54 - Insurrection

— Gabriella Sol ?

— Qui me demande ? répond une faible voix dans la pénombre de la cellule.

— Une femme que tu ne portes pas dans ton cœur.

Des bruits de chaines se rapprochent des barreaux de la cellule : Gabriella, à peine éclairée, semble bien différente de la dernière fois que je l'ai vu. Le teint blafard et fatigué, les cheveux bien plus longs et en épis et des cernes sous les yeux. L'absence de maquillage sur son visage la rendrait presque banale. Elle m'observe et fronce les sourcils puis mime une expression de dégoût.

— Qu'est-ce que tu fais ici, voleuse d'âme sœur ?

— Tu m'énerves déjà, réponds-je. La prison est prise d'assaut par les flammes, ce qui me permet de te faire sortir de là.

— Pourquoi est-ce que je devrais te faire confiance ?

J'expire bruyamment, ouvre la cellule en faisant fondre la serrure et l'attrape par le col de son uniforme de prisonnière.

— Écoute, je n'ai pas le temps de me prend la tête avec toi. On ne s'aime pas toutes les deux mais soit tu me suis, soit tu restes croupir ici !

— ...Je te suis.

Je fais fondre ses chaines et lui tends la main qu'elle rejette avant de se lever seule.

— Pourquoi tu ne m'as pas délivré plus tôt ?

— Doucement princesse, estime-toi heureuse que je sois venu te chercher. Ce soir c'est l'insurrection : démons, mages, humains, tout le peuple s'avance vers le palais royal afin de destituer ton frère Arthur du trône. Le peuple a appris ses agissements envers le précédemment roi et toi et sa politique discriminante n'est pas bien accueilli depuis quelques mois.

— Ça ne m'étonne pas. Quand je pense que mon propre frère m'a mis en prison...

— Ton propre père a organisé le meurtre de membre de ta famille en se servant de son neveu de 12 ans.

Gabriella ne répond rien et continue à me suivre dans les couloirs silencieux des sous-sols de la prison, là où les prisonniers jugés coupables par le roi lui-même sont gardés.

La libération de Lou et Mery fut assez simple mais les retrouvailles compliquées. Lou semblait toujours traumatisée par la trahison d'Alexandre et surtout très fatiguée à cause de son insomnie. Ma révélation sur les événements des derniers mois et surtout sur le sacrifice de Marcus n'arrangea rien. Elle fondit en larme, soutenue par une Mery tout aussi vidée et sous le choc. À mon grand étonnement, Gabriella était tout aussi choquée mais comprenait son geste : elle connaissait la nature de la relation entre Marcus et Max et si elle en avait eu la possibilité, elle se serait elle-même sacrifiée pour « son âme sœur ».

— Qu'est-ce qu'on va faire ? me dit Mery, désespérée en marchant à mes côtés dans les couloirs saccagés.

— Orion et Silver guident l'insurrection en ville. Si tu as assez d'énergie je te conseille de les rejoindre mais avant tu devras la mettre en sécurité, dis-je en désignant Lou.

— Et toi, que vas-tu faire ?

— Je vais aller au château mettre un terme au règne d'Arthur Sol.

— Comment comptes-tu t'y prendre ? me rétorque Gabriella. Arthur est puissant, la garde entière d'Irina le protège et Helyon-

— J'ai tué Helyon.

Un silence. Gabriella me regarde avec de grands yeux choqués et juge la neutralité de mon expression à ces mots. Sans sentiments, sans regret, j'ai l'impression d'avoir toujours souhaité sa mort et avoir accompli ce but me rendait dangereusement sereine. J'avais évolué.

« Comment tu... ! »

Gabriella tente de se jeter sur moi mais je l'esquive et elle s'écroule sur le sol. Elle se relève vivement et essaie de me frapper, en vain. Je place ma main devant elle et une lame de feu en sort. Elle s'arrête, pétrifiée par la peur de brûler. Je tourne la tête vers mes amies qui semblent elles aussi avoir peur de moi...

— Quoi ? demandé-je. Ce n'est pas la première fois que vous me voyez comme ça.

— Tu... commence Lou. Tu as changé.

— Tu dégages une aura angoissante... Quelque chose de sauvage et dangereux. De brûlant. Kat, tu es bien une élémentaliste de feu mais j'ai l'impression que tu es en train de basculer du mauvais côté.

J'efface ma lame et hausse les épaules.

« Il n'y a pas de bon ou mauvais côté. Pas de bien ou de mal. J'ai tué Helyon, est-ce mal de tuer ? Je t'aurai répondu oui sans hésiter il y a quelque temps encore mais tout n'est qu'une question de circonstance. Le monde n'est pas blanc ou noir, il est gris. »

En entendant mes propres paroles, je me rends compte que je répète ce exactement ce que Max m'a dit un jour, alors que je qualifiais ses actions d'immorales.

« Ce que je fais, c'est pour le bien commun, pour la société. Pour que les gens souffrent moins. Ce n'est pas moral, ce n'est pas « bien » mais c'est ce qu'il doit être fait. Et quelqu'un doit se salir les mains pour préserver cet équilibre entre le « bien » et le « mal ». »

En à peine quelques jours, voire quelques heures depuis la mort d'Helyon, j'avais pris conscience de tout ce que je refusais de voir et de croire. Pourquoi j'avais refusé d'accepter mon amour pour Max : parce qu'il était « méchant », parce que mettre fin à des vies lui importait peu tant que ça lui rendait service. Tout ce mal le tiraillait à l'intérieur mais en acceptant Azrim, il avait accepté de canaliser et d'accepter cette cruelle réalité. La seule chose qui le perturbait encore à ce jour été le meurtre de sa famille et le fait d'avoir appris la vérité de la bouche d'Octavius Sol et de s'être vengé en le tuant avait dû surement l'apaiser, comme moi avec Helyon.

— Kat... tu es sûr que tout va bien ? s'inquiète à nouveau Mery.

— Ça va, dis-je en expirant. Vu que Gabriella ne supporte pas ma présence, vous l'emmènerez avec vous.

Gabriella, en pleure, me regarde avec haine mais aussi angoisse. Elle sait qu'elle ne peut rien contre moi mais elle m'en veut plus que n'importe qui de lui avoir tout pris : la vie de son frère, son âme sœur, sa vie tranquille... Si j'avais été à sa place il y a quelques mois, je me serai effondrée, incapable de réagir. Mais tout a changé.

En sortant du bâtiment, nous constatons que les grandes flammes se sont éteintes mais que la forêt juste à côté brûle. Nous apercevons quelques secondes après de grandes vagues, ce qui confirme ma supposition : Iron est en pleine confrontation avec Irina. J'espère qu'il arrivera à la convaincre.

Je quitte une Lou désorientée, une Mery exténuée et une Gabriella rancunière avant de continuer mon chemin vers le palais. Les rues de la capitale sont saccagées, des combats entre la garde royale et le peuple ont eu lieu un peu partout... Je décide d'emprunter des petites rues pour ne pas être gênée par les grands mouvements de foule en colère. Des démons se sont laissés emporter et ont dévoré des mages dont les corps frais gisent encore sur mon chemin. Je devrai être choquée, dégoutée mais j'ai l'impression d'être hermétique à tous mes anciens sentiments. L'âme de Max me pèse beaucoup moins depuis la mort d'Helyon, comme si mon changement m'avait relié encore plus à lui.

En m'approchant de plus en plus du palais, je croise un groupe de mage en train de torturer un démon. Ils se retournent vers moi et l'un d'eux me pointe du doigt en me reconnaissant : « C'est le phénix d'Helyon ! Tuez-la ! »

Une minute après, je regarde froidement leurs corps calcinés et rampants pour mieux me fuir. L'un d'eux me supplie d'arrêter les flammes rongeant sa jambe, ce que je fais.

Ne te laisse pas consumer par la rage Kat.

Je continue mon chemin et arrive à rentrer dans le palais par un passage peu connu du peuple, seulement par les serviteurs de la famille royale. L'agitation est aussi importante que dehors et les gardes restants se ruent vers la porte principale qui, si elle n'était pas retenue par une ribambelle de sorts de protection, n'aurait pas tenu bien longtemps. Je traverse le grand hall du palais avant de m'arrêter en entendant une grosse explosion : la première porte avait cédé. Celle devant moi, deuxième protection avant la salle du trône, commence à se referme doucement sur elle. Je cours et glisse jusqu'à cette dernière avant d'être rattrapée par des démons en colère contre le roi.

— Est-ce que vous allez bien ?! me demande un garde encore sous le choc des événements.

— Ça va... Où est-ce que je peux trouver le roi ?

— Il est cloitré dans la salle du trône à donner des ordres à distance. Le reste de l'armée est arrivée en ville et ne devrait pas tarder à faire le ménage.

— Contre des milliers de démons et d'humains ? Je doute qu'elle s'en sorte.

Je m'éloigne de la porte et commence à avancer dans le couloir principal.

« Max. Est-ce que tu saurais me dire où est ton corps ? Où est Azrim ? »

Je me concentre et agrippe mon artéfact dans mes mains en attente d'une réponse, d'un signe.

Avec Arthur.

Bien. Tout va se jouer dans cette salle du trône, comme il y a quelques mois là où Octavius Sol est mort. Arthur sera puni, pas de mes mains mais par les démons eux-mêmes.

Planté devant les deux portes massives de la salle du trône, je concentre mon énergie dans mes poings. En seulement quelques heures j'ai gagné en puissance et le « vrai feu » comme disait Iron, était maintenant en moi. Enfin je me sentais pleinement comme une élémentaliste. Je frappe de toutes mes forces sur les portes, brisant au passage plusieurs barrières magiques. Au bout de quelques minutes, les portes cèdent enfin sous mes assauts et tombent en arrière dans la pièce.

« Je suis le Phénix et je viens t'arrêter, Arthur Sol ! »



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[Deuxième correction - 11 avril 2019]    

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