✧ | 15 - ❝ au creux de la bulle ❞
L'aéroport, pourtant empli de vie et de bavardages les heures précédentes, ressemblait désormais à une immense salle presque vide, éclairée par les lampes encore allumées pour le reste de la nuit.
Les deux filles avaient épuisé toutes les distractions possibles dans le plus grand des silences : des jeux sur leur téléphone au carnet de gribouillages, du petit festin de minuit qu'elles avaient improvisé avec des biscuits du distributeur au tressage des fils qui dépassaient de l'écharpe, plus rien ne semblait pouvoir les occuper.
L'anxiété qui ne voulait pas les lâcher au départ s'était désormais peu à peu transformée en une lassitude presque mélancolique, qui rappelait l'existence de leur esprit fatigué et de leur corps courbaturé.
Les deux adolescentes n'osaient même pas quitter la douce chaleur réconfortante qui émanait de la grande écharpe de Minseo. Totalement empêtrées dans l'immensité de ce duvet plus ou moins improvisé, elles étaient restées au sol pendant plusieurs heures, ne faisant l'effort d'en sortir que pour se rendre aux toilettes tandis que l'autre veillait sur les bagages.
Mis à part les quelques voyageurs qui traversaient le hall d'un pas vif et déterminé et dont les roulettes des valises raclaient le sol, les deux lycéennes avaient vraiment l'impression d'être seules au monde.
Au-dehors, la ville pourtant habituellement agitée s'était elle aussi calmée. La nuit était profondément entamée, faisant de l'obscurité la reine des lieux malgré les éclairages publics.
Sans vraiment prendre conscience de ses mouvements, Minseo avait recommencé à regarder vers le haut. Le plafond vitré de l'aéroport la fascinait définitivement ; voir le noir du ciel de manière aussi précise, même à l'intérieur, voilà qui était fabuleux. Elle plongea à nouveau dans son petit monde intérieur, mais Elyne tenta de forcer l'entrée de celui-ci, brisant le silence pourtant apaisant qui régnait jusqu'ici.
— Qu'est-ce qu'il y a de si intéressant, là-haut ? demanda-t-elle d'une voix fatiguée, mais légèrement mutine.
— Beaucoup de jolies choses, répondit Minseo sans relever la pique de sa camarade. Et quand on fixe ses yeux sur la lumière, puis sur le ciel tout sombre, on a l'impression que les étoiles – tu vois, ces petits points blancs insignifiants ? – s'étirent et deviennent des pétales.
A ces mots, elle suivit le contour de ces motifs imaginaires du doigt dans un geste doux. Sa camarade l'observait calmement, commentant intérieurement l'étrangeté de cette fille. Mais d'un autre côté, Minseo paraissait aussi emplie d'une poésie rassurante, et la déroutante ivresse que lui procurait la fatigue lui donnait envie de l'écouter.
— Vas-y, lâcha-t-elle soudainement. Parle-moi du ciel.
D'abord étonnée, l'adolescente se laissa pourtant prendre au jeu. Elle aimait observer et décrire ce qui l'entourait, et l'épuisement qui entourait son esprit d'un halo brumeux lui donnait envie de voir le monde d'un nouvel œil.
Portée par l'atmosphère paisible de l'aéroport, elle se mit à compter les étoiles, inventant des histoires entre elles. Celle-ci était liée à un autre astre, et la lune surveillait les plus petites comètes. C'était étrangement reposant.
— Je ne sais plus, finit-elle par s'excuser au bout d'un petit moment. Je suis trop crevée pour faire fonctionner mon imagination correctement.
— C'est pas grave, murmura Elyne, qui avait fermé les yeux pour écouter sa camarade.
Minseo profita de cet instant de calme pour apprécier le comportement de la lycéenne. Elyne avait été détestable avec elle depuis leur rencontre le matin même, et elle lui avait bien fait comprendre qu'elle n'avait pas sa place dans ce voyage. Bien sûr qu'elle s'était ajoutée à la dernière minute, et que cela avait dû être tout sauf facile à accepter pour Elyne. Mais tout s'était précipité, et la jeune fille se voyait mal lui dire maintenant qu'elle n'avait jamais eu l'intention de lui voler sa place et son rêve.
Pourtant, c'est ce qu'Elyne ressentait. L'accablement et la fatigue avaient pris possession de son être, lui faisant oublier la situation pendant quelques instants, mais au fond de son cœur demeurait toujours une triste amertume, qui ne voulait pas oublier cette injustice. Même si, pour le moment, Elyne sombrait peu à peu dans une douce somnolence.
— Oh, regarde ! s'exclama tout à coup sa camarade, tirant la jeune fille de son demi-sommeil.
La tête penchée en arrière, le regard de nouveau fixé sur le plafond vitré de l'aéroport, Minseo montrait du doigt les fenêtres qui commençaient à se recouvrir d'une fine couche blanche.
— Comme c'est beau, ajouta-t-elle dans un sourire.
Elyne ne put s'empêcher d'acquiescer. Ce phénomène, pourtant peu commun pour New York en février, semblait se teinter d'irréel. Les yeux à moitié endormis, mais le cœur bien éveillé, les deux jeunes filles admiraient les flocons s'étaler sur le plafond du bâtiment.
La nuit, qui semblait pourtant affreusement longue au départ, n'était désormais plus inscrite dans une quelconque temporalité. Seule comptait désormais cette soudaine neige venant du ciel, freinée par le toit de l'aéroport, ne pouvant franchir les limites de béton pour atteindre les deux filles.
— J'aimerai bien sortir pour en profiter, mais je n'ai pas la force de trainer nos bagages avec nous, pour l'instant, lâcha Minseo dans un petit rire.
Elyne ne répondit pas, faute de trouver quelque chose d'intelligent à dire. Elle se contenta alors de savourer cet instant hors du temps, découvrant avec étonnement la joie si douce et presque enfantine de sa camarade.
— C'est vrai que c'est beau, finit-elle par exprimer dans un léger souffle.
Minseo se mit à sourire, ravie d'entendre la langue de sa voisine se délier un peu. Cela lui faisait du bien de parler d'une chose aussi insignifiante, après toute la tension, puis le silence, qui avaient orchestré leurs derniers échanges.
Dans un élan soudain, elle s'allongea à même le sol, prenant son sac en guise d'oreiller. Le mouvement de la jeune fille entraîna celui de l'écharpe, puis, par ricochet, celui d'Elyne, qui l'imita sans même comprendre pourquoi. Les deux adolescentes se retrouvèrent sur le dos, toujours enrubannées dans le plaid duveteux, avant d'échanger un regard presque complice.
— On devrait peut-être dormir quelques heures, non ? glissa Minseo avant d'étouffer un bâillement.
— Dors si tu veux, lui répondit Elyne d'un ton neutre. Je surveillerai nos affaires.
Sa camarade prit ses paroles au pied de la lettre, et souffla un remerciement avant de se pelotonner dans sa couverture d'une nuit. Ses yeux se fermèrent bien vite, et il ne lui fallut que quelques minutes pour plonger dans un abîme réconfortant de sommeil.
Elyne l'observa quelques instants, avant de prendre son téléphone pour s'occuper l'esprit.
Passer la nuit à l'aéroport avec cette fille détestable, ce n'était pas prévu dans son voyage de rêve. Si elle avait su que leur arrivée se déroulerait ainsi, elle se serait sans doute enfermée dans une de ces rages qu'elle connaissait si bien.
Pour autant, la sensation nouvelle que procurait cette situation n'était pas si désagréable. Mieux encore, elle était d'une douceur terriblement réconfortante.
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