Chapitre 3

Corbeille de fruits, Le Caravage


Rachel

Les étudiants se sont installés derrière les grandes tables blanches qui s'alignent devant mon bureau. Ils sont quatre par rangée, sauf au niveau de la première, la place des "fayots" de la classe comme l'affirme Charlène. Un garçon et une fille que je ne connais pas se sont attablés en face de moi et me couvent d'un regard attentif. Ils ont déjà sorti leurs feuilles volantes et leurs trousses pour prendre des notes dès que j'ouvrirai la bouche. Ce sont également les deux seuls élèves à m'avoir saluée en entrant dans la salle. Les autres m'ont à peine lancé un coup d'œil : ils ont continué à discuter entre eux en s'asseyant.

J'ai l'habitude d'être transparente en-dehors de cette école, mais lorsque mes propres étudiants me manquent de respect, je le vis assez mal. Surtout s'ils sont plusieurs à s'y mettre. Mon cœur cavale de nouveau à toute allure alors que j'avais réussi à me calmer... J'espérais qu'ils seraient suffisamment disciplinés pour devenir silencieux une fois qu'ils seraient tous attablés, mais je me suis fourvoyée. Ils agissent comme si je n'existais pas. Sur mes cuisses, mes doigts se mettent à trembler sous le bureau.

Ça me rappelle douloureusement la manière dont ma crise s'est déclenchée en plein cours l'année dernière. C'était à cause d'un élément banal, sans importance. Mes étudiants bavardaient pendant que je parlais. Mais j'étais tellement à fleur de peau à cette période que j'ai vrillé comme une hystérique et que le directeur a dû appeler les pompiers afin qu'ils m'emmènent aux urgences.

J'en ai encore honte, à l'heure actuelle.

C'était comme si mes élèves s'étaient tous ligués contre moi afin de verser la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de ma santé mentale. Alors que pas du tout. Ils n'y étaient pour rien. Le problème vient de moi, j'en ai conscience.

C'est terrible d'être victime des aléas de son corps, d'être incapable d'influer sur ses manifestations d'anxiété... Dans les moments de doute, je me dis que mon enveloppe de chair n'est pas conçue pour contenir mon esprit et que je ne verrai jamais le bout du tunnel. Ça, c'est quand je suis pessimiste... Quand je suis d'humeur optimiste, je me flanque des gifles mentales pour tenter de relativiser.

La gorge sèche, je balaye du regard les visages qui s'offrent à moi. Adam, Ophélia et Isabelle ont opté pour la table la plus au fond de la salle.

Sandro Ferreira est devant eux, en bout de rangée, dans un axe oblique où aucun obstacle visuel ne se dresse entre nous. Il me sonde de ses astres bleu glacier, brûlants et pénétrants comme des soleils jumeaux.

J'ai la sensation dérangeante qu'il voit au travers de ma chair et s'échine à autopsier mon cerveau pour analyser mon esprit ou... pire, mon âme. Je soutiens son regard, mais il ne baisse pas les yeux. Il me tient tête. On dirait presque qu'il cherche à m'aspirer dans son étrange univers clair-obscur. C'est moi qui finis par détourner le regard, mortifiée d'avoir perdu cette lutte de pouvoir silencieuse que personne autour de nous ne soupçonne.

Contre toute attente, mes palpitations cardiaques ont ralenti durant notre petit bras de fer oculaire. En me focalisant sur ce nouvel étudiant déroutant, j'en ai oublié provisoirement tous les autres.

En me raclant la gorge, je me décide à prendre la parole. Je prie pour ne pas bredouiller.

— Bonjour à tous. Je suis madame Dumas, votre professeur de pratique artistique et d'expression plastique. Vous êtes probablement déjà au courant, mais un rappel ne fait jamais de mal. Cette année sera divisée en deux semestres. Elle est généraliste. Cela implique que, une fois vos examens réussis, vous pourrez choisir l'option qui vous convient le mieux en deuxième et troisième années : art ou design. Cette première approche commune vous permettra d'évaluer vos points forts et d'ajuster votre orientation. À l'issue de la troisième année, vous passerez votre DNA, le Diplôme National d'Art. Si vous désirez poursuivre vos études supérieures après le DNA, vous pourrez ajouter deux années à votre parcours scolaire pour décrocher le DNSEP, le Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique, qui vous ouvrira encore plus de portes professionnelles. Et si vous souhaitez approfondir vos études au maximum, il y a ensuite la possibilité de passer le DSRA, le Diplôme Supérieur de Recherche en Art, en trois ans. Ces trois diplômes correspondent respectivement à la Licence, au Master et au Doctorat. Avez-vous des questions ?

Aucun élève ne se manifeste, pas même les deux lèche-culs au premier rang. Adam ricane à quelque chose qu'Ophélia vient de lui murmurer à l'oreille. Agaçant. Ils se sont déjà renseignés sur leur cursus je suppose, mais ce n'est pas une raison pour ne pas m'écouter...

Avec un soupir, je prends mon mal en patience et baisse les yeux vers le tableau de noms sur l'écran de mon PC pour entamer l'appel. J'énumère les étudiants par ordre alphabétique. Ils répondent "présent" ou "oui". Adam Berlas hasarde une plaisanterie en lâchant "En chair et en os, madame !" qui extorque des rires niais à ses camarades. Je relève le regard vers lui et note au passage que Sandro ne partage pas du tout l'amusement des autres. Il semble aussi exaspéré que moi par l'intervention fanfaronne d'Adam.

— Vous vous êtes donc autoproclamé bouffon de la classe dès la première heure de cours, monsieur Berlas ? Vous ne perdez pas de temps, commenté-je calmement.

Le sourire satisfait de l'élève meurt sur ses lèvres tandis que plusieurs de ses camarades éclatent d'un rire moqueur, dont sa voisine. Le jeune homme n'en mène pas large : il ne sait pas quoi répliquer à ma pique. Il semble grande gueule de prime abord, mais dès qu'on le remet à sa place en retournant sa verve contre lui, il s'écrase. Des spécimens de sa trempe, j'en ai connu pas mal au cours de ma carrière. C'est un fils à maman imbu de sa personne et habitué à obtenir quasiment tout ce qu'il veut.

— Aaah, comment la prof t'a mouché, Adam ! énonce joyeusement Isabelle en lui donnant une petite bourrade.

J'aurais levé les yeux au plafond si je n'avais pas été alpaguée par les yeux clairs de Sandro et... son ombre de sourire. Mais dès qu'il se rend compte que je le regarde, son visage reprend l'aspect d'un masque stoïque comme s'il ne voulait pas me dévoiler une once de sa jubilation.

Sans me formaliser de cet incident, je reprends le fil de ma lecture. Laura Claire, l'élève qui n'est pas passée par la case prépa à l'instar de Ferreira, s'avère être la brune studieuse aux traits éreintés et vêtue d'une robe noire au premier rang. La jeune femme paraît nerveuse : elle ne cesse de croiser et de décroiser les jambes sous la table pendant qu'elle triture son stylo plume argenté. Je ne suis pas la seule à être angoissée par la rentrée des classes, a priori. Elle n'a pas dû dormir cette nuit, ou très peu... Il y a une annotation sous son nom dans mon fichier : Trade a explicité qu'elle avait emménagé dans la région cet été et qu'elle ne connaissait personne en ville. Nous devons un peu plus encadrer ces étudiants, ce sont les consignes de la direction. Afin qu'ils s'intègrent le mieux possible dans notre école et effectuent leurs études dans des conditions optimales.

J'adresse à Laura un petit sourire chaleureux en lui demandant d'où elle vient, même si c'est stipulé sur ma liste. Elle rétorque timidement qu'elle vivait à Nantes avant d'atterrir à Annecy.

— J'ai visité Nantes. C'est une jolie ville pleine de monuments historiques et de lieux fabuleux qui peut s'enorgueillir de sa richesse culturelle. La cathédrale, le musée Jules Verne et le château des ducs de Bretagne sont incontournables, mais je vous avoue avoir été éblouie par le passage Pommeraye et le musée d'Arts qui contient des œuvres sublimes, notamment celles de George de la Tour, Ingres, Courbet et Kandinsky. Faute de temps, je n'ai pas eu le plaisir de voir les anneaux de Buren ni les Machines de l'île, en revanche, stipulé-je à la nouvelle.

Les yeux de Laura s'illuminent à mes mots. Ses épaules se détendent aussitôt. Ça me fait plaisir d'avoir cet effet sur elle grâce à quelques phrases qui lui remémorent les beautés de sa métropole d'origine.

— Ah, si vous y retournez à l'occasion, c'est à voir, madame ! L'éléphant animé est fabuleux... Ce gros bestiau articulé crache de la vapeur avec sa trompe. Les touristes peuvent même monter sur son dos.

— C'est ce que j'ai entendu dire, oui.

Je romps notre contact visuel pour lui signifier que notre échange est clos et continue mon appel.

— Nadège Dane. (Une voix féminine me répond "présente".) Gabriel Fabre-Leterre. (Un jeune homme se manifeste.) Sandro Ferreira.

Silence intégral. Les sourcils froncés, je redresse la tête en direction de l'interpellé. Les étudiants autour de lui s'entre-regardent. Bras croisés sur la poitrine, affalé sur sa chaise, Sandro affronte mon regard courroucé avec une nonchalance teintée de défi. Mais qu'est-ce qu'il cherche, bon Dieu ? À me déstabiliser, encore ? À me tester ?

— Sandro Ferreira, répété-je plus lentement.

— Présent, répond-il d'un ton placide.

— Vous auriez pu le dire la première fois.

— Mais vous saviez déjà que j'étais là, madame.

Ma mâchoire se crispe tandis que les autres élèves échangent des regards remplis d'incompréhension au sujet de ses paroles nébuleuses. Il est pénible, lui aussi. Mais il ne fait pas ça pour se mettre en avant comme Adam. Non, Sandro semble se divertir en agissant ainsi.

Tiens-toi à carreau, petit con. Je ne suis pas aussi patiente que j'en ai l'air, lui intimé-je en pensée.

— Peu importe, monsieur Ferreira. Quand j'appelle votre nom, vous répondez, un point c'est tout, décrété-je avant de reprendre ma lecture.

J'ai beau avoir la tête baissée, je sens la morsure de son regard iceberg sur mon visage fermé... et je bafouille en prononçant le nom de l'élève suivant.

Merde alors.

À la fin de l'appel, je lance mon diapo PowerPoint. Le rétro accroché au plafond projette sur le tableau blanc derrière moi le programme de l'année dans ma discipline. Je lis chaque élément du diaporama en distillant des informations supplémentaires au fur et à mesure. Les bavardages ne tardent pas à reprendre, ce qui me met les nerfs en pelote. Plus de la moitié de la classe ne suit plus et se désintéresse de mon discours ! Ils sont dissipés, ces premières années.

Respire, Rachel. Respire.

Je hausse le ton lors de ma lecture afin de couvrir le bruit de fond désagréable qui résonne dans ma classe, sans succès. Au dernier rang, Adam, Ophélia et Isabelle sont pris d'une crise de fou rire suite à une bêtise du jeune homme. Je ferme les yeux une seconde tout en continuant à monologuer malgré les parasites. Des fourmillements se répandent sous mon crâne, des mouches lumineuses apparaissent devant mes yeux et des sifflements bourdonnent dans mes tympans, augurant une crise d'angoisse voire... un accès de colère. Je ne dois pas exploser, je ne...

Soudain, un claquement sonore fuse dans la classe. De nombreuses filles – dont moi, je l'admets – sursautent sur leurs chaises. Les rires se suspendent.

Dans un silence sépulcral, tous les yeux bifurquent vers la source de cet énorme bruit. Sandro a violemment abattu sa paume sur sa table. Ses prunelles assombries par une rage glaciale me coupent le souffle. Il balance un regard puant de mépris par-dessus son épaule, en direction d'Adam, Ophélia et Isabelle qui paraissent aussi interdits que moi.

— J'essaie d'écouter ce putain de cours, grince-t-il entre ses dents serrées. Je ne paye pas mille euros l'année pour être emmerdé par des bourges infoutus de tenir leur langue pendant deux pauvres heures.

Isabelle devient pâle comme un linge. Ophélia, par contre, darde sur Sandro un regard brillant d'excitation malsaine. Pour ma part, je suis totalement décontenancée. Comment suis-je censée me conduire dans ce cas de figure ? Faut-il réprimander le jeune homme... ou les autres ?

— Hé, zen, mon pote, riposte Adam en levant les mains en gage de paix. C'est juste le programme, on nous l'a déjà distribué.

— La prochaine fois que tu m'appelles "mon pote", je roule en boule ton putain de programme et je te le fais bouffer, menace froidement Sandro.

Les yeux d'Adam s'arrondissent de stupeur.

— Ça suffit ! m'exclamé-je d'une voix acerbe, et tous les étudiants se retournent vers moi. À la prochaine incorrection, je vous envoie dans le bureau du directeur pour que vous vous expliquiez avec lui, monsieur Ferreira. Ne vous adressez pas de la sorte à vos camarades !

Sandro braque vivement ses missiles enflammés au fond de mes yeux. Une tension bestiale émane de tout son corps. Sa mâchoire, ses poings, son dos et ses épaules sont contractés comme s'il allait bondir à la gorge de quelqu'un d'une seconde à l'autre.

Tel un guépard sur le point d'attaquer une proie.

Moi, en l'occurrence.

Nom de Dieu ! Il va falloir qu'on le surveille, il n'a pas l'air très stable au niveau émotionnel et psychologique. J'en toucherai un mot à Trade, je pense. La vigilance doit être de mise avec ce genre d'étudiant sanguin.

— Allez-vous réussir à prendre sur vous, monsieur Ferreira ? Ou avez-vous besoin de sortir de la salle le temps de réfléchir à ce que je viens de vous dire ? insisté-je, déterminée à ne pas capituler devant lui.

Tout en m'observant, Sandro passe la pointe de sa langue sur sa lèvre inférieure – ce qui me perturbe – puis secoue sèchement la tête. En le voyant desserrer les poings et adopter à nouveau sa posture indolente sur sa chaise, je ressens un soulagement légitime. Derrière lui, Adam fixe sa nuque avec un effarement mâtiné de crainte, Isabelle se frotte les bras en frissonnant et Ophélia mordille l'ongle de son pouce, l'expression rêveuse. Il semble que le cirque de son camarade ait attisé sa... faim.

En ce qui me concerne, j'éprouve tout ça à la fois.

***

J'agence les fruits dans la corbeille sur mon bureau pendant que les élèves se rendent dans l'atelier afin d'aller piocher les objets qu'ils souhaitent et les feuilles blanches. Je leur ai donné quartier libre : crayons, pinceaux, pastels, encres ou autres... Du moment qu'ils se conforment au modèle que je leur impose, je les laisse choisir leurs outils de travail.

— Votre test sera noté, madame ? s'enquiert Laura en revenant vers moi, un pot de crayons à la main.

— Non, ne t'en fais pas. J'ai besoin d'évaluer votre niveau à travers ce petit exercice de style, assuré-je en positionnant méticuleusement les pommes, les poires et les raisins encadrés de feuilles de vigne dans le panier en osier pour que le résultat soit esthétique.

Ce que je me garde de lui dire, c'est que j'escompte détecter les éléments plus faibles de la classe. Je devrais leur consacrer davantage de temps cette année de façon individuelle afin de les aider à progresser dans les arts plastiques. Ceux qui possèdent déjà les bases techniques sont considérés comme relativement autonomes ; ce n'est pas à eux que je dois m'adapter. À moi de juger d'après leurs travaux qui doit recevoir un suivi plus poussé.

Alors qu'ils se réinstallent à leurs tables, je pivote vers eux en m'époussetant les mains.

— Bien. Les instructions sont simples : représentez cette nature morte telle que vous la percevez. Vous pouvez la traiter de façon moderne comme Picasso, pourquoi pas. Ou de manière plus académique à l'instar du Caravage, considéré comme le fondateur de ce genre parfois dévalué par les artistes. Voilà sa nature morte la plus célèbre. (Je prends la télécommande du rétroprojecteur pour appuyer sur le bouton et faire apparaître une image colorée sur le tableau.) Corbeille de fruits, réalisé en 1597, huile sur toile exposée à Milan. Ce grand peintre italien disait : "Un bon tableau de fleurs réclame autant de travail qu'un tableau avec des personnages." Il n'y a pas de sous-genre dans les arts, tout est digne d'être représenté.

— Pouvons-nous dessiner sans utiliser de couleurs ? questionne Isabelle en levant une main.

— Oui, faites comme vous le souhaitez. La seule règle est de prendre pour modèle cette corbeille de fruits qui trône sur mon bureau, mais interprétez l'œuvre à votre manière. Dévoilez-moi votre image. Même si elle n'est pas tout à fait fidèle à l'objet d'origine, ce n'est pas grave. Je ne m'attache pas au respect des dimensions, des teintes ou de la lumière : je veux voir ce que vous avez dans le ventre en tant que graines d'artistes. Vous avez jusqu'à la fin de l'heure pour achever votre œuvre. Bon courage.

Je retourne m'asseoir derrière le bureau en décalant ma chaise et mon ordinateur afin de ne pas être dans leur champ de vision. Cette quiétude est salutaire. Concentrés sur leur tâche, ils ne jacassent plus. Certains enduisent leurs pinceaux de peinture, d'autres se mettent à dessiner directement sur les feuilles. Leurs yeux affairés naviguent entre la corbeille et leur support tandis que leurs doigts s'activent à reproduire les courbes et les couleurs des fruits. Je suis impatiente d'examiner leurs travaux pour avoir une idée plus précise du potentiel de chacun. Celui de Sandro Ferreira m'intrigue particulièrement, mais...

Il ne fait rien.

Le jeune homme a pris le minimum syndical dans l'atelier. Un crayon à mine grasse et une feuille A4. Or il ne s'en sert pas, contrairement à ses camarades autour de lui. Du moins, pas sur le support en papier... Il joue avec son crayon en le moulinant habilement comme une hélice sur ses doigts repliés. L'expression méditative, il scrute le feuillage des arbres de la cour par la fenêtre. Mais qu'est-ce qu'il attend pour commencer ? L'heure tourne !

Il est le seul à ne pas bosser.

Secouant la tête, je me désintéresse de cet idiot pour pianoter sur mon clavier. J'ai mieux à faire qu'à épier un cancre rebelle de pacotille qui refuse de se soumettre à un exercice aussi basique. Je commence à me demander ce qu'il fiche ici. Sa mauvaise foi apparente est paradoxale avec son coup de sang de tout à l'heure contre Adam, qui l'empêchait d'entendre le programme de l'année.

C'est officiel : Sandro Ferreira se révèle aussi insaisissable qu'insupportable. Je l'ai dans le collimateur.

C'était peut-être ce qu'il voulait, suggère une voix perplexe dans ma tête.

Foutaise... Il doit se comporter comme ça avec tous ses professeurs pour les rendre chèvres. Si ça fonctionne sur moi, ce ne sera pas le cas de tout le monde. Charlène, par exemple, sera imperméable à ses provocations. Mais je la mettrai en garde contre lui tout de même, par solidarité professionnelle et bien sûr, par amitié.

Au bout d'une demi-heure, j'aventure un coup d'œil sur mes élèves et m'étonne de voir l'impudent gribouiller sur sa feuille. Ce n'est pas trop tôt ! Comme s'il avait senti le poids de mon regard sur lui, Sandro relève la tête et insinue ses yeux cristallins au fond des miens. Sans cesser de dessiner, il me dédie alors un léger sourire narquois. Je me fige, car l'incurvation subtile de ses lèvres pleines au milieu de sa barbe naissante rend son visage encore plus divin.

Devant son sourire dont je suis la seule à profiter et qui m'est personnellement adressé, mon cœur subit une embardée brutale. Mon souffle se raccourcit. Et surtout... une boule de chaleur terrifiante germe au creux de mon ventre.

Mon Dieu, non !

Je ne peux pas désirer un élève !

Je ne veux pas. Je ne le conçois pas !

Je m'arrache à son regard en priant pour que ma rougeur subite aux joues ne soit pas trop flagrante. J'ai la chair de poule et l'estomac en vrac. Trahie par mon corps, une fois encore.

Je me sens affreusement coupable.

Certes, ce n'est pas parce que je suis mariée que je ne regarde pas les hommes. J'ai déjà eu des papillons dans le ventre une fois ou deux devant un bel acteur à la télé ou un mannequin canon dans un magazine de mode. J'ai maté des types séduisants dans la rue à quelques reprises tandis que Jack me tournait le dos, pour ne pas le blesser.

Mais avoir envie d'un de mes étudiants...

Jamais ça ne s'était produit.

Jusqu'à aujourd'hui.

Jusqu'à Sandro Ferreira.

Inspire... Expire...

Je déraille. Je n'aurais peut-être pas dû reprendre le boulot, en fin de compte. Et si je m'étais surestimée ? Mon corps se venge de façon sournoise, criant "Tu n'étais pas prête à retourner dans la vie active, imbécile !" à mon cerveau buté.

Qu'est-ce qu'il a de plus que les autres ? Qu'a-t-il de différent pour susciter un tel chamboulement au niveau physique ? Une plastique parfaite ne fait pas tout ! Il n'a même pas flirté avec moi. Ce n'était qu'un demi-sourire. Goguenard, qui plus est !

Alors, pourquoi m'a-t-il causé un tel émoi ?

Je ne comprends pas. Et ça me mine.

Je n'ai plus qu'à espérer de toutes mes forces que ce soit un épisode isolé.

Sinon, je suis dans la merde jusqu'au cou.





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