Regrets
Après le boulot, je rejoignis Novac pour un verre. Mais toute cette histoire me tournait dans la tête. Alors, quand il me vit débarquer avec ma tronche d'ours mal léché, il me jaugea.
- Allez, crache le morceau, lança-t-il.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, grommelai-je.
- Tu rigoles ? me railla-t-il. On dirait que tu sors d'un enterrement ! qui est mort ? Ta boss ?
Je faillis m'étouffer en avalant de travers ma bière. Novac se mit à rire. Je lui jetai un regard noir.
- Ce n'est pas loin, bougonnai-je.
- Bordel ! Arrête de faire ta nana en règles ! se moqua-t-il.
Je poussai un soupir d'agacement et lui déballai tout. A la fin, Nicolaï était plié en deux.
- Non, t'as un grain toi ! Une bombe te saute dessus et tu la repousses !
- Je ne pouvais pas, m'agaçai-je. C'est ma boss !
- Et alors ? répliqua-t-il, en me toisant du regard. Je me suis bien tapé la sœur de mon coéquipier. Il n'a pas apprécié, mais c'était un sacré morceau cette fille. D'ailleurs, c'est un peu pour ça que j'ai quitté la Serbie.
- A cause d'elle ou de lui ?
- Un peu des deux. Le frère voulait me faire la peau, la sœur m'épouser.
Cette fois, ce fut moi qui m'esclaffait à pleins poumons. Novac leva sa bière.
- A toutes ces filles qui nous prennent la tête, lança-t-il alors, le plus sérieusement du monde.
Je trinquais avec lui et avalai tout ce qui restait. Je fis signe au serveur de nous en remettre deux autres.
- Le pire dans tout ça, c'est qu'elle veut qu'on soit amis maintenant.
Novac recracha aussitôt sa gorgée et rigola de plus belle.
- Merde ! Tu essaies de me tuer ? Sérieusement c'est quoi votre problème ? Baisez ensemble qu'on en finisse.
Je formulai deux ou trois jurons dans ma barbe, avant de lui piquer sa bière et de la finir. Novac m'insulta copieusement, je lui répondis de la même manière.
- C'est une fille bien, finis-je par avouer.
- Putain, mec, t'es en train de tomber amoureux !
- Arrête de raconter des conneries, bougonnai-je, en lui foutant un coup de pied sous la table.
- Faut vraiment que je la rencontre cette nana, continua-t-il.
- Même pas en rêve, rétorquai-je. Trouve-toi une autre proie.
Novac afficha un grand sourire pour me narguer. S'il croyait que j'allais le laisser s'approcher d'elle, il se fourra le doigt dans l'œil, jusqu'au coude.
Vers vingt-trois heures, Nicolaï me quitta pour raccompagner une jolie métisse chez elle. Alors que j'allais partir, une main se posa sur mon épaule. Une jolie blonde me sourit.
- Salut Adam, comment ça va ?
Elle me connaissait, mais moi elle ne me disait rien. Je fouillais désespérément mon esprit embrumé. Peut-être une fille avec qui j'avais couché après avoir bu comme un trou ?
- Bonsoir...
- Amy ! termina-t-elle. On travaille au même endroit.
Fais un effort, Adam. Ça y est, je la remettais. La standardiste. Jolis yeux marrons, poitrine appétissante. Ça me revenait.
- Oui, bien sûr. Amy, au standard, me rattrapais-je. Vous voir debout change tout.
Et en mieux, au vu des jolies jambes qu'elle avait.
- C'est vrai qu'on ne se voit jamais en dehors du boulot. C'est dommage, répondit-elle. Vous avez l'air d'être un mec sympa, en plus d'être mignon.
Tiens, tiens, la petite me draguait ! Elle était jeune, tout juste la vingtaine, mais je n'allais pas faire le difficile. Et puis, elle devait avoir de la ressource. Je lui proposai de rester boire un verre, ce qu'elle accepta. Voilà de quoi me changer les idées. Nous discutâmes longtemps. A mon grand regret, elle préféra rentrer chez elle car elle devait travailler le lendemain. Moi aussi, mais cela ne changeait rien. Tant pis. Frustré, je rentrais chez moi et m'écroulais sur le lit.
Le Spartan sautait à chaque bosse sur cette putain de route. Encore un bloc de bâtiments à sécuriser. Les mecs plaisantaient sur leur retour, en se disant qu'ils allaient rattraper le temps perdu avec leurs copines. Les pauvres filles, des mâles en rut de retour de mission, ce n'était pas une affaire ! Mike, lui, écoutait, le sourire aux lèvres. C'était le seul d'entre nous à avoir une femme. On le charriait tout le temps pour ça.
- Et toi, Mike, pressé de retrouver ta Mary ? se moqua Hans.
- Moi, au moins, je sais que j'ai une femme qui m'attend, répliqua-t-il.
Les mecs rigolèrent, en voyant le grimace que fit Hans en guise de réponse. Ce gars était incapable de garder une fille plus d'une semaine. Faut dire qu'il avait un caractère de merde.
- En plus, c'est l'anniversaire de ma petite sœur. Elle va avoir dix-huit ans. Il faut que j'aie une discussion avec elle, parce qu'il y a trop de mecs qui lui tournent autour, bougonna Mike.
- Sans oublier, foutre la trouille de leur vie à tous ces puceaux, continuai-je.
- T'as tout compris, répliqua-t-il, en me donnant une grande tape dans le dos.
Le véhicule s'immobilisa et on descendit, l'arme au poing. Les plaisanteries étaient terminées. On était en territoire hostile. Chaque hésitation, chaque manque de concentration était synonyme de mort. Nous nous suivîmes dans la ruelle, Mike et moi devant, en éclaireurs. Nous inspectâmes chaque bâtiment, un à un. Personne. Ça sentait le coup fourré. Lors du briefing, on nous avait dit que la zone était tenue par l'ennemi, et là, rien. Restait un dernier immeuble à visiter. Mike défonça la porte, j'entrais. Je vérifiai la pièce principale, l'escalier. Pas de danger. J'avançai de quelques pas, toujours sur le qui-vive. Mike me talonnait. Il se dirigea vers la cage d'escalier. Ce fut là que débuta les échanges de tirs. La première balle se logea directement dans la pommette de Mike. Il s'écroula aussitôt. Sous une pluie de projectiles, je l'attrapai par le col et le tirai dans la pièce d'à côté. Les autres poursuivirent le tireur. Moi je restai à côté de lui. Sa joue n'était plus qu'un trou béant, un amoncellement de chair et de sang. Sa respiration se faisait sifflante. Le sang coulait dans sa gorge, provoquant des gargouillis horribles.
- Personnel touché, il nous faut un infirmier tout de suite, dis-je à la radio, tout en balayant la pièce du regard.
Cette bande d'enfoirés avait eu Mike. Je bouillis de l'intérieur. J'allais leur faire la peau. Je reportai mon attention sur lui. Ses yeux fixaient le plafond et il cherchait désespérément de l'air. Il m'attrapa alors le genou.
- Mike tient bon, ils vont venir te chercher, dis-je, la gorge serrée.
Il glissa ses doigts dans son gilet et en sortit une lettre. La lettre. Celle qu'on écrit à nos proches au cas où. Mon sang se glaça. D'une main tremblante, il la posa sur la jambe.
- Non, mec, pas question ! Je t'interdis de mourir, m'énervai-je, des larmes de rage menaçant de couler.
Il meserra la cuisse. Pas besoin qu'il réussisse parler, j'avais compris le messageet j'en avais la nausée. Il ne pouvait pas me demander ça. Mais on se l'étaitpromis l'un à l'autre. La mâchoire contractée par l'émotion, je pris une granderespiration et acquiesçait. Dans la minute suivante, sa prise avait diminuéjusqu'à n'être plus qu'une caresse. Quand les secours arrivèrent, il était déjàtrop tard.
Je me réveillai en sursaut, les yeux baignés de larmes. Je me recroquevillai comme un enfant perdu face à ces terreurs nocturnes. Mais, moi je n'avais personne pour me rassurer, personne à qui confier mes peurs, si ce n'est le fond d'une bouteille d'un bouteille de whisky.
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