Confession
Je montai les marches d'une église. Qu'est-ce que je faisais ici ? Ma gorge se serra. Mon appréhension augmentait. Je ne pouvais pas m'arrêter, mon corps avançait tout seul. Je poussai les portes d'entrée. Au loin, je distinguai un cercueil et des pleurs. Des pleurs de femme. Bordel ! Mon estomac se contracta. Et mes pieds continuaient à avancer malgré moi. Je ne voulais pas savoir qui était dans ce cercueil. Mais je m'en doutais. Les gens, assis sur les bancs, étaient flous. Tout était noir et gris. Aucune couleur. Que de la tristesse. Plus je m'approchai, plus je suffoquai. Je ne voulais pas voir, pas lui dans ce cercueil. Je m'arrêtai et penchai la tête pour l'apercevoir. Son visage était tel que je l'avais laissé. Livide, déchiqueté, les yeux grands ouverts. Mike, mon ami, mon frère. Les larmes affluèrent. Les pleurs, à côté de moi, s'intensifièrent. J'aurais préféré être là, à ta place. Ne pas ressentir tout ce poids sur mes épaules. Mourir aurait une douleur moins grande que celle que je portai en mon cœur chaque jour que Dieu fait.
- Tout est de ta faute, dit une femme à côté de moi.
Je tournai la tête vers elle. Elle portait un voile noir dissimulant son visage.
- Il serait encore en vie si tu avais veillé sur lui.
A côté d'elle, se tenait deux autres femmes éplorées qui cachaient leur visage dans leurs mains. J'avais envie de crier, hurler que j'aurais préféré mourir à sa place, que les regrets enserraient mon cœur depuis ce jour. Mais, rien ne sortait, rien. Pas un son. Je m'effondrai au sol et pleurai tant que je pus.
Ce fut là que je me réveillai en sursaut, le visage baigné de larmes. Je n'étais pas dans cette foutue église. Je ne l'ai jamais été. Je n'ai jamais pu affronter sa mère, sa sœur, sa femme. Ma respiration était rapide. Ma poitrine me faisait mal. Mon esprit était embrouillé, encore englué dans ce cauchemar tenace. J'entendais encore les sanglots de sa veuve. Pourtant, j'étais réveillé. Je tournai la tête et me rendis compte que ce n'était pas un reliquat de mon rêve, mais Léo qui sanglotait, recroquevillée.
Elle pleurait. Qu'est-ce qu'il lui arrivait ? Quel cauchemar lui déchirait le cœur ? Je posai délicatement la main sur l'épaule. Elle sursauta et se débattit.
- Laisse-moi, ne me touche pas, hurlait-elle en boucle.
Ma poitrine se serra aussitôt.
- Léo, c'est moi, Adam, dis-je d'une voix douce pour la rassurer. Réveille-toi. Tout va bien.
Ses yeux se mirent à papillonner. Elle me lança un regard terrorisé.
- Léo, on est chez toi, dans ton lit. Tu ne crains rien.
Elle se redressa, ramenant ses genoux sous son menton. On aurait dit une petite fille apeurée qui aurait vu le monstre vivant sous son lit. Qu'est-ce qui lui faisait si peur ? Je sentais bien qu'elle me cachait un lourd secret. Ses réactions semblaient tellement étranges parfois. Soudain, une image me revint en mémoire. La photo du dossier. Celle où je l'avais reconnu adolescente, à côté de sa mère et de son beau-père. Il fallait que je sache si c'était en lien.
- Qui est-ce qui te fait si peur, Léo ?
Elle secoua la tête, refusant de répondre. Je me redressai et vins m'asseoir face à elle.
- Est-ce que c'est en rapport avec ton beau-père, Manuel ?
Léo releva ses yeux verts vers moi. Ils étaient pleins de haine. Ses lèvres tressaillirent. Puis, elle se leva sans rien dire, attrapa ma chemise et l'enfila, avant de se diriger vers la cuisine. Je la suivis du regard. J'avais mis dans le mile. Ce salopard lui avait fait quelque chose. Quelque chose d'assez horrible pour la détruire, pour imprimer des fêlures irréversibles dans son âme. Je me levai à mon tour, enfilai mon caleçon et la rejoignis.
Léo était assise au bar, un verre d'eau à la main. Elle le regardait, sans y toucher, comme si la solution à tous ses problèmes s'y trouvait. Je m'approchais et m'assis, face à elle.
- Léo, parle-moi. Je suis ton ami.
Ses yeux se fermèrent, ses paupières se serrèrent. Elle luttait pour garder ce secret qui l'empoisonnait.
- C'est à cause de lui, n'est-ce pas ? Que t'a-t-il fait ?
Elle posa le verre et prit une grande respiration.
- Adam, ne me demande pas ça, dit-elle d'une voix éraillée.
- Je suis là pour toi, Léo. Fais-moi confiance pour t'écouter, comme tu me fais confiance pour te protéger.
Ses poings se serrèrent. Cette peine qu'elle contenait rongeait son âme, comme la culpabilité rongeait la mienne.
- Dis-moi ce qu'il t'a fait. Je suis bien placé pour savoir que taire un secret peut vous détruire à petit feu. Ça vous vrille le cerveau et vous ne croyez plus en rien ni en personne.
Elle me regarda avec curiosité. Je ne lui avais jamais raconté ce que je portais sur le cœur. Un jour viendra où je pourrais me confier, mais ce soir, c'est elle qui devait le faire.
- Allez, Léo. Il faut que ça sorte, insistai-je.
Elle se leva et prit une bouteille d'alcool. On avait les mêmes vices, on dirait. Elle remplit un verre et l'avala d'un coup. Quand elle le déposa, sa main tremblait. Instinctivement, je la pris dans les miennes. Elle resserra ses doigts, s'agrippant à ma main comme à une bouée.
- Quand j'étais enfant, je vivais avec ma mère et mon beau-père. Je n'ai jamais connu mon père et ça ne me dérange pas. Au début, tout se passait bien. Ils étaient amoureux, nous étions heureux. Mais, au fil des années, Manuel devenait de plus en plus agressif. Quand il a commencé à frapper ma mère, j'avais dix ans. C'était pour une histoire de télécommande qu'il ne trouvait pas. Il lui a donné une gifle. Il s'est excusé ensuite. Mais évidemment, il a recommencé. Encore et encore.
Léo fit une pause pour se servir un nouveau verre. Sa main était toujours dans la mienne. Elle avala une gorgée et reprit sa confession.
- Quand j'avais treize ans, je l'ai repoussé une fois, alors qu'il allait encore frapper maman. Il m'a lancé un regard noir et s'est défoulé sur moi. J'ai eu un bel œil au beurre noir ce jour-là. Ce ne fut pas le dernier. Il a pris en confiance en voyant qu'il arrivait à nous terrifier. Et il est allé plus loin.
Elle attrapa de sa main tremblante le verre et avala le reste. Son regard me fuyait. Je redoutais ce qu'elle allait dire ensuite. J'avais une idée de ce qu'elle allait me confier et j'en avais la nausée.
- Un soir, alors que ma mère travaillait, il est venu dans ma chambre...
Sa voix s'étrangla. Elle tremblait de tout son corps. J'avais envie de la prendre contre moi pour la consoler, mais je savais que ce n'était pas la chose à faire. Alors je la laissai finir de vider son sac.
- Il s'est approché de moi et m'a appelé « sa petite chérie ». Chaque soir, je revois ses sales mains sur moi. Je sens son after-shave. Je veux hurler mais rien ne sort. Je revis ce cauchemar, encore et encore.
- Léo, tu n'as pas besoin d'en dire plus... tentai-je.
- Il m'a violé, continua-t-elle. Il m'aviolé, chaque soir que ma mère travaillait. Jusqu'à que je parte de chez moi.Jusqu'à mes dix-huit ans. Quatre ans de souffrance. Et depuis, je me suis dit,plus jamais, plus jamais un homme ne me ferait subir ça.
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