Chapitre 25 ~ Dusk


J'avais tout entendu. Les mots d'Ashley, que j'avais perçus de façon presque inaudible, et pourtant tellement clairement, depuis ma chambre, tournaient en boucle dans mon crâne. Je n'avais même pas réfléchi, et agi sur un coup de tête. Mon propre corps ne m'avait même pas laissé le choix, en se rapprochant pas à pas de la porte jusqu'à me retrouver la main posée sur la poignée en métal froid, alors qu'elles parlaient de l'autre côté du battant. Je m'en voulais indéniablement. Si j'avais su à quel point elle était mal, j'aurais... Ça n'aurait rien changé. Dans tous les cas, tu l'aurais rejetée, et tu le sais très bien.

Je passai une main nerveuse sur mon visage et poussait un long soupir, ce qui n'échappa pas au docteur Pickins, qui fronça les sourcils en relevant les yeux de ses notes, qui soit dit en passant ne devaient pas être très fournies.

« Il y a quelque chose dont vous voulez me parler? »

Malgré son ton calme et posé, je discernais sans mal l'espoir que sa voix laissait transparaître alors qu'il croyait voir une brèche dans laquelle s'engouffrer. Cependant, je balayai bien vite ses attentes en secouant la tête, les mâchoires serrées. Le psychiatre le comprit rapidement et soupira à son tour, rehaussant ses lunettes en demi-lune sur son nez allongé.

« Je ne comprends pas ce que vous cherchez, Monsieur Davies. Quel est le but de tout cela? »

Je tournai lentement la tête pour planter mon regard froid dans le sien, et le toisai quelques secondes en silence avant de lui répondre avec agacement.

« Il n'y en a pas. Vous ne comprenez rien. Ma vie n'a pas de sens, de but. Tout ce que j'ai fait, depuis toujours, c'est me fuir moi-même. Fuir, sans relâche, jusqu'à ce que la part de moi que je déteste par-dessus tout me retrouve. Jusqu'à ce que, malgré tout mes efforts, mes démons me rattrapent et rendent vaines mes tentatives de garder la tête hors de l'eau. Entre nous, je n'ai pas vraiment tenu longtemps.

- Je comprends. »

C'était faux. Il ne comprenait rien du tout, je le voyais à sa façon d'observer son carnet d'un air vide, presque perdu, ne sachant visiblement pas s'il devait noter ce que je venais de lui déblatérer. Le soixantenaire confirma bien vite mes doutes en relevant la tête.

« Mais pourquoi n'allez-vous pas droit au but? A chaque question que je vous pose, vous fuyez, comme vous venez de le dire. Vous éludez toujours la question, ne m'offrez jamais de réponse claire. Il faut que vous compreniez, Dusk, que ceci n'est pas un interrogatoire. Je veux simplement vous aider, comme tout le monde ici. Mais pour que j'y parvienne, il faut que je vous connaisse, et surtout que je connaisse la nature de vos traumatismes. Est-ce que vous comprenez? »

Je me tendis imperceptiblement au mot "traumatismes", comme à chaque fois. C'était mon premier rendez-vous avec le Docteur Pickins depuis ma tentative de fuite de l'hôpital. Et je découvrais à l'instant que je détestais encore plus ces entrevues qu'avant. Parce que, sans même qu'il ne s'en rende compte, chacune de ses phrases réveillait tout ce que j'avais décidé d'enfouir au plus profond de moi-même, hors de ma propre portée.

« Je ne vois pas en quoi cela vous regarde. articulai-je, les dents serrées. Je ne vous connais pas.

- Cela nous regarde, à cause de ce que vous avez fait il y a trois jours, Monsieur Davies. Nous avons tous eu très peur pour vous, j'espère que vous en avez pris conscience. »

Je haussai les épaules, tout en me retenant de toutes mes forces de lui crier qu'il me mentait. Personne n'en avait jamais rien eu à foutre de ce que je pouvais bien faire de ma vie, et cela ne commencerait sûrement pas aujourd'hui.

« Qu'est-ce qui vous a pris? Vous savez que nous vous aurions sûrement laissé partir, si vous nous l'aviez demandé. On ne peut pas vous forcer à rester ici contre votre gré. Cet hôpital n'est pas une prison, Dusk. ajouta-t-il d'un ton plus doux. Mais vous ne pouvez pas vous enfuir comme cela, sans prévenir personne, comme un voleur. Surtout pas avec vos... antécédents. Alors s'il vous plaît, expliquez moi ce qu'il s'est passé. »

J'avais paniqué. Voilà ce qu'il s'était passé. J'avais perdu les pédales au moment précis où mes yeux s'étaient posés sur la mère de Dawn. J'avais paniqué. Tout simplement. Ce n'était pas une première. Comme à mon habitude cependant, je me contentai de le fixer d'un air vide, encore et toujours enfermé dans mon mutisme. Parce qu'encore une fois, ça ne le regardait pas. Pickins poussa un énième soupir en comprenant que je n'allais pas, comme lors de chacun de nos rendez-vous, m'étaler sur le sujet qu'il souhaitait aborder.

« Vous avez dit plus tôt que tout cela ne me concernait pas, parce que vous ne me connaissez pas. Seriez-vous plus enclin au dialogue, si c'était avec quelqu'un que vous "connaissez"?

- Je ne connais personne, ici. » répliquai-je du tac au tac.

Et c'était vrai. Du moins, en partie. Peut-être que, durant le laps de temps que j'avais pu passer dans cet établissement, certaines personnes m'étaient devenues familières. Mais ces mêmes personnes étaient aussi celles que j'essayais de tenir éloignées de moi depuis plusieurs jours maintenant. Pourtant, il sembla que le psychiatre ne me posait tout compte fait même pas vraiment la question, puisque lorsque quelques coups retentirent à la porte, il se leva immédiatement pour l'ouvrir, comme si il attendait cette visite depuis quelques minutes déjà. Par automatisme, je portai mon regard à l'entrée du cabinet, pour le regretter dans la seconde qui suivit. En m'apercevant à l'autre bout de la pièce, la rousse tenta un faible sourire avant de baisser les yeux en rencontrant mon regard froid et distant. Elle passa nerveusement une main dans sa longue queue de cheval flamboyante en la ramenant sur son épaule, et je sentis de là où je me tenais qu'elle regrettait déjà d'être venue.

Ne tenant pas compte de la température ambiante qui semblait avoir chuté d'une dizaine de degrés en l'espace d'une seconde, le docteur Pickins posa une main sur l'épaule de l'infirmière et se retourna vers moi avec un sourire.

« Mademoiselle Thomas va prendre de son temps pour t'aider aussi. Il me semble que vous vous connaissez déjà, peut-être qu'elle parviendra à te convaincre là où je semble échouer à chaque tentative. »

Le vieil homme se contenta ensuite de me fixer en souriant d'un air jovial jusqu'à ce que je me décide à me lever et les rejoindre. Enfonçant mes poings dans les poches de mon pantalon, je m'exécutai, les yeux baissés vers le sol. Dawn resta silencieuse, attendant sûrement que je lui dise bonjour. Je levai simplement la tête et la jaugeai d'un regard froid et méprisant, et elle se détourna aussitôt, pour saluer le psychiatre et sortir du cabinet. Après avoir été réprimandé du regard par le médecin pour avoir hésité un instant, je finis par m'engager à sa suite dans le couloir. Nous marchâmes pendant de longues minutes en silence, et je restai prudemment à plusieurs mètres derrière elle. Lorsqu'elle s'arrêta devant l'ascenseur, je me stoppai net à quelques pas, la faisant lever les yeux au ciel sans chercher à le dissimuler.

Je la dévisageai alors que nous rentrions tous les deux dans la cabine, et sourit en coin en remarquant qu'elle fuyait mon regard à son tour. Ses yeux verts obstinément fixés sur les portes métalliques, elle se mordilla la lèvre. Mon cœur se comprima inopinément en voyant les cernes qui n'avaient fait que se creuser davantage sous ses yeux depuis notre dernière altercation. Est-ce que cela pouvait avoir un rapport avec moi? Mal à l'aise, je passai une main sur ma nuque. Sûrement pas.  Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, que je ne veuille plus lui adresser la parole? Elle n'en avait rien à faire. Si? Elle ne me laissa pas le temps d'y réfléchir plus longuement en me passant devant pour quitter l'ascenseur lorsque les portes s'ouvrirent.

Nous traversâmes le hall, et je fronçai les sourcils en la voyant se diriger vers la porte vitrée donnant sur un grand jardin. Je la suivis cependant et sortis derrière elle des murs oppressants de l'hôpital. L'air frais fouetta aussitôt mon visage, pour la seconde fois seulement depuis mon arrivée. Comment ne m'étais-je jamais retrouvé ici lors de mes longues promenades sans but dans les couloirs interminables? Je jetai un coup d'œil circulaire autour de nous tout en combattant le sourire qui menaçait de m'échapper. C'était étonnement grand pour le centre de Londres. Des allées bordaient des quatre larges pelouses rectangulaires plantées de quelques arbres qui conservaient encore quelques feuilles ocres sur leurs branches maigres. Je m'écartai pour laisser le passage à une infirmière poussant un fauteuil roulant sur lequel était installée un vieil homme, et me tournai vers Dawn. J'ouvris la bouche, l'enfant qui subsistait encore et toujours en moi tentant de refaire surface, avant de la refermer fermement. Contrôle-toi. Pour toi, pour elle, contrôle-toi. La rousse croisa les bras sur sa poitrine et, le regard fuyant, haussa les épaules.

« Ce n'est pas le Saint-James Park, mais... »

Alors qu'elle ne me faisait pas face, je m'autorisai un léger sourire, juste pour une seconde, avant de me reprendre. Elle était vraiment têtue. Trop pour son propre bien, peut-être. Trop pour le mien, c'était certain.

« Tu veux qu'on se mette sur un banc, ou... »

Instantanément, je me braquai et repris le contrôle de tout mon être. Enfonçant mes mains plus profondément dans mes poches, je lui décochai mon meilleur regard indifférent.

« Va droit au but. lâchai-je. Qu'est-ce que tu me veux? »

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