Une boule d'angoisse se formait peu à peu dans la gorge des deux filles à mesure que leur responsable parlait, faisant monter la pression et la panique d'un cran.

— Vous voulez dire qu'on est toutes seules à New York ? Sans endroit où dormir ? Mais qu'est-ce qu'on va faire ? explosa soudainement Elyne d'une voix désespérée.

A l'autre bout du fil, Ava Carteau semblait tout aussi inquiète qu'elle. Elle tenta cependant de garder son calme et de rassurer les deux adolescentes.

— Je ne comprends pas comment ça a pu se produire, les filles, je suis vraiment désolée ! lâcha la jeune femme. Je vais contacter l'organisme des familles d'accueil pour vous trouver un hébergement d'urgence. En attendant, ne quittez pas la zone d'embarquement de l'aéroport, il y fait plus chaud qu'à l'extérieur et vous serez en sécurité ! Et n'hésitez pas à vous acheter à manger dans les distributeurs, je vais vous faire un virement.

Minseo écoutait distraitement la conversation qui avait été mise sur haut-parleur, jetant un œil inquiet à Elyne. Sur le sol froid de l'aéroport, sa camarade bouillonnait, ne sachant pas vraiment comment contrôler la rage qui grondait en elle. Après tout, cela était compréhensible ; Elyne devait avoir l'impression que ce voyage dont elle avait tant rêvé prenait une tournure désastreuse. Déjà qu'elle devait supporter une pièce rapportée...

Prise d'un léger frisson, Minseo ouvrit sa valise. Puisqu'elles allaient devoir rester ici pour une durée encore indéterminée, il lui semblait naturel de se mettre à l'aise. La jeune fille avait déroulé sa longue écharpe, qui était restée sagement pliée au milieu de ses affaires jusqu'ici. C'était la fin d'après-midi, mais le souffle froid de ce mois de février s'engouffrait dans le hall de l'aéroport à intervalles réguliers à mesure que les autres voyageurs allaient et venaient, et elle préférait éviter de tomber malade à peine arrivée.

Minseo s'enroula ainsi à l'intérieur de son plaid improvisé alors qu'elle était toujours assise à même le sol. Désormais debout, en face d'elle, Elyne faisait les cent pas sans réussir à se calmer.

— Elyne, écoute-moi, répétait sans cesse la voix d'Ava grésillant dans le haut-parleur. Je m'occupe de vous trouver au mieux, une autre famille d'accueil, et au pire, une autre structure d'hébergement. Je connais quelques auberges de jeunesse, je devrais pouv...

L'adolescente ne la laissa pas finir sa phrase et raccrocha sans réfléchir, coupant rageusement court à la conversation. Cela commençait à faire beaucoup ; comment ce voyage, qui s'avérait pourtant absolument parfait, avait pu tourner aussi vite au cauchemar ?

La réponse sembla s'imposer d'elle-même lorsque ses yeux se posèrent sur Minseo. La lycéenne semblait calme et innocente, et c'est ce qui rendit Elyne encore plus folle de rage. Dévorée par une angoisse qu'elle ne savait gérer, elle n'avait pas d'autre choix que d'accuser quelqu'un. Car après tout, il n'y avait pas d'autre explication.

Alors même que les deux filles ne se connaissaient que depuis peu, Minseo lui gâchait la vie.

Elyne tentait de canaliser l'anxiété qui enserrait de plus en plus sa poitrine en faisant porter le chapeau à sa camarade. Cette situation allait la rendre folle ! Poussée par l'angoisse qui la rongeait de plus en plus, elle transforma cette terrifiante émotion en quelque chose qu'elle pensait pouvoir mieux contrôler : une profonde rancœur, qu'elle se voyait déjà vouer à la jeune fille assise juste en face d'elle.

Pour autant, il allait être difficile mais inévitable de passer les prochaines heures aux côtés de sa camarade. Avec un peu de chance, Ava trouverait un moyen de loger les deux filles d'ici le début de soirée. Il fallait juste attendre, et bien qu'Elyne ne se sentit pas vraiment capable, elle finit par se laisser tomber au sol, résignée.

La nuit tombait relativement tôt, encore marquée par le temps hivernal, et même si le nombre de voyageurs présents dans le grand hall s'était drastiquement réduit, il y avait encore une effervescence certaine qui animait les lieux. Minseo écoutait le léger bourdonnement qui servait de bruit de fond, attrapant quelques morceaux de conversations ça et là.

Elle observait les gens passer, s'arrêter, passer les barrières de la zone d'embarquement puis sortir à l'extérieur, tandis qu'elle s'était confortablement enfermée dans sa bulle pour éviter de trop penser à la situation quelque peu stressante qu'elle vivait. Après tout, il fallait relativiser ; son corps avait l'habitude de subir bien pire que le froid et l'inconfort.

Les heures tournaient sans qu'Ava ne rappelle aucune des deux jeunes filles. Déjà, les plafonds vitrés de l'aéroport laissaient apparaitre de nombreuses petites étoiles, quoique peu visibles à cause de la lumière qui se dégageait du bâtiment. Le visage apaisé, Minseo se laissait aller à cette observation de minuscules points blancs, presque transparents, la vision à moitié éblouie par l'éclairage artificiel de l'aéroport. Ses yeux, qui se baladaient entre la vue du ciel et les vives lumières du hall, lui faisaient voir mille couleurs qui clignotaient autour de ces minuscules astres qu'elle admirait depuis le sol.

Elle sortit cependant brusquement de sa rêverie rassurante lorsqu'Elyne, qui était partie s'acheter des barres chocolatées, s'assit de nouveau à ses côtés sans un mot. La jeune fille semblait plus ou moins tranquille, si l'on omettait le fait que plusieurs de ses ongles étaient rongés jusqu'au sang et que la peau de ses lèvres avait plus ou moins subi le même traitement. L'adolescente regardait ailleurs, sans vraiment savoir ce qu'elle cherchait, et Minseo s'en voulut un peu de l'avoir laissée seule. Elle qui avait l'habitude de canaliser ses émotions en se plongeant dans une petite bulle dont elle seule avait le secret voyait désormais qu'Elyne ne gérait pas du tout la situation de la même manière.

— T'inquiètes pas, Madame Carteau va trouver une solution, lui glissa-t-elle dans un sourire qui se voulait sympathique.

Pour toute réponse, Elyne haussa les épaules. C'était difficile de relativiser alors que son cerveau restait bloqué sur cette rancœur déroutante, et que sa poitrine ne se soulevait qu'au rythme d'une anxiété qui devenait de plus en plus dense à chaque seconde.

Sa camarade ne savait trop quoi dire pour tenter de lui remonter le moral, mais elle sembla toutefois prendre conscience de la détresse qui animait la jeune fille, qui tirait nerveusement sur les petits morceaux abîmés de ses lèvres sans pouvoir s'arrêter.

Dans un geste soudain, mais bienveillant, Minseo déplia un peu plus sa longue écharpe duveteuse et posa l'autre extrémité sur le dos de sa camarade. Cette dernière, d'abord un peu méfiante, lui lança un regard interrogateur, avant de pousser un léger soupir, presque imperceptible.

— Je crois qu'on va devoir passer la nuit ici, alors... commença la jeune fille en ajustant le plaid pour se tenir au chaud.

— Merci, la coupa sèchement Elyne.

Un peu surprise par le ton rêche de la lycéenne, Minseo s'arrêta un instant dans son geste. Puis, elle se remit à s'enrouler dans le plaid, prenant garde à en laisser suffisamment à sa camarade, qui fit de même.

Lorsque les deux filles furent confortablement installées dans leur couverture de fortune, il était déjà tard. Ava Carteau avait sans doute fait de son mieux pour trouver une solution, mais le temps avait passé, et il était près de deux heures du matin en France.

Les deux adolescentes n'avaient donc d'autre choix que de patienter, encore et encore. Pour autant, la chaleur du plaid les enveloppa, et à leur grande surprise, l'attente devint un peu plus confortable.

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