Nos couleurs
RAPPEL et RESUME
(faits réels)
Wang Yibo (dessous gauche), né en 97, et Xiao Zhan (dessous droite), né en 91, sont les deux acteurs du drama The Untamed.
Célèbres aujourd'hui à l'international, leur relation ambiguë a fait - et fait toujours - polémique en Chine.
La vie de Xiao Zhan a basculé suite à une banale histoire de fanfiction gay. Les autorités l'ont en réalité détruit car leur relation prenait trop d'ampleur en Asie et entâchait les valeurs patriotiques chinoises. De nombreux antis ont été payés pour le harceler. Des civils qui s'alliaient à lui ont été sanctionnés (perte d'emploi d'un professeur).
En 2020, Zhan était devenu l'ennemi public numéro 1.
Depuis 2020, Yibo et Zhan n'ont plus le droit d'interagir en public.
En Chine, l'homosexualité subit de fortes discriminations et est toujours présentée comme un trouble mental dans de nombreux manuels. La plupart des homosexuels cachent toujours leur orientation et sont contraints de se marier au sexe opposé pour se protéger.
* Di : petit frère (voir ici tendresse)
* Ge : frère aîné (voir ici tendresse)
* Wǒ ài nǐ : Je t'aime
~
PDV Xiao Zhan
Je suis devenu l'étranger de ma propre vie. La décision que j'ai prise aujourd'hui n'est qu'une finalité qui me dépasse. Brutale, certes, mais des tréfonds de ma déchéance, je me risque à croire qu'elle sera salutaire.
Ton nom est gravé sur les soupirs de mon cœur.
Mon regard terne dérive sur l'horizon d'eau qui se dessine sans fin. A deux cent mètres sur ma droite, le ferry qui m'emmènera bientôt loin de cette terre qui est nôtre, sous le soleil d'or de la golden. Tu aurais sans aucun doute adoré cette vue. Mais à mes côtés, y avait-il une chose que tu n'appréciais pas ? Quand il y en avait une, tu l'acceptais pour le simple plaisir de me voir sourire. Lion sauvage que tu étais ; attentif et dompté, auprès de moi.
Je souris à cette idée, juste ce que mes traits fatigués me permettent d'étirer. Cette nostalgie ne me quittera jamais. Ta tendresse me manque comme l'eau manque au désert. Je pensais pouvoir m'en séparer et pourtant, tu vois, le temps comme les évènements en ont décidé autrement. L'amour subit ses propres lois.
Et à présent, je dois m'éloigner. Fuir loin d'ici, loin de toi, mon amour. Toi, qui épousais mes larmes dans tes bras, lorsque les miens ne pouvaient plus me porter. Toi, qui gardais le silence pour écouter la mélancolie du mien lorsque je n'étais que l'ombre de moi-même. Toi, qui a eu pour moi toute la foi du monde durant la tempête ; les dieux eux-mêmes ont dû envier ton dévouement éperdu. Bouclier de mon cœur contre la rage du monde.
Yibo.
Je me relève, le corps mou et les bras ballants, mais ma main reste bien serrée, elle, renfermant l'un des bijoux en argent qui nous liait vraiment, sans qu'aucun ne le sache. Unis sous les yeux de ceux qui nous adulaient et pensaient voir une idylle sans en percevoir les précipices. Et comment l'auraient-ils pu, derrière les sourires et les silences révérencieux qui nous étaient imposés.
Di Di.
Mon esprit s'imprègne de ta voix, déjà trop lointaine ; ma poitrine s'alourdit d'un poids invisible. Je sors mon téléphone de ma poche de jogging et décide d'immortaliser cet instant pour une raison qui m'est inconnue. Peut-être pour garder en mémoire ce moment où j'aurai perdu pied – que sais-je, moi, de ce genre de folie ?
Sur mon écran se fige un soleil de feu, embrassant le fil d'or de la mer.
Toi, que fais-tu ? Et que feras-tu d'ici peu, lorsque j'aurai pris le large ? Seras-tu devant ton téléviseur avec celle qu'ils te contraignent à chérir depuis trois ans, en train de suivre les conflits qui ébranlent notre population ? de contempler les désastres en chaîne, la violence qui s'abat sur ceux qui luttent pour leurs libertés et s'opposent à la force ? Comment pourrai-je, moi, continuer à rester de marbre ? Leur haine m'aura tout pris, aujourd'hui, j'ai tout perdu. Je t'en prie, ne me juge pas.
Je range mon téléphone et fais quelques pas lents sur le quai pour me rapprocher de l'entrée du bateau. Quand seulement reviendrai-je... ?
Ce cliché sera le dernier avant longtemps, en ces lieux. Dans ce pays qui aura épuisé mes ressources, nous aura brisés comme il a brisé tant d'amours et bafoué tant de droits. Mais finalement, nous le savions. Ne sommes-nous pas responsables de notre malheur ? – c'est bien ce qu'ils nous répétaient sans cesse. Nous connaissions l'illusion que toi et moi serions. Dès le début, il n'y avait qu'elle, cette absence de nous.
A l'approche du vigile que j'ai déjà rencontré (et soudoyé), je réajuste mon masque noir sur le nez et, dès que j'ai à nouveau présenté mes papiers, m'en vais rejoindre mon sac de voyage en cabine. Lorsque je monte sur le ponton mobile, que je quitte le sol chinois, quelque chose en moi se déchire. J'ai officiellement baissé les bras. Je t'abandonne. Mais je m'abandonne, moi aussi. J'oublie ma vie pour ne plus faire semblant, juste un temps. Pour écarter celui que je suis devenu, celui qui porte un autre reflet de lui-même à force de courir entre les flammes.
Sur mon passage, malgré la foule qui se brasse à l'intérieur du hall, mon regard ne s'arrête sur aucun autre être humain. Je n'en ai aucune envie. La solitude est ma seule amie. Sous ma casquette noire, mes lunettes de soleil et mon masque, dans ces habits ordinaires, tous ignorent ma fuite. Être transparent. Connaître la paix. C'est tout ce à quoi j'aspire, désormais. Penseras-tu que j'agis en lâche ? Vois, les ruines qu'ils ont jonchées sur nos chemins à tous, la destruction de nos espoirs. Nous n'avons qu'une vie, j'en ai pris conscience. Nos couleurs se sont échouées sur les rivages de leur violence.
Je laisse tomber mon cuir marron sur le lit de mon humble petite cabine puis monte à la proue, errer en bout de pont en quête d'un peu de silence ; la brise marine saura garder la foule à l'abri. A l'inverse de toutes les tenues d'automnes que je rencontre, je ne suis vêtu que d'un t-shirt blanc, l'un des tiens ; le dernier que j'aurai gardé. Peu m'importe la fraîcheur. Mon cœur ne risque plus de prendre froid.
Cela fait déjà tant d'années maintenant et pourtant, mon âme reste hantée par ce toi et moi d'hier, comme s'il datait d'aujourd'hui. Encore à vif de toi alors que notre amour s'est teinté de sépia.
Les offensives reprennent et détonnent dans la ville. J'entends leur écho mais n'en pense plus rien. Cette nouvelle impassibilité m'effraie, elle ne fait pas partie de moi ; ma fragilité s'érode.
Les coudes en appui sur l'ultime rambarde qui fait face au couchant, la morsure du froid aggripe ma peau, fouette ma gorge découverte. Un long frisson me parcourt puis tout mon corps frémit violemment. Je lâche un pouffement ridicule. Car, oui, je suis ridicule. « L'homme qui fuyait et punissait son manque de courage en se congelant face au vent ».
Je retire ma casquette un instant pour passer les doigts dans mes cheveux et la garde à la main, mes bras nus croisés sur la barre de fer glacée. Enfin, le ferry pousse l'assourdissante mélodie de son départ, broyant mon cœur dans son souffle. Mes yeux s'embrument sans accueillir le lent sanglot qui me monte à la gorge. Le mal pèse trop lourd pour parvenir à couler.
Di Di. Ne m'en veux pas de tout quitter, je t'en conjure. Des larmes, il y en a eu tant. En as-tu versé une pour moi, récemment, lorsque tu as appris les décisions qu'ils m'ont forcé à prendre ? As-tu été peiné en lisant mes (leurs) déclarations ? en me voyant sur scène avec ce sourire qui n'en est plus un, depuis longtemps ? Le dessin de ma joie ne peut te tromper, toi.
Ma plus grande peur est de ne pas savoir si je te manque encore. Penses-tu à moi, parfois, lorsque tu dois te lover dans ses bras ? Mes paupières se referment sur des images douloureuses, écrasant au passage une larme fragile qui disparaît presque aussitôt face à l'assaut du vent.
Le plus dur n'est pas de te savoir avec elle – notre rôle premier est de se protéger. Non. Le plus dur est de me dire que tes sentiments se sont sûrement étiolés avec le temps, comme les derniers grains d'un sablier anéantissent tout mouvement. De réaliser qu'un jour tu m'oublieras. Et ce jour viendra, crois-moi, il vient toujours.
Une détonation, plus forte que les autres, me pousse à tourner la tête. Quelques soupirs, à peine surpris, s'élèvent derrière moi parmi les quelques familles qui se baladent sur le pont. Bientôt. Bientôt, toute cette agitation sera loin de moi. Des éclats de voix retentissent. Sûrement un groupe de spectateurs rivés sur leurs smartphones, s'enflammant au sujet des derniers évènements dans l'attente d'un aboutissement irréaliste. Le peuple a trop d'exigences. Celle de vouloir vive. Et rien ne résiste à la force. La liberté s'essoufflera dans l'atmosphère toxique de la peur.
Ce sont des cris qui résonnent maintenant à l'intérieur de tout le bâtiment. Certainement le désespoir de certains fugitifs découvrant une énième défaite. Cette fois, je ne me retourne pas. De toute manière, qu'y aurait-il à voir que l'on ne sait déjà ?
Je me concentre sur le bruit des vagues fracasées contre le brise-lame. Une rafale m'arrache soudain ma casquette noire. Paniqué, je monte sur le premier barreau et tend la main dans le vide, mais elle s'est déjà envolé dans les airs, légère et insignifiante. Ta casquette.
Plié en deux sur la barre, mes yeux s'écarquillent sur ce précieux souvenir qu'on vient de me retirer. Une peine furieuse me saisit à la gorge et fait croître une tristesse irrationnelle. Je suis à fleur de peau. A fleur de toi. Mes lèvres se mettent à trembler.
Des hurlements hystériques emplissent l'intérieur du bateau. Tous m'indiffèrent. Ou presque ? Les conversations exaltées commencent à se répandre jusqu'au pont et je captent des informations impossibles à ignorer.
— Regardez, ils ont réussi ! C'est enfin arrivé !
Je fronce un sourcil et me retourne pour voir les gens affluer dehors, partager les dernières nouvelles affichées sur leurs écrans lumineux. Mon regad se porte sur la ville. Ce que je vois, moi ? Des flammes. De grandes flammes qui ravagent un horizon de buildings brodé de son crépuscule. Ce que j'entends ? L'écho de déflagrations diverses. Mais depuis quelques minutes, certes, une certaine accalmie se dénote. Et ici, les éclats de voix s'unissent progressivement vers la joie. Une euphorie bien spéciale, réservée aux jours unissant tout un peuple.
— C'est le début de la victoire ! Ils ont cédé !
Cédé ?
— La première loi ! Ils ont approuvé la première loi !
Hors de la caresse du vent, un frisson secoue tout mon corps. La première loi, celle qui aurait pu tout changer. Celle qui aurait levé le voile et permis à notre nous d'exister.
Mes pieds quittent le barreau tandis que j'observe, incrédule, la cohue insensée qui agite les passagers survoltés à l'intérieur comme à l'extérieur du bateau. Je peine à croire ce que je vois, à intégrer ce que j'entends. J'en ai presque le vertige.
Sur le pont, tous s'extasient. Ceux qui fuyaient comme moi, s'étreignent et expriment leur bonheur, leur soulagement. En famille, en couples... Deux femmes osent enfin afficher leur tendresse en public, dans l'émotion.
Et moi, je me retrouve ici, seul. Car j'ai perdu la foi en ce monde. Ou plutôt, la foi en moi. Les yeux embués, j'ôte mes lunettes, un sourire aux lèvres, pour mieux contempler les effusions de bonheur savourées à chaque coin du bateau. De toutes nouvelles détonations s'expriment, un peu partout, mais je doute que celles-ci soient offensives...
— Alors, c'est bien vrai...
Une voix interrompt mes pensées. Une voix qui fait basculer mon être.
— Aussi vrai que je suis là, Xiao Zhan.
Mes yeux dévient sur le côté et se posent sur l'homme en noir qui s'avance vers moi. Celui dont je reconnaîtrai la démarche entre mille.
Mon souffle se coupe. Il jette ses lunettes de soleil au sol, se débarasse à la hâte de son masque et de sa casquette noirs, prêt à se jeter dans l'océan d'amour qui l'appelle depuis une éternité. Un nouveau frisson me fait trembler de la tête aux pieds. Quelques pas nous séparent encore mais déjà, son identité dévoilée aux yeux de tous est capturée par une nuée de téléphones.
Enfin, il ralentit. La distance se rétrécit. Mes lunettes glissent de mes doigts, plus rien ne compte. Le temps s'arrête. L'illusion et les chaînes se désagrègent. Je fais un pas vers lui mais reste vite pétrifié, trop longtemps prisonnier du berceau de mes rêves. Ses yeux brillent autant que les miens, empreints d'une magie qui n'a jamais vu le jour.
Il lève sa main vers moi afin de retirer mon masque et je dois réprimer le réflexe de l'en empêcher. Mon visage révélé, une frénésie féminine assourdissante retentit et nos deux noms fusent dans la foule. Mais plus les spectateurs se regroupent, moins je les entends. Perdu dans la profondeur de ces yeux que je ne pensais plus jamais revoir en vrai. Je dévore sa présence. L'encre indélébile de ses traits. Un silence d'or nous isole, n'imprègne que nous.
Il me contemple comme s'il prenait le temps de détailler un trésor. Ma voix s'éraille, fragile.
— Tu es là...
— Dans un moment pareil, où d'autre aurais-je dû être... murmure-t-il en appliquant une main sur ma joue.
Mes lèvres tremblantes s'étirent sous sa caresse. Je ferme un instant les yeux pour mieux en savourer toute la douceur.
— Tant de temps a passé... soufflé-je.
Le dernier pas qu'il fait inhibe toute distance. Son Bleu de Chanel envoûte mon esprit, ravivé de mille et une fresques d'amour. Il me fixe avec une gravité mélancolique et pose une main sur sa poitrine.
— Tu n'as jamais quitté mon cœur.
Les larmes me montent aux yeux. Aucun de nous n'arrivera à les réprimer, aujourd'hui. Je niche mes doigts froids dans son cou et en redécouvre la chaleur délicieuse. Plus nos corps se rapprochent, plus je le sens frémir. Nos âmes vibrent à l'unisson.
Mes paumes se pressent dans sa nuque tandis que les siennes trouvent leur chemin dans mon dos, et bientôt, seuls quelques centimètres séparent nos deux bouches, déjà magnétisées. Puis, le monde disparaît. Nos nez se cherchent et nos regards mi-clos se fondent l'un dans l'autre. Dans la caresse de nos deux souffles, notre amour prend enfin vie aux yeux de tous sur les mots bien connus qui, cette fois, gravent tout leur sens :
— Zhan Ge... Di Di ài nǐ.
Nos larmes coulent, nos lèvres s'épousent sur un sourire. Sous les pleurs de joie de certaines et les acclamations de tous, notre bonheur fait rayonner celui de la foule par la beauté chagrine de son espoir. Une idylle interdite, éclatant finalement au grand jour comme les feux de victoire crépitent au-dessus de nos têtes, libérant dans les cieux empourprés leur pluie arc-en-ciel. Notre envol s'enlumine.
Le monde bat sa chamade. À nos couleurs.
Merci d'avoir lu cette nouvelle 🙏🏻 J'espère qu'elle vous a touché(e)s !
Merci pour votre amour et votre soutien inconditionnel💌
Cœurs et chocolats sur vous 💚❤️
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