonnés. L'adolescente s'était véritablement plongée dans un sommeil de plomb, et le retour à leur petite réalité semblait plus difficile que prévu.

— J'ai dormi un peu, répondit Elyne d'une petite voix. C'est pas très confortable, ici.

Sa camarade acquiesça, non sans se recoucher sur le sol du grand hall malgré sa dureté.

— Tu devrais dormir, reprit la jeune fille, non sans chercher ses mots. Moins on sera fatiguées, mieux ce sera.

Elyne hocha la tête d'un air absent. Le lendemain, qui était déjà si proche, s'avérait d'ores et déjà d'une grande complexité. Si Ava n'appelait pas, s'il n'y avait pas de solution, si elles devaient reprendre un vol retour au plus vite et abandonner totalement leurs projets... Toutes ces possibilités semblaient à la fois probables et irréelles, impossibles et imminentes.

Une bouffée d'angoisse prit possession de la lycéenne à mesure que ces pensées se frayaient dans son esprit, sans qu'elle ne puisse rien contrôler. Elle laissa son regard glisser vers Minseo, qui s'était à nouveau plongée dans une dimension onirique et reposante au sein de laquelle Elyne ne semblait pas avoir droit de pénétrer.

Contre toute attente, elle se surprit à espérer que sa camarade se réveille de nouveau et la rassure d'un ton bienveillant. Mais il n'en fut rien, et Elyne resta seule avec la boule de stress qui bloquait sa poitrine et comprimait son cœur. Elle tenta de se focaliser sur l'adolescente qui se reposait devant elle avec un regard serein. Elle tenta de caler sa respiration sur la sienne, de reprendre pied avec la réalité et de prendre conscience de tout ce qui affolait ses sens. Elle tenta de serrer le plaid dans ses doigts, de sentir la fraicheur du sol traverser ses vêtements, de respirer l'odeur du shampoing de Minseo qui planait encore dans l'air. Peine perdue. La jeune fille laissa alors échapper un triste juron, la voix tremblante et les yeux humides, frustrée de ne pas savoir gérer l'impact qu'avaient ses émotions sur elle.

Et puis, Minseo bougea. Son bras frôla celui d'Elyne, qui se figea de surprise face à la vague de douceur qui semblait s'être accroché à sa peau au contact de sa camarade.

Ce fut comme si un simple geste avait calmé la tempête intérieure de l'adolescente. L'eau débordant de ses yeux ne franchissait aucune limite, aucun océan ne se déversait dans son cœur. Un calme plat, juste, paisible, qui ne lui offrait rien d'autre qu'une douce impression de sérénité.

Elyne laissa ses yeux se fermer et son esprit se poser, sans trop d'efforts cette fois-ci. Son avant-bras n'était qu'à quelques millimètres de celui de sa camarade, mais la proximité que les deux filles partageaient paraissait, contre toute attente, d'un naturel évident.

Elle finit par s'assoupir pour de bon, sans même se soucier des bagages qui les entouraient et de l'aéroport qui s'animait peu à peu à mesure que le ciel nocturne se dissipait.

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