AHAHAHAH !

C'est le rire le plus effrayant que j'ai jamais entendu. Le seigneur des démons de l'ouest, un monstre de près de trois mètres, est penché sur une rambarde nous protégeant d'un immense puits sans fin d'où sort de la fumée et des étincelles de toutes les couleurs.

Tu as laissé passer une âme humaine jusqu'à la porte du néant, est-ce que les années t'ont rendu stupide, sorcière ?

Il s'adresse à une femme en contre-bas, enfin une femme... Une « chose » habillée d'une grande cape noire qui semble utiliser un bâton géant pour « touiller » le puits.

— Tu n'as pas le droit de me juger, répond-elle, seul le tout puissant le peut.

Tu as commis une erreur, nous venons ramener l'âme d'un humain dans son corps.

— Qui est l'humain ?

Max Sol. L'hôte d'Azrim.

Elle rigole légèrement avant de murmurer quelque chose puis pousse son immense bâton vers une des extrémités du puits et attend quelques secondes sans bouger. Je frotte mes avant-bras frénétiquement, l'air est beaucoup plus frais ici. Marcus me jette un coup d'œil et met sa main sur mon épaule pour me rassurer.

« Ah... Diable, le tout puissant ne va pas apprécier le tour de magie du nouveau roi de Solis. On ne joue pas avec les âmes des gens et on n'envoie pas n'importe qui en enfer ! »

Elle relève son énorme bâton et une boule d'un bleu incandescent apparaît. Mon cœur s'emballe d'un coup. C'est bien lui, je le sens.

— Bon, comment ça se passe pour l'échange ?

Tu fais preuve d'humour sorcière ? répond le seigneur.

— Non.

Marcus expire en fermant les yeux et murmure un « J'en étais sûr ».

« Je ne comprends pas », finis-je par dire.

Personne ne me répond. Seul le squelette Sid s'approche de moi pour m'expliquer la situation.

— Le puits du néant a déjà accepté par erreur l'âme de votre ami. Si on lui retire, il faut faire un échange d'âme pour restaurer la balance.

— Quoi ?

Diable que c'est stupide. Ne puis-je pas simplement ramener son âme à la vie ?

— S'il était mort oui, mais son corps est toujours vivant à la surface, dit la sorcière. Il va falloir faire un échange.

Bon, Marcus ?

Marcus frotte ses cheveux et se met à étrangement sourire en me regardant.

« Désolé Kat mais je n'ai pas été sincère avec toi. Je m'y attendais un peu en fait. »

Il s'avance vers la rambarde et serre la main du seigneur de l'ouest.

— J'ai été fière de servir sous votre commandement pendant plus de 200 ans... Et je vous remercie pour l'affaire concernant Ivy.

Tu as mérité ton statut de démon supérieur Marcus. Tu es le corbak le plus curieux que j'ai rencontré en 1000 ans d'existence. Tu aurais même pu prendre ma succession.

— Sans façon, je n'ai qu'une envie maintenant et c'est rejoindre ma femme.

Je finis par comprendre.

— Non ! m'écrié-je en attrapant son bras. Tu ne peux pas échanger ta place ! Ça ne peut pas finir comme ça ! Il n'y a pas d'autres solutions ?!

— C'est la seule solution, une âme de démon contre une âme humaine, c'est raisonnable.

— Ne fais pas ça Marcus !! On a besoin de toi ! Tout le monde, moi et Max ! Sans toi, tout sera différent !

— Je suis prêt à en finir avec ma longue existence depuis des années, je suis décidé. La meilleure fin que je puisse avoir c'est en sauvant mon meilleur ami, mon « petit-frère ».

Marcus me prend dans ses bras et ce geste me fait immédiatement sangloter. Il essuie quelques larmes de mon visage du revers de sa veste et continu à me sourire.

« Je suis content de t'avoir connu avant la fin Kat. Si je n'avais pas connu Ivy avant toi, je serai surement tombé amoureux de ton caractère de feu. »

Je rigole doucement malgré les pleurs. Il relâche son emprise et tapote mon collier.

« L'âme de Max ira vers la personne dont il est le plus proche. C'est pour ça que je t'ai amené ici. Ce collier près de ton cœur va accueillir son âme jusqu'à ce qu'il retrouve son corps. Prends-en bien soin, c'est quand-même l'âme de l'homme que tu « n'aimes pas » ! »

Sur ces derniers mots, Marcus sort la chaîne de son cou et embrasse son ruban blanc. Il me fait un dernier bisou sur la joue, échange un regard entendu avec le seigneur de l'ouest et se transforme en corbeau puis saute dans le puits. Des étincelles plus importantes sortent du puits et l'âme de Max se détache du bâton pour se loger dans le quartz de mon collier maintenant bleu.

Je m'appuie sur la rambarde encore sous le choc de la disparition de mon « grand-frère » mais la présence chaude et rassurante de l'âme de Max me fait retrouver espoir. J'essuie les larmes qui perlent mon visage d'un revers de la main. Nous ne devons pas gâcher le sacrifice de notre ami.

Vous allez devoir vous occuper de cette famille royale décadente, me dit le seigneur des démons. Lorsque le roi sera à votre merci, Azrim devra ouvrir un passage vers l'enfer pour ma venue. Je punirai Arthur Sol d'avoir enfreint les règles de la mort.

Je hoche la tête et presse le quartz dans mes mains. Le seigneur de l'ouest ouvre un portail devant moi et me tend la main. Je la saisis timidement et il m'entraîne vers le portail.

Tu es courageuse, élémentaliste de feu. Azrim a fait un bon choix.

Le portail m'aspire et je me retrouve comme téléporté dans le jardin de la résidence royale.

Marcus n'est plus... Il est retourné au néant et a rejoint l'amour de sa vie. Je passe ma main sur le collier et ressens une sensation d'apaisement. Max doit aussi comprendre la décision de Marcus et doit être aussi triste voir plus que moi mais il sait aussi qu'on doit mettre un terme à toute cette histoire.

☲

« J'ai décidé que vous seriez ma femme Katalina. »

Je recrache presque le contenu de mon verre. Nous sommes à la table du roi, Arthur, Helyon, Irina et Iron pour faire un point sur les missions de pacification. Helyon se lève en tapant violemment du poing sur la table, Irina semble très surprise mais c'est la réaction d'Iron la plus proche de la mienne : il est mort de rire.

— Qu'est-ce que tu racontes mon frère ?! Pourquoi Katalina serait ta femme ?!

— Pourquoi pas ? répond le roi. Elle est à ton service mais elle m'appartient à moi, le roi.

Je déglutis.

— J'ai besoin d'un héritier. Un héritier puissant. Et quelle parfaite candidate qu'une élémentaliste de feu pour répondre à cette tâche ?

— Non ! crie Helyon. Elle devait se marier avec moi ! ELLE EST À MOI !

C'est affligeant, je suis un objet dans leur jeu. Irina est tout aussi désespérée que moi, fatiguée du jeu de pouvoir entre leurs frères.

Arthur ouvre grand ses yeux vers Helyon et lui fait un sourire narquois. Il est inquiétant quand il fait cela.

« Tu n'as pas ton mot à dire face au roi. Est-ce que tu veux rejoindre ta sœur en prison ? »

Helyon se rassoit sans rien dire. J'avais oublié Gabriella, cette fille obsédée par Max, son « âme sœur ». Elle était en prison alors ? Arthur n'avait pas de pitié envers les membres de sa famille et vu la réaction d'Helyon et d'Irina, c'était le seul à avoir donné l'ordre d'enfermer sa jeune sœur pour trahison.

« Katalina, tu ne peux refuser la proposition de ton roi, n'est-ce pas ? »

J'aimerais tellement le faire brûler mais je dois maintenir l'illusion, lui faire croire que je n'ai pas retrouvé mes souvenirs et c'est plus dur vu qu'il a le pouvoir de clairvoyance.

« Non mon roi », réponds-je avec la plus grande conviction du monde. « Je serai honoré de devenir votre femme. »

Je me fais vomir. Mon collier, caché sous mes couches de vêtements commence à me picoter la peau. Max doit être conscient de la situation et ne pas beaucoup l'apprécier.

— Parfait. Nous n'avons pas de temps à perdre. Après vos dernières missions de pacification avec Iron, nous organiserons une petite cérémonie. J'attends de toi, Helyon, un peu de retenu. C'est compris ?

— Hum.

Helyon finit d'une traite son verre et se lève en me faisant signe de le suivre. Je fais une révérence au roi et le suit sans un mot. Nous traversons les couloirs du palais avec tension. Je sens son aura s'assombrir, il aurait été un parfait démon dans une autre vie. Il finit par s'arrêter et frapper son poing contre le mur.

— Rien n'a changé, murmure-t-il. Même si père est mort, je ne suis toujours pas reconnu... Arthur me traite encore et toujours comme un gamin, jamais comme son égal.

— Mon prince ?

— Tais-toi Katalina.

Il s'approche dangereusement de moi pour me caresser le visage. Je frissonne et suis envahi par une forte aversion.

— Où est passé ton caractère de feu Katalina ? Tu t'écrases devant le roi aussi facilement ?

— Je dois le respect à mon roi.

— Tu me dois le respect à moi, chuchote-t-il. Tu es à moi, ma chose.

Il passe sa main sous mon chemisier et la retire vivement. « Aie ! ». Son doigt est brûlé. Il sourit malicieusement en regardant la petite brûlure.

« Tu n'as pas perdu de ta flamme. J'aime ça. »

Il s'éloigne de moi et continue son chemin seul. Je m'adosse au mur et expire un grand coup. Je suis rempli d'un sentiment de haine et de dégoût envers lui, envers eux... et je n'ai qu'une hâte, me débarrasser de lui. Est-ce Max qui m'a rendue mauvaise ?

Le poids de son âme est lourd à porter à mon cou. Je dois vite retrouver Az...

Tu as besoin de moi mon délicieux amour ?

Note de l'auteure : Je me déteste d'avoir fait disparaître Marcus... Mon personnage préféré 😭 ! Si vous voulez plus de Marcus, n'hésitez pas à lire Nos heures passées pour comprendre sa relation avec Ivy et ce que le seigneur des démons de l'ouest lui a accordé.

Photo de couverture © La Divine Comédie - L'enfer - illustration de Gustave Doré gravée par Monvoisin - Planche 73

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[Deuxième correction - 11 avril 2019]