Amitiés

Un ami ? Ce qualificatif me laissa perplexe. Hier soir, elle voulait coucher avec moi, puis elle a fini pour s'endormir dans mes bras en pleurant. Ce matin, elle voulait à nouveau me sauter dessus, puis elle m'a traité comme un employé quelconque. Et maintenant, j'étais son ami. Décidément, la psychologie féminine était un domaine hors de ma portée. Beaucoup trop complexe et tortueux.

L'amie de Mlle Gallo vint me serrer dans ses bras. Je ne savais pas trop quoi faire des miens. Lui rendre son câlin ou pas. Moi, toute cette effusion de tendresse, ce n'était pas trop mon truc. Je lui tapotai juste le dos, histoire de faire quelque chose de mes dix doigts.

- C'est la première fois que Léo nous présente quelqu'un, s'enthousiasma-t-elle. A part Stanford, bien sûr. Mais lui, c'est un peu notre père par substitution, à tous les trois.

Voyant à quel point j'étais gêné, elle sourit et me tira par le bras jusqu'à sa table. Là, l'homme qui l'accompagnait se tenait debout, les deux mains dans les poches. En voyant le regard farouche qu'il me lançait, je devinai qu'il n'était pas heureux de faire ma connaissance.

- Julian, ne fais donc pas cette tête, le gronda la jeune femme. Moi, je suis ravie que Léo se décide enfin à nous présenter un homme.

Je sentis tout de suite la méprise, mais avant que je ne puisse me défendre, Léo prit la parole.

- Chiara, Adam est mon ami. Rien de plus, insista-t-elle.

Cette phrase me fit tiquer. Elle me dérangeait, mais je ne savais pas pourquoi. Pourtant, c'était exactement ce que je voulais dire. Chiara nous regarda tour à tour. Elle pinça les lèvres dans une moue perplexe, mais n'ajouta rien. Nous nous installâmes et déjeunâmes ensemble.

Julian et Chiara étaient les amis d'enfance de Mlle Gallo. Ils habitaient dans des maisons voisines et s'étaient serrés les coudes dans ce quartier difficile. Je compris à demi-mot qu'ils n'avaient pas eu la vie facile, ni les uns ni les autres. Cependant, ils restaient très évasifs, sûrement par pudeur. Mais encore plus concernant le passé de ma boss. Je pris le temps de les observer et d'écouter attentivement leurs anecdotes.

Chiara était une bomba Latina, belle, souriante, pleine de gaieté. Elle devait être le gai luron du groupe. Au contraire, Léo et Julian étaient plus posés et discrets. Avec ces cheveux châtains et ses yeux bleus, Julian ressemblait à un bellâtre italien. Il semblait très protecteur envers les filles. Un peu le grand frère qui surveillait les fréquentations de ses petites sœurs. Mais je décelais quelque chose d'autre. Ses yeux ne quittaient pas Léo. Il en pinçait pour elle. C'était évident.

Le déjeuner fut vraiment sympa. On a beaucoup ri et mangé à s'en faire exploser la panse. La cuisine cubaine était fabuleuse, bien meilleure que la cuisine anglaise – n'en déplaise à ma mère. J'appris que le restaurant appartenait à la mère de Chiara. Tout respirait ici l'amour filiale et l'amitié. Et Léo resplendissait. C'était une autre personne en leur compagnie. Elle avait perdu le côté pesant et rigide lié à sa fonction. Elle ne jouait plus le rôle de mante religieuse qu'elle s'imposait face à chaque homme qui entrait en contact avec elle. Une autre femme, plus douce, plus simple. Et tellement plus belle. A chacun de ses sourires, je souriais aussi, comme un idiot. Sa joie de vivre me contaminait.

Nous les quittâmes vers quinze heures, non sans embarquer les restes après que Mme Garcia, la mère de Chiara, nous ait menacé de ne plus nous accueillir dans son restaurant, si on refusait de les prendre. Léo les quittait à regret, ça se voyait. Son visage se ferma quand elle remonta la vitre teintée de la voiture. Alors que nous longions la plage, elle me demanda de me garer.

- Allons faire un tour, me dit-elle d'une voix éteinte.

Je vins lui ouvrir et l'aidai à descendre. Elle voulut aller s'asseoir sur le sable. Je vins m'installer à ses côtés. Son regard se perdait dans les vagues au loin. Elle avait le même air triste qu'hier soir. J'espérai juste qu'elle ne recommence pas à pleurer, parce que je ne savais plus trop comment faire.

- Je suis désolée, dit-elle soudain. Pour mon attitude hier.

Toujours aussi énigmatique. Qu'est-ce que j'étais sensé comprendre ?

- Je n'aurais pas dû vous allumer, ajouta-t-elle, voyant que je ne disais rien.

Elle n'avait pas besoin de s'excuser pour ça. J'avais apprécié, mais c'est ma conscience, cette saleté, qui avait mis le holà.

- Je suis désolé de vous avoir fait pleurer, avouai-je.

Car évidemment, ça me pesait sur la conscience. Faire pleurer une fille, je n'aimais pas ça. Et particulièrement elle.

- Ce n'est pas votre faute, marmonna-t-elle.

Sentant l'atmosphère s'appesantir, je décidai de changer de sujet.

- Alors je suis votre ami maintenant.

Elle sourit. Deux petites fossettes se formèrent au coin de sa bouche. Elle était magnifique.

- J'ai l'impression que je peux vous faire confiance, s'expliqua-t-elle. Alors oui, je vous considère comme un ami, Adam.

Cet aveu me mit du baume au cœur. Malgré sa complexité, cette femme avait quelque chose de plus, de différent, que j'appréciai. J'avais envie de mieux la connaitre, d'apprendre à la décrypter.

- Alors soyons amis, patronne, ironisai-je.

Elle se mit à rire et je me sentis soulagé. Nous restâmes un long moment à discuter de tout et n'importe quoi. De musique, de film, de livres, de nos souvenirs d'enfance. Sur ce sujet, elle restait évasive. Je comprenais, elle voulait garder cette part de sa vie secrète. Tout comme moi je ne voulais pas parler des raisons réelles de mon départ de l'armée et des conséquences sur ma vie. Un jour, peut-être, elle serait prête à m'en parler. Et moi aussi, je lui parlerai de mes démons. Un jour, mais pas maintenant.

Je voulais juste profiter de cette amitié naissante. Profiter de sa présence, rien que pour moi. Juste elle et moi. Il fallut bien sûr rentrer, ce qui rompit le charme de ce moment unique. Nous repartîmes pour la voiture, bras dessus bras dessous. Elle était tout sourire, et moi aussi.

- Comment dois-je t'appeler maintenant que nous sommes officiellement amis ? la taquinai-je, en lui ouvrant la portière.

- Patronne ! répliqua-t-elle, d'un air moqueur.

- Ah, oui ! Alors ce sera O'connell pour moi, lançai-je sur un air de défi.

- On doit sauvegarder les apparences, s'expliqua-t-elle, en s'installant dans la voiture. J'ai une réputation à tenir. Je ne fraternise pas avec les employés.

- Il va y avoir un problème alors, ironisai-je.

- Personne n'est obligé d'être au courant, dit-elle, d'un air malicieux. On pourra s'appeler par nos prénoms quand nous serons seuls. N'est-ce pas Adam ?

Jehochai la tête avant de refermer la portière. Je ne m'habituais toujours pas del'entendre prononcer mon prénom. Ça me faisait toujours le même effet. J'étaisperturbé. J'étais heureux qu'on soit amis, mais je ne pouvais pas m'empêcherd'éprouver une attirance certaine pour elle. J'espérais juste que ça n'allaitpas gâcher notre amitié. 

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