chapitre II : Les déracinés

"Alors que l'économie du pays s'écroule, la famille K ne se prive pas"

"À l'approche du procès de Siméon.K, toujours en détention dans la prison de *******, des journalistes ont aperçu son fils Elis.K sortir d'une voiture neuve pour entrer dans le luxueux club du ***** dont il avait selon les rumeurs, privatisé l'usage, etc"

Ania se débarrassa du journal.

Elis ne s'était pas rendu compte qu'en venant voir sa sœur jumelle, il allait provoquer une réaction opposée à celle à laquelle il s'attendait.

Quand Ania avait fui, elle n'avait pas pensé. Elle était juste partie comme ça au milieu d'une nuit, d'un coup d'un seul, sans une parole. Laissant derrière elle un petit monde déréglé à qui une de ses composantes venait de s'arracher.

Ce soir là, elle était assise sur le toit de sa maison, comme de nombreux autres soir à cette période, elle regardait la mer plate, qui reflétait la lune comme un miroir. Puis, sans rien dire de ce qui était né dans son esprit (à supposer qu'elle n'ai pas simplement succombé à une lubie) elle était descendue du toit, avait réuni ses affaires et était partie loin de tout ce qu'elle avait toujours connu.
C'était bien beau tout ça. De quoi écrire un roman.
Quoi qu'il en soit, une fois atterrit dans la grande métropole avec sa rage de vivre, sans aucun repère elle s'était laissée aller à une folie des libérations qui avait eu a cœur de briser toutes les structures d'une vie saine, et qui aurait vite fait de briser tout les principes d'un esprit respectable.

Si Ania avait continué comme ça, sa fin aurait été claire, un de ses nombreux excès aurait fini par la tuer, elle mourrait sans fierté et sans jamais accepter que la mort (qu'elle aurait causé à force de trop s'en approcher pour sentir la vie) la prit.

On peut aussi s'imaginer que dans le meilleur des cas, elle retournerais dans son village, aurait des enfants sans savoir les aimer, et continuerais de rêver de partir. Dans les deux cas, elle n'accepterait pas la mort et sa vie aurait été gâchée.

Mais Ania, sous ses airs de fille légère, cachait une détermination réelle. Et un amour pour la vie plus grand que la débauche (qui n'est qu'une autre manière de mourir) et Elis avait provoqué sans le vouloir un sursaut de son esprit. Elle savait qu'elle allait bientôt devoir faire face à sa famille, a ses amis, à Staffan, et au regard publique, l'intrusion d'Elis lui rappelait que son comportement ne pouvait pas rester injustifié et que, comme il était injustifiable auprès du monde extérieur, il fallait se préparer à mener une bataille.

Ça, Elis ne l'en croyais pas capable. Il n'avait pas même imaginé que ça viendrait à l'esprit de sa sœur. Et s'il avait pu l'imaginer, il eut certainement pris d'autres précautions. Après son départ, Ania avait remis en ordre certains aspects de cette vie décousue qui ne pouvait pas continuer.

Dans son esprit une image apparu, elle savait ce qui le temps d'un soir lui avait donné l'envie de tout avoir.
comme une pensée apaisante, en prévision de tout ce qui allait perturber l'existence à partir de maintenant, c'est l'image de cet homme, l'homme de cette nuit là, qui se forma dans son esprit. Elle inspira profondément.

***

C'est étrange les gens la nuit. C'est extraordinaire les mots nocturnes.

Il était trois heures après minuit, Ania était debout dans une ruelle, près d'elle, une femme blonde lui indiquait un mur.

- C'est ici. Ça, C'est mon mur. Quand je m'appuie dessus, nom de Zeus que j'suis heureuse.

Le mur était au fond d'une minuscule cour, elle même au fond d'une ruelle, qui longeait un grand bâtiment jaune.

- Vous faîtes quoi ici ?

- Je regarde passer les ombres sur le mur, et j'imagine les gens qu'elles suivent. Et puis ...je parle aux pierres, expliqua la femme, d'une voix ou transparaissait une réelle et singulière affection.

- Vous leurs dîtes quoi aux pierres ? Dit Ania, sans s'étonner.

- Je leurs racontes des bricoles. Je parle au formes que je vois dessus. Quand j'ai un problème, je regarde le mur, et puis tout d'un coup, je vois que là, - elle pose un doigt sur la pierre- on dirait une tête de cheval, et là ça fait un trèfle, et ici un petit nuage, et j'oublie mes bricoles. Et toi ?

- Moi j'ai un toit. Enfin, J'avais un toit.

- Il est passé où ?

- Je l'ai abandonné. Il surplombe mon village.

- Moi, j'ai jamais quitté le mur, Nom de Zeus. Je suis même jamais sortie du quartier. Pourquoi tu l'as abandonnée ton toit ?

- Je ne sais pas trop... Un soir, je regardais le village, et j'ai eu envie d'y foutre le feu, je suis partie. Pourquoi vous êtes jamais partie ? Même pas pour une heure ou deux ?

- Si t'allais y mettre le feu vallait mieux partir...Ici je connais les murs, et le matin je reconnais l'ombre de Danii qui va travailler à l'usine de chaussures, et tout le monde me connais. Si je pars...et puis moi aussi parfois...j'dirai pas que j'ai envie d'y foutre le feux, plutôt que j'ai envie...non...

- Eh bien, quoi donc ?

- Et bien n'importe quoi ! Je ne sais pas moi...si je partais je pourrais être kidnappée, nom de Zeus ! Ça te manque pas d'être sous ton toit ?

- Oh non, j'étais pas dessous, ce que j'aimais c'était être dessus. Il me manque atrocement. Vous avez quel âge, Josepha ?

La blonde, c'est Josepha, mais elle demande, timidement, à être appelée Josette, parce que « Ça fait dame, ça fait chic, ça fait français.» elle est un peu plus grande qu'Ania, mais elle tient sa silhouette courbée, la colonne vertébrale arquée, le cou rentré dans les épaules. Son ombre crochue se répercute sur le mur de pierre.

- J'ai trente-neuf ans. Il a quoi de spécial ton toit ? Moi j'ai le vertige...

- J'ai sauté du haut de la baraque quand j'étais gosse. Je voulais m'enfuir. Je me suis cassée un bras, depuis j'adore m'assoir là-haut. Je me sens libre. Et votre mur alors, il a quoi de spécial ? Il faut une sacrée raison pour jamais quitter un mur en trente-neuf ans ! Et c'est un des plus laids de toute la ville.

- Il est pas laid, il est simple, il vous prends pas de haut. On peut pas s'assoupir sous un mur de cathédrale.

- Pourquoi pas ?

- Le seigneur, Nom de Zeus !

Ça semblait être une raison suffisante pour Josepha. L'idée de Dieu l'empêchait de dormir. L'idée de dormir dans la maison du seigneur l'emplissait d'horreur. Par contre, s'exclamer du nom d'un dieu hérétique ne semblait pas lui paraître outrageux, ce qui dépeignait l'étendue de sa candeur.

Ania haussa les épaules, et regarda le mur en silence. Elle ne voyait pas de problème à s'assoupir sous un mur de cathédral, dieu n'en avait sûrement rien à faire, et puis on pouvait se bercer au rythme des chants d'orgues et des cœurs.

- J'ai embrassé un garçon, il m'a embrassé contre ce mur...

- Vous en avez embrassé beaucoup ?

- oh, juste celui là, il m'aimait bien. J'ai plus eu le temps ensuite.

- plus le temps d'embrasser ?

- C'est pas faute d'avoir voulue...

- et vous en avez eu d'autres, des amoureux ?

- Je suis une briseuse de coeur, les garçons me disent souvent qu'ils m'aiment.

Ania dévisagea la silhouette maigre, les yeux creusés les pommettes qui se détachaient comme une ligne blanche dans l'obscurité. "C'est un enfant monstrueux" se dit-elle.

- Et vous, vous les aimez pas ?

- Maman m'avait dit qu'il fallait qu'ils veuillent bien m'épouser d'abord. Si elle avait suivie son propre conseil, tiens, c'est pas la qu'j'en serait, nom de Zeus.

Ania ne détachait plus le regard de l'ombre sur le mur, l'ombre crochue de l'enfant monstrueuse.

La silhouette sur le mur se mit à trembler, et Ania regardait sans bouger. Un petit sanglot se fît entendre à sa droite.

- Moi j'ai jamais de chance ! Je dois toujours tout faire pour tout le monde ! Je voulais être actrice...mais on m'a jamais laissé faire de théâtre. Je voulais être chanteuse, mais j'ai jamais su chanter. Je voulais que les gens viennent me voir. Je vais faire des études de journalisme, quand j'aurai assez d'argent...et puis je vais me marier, et il fera n'importe quoi pour moi !

Comme elle était enfantine, avec ses rêves sans fondements. Avec ses cheveux de blé fins et légers qui couvraient à pleine son crâne, et ses grands, très grands yeux bleus.

- Vous avez de beau yeux, ne pleurez pas, avait murmuré Ania, en tendant doucement la main pour essuyer une larme sur la joue de Josepha. Ça avait surpris la blonde, parce que depuis le début, Ania l'intimidait, elle la trouvais très belle, elle qui parlais un language soutenus, avec les formes de politesses, comme une bourgeoise. Josepha, elle savait pas faire ça, elle avait jamais rencontré quelqu'un qu'il fallait vouvoyer.

- Tu devrais retourner vers ton toit. Moi ce que j'en dis y a pas de bonheur. Mais si tu aimes quelque chose faut pas l'perdre.

- Vous aimez quoi, vous ?

- J'aime mon mur, et le cinéma et le théâtre muet, le cinéma français. J'ai une photo de Josette Andriot dans ma chemise, tout cont' mon cœur. J'ai pas l'argent d'aller souvent, mais pour le nouvel an, je vais voir une scène. Et puis j'ai un DVD, avec " La Tosca".

- Vous voyez l'immeuble jaune ? Je veux une fenêtre sur la ruelle, en face du balcon aux géraniums. Si vous pouvez m'avoir la chambre, je vous emmène au théâtre une fois par mois.

- Sans blague ? S'exclama Josepha avec de grands yeux.

- Sans blague.

- C'est pas coquet, savez ?

- Ce n'est pas grave, mais je veux être en face de la fenêtre aux géraniums.

- Moi ce que j'en dis...je veux bien voir avec Olga, c'est pas pour le spectacle, c'est parce que vous êtes jolie, et que votre toit vous manque.

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