✧ | 07 - ❝ les rêves ne se partagent pas ❞

La porte claqua derrière la jeune fille, et le sac de cours d'Elyne vola soudainement à travers le vestibule de la maison de son père. Pour une fois, ce dernier était présent, tranquillement installé sur son canapé d'angle rouge vermillon, un verre à vin dans une main et le programme télévisé dans l'autre.

— Tout va bien ? s'enquit-il d'un air confus face au boucan soudain provoqué par son enfant.

Elyne entra dans le salon, la tête emplie de pensées négatives. L'annonce d'Ava rongeait petit à petit tout son être à mesure qu'elle voyait son rêve américain se décomposer en une fumée âpre. Sa bourse d'études à l'étranger avait été la dure récompense d'un investissement considérable et d'une patience acharnée. Elle avait tout donné en cours afin d'obtenir le feu vert de ses professeurs, tout était planifié depuis si longtemps ! Et pourtant, elle allait devoir supporter une autre fille tout le long de son voyage.

Comment était-elle censée partager ce dont elle rêvait depuis toujours, avec une petite prétentieuse qui avait obtenu une autorisation de partir en un claquement de doigts ? Non, décidément, elle ne comprenait pas ce qui avait bien pu se passer dans la tête d'Ava Carteau.

Depuis qu'elle avait été embauchée par le lycée, la conseillère d'orientation avait toujours été quelqu'un de compréhensif et de bienveillant, qui se souciait vraiment du bien-être et des projets des élèves. Alors, pourquoi lui imposer la présence de cette fille dont elle ne connaissait même pas le nom ? N'avait-elle donc pas compris que ce voyage lui tenait à cœur plus que n'importe quoi ? Pire encore, qu'il s'agissait de la seule chose à laquelle Elyne se raccrochait dans sa petite vie insipide ?

— Je vois bien qu'il y a un problème, lâcha tout à coup son père d'un ton hésitant. Et je sais qu'on a un peu de mal à communiquer, tous les deux, mais tu peux me parler, enfin si tu le veux, bien entendu.

Les yeux de la jeune fille, déjà humides, se remplirent d'une nouvelle couche de larmes qu'elle ne put complètement retenir. Lenny était en face d'elle, toujours sur le canapé. Devait-il se lever et aller la réconforter ? Son cœur de père lui soufflait de se préoccuper d'Elyne, qu'il n'était pas trop tard pour lui accorder l'attention et l'affection dont il n'avait jamais su faire preuve auparavant. Mais les mots prononcés la veille résonnaient encore dans tout son être, et il se rendait bel et bien compte que la distance qu'Elyne avait toujours mis entre ses émotions et lui ne pouvait pas être franchie aussi facilement.

Il resta figé quelques secondes de plus, tiraillé entre ces deux options qui lui déchiraient le cœur. Voir sa fille pleurer sans se sentir légitime de la consoler, voilà qui était difficile, même pour le plus mauvais des pères.

Les larmes d'Elyne eurent cependant raison de toute animosité que la jeune fille pouvait encore ressentir envers Lenny. Elle le rejoignit sur le canapé sans un mot, trop occupée à essuyer des sanglots qui se reformaient une demi-seconde plus tard. Et puis, elle se blottit dans les bras de son père. Comme elle avait toujours voulu le faire.

Un peu surpris, Lenny ne sut pas vraiment comment réagir. Mais les sursauts et les reniflements d'Elyne étaient si troublants, si emplis d'émotion, qu'il ne put que la serrer délicatement dans ses bras.

A cet instant précis, il se sentit comme un véritable père.

Il laissa l'adolescente pleurer tout son saoul. Le cœur au bord des larmes et les yeux mouillés, l'homme tenait tendrement sa fille, sans oser la brusquer d'une quelconque manière. Il ne connaissait pas la raison qui la mettait dans cet état ; il savait seulement que son rôle, en cet instant, était d'être présent pour Elyne. Il lui devait bien ça.

Ils restèrent blottis l'un contre l'autre quelques minutes encore, tandis que les pleurs de la jeune fille se calmaient petit à petit. Puis, Elyne se redressa et essuya définitivement ses joues d'un geste rageur. A mesure qu'elle laissait les mots couler, sa colère se mua peu à peu en haine. Lenny l'écoutait attentivement, sans un bruit.

— Je sais bien que je réagis comme une gamine, avoua-t-elle d'un air triste. Mais ça me fait mal de me dire que je n'ai finalement pas le droit de profiter de la seule chose qui m'ait été accordée à moi et moi seule, pour une fois !

Son père l'observait d'un œil concerné. Il aurait voulu lui dire de voir le verre à moitié plein et de considérer la présence de cette fille comme une chance de faire une nouvelle rencontre. Et puis, cela le rassurait presque quelque ne se retrouve finalement pas seule dans cette aventure inédite qu'allait être ce voyage à l'autre bout de l'océan. Mais il devinait bien que ce n'était pas ce que l'adolescente avait envie d'entendre à ce moment précis.

Alors, il se contenta d'être là, et de la soutenir à travers ce contact physique tendre et affectueux dont il n'avait jamais compris la signification auparavant. Puis, de peur de gâcher ce moment que sa fille lui accordait – et que lui aussi, il faisait l'effort de faire durer – il attrapa son téléphone posé sur la table basse juste devant lui avant de le tendre à Elyne.

— Je te laisse commander ce que tu veux à manger.

L'adolescente acquiesça en prenant l'appareil des mains de son père. C'était évident qu'elle lui en voulait toujours, et que la brûlure causée par ces années de solitude lui faisait toujours mal. Cependant, et aussi surprenant cela soit-il, Lenny faisait des efforts. Peut-être prenait-il sur lui pour lui offrir cette affection à laquelle elle n'avait pourtant jamais vraiment eu droit auparavant ? La jeune fille n'en avait aucune idée. Pourtant, même si le comportement de son père semblait avoir changé du tout au tout en très peu de temps, elle était bien trop fatiguée émotionnellement pour tout remettre en question. Pour une fois, elle se laissait aller à la douce et rassurante chaleur qui émanait de celui qui avait toujours été son père en faisant défiler la liste des repas prêts à être livrés.

Son choix s'arrêta sur des spécialités asiatiques. Elle rendit ensuite le téléphone à son propriétaire tandis que Lenny lançait le téléviseur afin de choisir un film à regarder. Profitant du fait que l'homme soit concentré sur sa tâche, Elyne observa le fin visage de son père. La même forme de visage, les mêmes yeux arrondis, la même tignasse couleur écorce. Ils se ressemblaient indubitablement.

Bien sûr qu'il y avait encore ce petit quelque chose qui bloquait dans le cœur d'Elyne. Mais ce soir-là, sa peine était telle que la compagnie de son paternel lui procurait un véritable apaisement. Elle profita donc de cette soirée reposante, laissant de côté son tourbillon intérieur pour quelques heures, avant de se mettre à sommeiller.

Lorsque la jeune fille se réveilla, elle ne sentit que deux choses : la tiédeur de la couverture qui recouvrait son corps, et la présence lénifiante de son père, qui dormait à l'autre bout du canapé.

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