- Tu peux arrêter de me dévisager Marcus ?

21h. Marcus a décidé de m'accompagner prendre l'air et profiter de l'ambiance de Solistis en soirée, c'est une capitale très active et grouillante de vie. Nous nous posons à la terrasse d'un bistrot.

- Tu ne veux plus me parler ? dis-je avant d'enfourner une cuillère de mousse au chocolat dans ma bouche. J'y suis allée trop fort c'est ça ?

- Pitié Kat, tu as failli nous tuer ! On serait mort brûlé ou intoxiqué par la fumée !

Il regarde avec dégoût mon dessert et continue à boire sa bière.

- Mes flammes ne font pas de fumée. Et puis je contrôlais la situation.

- Menteuse, je t'ai vu légèrement paniquer à la fin.

- Bon et après ? Il fallait bien qu'un jour j'apprenne à contrôler mon pouvoir ! Tu as vu la puissance que j'avais quand on se battait ! Si j'avais connu ça avant j'aurais pu assurer avec le succube de l'autre fois...

Marcus pose sa bière, me regarde intensément et prend mes deux mains dans les siennes.

- Écoute-moi bien Kat. Pourquoi est-ce que les élémentalistes du feu ont été exterminés d'après toi ? Parce que leurs pouvoirs étaient trop puissants. C'était pratique pour la guerre, pour détruire des villes, mais c'était effrayant.

- Ce n'était pas une raison pour tous les traquer et les tuer...

- Non. La vraie raison c'est que le roi de l'époque en avait peur. Même peu nombreux, ils avaient assez de force pour prendre le pouvoir et instaurer un nouvel ordre.

- Où veux-tu en venir ?

- Je veux juste que tu aies conscience que ton pouvoir va effrayer tes ennemis mais aussi tes amis. Que tu vas devoir te méfier de tout le monde.

- Même de toi ? dis-je peu sûr de moi.

- Oui, non, qui sait ? Je suis un démon, j'agis par intérêt. Tant que je suivrai Az, tu n'auras pas à t'en faire. Mais si c'est toi qui deviens un danger pour lui et le Crépuscule, je devrai te tuer.

Mon sang se glace. Il est très sérieux. Je suis déjà un danger pour eux, à la seconde où je suis entrée dans ce bar, j'étais déjà une traîtresse. Je suis au service d'Helyon... et ensuite ? Que va-t-il se passer si Helyon n'a plus besoin de moi ? Je n'y ai jamais pensé mais cette mission doit avoir un objectif déplaisant. Si Marcus apprend que je travaille pour Helyon il voudra me tuer. Pareil pour les autres. Et Azrim ? Je n'ose pas imaginer mais surement un sort pire que la mort... mourir dévoré ?

- Si tu m'as compris on peut changer de sujet ! Raconte-moi !

- Te raconter quoi ? dis-je surprise.

- Ta fin de soirée samedi dernier ! On avait fait un pari, tu te souviens ?

Merde. J'avais totalement oublié et je n'ai préparé aucun mensonge.

- Ton pote Max me l'a mis à l'envers.

Marcus semble un instant surpris, murmure un « Ah oui ? » et me fait un sourire pour m'inciter à continuer.

- On s'est bien marré, on est sorti un peu, il m'a parlé de lui et quand j'ai voulu montrer que j'étais... réceptive, il m'a envoyé bouler. Et depuis je suis frustrée.

- Normal. Je m'attendais à cette réaction de sa part. Il n'est pas... du genre dragueur. Les femmes se méprennent souvent avec lui mais il n'a eu aucune relation avec une femme depuis que je le connais.

- Hum... pourtant il est plutôt bel homme, il devrait en profiter ! Ça me frustre !

Marcus se marre subitement. Qu'est-ce que j'ai dit ?

- Tu craques pour lui ! Attends que je lui dise ça !

- Quoi ? C'est la vérité, il est agréable à regarder ! Tu peux lui dire ce que tu veux je m'en fous maintenant.

- Est-ce que... Max t'as dit d'autres choses sur lui ?

Il s'arrête de rire et attends une réponse. Qu'est-ce qu'il veut savoir ?

- Rien de spécial pourquoi ? C'est juste un mage, il travaille dans les potions je crois et a des origines « aisées » et un passé trouble. C'est tout ce que je sais.

- Ouais ok. Je ne pensais pas qu'il s'y prendrait comme ça.

- Hein ?

Marcus ne me répond pas. Il est vraiment bizarre ce soir. Il se met à me parler de tout autre chose : ses dernières conquêtes. S'il y a bien une chose qu'il adore faire c'est se vanter quand il réussit quelque chose, même quand il triche avec son pouvoir. Nous continuons à discuter pendant une heure puis nous rentrons au bar.

Décidé à finir la soirée par un bon bouquin, j'arrive dans l'appartement toute guillerette quand je tombe sur une scène inhabituelle : Azrim, toujours avec son masque mais sans sa cape, allongé dans le canapé en train de lire... et de rire ? Il sent ma présence et se lève d'un coup, surpris également. Il ne dit rien ce qui me permet de le détailler brièvement : sa cape le rend plus imposant qu'il ne l'est. À cet instant il n'a qu'une chemise et un pantalon noir et une cravate rouge. Avec ses cheveux bruns en bataille il a presque l'air humain, si on oublie la présence du masque.

Je commence à partir en direction de ma chambre quand il m'interrompt avec sa voix grave :

- Tu peux rester si tu veux.

J'hésite. Je regarde mon corps : aucun tremblement. Je ne ressens pas son aura terrifiante, l'atmosphère est même plus chaleureuse que d'habitude. Je hoche la tête, prends rapidement un livre sur le bureau de ma chambre et vais m'asseoir sur le canapé pendant qu'il est levé. Il revient avec deux tasses de thé à la menthe, les déposes sur la table basse et reprend son livre.

- Merci. Vous ne travaillez pas ce soir ? osé-je demander.

- J'ai pas mal travaillé en ce moment donc je m'accorde une pause. Je pensais que tu rentrerais plus tard.

- Non.

Silence. Nous continuons nos lectures chacun dans un coin du canapé.

- J'étais sûr que tu me volais des livres.

- Pardonnez-moi mais comme je dois toujours sortir accompagnée, je n'ai pas la liberté d'aller remplir ma bibliothèque, donc j'emprunte.

- On se souvient tous les deux de ce qu'il se passe quand tu enfreins une règle.

Il s'approche de moi dangereusement. La respiration s'accélérant, j'essaie de rester la plus calme possible. Il touche mon cou à l'endroit où il m'avait griffé.

- Il n'y a plus de traces, chuchote-t-il. Tant mieux.

Il s'éloigne et reprend son livre, comme si de rien n'était. J'ai un peu chaud. Et aussi un peu de mal à savoir si ce que j'ai ressenti était de la peur, de la gêne ou autre chose ? Je reprends ma lecture à mon tour. Je ne sais pas combien de temps s'écoule mais je passe un moment étonnamment tranquille en sa présence. Il a un petit rire qui me pousse à m'intéresser enfin sur ce qu'il lit.

- Je ne me souviens d'aucun passage de ce tome qui puisse être marrant.

- Tu connais ? dit-il surprit. J'ai préféré le tome 2 mais celui-ci a quand même de bons moments.

- Pitié ! Je vous conseille vraiment de passer celui-là, il n'apporte rien à la trame principale !

- Qu'est-ce qui te permet de me conseiller ?

- J'ai travaillé 5 ans dans une librairie de campagne, dis-je avec une pointe de fierté. J'ai eu le temps de lire énormément de livres de tout genre donc je pense être capable de vous conseiller.

- C'est la première fois que tu me parles en me regardant.

Il a raison. Je baissais toujours un peu les yeux par peur mais ce qu'il s'est passé tout à l'heure m'a vraiment changé. Mon avis sur lui a aussi changé, il n'est pas une « chose », un « monstre ». Je me méfie toujours de lui mais je pense que je commence doucement à l'apprécier.

Soudain mon holophone sonne, je regarde l'écran et me lève d'un coup. Je hoche la tête vers Azrim pour m'excuser et me retire dans ma chambre pour répondre.

Helyon.

    [Deuxième correction - 24 juin 2018]