« Je suis le Phénix et je viens t'arrêter, Arthur Sol ! »

Arthur est assis sur son trône, des poches sous les yeux, la jambe agitée et à deux doigts d'exploser. Azrim est à ses côtés mais ne réagit pas à mon entrée.

— QUE FAIS-TU ICI ?! s'écrie Arthur furax. Tu devrais être en train de défendre le palais ! C'est Helyon qui t'envoie ?!

— Helyon est mort. Je l'ai tué.

Il se lève et sonde mon regard pour chercher la vérité dans ses yeux mais son don de clairvoyance ne lui sert à rien et quand il s'en rend compte il frotte son front avec sa main. Azrim, lui, a enfin remarqué ma présence et ses ombres commencent à frétiller.

« Putain Katalina... » crache Arthur. « Tu te souviens c'est ça ? C'est pour ça que tu l'as... »

Il croise les bras et se met à rire, un rire sournois et inquiétant.

« Ce n'est pas grave ! Mon frère était fou de toute façon ! Toute cette famille est folle ! On ne peut faire confiance à personne... Non... Personne. Il n'y avait que ma mère dans ma vie et elle est morte. Voir mon père mourir aurait dû me soulager mais rien, je suis toujours vide. »

Il me fait presque pitié. Il était un dommage collatéral de la machination de son père, comme Max, comme Aster, comme toute la famille Sol en fait. Une famille maudite à cause d'un vulgaire sentiment de jalousie du roi envers son neveu.

« Azrim », commença-t-il sur un ton désespéré. « Détruis la ville. »

Le démon ne bouge pas. Arthur se tourne vers lui, à nouveau en colère et s'écrie « Tu es à mon service, démon ! ». La pièce devient de plus en plus sombre et est à peine éclairée par une lumière violette. Arthur se rassoit sur le trône et sort son holophone pour retransmettre les images de la ville devant nos yeux : d'immenses ombres noires surplombent le palais et commencent à s'étendre dans le ciel, faisant au passage s'enfuir les insurgés, mages comme démons.

— Arthur tu ne peux pas faire ça ! crié-je dans sa direction. Qu'est-ce que ça va t'apporter de tout détruire ?! Tes sœurs sont encore en ville !

— Je m'en fiche de mes sœurs, dit-il d'un ton las. Gabriella est une gamine pleurnicharde et inutile et Irina... tellement puissante et respectée comparée à moi... J'aurais préféré qu'elle ne vienne jamais au monde.

— Quoi ? souffle une voix féminine dans mon dos.

Irina, blesser au bras droit et soutenu par Iron, tout aussi amoché qui a dû réussir par je ne sais quel moyen à la convaincre du déclin de son frère. Arthur s'esclaffe en la voyant avec son air choqué.

« C'est la vérité ma sœur. Le moteur de cette famille est la jalousie !... Si tu n'étais pas née, mère serait restée avec père et nous aurions pu continuer à vivre heureux ! Dès que tu es née, tout est parti en vrille et mère est partie ! C'EST DE TA FAUTE ! »

Irina s'écroule sur ses genoux mais Iron la soutient par les épaules pour qu'elle ne s'effondre pas complètement au sol. Je me tourne en sentant le regard d'Azrim sur moi, il a les mains tendues et attend quelque chose de ma part.

Kat... Tu m'entends ?

Mon collier se met à scintiller... Max. J'arrache le collier de mon cou et le regarde intensément.

Azrim est sous le contrôle d'Arthur. Il ne pourra pas s'arrêter tant qu'Arthur sera conscient. Il faut qu'Azrim ouvre un portail vers l'enfer pour que le seigneur des démons agisse. Tu dois faire quelque chose.

Oui mais quoi ? Tuer Arthur ? Je ne respecterai pas le pacte fait avec le seigneur des démons sinon...

Tu dois exercer un contrôle mental sur lui, tu dois lui faire passer un « test ».

Je n'ai pas ce genre de pouvoir je te rappelle !

Non... Tu n'as pas besoin de ça, juste d'un peu « d'ombre ».

Je mets quelques secondes avant de comprendre et le rire diabolique d'Arthur me réveille soudain. Bien sûr, une ombre. Azrim hoche lentement la tête. Il a compris.

Je me mets à courir vers Azrim et avant même qu'Arthur réagisse, je saisis une ombre en forme de serpent qu'il fait sortir juste devant lui. Je me dirige rapidement vers Arthur tout en slalomant pour éviter ses sorts explosifs. Sa récente folie l'a rendu faible. J'arrive à son niveau et esquive un coup de poing. Nous nous battons au corps à corps mais j'ai clairement l'avantage sur la dernière fois et un de mes coups de pieds de feu le fait s'écrouler sur son trône. Je l'attrape, lève sa tête avec ma main libre et plante les crocs du serpent d'ombre dans son cou. Il crie et se débat violemment ce qui pousse le serpent à accentuer sa prise. Tenir le corps de cette chose me brûle la paume et je commence à sentir des picotements. Le serpent disparaît enfin et je m'écroule sur mes genoux.

🔥🔥🔥

Un ciel blanc. Un sol rempli d'eau. Où suis-je ?

On y est.

Je lève la tête et vois Max, les bras croisés et le regard sombre. Il ne me regarde pas et est concentré sur quelque chose au loin. Je me relève et suis son regard : devant nous, un petit garçon blond en train de se disputer avec son double.

« C'est comme le test c'est ça ? »

Max ne répond pas et commence à marcher vers les garçons. Je l'imite et m'arrête devant les deux petits Arthur.

— Qu'est-ce qu'il va leur arriver ?

— Ils vont mourir à petit feu. Arthur doté de clairvoyance est en contradiction avec son propre esprit. Il sait que ce qu'il fait est illogique mais il s'est laissé submerger par ses émotions. Comme tous les membres de cette famille royale maudite depuis la décision d'Octavius Sol.

— Toi aussi tu vas mourir submergé par tes émotions ?

Il se tourne enfin vers moi, l'air grave, puis se radoucit petit à petit comme si j'apparaissais enfin devant lui après des années. Il se met à sourire et tente de me toucher la joue mais sa main me traverse le visage. L'air déçu, il expire un grand coup et se retourne vers les enfants en train de se pousser et ne faisant pas attention à notre présence.

— J'ai tellement hâte que tout soit terminé, dit-il. J'aimerais que l'on quitte la ville, toi et moi.

— Juste nous deux ? demandé-je en rougissant.

— Juste nous deux, pas d'Azrim. Toi, moi, roulant vers l'horizon. On s'arrêterait à la frontière du pays, là où la plage à l'heure dorée se teint de violet, de rouge et de jaune.

— C'est un joli rêve, conclus-je.

Il hocha la tête d'un air satisfait avant de m'écarter des deux garçons. Une immense chose difforme s'approche d'eux et commence à les dévorer. Le spectacle est répugnant, sanglant, et même si cela n'est que métaphorique, ça me retourne l'estomac.

— Il est temps. Azrim a dû ouvrir le portail.

— Oui...

— On se revoit dans l'autre monde Katalina.

— Attends ! Est-ce que tu... tu m'accepteras toujours ? Malgré tout ce que j'ai fait ? Je sais que tu as tout vu, tout entendu et tu dois savoir que j'ai beaucoup changé depuis ces quelques mois où l'on était éloigné.

Max se rapproche de moi mais ne me touche pas et se contente de me faire un sourire rassurant.

— Tu parles à un tueur, Kat. Tu t'es débarrassé du type qui a failli te violer, tu ne peux pas savoir à quel point j'étais en rage quand je l'ai vu sur toi et te voir le tuer m'a fait du bien. Ce n'est pas moral, je pense que mes valeurs ont déteint sur toi. C'est moi qui devrais me demander si tu m'accepteras quand je reviendrai...

— Je porte ton âme à mon cou depuis des jours, « enfoiré ».

Il se contente de sourire et s'efface devant moi.

🔥🔥🔥

J'ouvre enfin les yeux et retrouve la sombre salle du trône mais à un endroit différent de là où je me suis écroulé. Je regarde Irina, en train de se soigner à côté de moi et Iron qui me tend la main pour me relever. Nous n'échangeons aucun mot car le démon présent juste derrière moi empêche la moindre communication entre nous : le seigneur des démons de l'ouest avait franchi le passage ouvert par un Azrim délivré temporairement de l'emprise du roi. La peur flottait dans l'air, nous empêchant de le regarder dans les yeux.

Félicitation élémentaliste de feu. Tu as réalisé un exploit en maintenant en vie l'âme de celui que tu aimes si longtemps. Elle aurait dû te consommer depuis longtemps, remercie ta nature d'élémentaliste.

Le seigneur des démons se tourne vers Irina en l'examinant avec intention. Il se rapproche de nous et commence à la renifler, sous le regard méfiant mais, pour la première fois, peureux d'Iron.

Tu es la future reine c'est ça ? Irina ? Tes exploits guerriers ont été entendus jusqu'en enfer. Tu seras une bonne reine et j'espère que tu ne me trahiras pas comme ton frère.

Elle ne dit rien et se contente de hocher la tête, les yeux grands ouverts. Le seigneur se tourne enfin vers Azrim et se met à rire, un rire grave qui nous fait tous sursauter.

— Az ! Bon sang !

— Mon seigneur. dit-il en faisant une révérence.

— Tu as changé ! Cet humain soi-disant si faible t'as mené la vie dure ! Quand j'ai appris qu'il t'avait enfermé en lui il y a quelques années, je n'ai pas pu m'empêcher de rire de l'ironie de la situation !

— C'est gênant mon seigneur. Tout ce que j'ai fait, c'était pour vous.

— Ne mens pas à ton seigneur. Tu as créé un sacré bordel juste pour t'emparer d'un trône... Ça me rend admiratif.

« Que va-t-il arriver à Arthur ? » dit Irina en les interrompant.

Tu as du cran pour avoir osé prendre la parole en présence de deux démons supérieurs ! Je respecte ça. Arthur va mourir, ça va de soi. Il a essayé de tromper la mort en envoyant l'âme d'un humain au néant et ce geste m'a couté un de mes meilleurs démons. Il va en payer les conséquences, tout le pays est au courant de ses agissements.

« Comment ? »

J'ai enregistré et diffusé tous les récents échanges que nous avons eus dans cette salle, dit Azrim. Tout était diffusé en direct sur tous les holophones jusqu'au moment où le seigneur apparaît. Le peuple serait satisfait de perdre son souverain et d'en gagner une plus sage.

Irina ne sait plus quoi dire et se contente d'observer son frère évanoui sur le trône. Le seigneur des démons saisit son corps et l'envoya dans le portail démoniaque, sans faire dans la dentelle. Il s'apprête à partir pour finalement se raviser et me regarder. Il ne dit rien pendant de longues secondes puis regarde Azrim et revient vers moi.

Katalina c'est ça ? Je sens que toi et Max vous pourriez accomplir de grandes choses pendant votre existence humaine, des choses qui serviront la cause humaine et démoniaque. J'ai vu et entendu ce que tu as fait ces derniers mois à Solistis grâce à Marcus et ta détermination m'a impressionné. Je vais t'offrir l'opportunité de vivre heureuse.

Il fait apparaître un réceptacle sphérique en verre et se tourne vers Azrim.

Az, aimerais-tu être le prochain seigneur des démons ?

Ce dernier ouvre ses yeux rouges en grand et s'agenouille devant son seigneur.

— Tu as beaucoup appris sur les humains ces dernières années et tout le mal que tu as commis m'a prouvé ta valeur démoniaque. Avec tout ce qu'il s'est passé ici, je vais devoir rejoindre le cercle des démons supérieurs et ma place de seigneur de l'ouest sera vacante. Veux-tu prendre la place de ton seigneur ?

— Oui ! Bien sûr ! s'exclame le démon d'ombre.

— Parfait. Nous venons de trouver une utilité au corps sans vie d'Arthur, il sera ton nouveau réceptacle. Max pourra retrouver son corps, dit-il en se tournant vers moi, il conservera les pouvoirs d'Azrim, ce dernier n'en aura plus besoin lorsqu'il sera seigneur.

— Vous voulez dire que Max ne sera plus maudit ? Il ne sera plus...

— Plus aucune malédiction ne les rattachera ensemble. Ton contrat avec lui sera également rompu. Vous serez tous les deux libres.

— ...pourquoi ? Pourquoi une telle faveur ?

— Parce que vous me divertissez. Tu as compris que le monde n'était pas fait que de lumière et lui que d'ombre. Vous êtes en marge de la société avec votre mentalité, vous raisonnez presque comme des démons. Je trouve ça intéressant.

Il tend la main vers Azrim qui se transforme en fumée et rejoint le réceptacle. Le corps de Max tombe au sol et la seconde d'après, l'âme de Max se libère de mon collier pour rejoindre son corps. Le seigneur des démons nous regarde tous avant de conclure l'échange :

— Au revoir humains. N'oubliez pas qu'on ne berne pas un seigneur des démons. Adieu Irina, future reine de Solis, j'espère que ton entente avec mon successeur sera cordiale. Adieu Katalina, élémentaliste de feu. Adieu Max Sol. J'espère pouvoir un jour créer des démons comme vous.

— Adieu, mon délicieux amour, n'hésite pas à venir me voir en enfer, je me ferai un plaisir de goûter à nouveau à ta chair, conclut la voix d'Azrim dans ma direction.

Il entre dans le portail qui s'évapore la seconde d'après. La lumière du lever du soleil frappe avec violence la pièce auparavant sombre. Je me rue vers le corps de Max, le relève un peu et commence à prendre son pouls. Je ne sens rien pendant quelques secondes et commence à paniquer mais après finalement je ressens quelque chose. Son visage reprend des couleurs et son corps de la chaleur. Les rayons du lever de soleil lui font froncer les sourcils ce qui finit par lui faire lever les sourcils.

Ses yeux gris-vert se plantent directement dans les miens. Il essaye de se relever mais reste appuyé sur ses avant-bras. Il tend sa main vers mon visage et me caresse la joue.

« Tu es magnifique Kat. »

Sa fameuse réplique m'avait manqué, tellement que je m'effondre en larme sur son torse. Il se met à rire doucement et caresse mes cheveux roux. Je relève la tête et essuie les quelques larmes de joies de mes joues. Je veux dire quelque chose mais il pose son doigt sur ma bouche en fermant les yeux. Il attend trois secondes avant d'enfin lâcher les mots que j'attends depuis des mois.

— Je t'aime Kat. Te rencontrer a été la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma triste existence. Tu as ramené le feu en moi, tu as fait battre mon cœur à nouveau et tu m'as donné de l'espoir.

— Ce n'est pas un peu trop ? dis-je en rigolant.

— J'ai décidé d'arrêter de me mentir à moi-même, et à toi. Quelle est ta réponse ? Veux-tu passer le reste de nos existences humaines avec moi ?

Je l'embrasse tendrement avant de dire à mon tour :

— Moi aussi j'arrête de mentir : je t'aime Max. Peu importe ce que tu as fait et ce que tu feras, je te soutiendrai et je ne passerai plus autant de temps loin de toi.

— Alors soit.

Nous nous embrassons fougueusement, ignorant tout notre environnement, concentrez sur nous et seulement nous. Nous avons arrêté de nous mentir et à partir de ce moment-là, nous nous sommes autorisés à vivre heureux ensemble, peu importe que nos actes soient jugés bons ou mauvais.

Tant que nous sommes ensemble, nous pouvons tout affronter.

Épilogue disponible.

Note de l'auteure : Pour ceux qui aimerait en savoir plus sur cette histoire ou les autres (anecdotes, citations, etc...) J'ai créé mon tumblr et ma page facebook ! 

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Photo de couverture : Henry Be (https://unsplash.com/@henry_be)

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[Deuxième correction - 11 avril 2019]