Trente-six. (1)
J'étais dans une sorte de brouillard lourd, vicieux et scabreux constitué principalement de pensées morbides et de lamentations en tout genre. Mon corps, replié sur lui-même par les remords et la tristesse, baignait dans les répercussions de la bêtise, de la folie de mon âme torturée. S'il devait subir l'autoflagellation que je m'infligeais mentalement, mon dos aurait été marqué de nombreuses blessures, et ecchymoses. Comme celles sur son visage. Un cri perçant a fait vibrer les murs de la salle. Il détenait dans ses notes un tourbillon de détresse, d'affliction et un soupir de désespoir... de lassitude.
Mes doigts me faisaient souffrir de tout le mal qu'ils avaient engendré.
J'avais frappé.
J'avais blessé.
J'avais trahi.
Et j'avais provoqué des larmes et de la désolation.
Moi ! De ma propre volonté car si j'avais compris quelque chose lors de cette crise de démence, c'était que le monstre — cet être abominable qui cohabitait en moi — faisait intégralement parti de ma personnalité, de mes gènes. J'étais lui et il était moi. Il était la double face, la noirceur de mon cœur, le Thimoé soumis à sa schizophrénie, celui qui ne se battait pas contre les voix et se laissait aller à la folie. Il n'était pas une sorte de démon qui me possédait... il était juste une part de moi-même, que je le veuille ou non. Et c'était de ma faute. J'étais stupide, pas assez combatif. J'avais entretenu ma folie au lieu de la soigner, au lieu de la combattre, au lieu de lui résister : j'étais devenu esclave de ma maladie et malgré toutes mes bonnes paroles, je n'avais fourni aucun effort pour véritablement guéri.
Non, je m'étais contenté de subir, subir, subir jusqu'à la catastrophe, jusqu'à l'inacceptable, jusqu'à commettre l'erreur de trop... jusqu'à les blesser.
La culpabilité m'a serré la gorge à un tel point que je craignais d'en étouffer, sûrement que je le méritais. Et si mes larmes ne me tuaient pas, au moins le couteau brûlant des remords le fera. Je le méritais. Je le méritais amplement.
Allongé dans ma sueur et mes larmes, j'ai encore une fois supplié Rufus et Yanaëlle de me pardonner. Bien sûr, j'avais frappé plusieurs campeurs, et c'était intolérable, cependant, je ne leur avais pas brisé le cœur comme je l'avais fait avec mon meilleur ami et la fille que j'aimais. Je ne m'étais pas contenté de les blesser physiquement, je m'en étais aussi pris à leur psyché à l'instar d'un psychopathe sans empathie, ni remords. Et c'était quelque chose que je ne me pardonnerai pas, dont la marque resterait gravée indélébilement en moi. J'étais devenu toxique, et il fallait qu'ils coupent tous liens avec moi, du moins... s'ils voulaient le faire. Mon cœur était en trop mauvais état pour ne serait-ce que désirer les avoir à mes côtés. Chaque respiration me faisait mal, car elle s'accompagnait d'une vague de culpabilité qui me noyait, encore.
Qui me noyait, plus profondément.
Qui me noyait, jusqu'à ne plus avoir de souffle...
Je me suis réveillé brusquement. Mon corps était en alerte et suait de partout, collant et faible d'avoir épuisé ses réserves dans des tonnes de larmes. J'avais le cœur qui battait plus vite qu'à l'accoutumée due au cauchemar dans lequel j'étais enchaîné. Tout le monde m'avait abandonné, laissé tomber, littéralement, on m'avait poussé du haut d'un gratte-ciel et je chutais vers une mort douloureuse, mais pas plus que la sensation du regard méprisant du Rufus de mon rêve qui après m'avoir poussé, a entouré ses grands bras dorés autour de la taille de guêpe de Yanaëlle. C'était sûrement le pire cauchemar de toute l'histoire des cauchemars. Si je comprenais qu'il fallait s'éloigner de moi, mais de là à voir ma petite amie et mon meilleur ami ensemble, amoureux ou je-ne-sais-quoi d'autre ? Une balle dans le crâne aurait été mieux. Cependant, et si le rêve se superposait à la réalité ? Pourrais-je l'accepter ?
Je ne veux même pas qu'ils s'éloignent de moi, pensé-je en me massant la nuque raide.
— Tu veux de l'eau ?
J'ai analysé la pièce dans laquelle je me trouvais. Pendant ma frénésie, je n'y avais pas fait attention, maintenant si. Elle était si blanche et immaculée, avec pour seul meuble un matelas sur des carreaux glacés. On aurait dit une chambre d'hôpital psychiatrique. Peut-être, était-ce là que se trouvait ma place, me suis-je surpris à chuchoter. Espèce de psychopathe.
— Mec, tu veux de l'eau ? a redemandé la voix que j'avais sciemment ignoré.
Ma tête a fait non, bien que mon corps hurlait à s'hydrater pour remplacer tout le liquide perdu dans mes lamentations et hurlements. Je méritais de mourir asséché à l'instar d'une feuille d'automne qu'on écrase sous sa semelle.
— Je me disais bien que tu n'allais pas être coopératif. Bois, dit-elle en me tendant un verre transparent. Tu dois avoir soif.
— No...
— Bordel, non ! Je refuse que tu te la joues starlette, mec. Si tu veux crever, fais le bien et rapidement. Te laisser mourir de faim et de soif, ce n'est pas très malin, surtout venant de toi. Tu faisais un travail si impeccable, avant.
Sa remarque acerbe m'a arraché une grimace de douleur, exacerbant mon mal-être. Honteusement, j'ai pris le verre d'eau pour le finir d'une traite. Une assiette pleine a aussi été poussée jusqu'à mon genou plié car j'étais assis en tailleur. Sans avoir besoin de me faire sermonner, je l'ai vidé.
Les articulations crispées, je me suis étiré en fixant le mur blanc devant moi, encore trop faible pour affronter les reproches et la colère de Rufus. La dernière phrase qu'il m'avait dite résonnait dans mon crâne à présent que le silence n'était plus coupé par les grincements de ma fourchette contre la vaisselle. Habituellement, jamais je ne subissais de cette façon les foudres de la colère de Rufus. C'était nous contre le monde. C'était mon meilleur ami, mon faux-frère, mon âme-soeur en amitié. Mais maintenant, dans cette chambre saturée de mes remords, je ne savais plus qui j'étais pour lui, la nature de notre relation, et le lien qui nous unissait semblait distordu. Qui était Thimoé Davinson sans Rufus Chayton ? Et qui était Rufus Chayton sans Thimoé Davinson ? Nous étions opposés dans tellement d'aspects, pourtant, nous ne faisions qu'un, à l'instar des faces d'une même pièce. Je n'avais pas de valeur sans lui, et j'étais sûr que la réciproque était vrai. Cependant, Rufus perdait-il vraiment de la valeur ? Il était déjà extraordinaire, il n'avait pas besoin de moi. Pourquoi s'embarrassait-il du poids lourd que j'étais ?
J'ai senti mes larmes monter en rythme avec mes battements de cœur qui s'accéléraient pour mieux se briser, se fracasser, se casser en deux. Encore une fois, le nœud de la culpabilité m'a serré la gorge.
— Je suis désolé, ai-je soufflé en fixant un point sur le mur, la voix rauque à cause de mes cordes vocales presque brisées. Je suis tellement désolé...
Le silence s'est prolongé, à un tel point où j'avais peur que mon murmure n'avait pas été entendu par-delà le fracas de mon palpitant. J'ai ouvert la bouche, prêt à m'excuser de nouveau lorsqu'un son sinistre m'a répondu. Une mélange de rire et de soupir. Un rire désabusé et un soupir désespéré.
— Depuis quand on se parle sans se regarder dans les yeux ? a finalement demandé Rufus, la voix aussi cassée que la mienne. Depuis quand on se dit des mensonges comme « je vais bien », ou « c'est rien » alors que c'est pas le cas ? Depuis quand on se dit des excuses qu'on ne pense pas ? Hein, Thimoé, depuis quand ?!
Ses questions purement rhétoriques ont, chacunes leur tour, pulvérisé mon muscle cardiaque affaibli par les dernières heures. Je ne savais même pas quoi répondre. Devrais-je encore m'excuser ? M'expliquer ? Lui dire que je ferai tout pour me soigner pour de vrai cette fois-ci ? Aurait-il encore le pouvoir de ressentir ma souffrance comme je semblais m'imprégner de la sienne ? De la chaleur suffocante de sa douleur alourdissait l'air qui pénétrait différemment dans mes poumons. Je le sentais dans chaque fibres de mon âme, de mon corps. Tu le ressens aussi, hein Ruf ?
— J'veux pas de tes excuses, a-t-il continué froidement. Je crois que tes larmes l'ont assez montré. Je veux juste que tu sois honnête vis-à-vis de moi, Thimoé. Je veux plus de mensonges, je veux plus jamais te voir dans cet état, plus jamais. Et je ne veux plus des promesses vaines justes dites pour me calmer. C'est pas que je t'en veux, mec... mais c'est tellement difficile comme situation...
Sa phrase s'est finie en une sorte de cri d'agonie qui semblait venir tout droit de ses entrailles. J'ai senti les fragments de mon cœur frissonner à ce constat. Je voulais lui expliquer ce que je ressentais, lui dire que j'allais changer pour de vrai, rétablir le lien entre nous. Mais les mots étaient trop faibles, ils n'exprimaient jamais mes sentiments, tout ce brouillon qui vivait sous mon thorax. Les gestes parlaient plus, ils étaient plus éloquents et leur signification restait toujours graver dans le marbre de nos mémoires.
Alors, j'ai croisé le regard de Rufus, me percutant au chagrin encré dans l'écrin noisette de ses yeux. J'y ai rencontré sa tristesse, sa détresse, cet amour fraternel qu'il ressent à mon égard et une sorte de soulagement, celui de me savoir vivant. Je l'ai fait confronter aussi tous les démons vivant dans mon être et dont les ombres abstraites se dessinaient dans le creux de mes iris. Je l'ai laissé y lire tout ce qu'il voulait savoir, même si c'était difficile de ne pas m'arracher à cette intrusion, même si je sentais des larmes flouter ma vision, même si ma culpabilité rongeait toujours mon esprit tourmenté.
Et tous les mots que je ne pouvais pas dire, je laissais mon regard le faire car la vérité se trouvait à l'intérieur. Les yeux ne mentaient jamais.
Soudainement, la tension s'est doucement relâchée, Rufus a hoché la tête, un poids semblait s'être retiré de ses épaules tendus.
— Tu sais que je suis désolée, ai-je commencé en essayant de contrôler mes trémolos. J'veux vraiment guérir, Ruf. Je veux plus être esclave de ma maladie, plus jamais ! Je veux la dompter, tu sais, devenir plus fort et ne plus jamais vous faire du mal à toi ou à qui que ce soit. J'veux plus vivre avec cette putain de culpabilité !
Rufus sans rompre le contact visuel n'a pas répondu, comme s'il réfléchissait. Et je me suis rappelé à quel point le moindre de mes soucis était le sien.
— T'es sûr ? Le chemin de la guérison est long, tortueux, t'es sûr que tu le veux et que tu le peux ? T'en as les couilles ?
— Si je le fais pas, alors je resterai un gamin qui cache ses erreurs derrière ses blessures au lieu d'un homme qui se repend... et puis, je veux plus de toute ma vie avoir à blesser les personnes que j'aime.
Le père de Rufus nous avait donné sa définition d'un homme, d'un vrai. Ce dernier devait d'abord être un bon être humain, c'était le minimum. Cela ne sous-entend pas que nous devions être parfaits, juste avoir des principes et y rester fidèle. Un vrai homme était courageux, mais n'avait pas peur de reconnaître sa faiblesse, il était fort tout en se sachant vulnérable. Il protégeait les gens qui lui tenait à cœur, il respectait, il ne répondait pas à la violence par la violence. Il n'était pas parfait... c'était juste quelqu'un de bien car on pouvait être quelqu'un de bien malgré nos blessures à l'âme, notre passé, notre caractère fougueux et nos erreurs. Le bien et le mal sont deux entités qui s'entremêlaient. C'était relatif la plus part du temps. Souvent non.
Cependant, dans mon cas, pouvais-je me considérer comme étant une bonne personne ? J'avais frappé mon meilleur ami, blesser physiquement beaucoup de personnes, et ma petite amie. Je ne valais pas mieux que ces hommes qui battaient à mort leur compagne. Si mon excuse pour mon acte impardonnable était ma schizophrénie, tous ces hommes aussi avaient leur motifs. Rien ne justifiait ce que j'avais fait, et c'était pour cela que mon myocarde se brisait, écrasé par les regrets, par la peur dans son regard, par ses larmes.
La scène se jouait de nouveau dans mon crâne, le souvenir était si frais dans ma mémoire que je sentais l'effluve du désespoir qui me possédait.
— Tu le fais pour toi, n'est-ce pas ? Si tu essayes de changer pour quelqu'un sans avoir véritablement envie, alors il faut arrêter tout de suite. Tu ne peux pas faire autant d'efforts juste pour quelqu'un d'autre.
— Je sais, ai-je répondu en me massant la nuque. C'est peut-être ma culpabilité qui m'a réveillé, mais je ne veux plus jamais sombrer comme je l'avais fait. J'suis déterminé à guérir. Tu seras là ? Tu me soutiendrai ?
— La question ne se pose même pas mec ! a-t-il souri, et j'ai revu l'étincelle joyeuse dans ses yeux marrons. C'est toi et moi contre le monde, tu t'en souviens ?
— Ouaip ! ai-je acquiescé.
J'ai tendu mon poing, encore marqué par mes méfaits, et il y a cogné le sien. Nous nous sommes souri, conscient qu'une épreuve venait d'être passée, une étape franchie, un défi relevé.
— Maintenant, Ruf...
— Ouais ?
— Et si tu me mettais au parfum concernant les dernières heures ?
●°●°●°●
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