✧ | 08 - ❝ quitter le cocon ❞
C'était un mardi soir étrangement mélancolique pour Minseo, auquel se mêlait tendrement une pointe de gaieté. La jeune fille fixait sa valise bleue comme s'il s'agissait d'une nouvelle amie. Quoique, cela allait être le cas ; elle allait l'emporter avec elle pour trois mois consécutifs de l'autre côté de l'Atlantique pour un autre monde empli de nouveautés.
C'était bizarre de penser au départ qui approchait : depuis que ses parents avaient signé l'accord qui l'autorisait à sortir du territoire dans le cadre de son voyage d'échange, tout s'était accéléré d'un seul coup. De nombreux mails, la recherche de son passeport enfoui dans un tiroir de sa chambre, la pile de vêtements qui envahissait sa chambre depuis vingt-quatre heures... Son départ devenait réel. Mais contrairement à d'habitude, Minseo se sentait plutôt légère. L'excitation de la découverte prenait le pas sur l'angoisse coutumière, et cela lui faisait le plus grand bien.
La voix de sa mère résonna jusqu'à l'étage, annonçant le repas. L'adolescente laissa le tas d'affaires en tout genre qu'elle avait commencé à rassembler pour descendre dîner avec sa famille. Son père était déjà installé à table, sirotant un verre de vin sans se soucier des trois garçons et des deux filles qui couraient vers la cuisine, le ventre vide.
Minseo descendit d'un pas tranquille, observant sa grande fratrie. Elle sentit son cœur se serrer légèrement. Même si elle n'était pas très proche d'eux, ils allaient définitivement lui manquer. Elle avait beau être la grande sœur modèle, celle sur qui les parents comptaient toujours, cela lui ferait du bien de quitter un peu ce rôle et de profiter d'une véritable indépendance.
— Alors, tu pars jeudi ! C'est bientôt, remarqua Jinho, son petit frère de sept ans, avant de se servir une énorme part de gratin.
— C'est bien ça, répondit doucement la jeune fille. Je vous ramènerai des souvenirs !
— Tu vas revenir quand ? demanda Yoona, la benjamine de quatre ans.
Minseo la regarda d'un air attendri. Elle avait bien compris qu'elle allait partir, mais de là à ce qu'on attende son retour... La remarque de sa petite sœur lui faisait vraiment chaud au cœur.
— Je rentre dans trois mois, au mois de mai. Je serai vite de retour, ne t'inquiètes pas, lui glissa-t-elle gentiment.
— Pile pour le printemps ! s'exclama la fillette d'un air enthousiaste.
Yoona avait raison. Pour le moment, le mois de février était encore laid et froid, et elle quittait la France dans ses mois les plus tristes. Peut-être que les Etats-Unis étaient dans le même état, l'hiver ? Ou bien s'agissait-il d'un pays capable de surmonter les météos les plus mornes et de sublimer les paysages les plus misérables ? Elle n'en savait rien, et c'était ce qui lui plaisait le plus dans cette aventure qui s'offrait à elle. Pour une fois, il n'y avait pas d'enjeux, si ce n'était que de profiter de ce voyage et d'apprendre, sans pression aucune.
— Minseo, je compte sur toi pour continuer de bien travaille, même quand tu seras là-bas. N'oublie pas que tu as des cours équivalents, lâcha son père d'une voix sèche, cassant la douce atmosphère qui s'était pourtant installée dans la pièce.
Passer le repas sans remarque désobligeante de son père, cela aurait été trop beau. Pour autant, Minseo garda ce sentiment de contrariété au fin fond de son cœur ; ce n'était pas le moment de se rebeller.
— Je travaillerai dur, ne t'en fais pas. Je deviendrai même bilingue en anglais, déclara la jeune fille à travers un sourire amer.
Taesung acquiesça d'un air satisfait. Sa fille devait être la meilleure possible. C'était l'ainée, la plus grande, la plus à même de cocher toutes les cases de la perfection. Il fallait qu'elle réussisse, qu'elle fasse de son mieux à chaque seconde. Ainsi, elle rendrait toute la famille fière, tout en servant de modèle à ses jeunes frères et sœurs. S'il lui imposait cette réussite, c'était pour son bien, peu importe le prix de celle-ci. Et puis, quand il estimait qu'elle aurait pu faire mieux, il laissait partir un ou deux coups. Comme son propre père.
C'était pour son bien, n'est-ce pas ? Après tout, lui-même s'était bien remis de ses violences paternelles sans grande séquelle. Au contraire, les coups l'avaient fait grandir : il avait compris qu'il était toujours bon de tenter de faire mieux. Il n'y avait rien de mal au perfectionnisme, surtout dans la Corée de sa jeunesse, où l'excellence scolaire et l'honneur de la famille importaient plus que n'importe quoi d'autre.
Quand il frappait Minseo, il donnait l'exemple. Et puis, la jeune fille s'améliorait et tentait de devenir meilleure. Généralement, c'était efficace. Après tout, ce n'était pas méchant ; il s'agissait seulement de sa façon de la pousser à aller plus loin.
En partant aussi soudainement à l'autre bout de la Terre, Minseo allait grandir. Elle allait devoir se débrouiller, et c'était très bien comme ça. De toute manière, il fallait bien qu'elle apprenne à se dépasser toute seule, sans une pression extérieure. Même si, selon Taesung, c'était son rôle de père qu'il appliquait, de la même manière que son propre père l'avait fait grandir.
— Tout va bien, Minseo ? interrogea brusquement Hana. Tu es inquiète pour le voyage en avion ?
Sa fille haussa les épaules et entreprit de faire disparaître la légère peine qui s'était subtilement inscrite sur son visage. L'avion, c'était une chose. La menace d'un quelconque échec qui courait derrière elle, même en quittant la France, c'en était une autre.
Son père avait réussi à entacher son humeur et à la faire angoisser de nouveau. Après tout, elle pouvait tout rater, même en étant sur un autre continent, et ce dernier ne le lui pardonnerait sans doute jamais. L'adolescente n'avait même pas l'impression d'être trop dure envers elle-même ; maintenant que le doute s'était infiltré dans le creux de son esprit, ses pensées restaient tournées vers cette lourde notion d'échec, qui semblait revenir la perturber au galop chaque fois qu'elle pensait l'avoir chassée de son esprit.
— Tu vas voir, ça va être super, la rassura sa mère en replaçant la fine frange de sa fille. Même si j'aurais bien aimé te garder ici, tu vas vivre une expérience différente et très enrichissante, j'en suis sûre !
— Merci Umma, répondit Minseo sans grande conviction.
La jeune fille prétexta ensuite une fatigue soudaine, qu'elle justifia par les préparatifs précipités du voyage qui l'attendait. Elle se sentait souvent surmenée, et l'anxiété qui logeait dans sa tête ne facilitait pas les choses, mais l'accablement qui la frappait le soir était bien plus puissant.
Après une douche chaude réconfortante, elle se glissa dans son lit dans l'espoir de faire taire les doutes qui grignotaient son esprit, sans grand succès. Deux heures passèrent ensuite avant qu'elle ne succombe au sommeil, épuisée.
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