Chapitre 4
La naissance de Vénus, Sandro Botticelli.
Rachel
À la fin du cours, les élèves laissent leurs travaux sur leurs tables afin que j'aille les ramasser après leur départ. Certains râlent discrètement, à l'image d'Adam, car ils n'ont pas eu le temps de peaufiner. Laura est ravie de son ouvrage bardé de couleurs vives qui s'inspire du fauvisme ; elle arbore un sourire jusqu'aux oreilles. Son voisin, Christian Roberts, a opté pour une représentation cubiste de la corbeille de fruits, mais en utilisant la technique de l'aquarelle. Vu qu'ils sont tous les deux au premier rang, j'ai déjà eu le loisir de zieuter leurs œuvres et elles me paraissent prometteuses.
Sandro a achevé la sienne bien avant les autres. Je n'ai pas chronométré, mais à vue de nez, je dirais qu'il n'a pas passé plus de vingt minutes sur son dessin. Une fois ce dernier terminé, il l'a retourné sur sa table avant de se remettre à contempler la fenêtre, un bras sur le dossier de sa chaise. Son regard évasif était abîmé dans ses pensées tandis qu'il mordillait le bout de son crayon. Il a dû bâcler son croquis, je ne vois pas d'autre explication... Je devrais m'estimer heureuse qu'il ait consenti à cet exercice, car au début, je croyais dur comme fer qu'il me ferait l'affront de me rendre une feuille vierge. Je me demande même si ce n'était pas son intention initiale et s'il n'a pas tout à coup changé d'avis durant sa "méditation", pour une raison connue de lui seul.
En se levant, le jeune homme prend tout son temps pendant que ses camarades s'empressent de sortir afin de gagner leur prochain cours. Il ne m'octroie pas un regard, mais mon stress resurgit de plus belle quand je m'avise qu'il est le dernier à sortir de la salle. Ses mouvements sont traînants. Il enfile sa veste en cuir noir et rajuste son col autour du cou sans broncher. Selon l'éclairage, il a des faux airs de James Dean dans le film La fureur de vivre.
Fais une mise au point avec lui, tout de suite ! exhorte ma conscience avec virulence.
— Monsieur Ferreira, l'appelé-je en mobilisant toutes mes réserves de sang-froid.
Sandro m'accorde un coup d'œil distrait. Pourquoi ai-je l'impression déplaisante qu'il simule son désintérêt ?
— Qu'il y a-t-il ?
— Apportez-moi votre dessin, je vous prie.
Sans hésitation, il saisit sa feuille et marche vers mon bureau d'un pas souple, nanti de cette grâce sombre qui m'a frappée lorsque je l'ai rencontré avant le cours. Il traverse la salle de classe comme s'il était le directeur – et encore, Trade est loin d'avoir cet aplomb. Sa jeunesse ne coïncide pas avec la confiance et l'assurance qu'il exsude par tous les pores, que les hommes acquièrent en général avec l'expérience.
— Quel âge avez-vous ? m'enquiers-je tandis qu'il place sa feuille, toujours retournée, sur mon bureau.
Il hausse son sourcil orné d'un piercing.
— Pourquoi cette question ?
— Pourquoi pas ? rétorqué-je du tac-au-tac, ce qui lui extirpe une sorte de rictus.
Calant ses mains sur le rebord du meuble, l'élève me jauge avec une noire intensité probablement vouée à m'intimider. Il me surplombe de toute sa hauteur, mais je conserve la tête et le dos droits sur ma chaise et surtout, je ne baisse pas les yeux devant lui. Je suis résolue à lui démontrer qui détient l'autorité au sein de cette école. Ce n'est pas parce que je suis assise et qu'il est debout face à moi qu'il me domine. Cet antique bureau en chêne massif symbolise ma fonction d'enseignante.
— J'ai eu vingt ans au mois de juillet, professeur.
Je procède à un rapide calcul mental.
— Vous avez donc redoublé... deux fois ?
— Une fois. Au collège. J'étais un peu turbulent.
Un rire incrédule s'échappe de ma gorge. Ses yeux céruléens caressent ma bouche l'espace d'une seconde, me prenant au dépourvu, avant de s'arrimer de nouveau à mon regard.
— Un peu turbulent ? fais-je remarquer.
— D'accord, un peu beaucoup, reconnaît le jeune homme d'un ton vaguement caustique.
— Vous avez redoublé une fois au collège et n'avez pas fait de classe préparatoire à l'école des Beaux-arts après l'obtention du baccalauréat, récapitulé-je. Vous devriez avoir dix-neuf ans comme la majorité des autres étudiants de première année. D'où ma curiosité.
— Mais j'en ai bien vingt, réaffirme-t-il d'une voix neutre. Après mon bac littéraire option arts plastiques, j'ai pris une année sabbatique.
— Pour mener à bien un projet personnel ?
Un nouveau sourire ironique fleurit sur ses lèvres. Par malheur, il envoie une décharge électrique fulgurante entre mes cuisses.
Oh non, pensé-je en serrant les jambes sous mon bureau, dépitée par cette deuxième félonie de ma chair.
Inutile de nier l'évidence : son charme ne me laisse pas insensible, même si ça va à l'encontre de mon éthique professionnelle. Je vais devoir dénicher une solution pour doucher ma libido, sinon l'année sera ingérable.
— Vous entretenez votre curiosité, effectivement.
Il fait référence à son speech avant mon cours sur cette qualité qu'il juge essentielle à un artiste. Toutefois, sa réflexion est hors de propos. Je ne vois pas en quoi mes questions sont intrusives. Elles ne sont ni personnelles, ni indiscrètes. N'importe quel professeur de l'établissement pourrait les lui poser. S'il ne souhaite pas y répondre, c'est son droit, mais c'est aussi le mien de me renseigner sur le parcours de mes étudiants.
Sans préambule, Sandro instaure entre nous une dimension plus intime en se penchant au-dessus de mon bureau afin de s'appuyer sur ses avant-bras, les doigts entrecroisés entre nous.
Son changement de posture rapproche nos visages, qui ne sont plus qu'à une trentaine de centimètres l'un de l'autre. Un parfum de savon et de cèdre me titille les narines. Je me raidis imperceptiblement sur ma chaise, mais je ne recule pas ; perdre du terrain face à lui serait un signe de retraite, d'abdication, voire de défaite. Mon cœur tambourine désormais très fort dans ma cage thoracique au rythme d'une pulsation irrégulière et malséante au centre de mon intimité féminine.
La couleur de ses yeux était déjà épatante de loin, mais de près, elle franchit le palier supérieur en devenant époustouflante. Une nuée féerique de minuscules cristaux d'or scintillent autour de ses pupilles d'un noir d'encre et un mince cercle bleu saphir cerne ses prunelles azurées. Je n'ai jamais eu le plaisir d'admirer des joyaux pareils, tout en nuances. On pourrait croire qu'un artiste appartenant au mouvement du réalisme les a peints exprès pour lui, tant ils sont atypiques.
Mais ce qui est le plus troublant dans son regard, au-delà de sa beauté purement plastique, c'est tout ce qu'il renferme. Des énigmes. Des fantômes. Des démons. Les nombreuses ombres qui hantent ses billes composent un contraste saisissant avec la luminosité bleutée qu'ils reflètent. Une fois encore, je l'associe à un clair-obscur.
Des ténèbres opaques se tapissent derrière la clarté limpide, j'en ai la certitude. Et j'ai soudain un mal fou à me dépêtrer de ce regard qui paraît vouloir m'absorber, me capturer dans ses tréfonds complexes.
— J'ai profité de mon année sabbatique pour faire une coupure dans ma vie, me recentrer sur mes envies et visiter plusieurs pays européens, explique Sandro dans un murmure caverneux.
Je mets quelques secondes à reprendre mes esprits.
Il est exaspérant, mais qu'est-ce qu'il est captivant ! Il s'exprime avec une aisance qui me laisse songeuse. Dès qu'il ouvre sa bouche aux lignes boudeuses, je suis toute ouïe. Je devais examiner son dessin, sauf que je brûle d'en apprendre davantage sur ce personnage singulier.
— Les voyages forment la jeunesse, lui réponds-je d'un ton faussement léger. Ce sont des expériences enrichissantes.
Il acquiesce sans me quitter du regard.
— Et inspirantes. Elles ont été un moteur pour moi... J'ai produit un grand nombre d'esquisses et de toiles ces derniers mois, notamment lors de mon séjour en Italie. Je tenais à voir de mes yeux les œuvres du maître de la Renaissance à qui je dois mon prénom.
Je papillonne des paupières. Je n'avais pas fait le lien avant qu'il ne mette l'accent dessus.
— Sandro... Botticelli ?
— Lui-même. Je me suis déplacé pour contempler et étudier son œuvre phare, La Naissance de Vénus.
Ses parents doivent être de fervents amateurs d'art pour baptiser leur fils ainsi.
— Donc, vous vous êtes rendu dans la galerie des Offices à Florence.
— C'est ça, madame Dumas...
Je m'éclaircis la voix, les joues en feu. La manière dont il a susurré le mot "madame" est équivoque. Il joue avec moi, mais je veux pas rentrer là-dedans.
Ou peut-être y suis-je déjà. Un gros doute s'empare de moi.
— Avez-vous... apprécié ?
Sandro gratte brièvement son biceps tatoué, attirant aussitôt mon attention sur son bras solide, mais dès qu'il reprend la parole, je suis de nouveau suspendue à sa bouche à la sensualité hors norme. Je suis pathétique... Comment peut-on être à ce point envoûtée par le charisme d'un élève ?
— Ça dépend des œuvres, signale-t-il avec une grimace. La basilique Saint-Pierre de Rome et le musée du Vatican m'ont foutu un bon coup de massue sur le crâne, mais la fresque du Jugement dernier de Léonard de Vinci dans la Chapelle Sixtine, je l'ai trouvée foutraque. J'ai été un peu déçu par La Naissance de Vénus, aussi... Mais j'en attendais peut-être trop d'elle, je me suis fait des films avant mon voyage à Florence.
— Qu'est-ce qui vous a déçu dans La Naissance ?
— L'ensemble iconographique était plus terne et la perspective bien moins profonde que dans mes livres. La posture contrapposto de Vénus au milieu du coquillage géant m'a paru artificielle. Ah, et la représentation de l'eau m'a carrément fait marrer, un gamin de dix ans aurait pu peindre ces vaguelettes... L'océan était en opposition totale avec le mouvement fluide des drapés et de la chevelure de miel de la déesse qui eux, ont trouvé grâce à mes yeux. La technique est irréprochable, OK, mais je ne sais pas, je n'ai pas été émerveillé un instant... Il me manquait un truc, dit-il en claquant des doigts juste au-dessus de mon bureau. Mais ce qui m'a le plus désappointé dans ce tableau, c'est le regard de Vénus, censée être la déesse de l'amour et de la beauté. Il s'est avéré nettement moins vivant et expressif que je ne le pensais.
— Que voulez-vous dire par là ?
— Eh bien, elle avait les yeux défoncés d'une nana qui vient de sniffer un bon rail de coke.
Mes yeux s'écarquillent.
La Vénus de Sandro Botticelli, sniffer de la coke ?
Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer...
Ou être indignée par sa prétention.
Mais... je rejoins en partie ses dires.
Le directeur de l'école n'a pas amplifié ses propos, Sandro Ferreira a une excellente culture artistique. Il est passionné et passionnant, même quand il critique une des plus grandes œuvres de l'histoire de l'art. Il n'a pas tort à 100 %, qui plus est. J'ai déjà ressenti un désenchantement similaire devant certains tableaux célèbres exposés dans les musées, que j'adorais pourtant sur le papier... Je n'irais cependant jamais jusqu'à manquer de respect à des artistes qui ont marqué notre noble discipline et ont contribué à son évolution. Une déesse de la mythologie grecque qui "sniffe un bon rail de coke" ? Il a un humour spécial !
— En fait, la plupart des tableaux que j'ai vus là-bas claquent beaucoup plus dans les bouquins d'art, lâche Sandro. En vrai, ils ne sont pas aussi lumineux. Certains sont bien plus petits dans la réalité alors qu'ils semblent vraiment immenses dans les livres ou sur les écrans. C'est très trompeur.
— Je suis d'accord avec vous. On fantasme sur des œuvres grandioses et, quand on se retrouve en face d'elles, il n'est pas rare qu'elles ne correspondent pas tout à fait à notre image mentale.
Il hoche lentement la tête en faisant courir ses yeux clairs indéchiffrables sur mon visage.
— Je ne vous le fais pas dire, madame Dumas.
Un silence s'éternise entre nous dans la classe.
Je devrais le congédier maintenant, d'autant plus qu'il risque d'arriver en retard à son prochain cours, mais égoïstement, je n'ai pas envie d'abréger notre discussion. Il y a quelque chose en lui qui suscite en moi un besoin d'approfondir, d'analyser, de détailler, comme lorsqu'on veut percer le secret d'une oeuvre qui nous échappe.
— Vous êtes né en Italie ?
Il ne répond pas tout de suite. Du coin de l'œil, je note qu'il fait tourner sa chevalière en argent autour de son doigt. Il est bourré de petits TOCS, ce jeune homme. Ma psychiatre se ferait une joie d'analyser ce que ça révèle de sa personnalité.
— Non, en France. Mais mon père est Vénitien et les parents de ma mère Française étaient portugais. Mes vieux faisaient une drôle de fixette sur les peintres de la Renaissance italienne. Mes deux frangins ont hérité des prénoms Raphaël et Andrea, pour vous dire.
— Andrea Del Verrocchio ou Andrea Mantegna ?
— Je n'en sais rien, nos parents sont décédés quand on était gosses, m'assène-t-il avec un naturel inattendu comme s'il m'annonçait qu'il allait pleuvoir demain.
— Oh... Je suis désolée pour vous, marmonné-je, embarrassée par ma bévue.
— Ne le soyez pas, je m'en branle.
Je sourcille. Il a vraiment dit ça ?
Ses yeux bleus étoilés d'or se mettent à pétiller.
— Avouez, ça vous démangeait de m'enguirlander tout à l'heure devant la classe quand j'ai frappé la table.
— Quoi... ? Mais non !
— Mais si, madame Dumas. Pourtant, j'ai rembarré Adam pour vous, par principe. J'ai vu à quel point ça vous bouffait que tous ces abrutis jactent pendant votre cours.
Je suis sans voix. Ma bouche forme un O.
— Ouais, je sais que chaque prof a ses méthodes pédagogiques, mais vous devriez vous imposer plus, quitte à hurler une bonne fois pour toutes, enchaîne-t-il d'un ton amusé. Je sens que vous avez ça en vous et que vous vous bridez. Parce que vous le faites déjà avec moi quand on est tous les deux, à petite dose. Et puis, quand vous avez cassé l'autre fils à papa pendant l'appel, c'était putain de jouissif. Mais si vous voulez mon avis, vous prenez pas trop la tête avec cette bande de crétins congénitaux, ils n'en valent pas la peine. Au pire, la prochaine fois qu'ils vous font chier comme ça, imaginez-les tous à poil sur des balançoires, ça vous aidera à décompresser.
À poil. Sur des balançoires.
— Sandro, est-ce que vous vous droguez ?
Ses lèvres s'étirent largement, découvrant ses dents nacrées, et il émet un petit rire rauque.
Je ne devrais pas, mais je fonds.
Non, bien pire que ça... Je mouille.
Et je me sens plus merdique que jamais.
— Vous m'avez grillé ! Je fume un ou deux joints tous les jours, madame Dumas. Si vous envisagez de me dénoncer aux flics, je peux vous filer mon adresse, vous gagnerez du temps. (Il marque une pause en me scannant.) Et si vous voulez mon numéro, aucun problème non plus, rajoute-t-il d'un ton bien plus sérieux.
Il se fiche de moi, ce connard pédant !
— J'ai déjà votre numéro de téléphone dans votre fiche de renseignements, répliqué-je avec sécheresse.
— Tant mieux. Si vous avez besoin de m'appeler un jour, ce sera utile.
— Sandro, arrêtez votre manège.
— Quel manège, madame Dumas ? Ah au fait, ça ne me dérange pas que vous me tutoyiez. J'ai vu que vous le faisiez avec certains élèves, comme Laura.
— Certains élèves, le confirmé-je, ulcérée. Vous faites bien de le souligner.
— Comme vous voulez, dit-il avec indifférence. Et moi, je peux vous tutoyer ?
— Non, je ne vous le permets pas.
— Hum. C'était couru d'avance.
— Alors pourquoi m'avoir posé la question ?
— Parce que ça m'éclate de vous emmerder.
— Vous vous lasserez, rétorqué-je avec froideur.
— Ça m'étonnerait fort, madame Dumas. Je ne suis pas prêt de vous lâcher, promet-il d'un air diabolique. Et mon petit doigt me dit... (Il frôle le dos de ma main avec le bout de son auriculaire. Je retire mes doigts comme si je venais de me brûler.) ... que vous allez aimer ça.
Je suis choquée. Vraiment.
Et liquide. Aussi.
Je n'en reviens pas qu'il m'ait touchée. Pas plus que je n'en reviens d'avoir trempé ma culotte. Je suis mortifiée.
— Vous... en subirez les conséquences, monsieur Ferreira, rétorqué-je d'un ton à la fermeté discutable.
Sandro redresse progressivement le dos en fourrant les mains dans les poches de sa veste en cuir, nullement impressionné par mon avertissement. Sa croix gothique se balance à son lobe d'oreille chaque fois qu'il bouge la tête.
— Vous lui ressemblez, vous savez..., commente-t-il en détaillant les traits de mon visage. (Devant mon air interloqué, il précise le fond de sa pensée.) À la Vénus de Sandro Botticelli. La conso de médocs affadit vos yeux, mais vous êtes aussi délicate et gracieuse qu'elle. Sauf que vous vous êtes enfermée dans votre coquillage et que vous vous y terrez comme une petite créature apeurée. Il ne tient qu'à vous d'en émerger comme la déesse de l'amour et de la beauté, Rachel...
Sur ces paroles qui m'ont coupé la respiration et m'ont donné le vertige, le jeune homme fait demi-tour et s'éloigne de mon bureau d'un pas tranquille.
Lorsque la porte de la salle claque derrière lui, je baisse les yeux vers sa feuille, que je retourne.
Mon cœur, qui bat la chamade, loupe une pulsation lorsque je découvre son croquis prodigieux.
Je n'ai pas encore vu les travaux des autres élèves, mais je sais déjà qu'il n'y en aura aucun comme celui de Sandro. Je le sens viscéralement.
Il n'a pas figuré la corbeille de fruits en tant que telle. Il a interprété ce qu'il percevait... dans son esprit. Son imagination s'est complètement envolée, pareille à un oiseau épris de liberté.
À la façon du maniériste Arcimboldo qui peignait des portraits de personnes composés d'éléments végétaux, l'étudiant aux origines italiennes et portugaises a reproduit la belle silhouette élégante de la Vénus de Botticelli en y incorporant une incroyable variété de fruits, de légumes, de fleurs et de plantes qui s'entrelacent poétiquement.
Ses seins ronds sont remplacés par des pommes. Sa longue chevelure est représentée par des lianes claires, tressées et piquetées d'orchidées, qui ondoient dans le vent. Des pétales de rose lui tiennent lieu de lèvres et des grains de raisin d'yeux. Son sexe est symbolisé par une feuille de vigne, telle une référence biblique à Eve.
Mais la Vénus végétale de Sandro a glissé sa main semblable à des branchages d'arbre sur la feuille de vigne, comme si... comme si elle se caressait.
Il a transformé une nature morte en être vivant. En prime, il lui a conféré une sensualité peu conventionnelle qui m'atteint au plus profond de moi-même, sans que je ne puisse l'expliquer. Cette esquisse aurait pu receler un côté parodique si elle avait été mal exécutée, mais ce n'est pas le cas. Tout est harmonieux et équilibré, et chaque élément est à sa place, en perspective de surcroît.
Je n'ai absolument rien à redire sur sa technique de dessin. Le coup de crayon est d'une finesse, d'une fluidité et d'une précision tout à fait remarquables. Je ne décèle pas la moindre maladresse dans ses traits, ses courbes, ses lignes et ses ombres.
Un frisson d'excitation me parcourt.
Exceptionnel.
Je repose le dessin sur mon bureau, sonnée par ma trouvaille. Je me dirige vers la fenêtre de la salle afin de l'ouvrir et de prendre l'air.
M'aérer.
Respirer.
Évacuer le flux de mes émotions.
Je ferme les paupières en laissant le soleil caresser et réchauffer ma peau. Mais la Vénus étrange, mutine et obsédante de Sandro danse devant mes rétines. Elle ne me quittera pas de sitôt. Elle s'est incrustée dans mon cerveau.
Je suis extrêmement admirative de son travail.
Il est plus que talentueux. Il est surdoué.
Et il a réalisé ce croquis en vingt minutes.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top