Trente-six. (2)
Lorsque Rufus a fini de me donner les nouvelles par rapport au carnage de ma folie, j'en étais resté abasourdi. En tout, il y avait une douzaine de blessés, tous minimes — cependant c'était déjà beaucoup trop. Les moniteurs avaient décidé de faire une réunion d'urgence avec nos parents et tuteurs à la fin du camps, afin de les informer des différents imprévus rencontrés. J'avais une grâce énorme car je n'étais pas expulsé, j'allais attendre dans deux jours comme tout le monde avant de rentrer à la maison.
D'après Ruf, l'atmosphère était électrique et très sensible au-delà des murs de la chambre blanche qui m'abritait. Une petite étincelle, et sûrement les uns sauteraient aux cous des autres. C'était l'une des raisons pour lesquelles il préférait rester en ma compagnie. Il disait être prêt à faire pleuvoir des poings si quelqu'un osait me critiquer devant lui. Ce n'était pas juste parce que je méritais toute cette animosité. Mais le cœur et les pulsions sont dépourvus de sens, et bien qu'il savait que je m'étais mal comporté, Rufus était toujours là pour moi, une constante, un rappel perpétuel que ma soi-disant solitude n'était qu'un leurre de mon esprit pour me tourmenter. J'essayais, à présent, de distinguer mes vraies pensées, de celles qui ne venaient que pour rabaisser, m'isoler, et me soumettre à ma maladie.
En regardant Rufus attacher sa queue-de-cheval, j'ai compris la chance que j'avais de l'avoir, lui. Il était si bête quand il voulait me faire rire, il connaissait les moyens de m'apaiser par ses paroles intelligentes. Il me soutenait et n'avait pas peur de se salir les mains pour me sermonner et me ramener à la raison. D'aussi loin que mes souvenirs me le permettaient, Rufus était là, souriant tantôt, triste, insouciant, endeuillé, malade, confiant. Lui sous toutes ses facettes. Je ne savais pas si je méritais un frère comme lui, et j'évitais de me poser la question. Je voulais juste profiter, saisir ce sentiment de reconnaissance, de joie, et d'amour qui pressait mon muscle cardiaque. Contraction, relâchement. Contraction, relâchement. Contraction, relâchement.
— Tu vas p't-être dire que j'ai pas besoin de te remercier, j'suis pas d'accord, ai-je dit, mon être entier luisant de reconnaissance et de paix malgré la discorde que j'avais causé. Tu m'as sauvé, Rufus. Tu mérites carrément une palme d'or pour ça, et plus encore. Je sais même pas comment te remercier, ai-je ri en bougeant légèrement sur le matelas.
Il a soutenu mon regard — le meilleur langage au monde — avant de me faire un énorme sourire qui a mangé tout son visage, illuminé des iris, creuser des rides de joies et renforcer mon pressentiment : Ruf était véritablement mon âme-soeur. En amitié seulement.
— Tu pourrais peut-être appeler ton premier gosse Rufus ? Mais je dis ça, je dis rien.
Il a bougé ses sourcils d'un air très douteux qui m'a aussitôt éclater de rire. Et s'il a essayé de se retenir en mordant sa lèvre inférieure, il m'a vite suivi dans mon euphorie. C'était égocentrique de baigner dans cette ambiance joyeuse sachant tout le désastre que j'avais occasionné. Et bien que les remords ont fait tressaillir mon palpitant, j'ai tenu bon. J'avais décidé de m'abreuver de bonnes émotions, de joie et de rire. Ils étaient parfaits pour remplir mon cœur.
Doucement, nos rires se sont calmés et ont fini par devenir un écho lointain. Mes battements cardiaques ont repris un rythme normal, et j'ai inspiré, profondément. Les souvenirs de Yanaëlle et moi, pliés par l'hilarité, ont éclairé ma mémoire. Je revoyais ses joues rouges, l'éclat pétillant dans l'onyx de ses yeux, sa respiration hachée, et son rire... La plus belle musique au monde. Une ode au bonheur et la mélodie sur laquelle mon cœur aimait danser. Il suivait la cadence, s'accélérait tantôt, ralentissait souvent. Mon amour pour elle m'a semblé plus clair que l'eau la plus pure, presque translucide, je ne pouvais plus le cacher ou l'éviter, il serrait ma gorge en cet instant. Je l'aimais, elle et toutes les fibres qui composaient son âme, tous les atomes de son corps, tous les recoins de son esprit futé. J'aimais sa personne entière. J'en étais raide dingue même.
Cependant, j'avais déconné. Je devais m'agenouiller devant elle et quémander son pardon. Tant pis si elle m'humiliait, je n'avais jamais eu d'égo de toute manière. Et tant pis si elle préférait me quitter — ce qu'elle allait sûrement faire. Je me noyerai dans le chagrin, mais avec la sérénité qu'elle m'aura pardonné cet acte abominable.
Je me suis gratté le menton, hésitant à demander de ses nouvelles, tout en étant impatient jusqu'à avoir les doigts tremblants. Finalement, j'ai très vite tranché.
— Tu ne m'as pas parlé de Yanaëlle, ai-je chuchoté en fermant les yeux.
J'avais eu vent que Debby était passée me voir. Aussi angélique, elle devait s'inquiète pour moi, voir si j'allais bien pour mieux me tuer plus tard. Debby était peut-être mon amie, or le lien entre elle et sa colocataire était bien plus étroit.
Rufus a soupiré en tirant sur l'une de ses mèches noires d'ivoire.
— Sincèrement ? J'en sais rien. Elle a perdu connaissance quelques minutes et était allée à l'infirmerie. Je ne suis pas allé la voir. J'espère qu'elle va bien.
— Est-ce qu'on peut aller bien dans ce genre de situation ?
— C'est vrai, a-t-il profondément soupiré. Vous devez parler.
— Dis... toi tu laisserais ta petite sœur rester avec un mec qui l'a tapé ?
Son silence lourd d'explication m'a réconforté et tourmenté à la fois. D'une part, je savais que ma relation avec Yanaëlle venait de se terminer, que c'était la meilleure chose à faire. Mais d'autre part, la plus grosse des parts, je désirais ardemment qu'au contraire, elle reste avec moi. C'était purement égoïste, cependant je n'arrivais pas à me retirer l'idée de ne plus être avec elle. Ce n'était plus dans les capacités.
— Je suis désolé, s'est-il contenté de dire, lui le mec si franc.
— Je sais, je sais, ai-je souri, ou du moins essayer vainement.
— Je t'ai apporté des fringues pour te changer. Maman te réclamait au téléphone.
— Maman ? Au téléphone ? Mais il n'y a pas de réseau ici.
— Si. Seulement dans le bureau des moniteurs.
Mon sang s'est glacé quand j'ai pris conscience que j'allais sortir de cette pièce devenue réconfort émotionnel. Je n'avais pas envie, de subir les regards, le jugement, les murmures, bien mérité je le sais. Mais je ne voulais pas.
— J'sais pas si...
— Il n'y a que les moniteurs actuellement, tous les campeurs sont confinés. Je ne pense pas qu'ils vont te jetter la pierre, et puis de toute façon tu vas pas crever ici. Le premier pas vers la guérison, c'est l'acceptation, Thim. Tu vas pas fuir les conséquences de tes actes.
Une montée de chaleur est remontée jusqu'à mes joues et mon cou. Il avait raison. Il avait tellement raison. Et ça me faisait peur, tout de même. Ne pas fuir, c'était vraiment un truc de super héro.
— Je... je sais. D'accord, ai-je soufflé.
— Super ! Je t'accompagne, non ?
— Hmm.
Je me suis levé pour prendre les vêtements posés au sol : un pantalon de jogging gris et un grand t-shirt blanc, vieux, délavé et tachée de peinture. C'était mon t-shirt préféré, quasiment le seul que j'avais. J'ai été encore pris d'une grande reconnaissance vis-à-vis de Rufus. Il savait comment me mettre à l'aise.
— Prêt ? a-t-il demandé lorsque j'ai enfilé mon haut.
— Oui.
Nous sommes sortis. Comme il l'avait dit, personne ne rôdait dans les couloirs et les quelques-unes qu'on avait croisé avait le regard teinté de compassion et de gentillesse. C'était très improbable sachant que c'était la deuxième fois que je leur créais des problèmes, la troisième si on comptait la bagarre avec le mec artistique. Je pouvais être une véritable source de problème, comme je pouvais tout aussi provoquer de la joie et du bonheur. L'être humain était à la fois le couteau qui tranchait, et le pansement sur la plaie.
Lorsque nous sommes entrés dans la salle des moniteurs, M.Bowers était derrière un grand bureau en bois massif, un téléphone sur l'oreille. Il avait l'air serein et parlait calmement tout en m'examinant du regard. Mes pieds nus sur le carrelage commençaient à se chauffer.
— Tiens, il vient d'arriver. Je lui passe le téléphone ? a-t-il dit en me faisant signe d'approcher avec sa tête.
Stressé, j'avais compris que c'était maman, j'ai obéi et pris l'appareil. À peine la respiration agitée de maman m'est parvenu que j'ai senti la chair de poule se répandre sur moi. Maman. Ma maman. Un soulagement très grand m'est tombé dessus à l'instar d'une vague qui avaleun château de sable.
— Mon chou carotte, c'est bien toi ?
Le surnom de mon enfance m'a fait glousser. Et j'ai à peine remarqué le départ de mon meilleur frère et du moniteur.
— Ouais, m'man, c'est moi.
Je l'ai entendu étouffer un sanglot.
— Je suis affreusement heureuse d'entendre ta voix, chou carotte ! Si tu savais ! Je m'en veux aussi de t'avoir laissé seul là-bas, d'avoir écouté Clément plus que tes désirs. Toute cette histoire de camp loin de moi, c'était...
— Non ! l'ai-je interrompu, fermement. J'ai aimé être ici, m'man. J'ai grandi, j'ai appris et j'ai mûri. Je ne nie pas que c'était difficile au début, mais au final, je suis meilleur qu'hier. Je me suis un peu ouvert au monde, et c'était ce que tu voulais pour moi.
C'était vrai. Je comprenais pourquoi maman voulait que je parte, pas pour se débarrasser de moi, elle voulait que j'affronte le monde, que je sorte de ma zone de confort, que je fasse des rencontres, que je grandisse. Et je l'avais fait au cours de ces presque trois mois. J'avais tant appris, j'avais l'impression d'avoir vécu une seconde vie. Tout ce que j'avais vécu dans cet endroit allait forger ma personnalité, bâtir mon futur. Et tout ça grâce à elle. Elle aimait peut-être un salaud, mais elle n'en restait pas moins une bonne mère.
— Tu es sûr ? Tout ce que j'ai appris ne m'a pas l'air particulièrement réjouissant...
— Oui, ai-je acquiescé, j'ai compris beaucoup de choses. Je veux me soigner pour de vrai, m'man, je veux lutter et guérir.
— Tu veux revoir le psy ? a-t-elle demandé et l'espoir gonflait chacune de ses syllabes.
— Carrément. Je ne veux plus jamais faire du mal comme je l'avais fait.
— Je vois.
— Je suis tellement désolé...
— Je le sais aussi. Je prie tous les dieux du ciel que ce soit la dernière fois que tu perds le contrôle ainsi, chou carotte. Tu as reçu une meilleure éducation.
— Je sais et je te le promets.
— Un homme qui ne tient pas ses promesses n'est pas un homme de valeurs, a-t-elle récité, et j'aurai juré l'avoir vu hocher la tête.
— Oui.
— Tu devras t'excuser devant tous ces gens.
— Ouais.
— Je me sens coupable tout de même de ton arrivée là-bas.
— T'as pas à ressentir tout cela, t'es la meilleure mère de tous les temps. T'es ma mère préférée !
— Tu le penses vraiment ?
Elle m'a semblé tant surprise que je m'en étais voulu. Si elle ne me croyait pas, c'était que je ne lui avais pas assez prouvé son importance dans ma vie.
— Bien sûr. T'es géniale !
— Oh mon Dieu, j'étais supposée te consoler et maintenant c'est toi qui le fais.
— On peut se soutenir mutuellement, ai-je dit en regardant le plafond.
Et je me sentais bien. Un peu alourdi par la culpabilité, cependant j'avais une bonne foi en ma guérison.
— Oui, tu as raison. Alors ça va ?
— Ça ira mieux.
— D'accord. Sois fort mon chou carotte.
— Oui.
— Tu me manques. À très bientôt, prends soins de toi.
— Toi aussi, m'man. Je salue Mamie.
— Je lui ferai savoir. Aurevoir, mon chou carotte.
— Aurevoir maman.
Je me suis un peu abreuvé de sa respiration avant que la communication ne se coupe. Parler avec elle n'était pas aussi difficile que prévu et cela m'a permis de constater que je n'étais plus le Thimoé en colère contre elle, jaloux de la partager. Évidemment, le salaud ne méritait pas ma mère, je ne doutais pas de ses sentiments à son égard, mais moi, il me détestait et je ne croyais pas que nous puissions former une famille. Or c'était ce que recherchait maman avec tous ces petits amis, elle cherchait quelqu'un qui accepterait de former une famille avec elle, et moi.
En fixant le téléphone dans ma main, je m'étais rendue compte que le plus difficile à faire restait de parler à Yanaëlle. Je ne savais pas quoi dire, et je n'étais pas sûr d'être assez courageux pour encaisser son regard rempli de mépris et de haine envers moi, sa rancune, sa colère, son dégoût. Pourtant, il fallait le faire. Coûte que coûte. Et si j'appréhendais autant, c'était parce que je me doutais que la discussion que nous allions avoir serait la dernière et signerait la fin de notre relation. À jamais. J'en avais la nausée.
Le bruit de la porte m'a alerté et j'ai été apaisé. Rufus allait m'aider à trouver les mots pour Yanaëlle avant notre confrontation. J'avais besoin de son courage. Je me suis alors tourné vers lui... pour croiser les yeux verts sombres les plus tristes de l'univers. Ceux qui appartenaient à la fille dont j'étais éperdument amoureux. Cette fille à qui j'avais fait du mal. Cette marque qu'elle portait à présent sur sa peau presque parfaite en témoignait.
J'ai senti mon coeur bondir, prêt à sortir de sa cage, diffusant de l'adrénaline pour me permettre de fuir. J'ai analysé les différentes sorties, trop peureux pour parler à Yanaëlle, là maintenant. Mais lorsque d'un coup d'yeux circulaire, nos regards se sont re-croisés, j'ai compris. J'ai saisi que je ne pouvais pas fuir, que pour guérir, que pour me faire pardonner, que pour devenir une meilleure personne, il fallait que nous nous parlions là et maintenant.
Même si je connaissais la finalité de cette histoire.
Même si j'allais récolter le coeur brisé que je méritais.
Il fallait qu'on parle.
— Yanaëlle, ai-je soufflé sans la quitter du regard.
— Thimoé, a-t-elle répondu, sans ciller.
J'ai kidnappé mes rêves pour les marquer sur du papier
J'ai fermé fort les yeux pour ne pas laisser mes cauchemars s'échapper
Mais je ne pouvais pas gommer mes actes dans la réalité.
Ni tous les cœurs brisés que j'avais semé.
•○•○•○•○•○•
Hihi merci d'avoir lu mes escargots radioactifs 🎉
On se retrouve très vite pour le dernier chapitre 😚
Bisous pailletés
Tendrement
Phanou👑💚
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