Chapitre 9 - Isaac

Merci pour votre patience, j'espère que ce chapitre vous plaira énormément ! Actuellement, je suis très occupée par la réécriture du tome 2 de ma dystopie A Last Chance to Survive que je dois transmettre prochainement à ma maison d'édition, mais sachez que j'attends avec impatience les réponses de grandes maisons d'éditions pour Nos Combats Perdus... On continue de croiser les doigts ! En attendant, bonne lecture à vous !

Je me saisis de la bière que me tend Aaly sans me faire prier. Il me faudra au moins ça pour oublier le fiasco de cette soirée. Comment ai-je pu croire que tout se passerait bien ? Evidemment qu'elle me déteste.

Mon amie vient de rentrer après qu'on a passé plus de trois heures à chercher Eleanora dans les grandes avenues londoniennes. J'ai tenté d'aider du mieux que je pouvais mais j'ai vite réalisé mon inutilité : je ne connais ni cette putain de ville, ni cette nouvelle femme que j'ai tant aimée.

Aaly semble exténuée et ne refuse pas la douce étreinte que lui propose Susie, qui a veillé autant que moi. On a tous les deux attendus la femme de notre vie ; seulement une a franchi le pas de cette porte. Aaly m'a informé qu'Eleanora était rentrée chez elle pour se reposer. Quand j'ai insisté pour obtenir des informations sur sa fuite, mon amie a refusé de me dire où elle l'a trouvée.

Je suis responsable de cet échec, je le sais. Et pourtant, quand Aaly et Susie s'installent en face de moi, je ne peux empêcher ma rancœur de parler à la place de ma raison.

J'ai passé des années à faire des sacrifices pour ma vie, et voilà tout ce que je récolte ? Du mépris ?

— Tu aurais pu me dire qu'elle avait un copain, lâché-je en dévisageant Aaly avec toute la colère qui m'anime.

Susie me fusille du regard avant de porter sa propre bière à la bouche. Je l'ignore royalement. Si je suis à Londres aujourd'hui, c'est à cause de sa copine. Elle aurait pu me raconter la vérité lorsque nous étions à Boston. Après tout, je doute que le non-célibat d'Eleanora soit une nouveauté. Qui ne voudrait pas d'une femme aussi incroyable qu'elle ?

— Cela n'aurait rien changé, rétorque mon amie d'une voix calme en reposant sa tasse de thé sur la table pour m'observer de ses yeux perçants.

— Je ne serais pas venu, grommelé-je en serrant les poings.

Aaly relève vivement la tête et me fusille du regard. Je crois même voir des larmes briller au fond de ses yeux ; incapable d'encaisser davantage de tristesse engendrée par mes soins, je détourne le regard.

— Alors tu es encore plus idiot que je ne le pensais, et Nora avait raison.

A mon tour, je lui adresse un regard noir. Je n'assure pas ce soir, comme je n'ai peut-être pas assuré il y a cinq ans. Mais si elles savaient les raisons de mon abandon, j'ose espérer qu'elles se montreraient plus tolérantes à mon égard. L'une comme l'autre.

Je lui ai sauvé la vie, putain. Tout le monde n'a pas eu la chance de sortir indemne du cauchemar dans lequel notre père nous a plongés, ma famille et moi.

— Nora mérite qu'on se batte pour elle, insiste Aaly comme si je ne le savais pas. Elle mérite quelqu'un qui se battra enfin pour elle.

— Elle a Oliver, répliqué-je de mauvaise foi.

— Tu ne peux pas te contenter de cette réponse, Isaac ! s'impatiente Aaly en se levant sous nos yeux surpris. Oliver ne se battra jamais pour elle. Le jour où elle le quittera, il ne s'en rendra même pas compte. Ça a toujours marché comme ça dans la vie de Nora ; les gens viennent et repartent aussi vite qu'ils sont venus. Comme sa mère, comme son père. Comme toi.

Je me redresse sur ma chaise. Je n'apprécie pas ses accusations et leurs sous-entendus. Eleanora avait Aaly et cet Oliver.

J'avais qui, moi ?

— Je n'ai pas...

— Tu ne peux pas lui en vouloir de penser que tu l'as abandonnée il y a cinq ans, continue de me reprocher Aaly. Tu es parti en t'accrochant à une utopie. Nora avait raison ; tu aurais pu ne jamais la revoir.

— Mais je l'ai revue, tenté-je d'argumenter.

Je me prends la tête entre les mains, partagé entre déchirement et colère. Je n'ai jamais été quelqu'un de très noir, je cultive les émotions positives plus que la rancœur et la peur. Je pourrais ouvrir la bouche et enfin raconter la vérité, me donner une chance de les convaincre que je n'ai pas abandonné Eleanora.

Je l'ai vraiment sauvée.

Quand le manque de ses sourires et de ses baisers me tenait éveillé la nuit, je me raccrochais à cette unique phrase. Je ne savais pas où elle était, alors lui non plus n'en savait rien. Il ignorait jusqu'à son existence ; j'avais veillé à ce que les déserts d'Afrique soient trop vastes pour me retrouver.

Même pour un criminel comme lui.

— Qu'est-ce qui est arrivé à ses parents ?

Aaly repose encore une fois sa tasse brûlante, élucidant ce que je viens de lui demander. Elle hausse un sourcil confus quand ses yeux croisent les miens. Susie la dévisage longuement et se rapproche pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Aaly semble encore plus déroutée, elle qui a pourtant réponse à tout.

— Tu crois ? interroge-t-elle sa compagne en plongeant ses yeux dans les siens.

Susie se contente d'acquiescer en se mordillant la lèvre. Elle se lève pour embrasser Aaly sur le front avant de me faire face, un sourire triste collé aux lèvres.

— Je vais vous laisser discuter. Bonne nuit, Isaac.

— Bonne nuit, Susie.

Elle disparaît derrière la porte menant au long couloir redistribuant chacune des pièces de l'appartement. Aaly rapproche ses genoux de sa poitrine. Elle se penche vers moi, un air d'étonnement pur toujours inscrit sur son visage.

— Nora ne t'a jamais rien dit ? En Namibie, elle ne t'a jamais parlé de sa famille ?

Honteusement, je dois avouer que non. Ce silence lié à nos familles était réciproque ; nous avons parlé de tous nos rêves et de toutes nos fêlures, si ce n'étaient les plus importantes. La Namibie n'était pas censée être un Styx d'incertitude. C'était censé devenir notre paradis, ne serait-ce que pour quelques semaines.

— Le père de Nora était malade, Isaac. Gravement malade. Son état s'est considérablement dégradé quand elle s'est absentée en Namibie. C'est pour cela qu'elle est repartie à Édimbourg et qu'elle a refusé de te rejoindre à Boston. Elle n'avait pas prévu de renoncer à toi ; elle avait décidé de ne pas renoncer à son père.

Ma gorge se noue instantanément. Je porte la canette métallique à mes lèvres pour faire passer la boule logée dans ma trachée. Elle souffrait tant, et elle ne m'a rien dit. Elle souffrait tant, et je n'ai rien vu.

Comment n'ai-je pu rien voir ?

— Elle le savait quand nous étions en Afrique ? demandé-je quand même pour me rassurer vainement.

Aaly hoche la tête avec incertitude, me dévisageant avec peine. Elle-même reconstitue les pièces du puzzle dans sa tête. Je ne suis pas le seul à ne pas avoir été honnête dans cette histoire.

— Et sa mère dans tout cela ?

Mon amie se racle la gorge avant de reprendre, ses mains tremblant légèrement.

— Elle a fait une dépression et a remis les torts sur le dos de Nora. Elle lui reprochait son départ en Namibie, ses choix... Même la mort de son mari. Elle a commencé à perdre tout son argent dans l'alcool et les jeux, et après quelques mois, Nora a arrêté l'université pour travailler. Elle cumulait trois jobs à la fois, c'était de la folie. Elle a renoncé à une part de ses rêves pour son père, et à sacrifié les plus belles années de sa vie pour sa mère. Après quelques mois, elle a craqué. Elle a envoyé sa mère dans le meilleur centre psychiatrique du Royaume-Uni pour qu'elle soigne ses addictions, et elle m'a elle-même rejointe dans la capitale britannique.

— Elle en a bavé, conclue-je en sentant mon cœur se tordre de douleur.

Rien n'était censé se dérouler de cette manière pour elle.

Elle devait rester heureuse, être épanouie dans sa vie même sans moi.

C'est pour ça que j'ai pris la fuite en Namibie, et que je me suis assuré qu'elle prenait la fuite à Boston.

Je voulais... juste...

M'assurer...

Qu'elle...

Resterait...

Heureuse.

Je crois que j'ai besoin de respirer un petit peu d'air frais, de prendre du recul sur tout ce que je viens d'apprendre. Prends-toi cette claque dans la gueule, Isaac. Lana avait raison ; je ne peux pas tout contrôler.

— J'ai conscience que tu espérais plus de ces retrouvailles, Isaac.

Oui.

Non.

J'espérais retrouver Eleanora et c'est chose faite. Le rêve a pris fin pour me ramener dans la réalité, et ce n'est pas vraiment une mauvaise chose. Je suis tombé amoureux d'un être humain, pas d'un mirage.

Je prends congé d'Aaly quelques minutes plus tard alors que l'horloge mural indique pratiquement quatre heures du matin. Je marche longuement dans le froid londonien sans prêter attention aux directions que j'emprunte. Qu'importe ? Mon cerveau est en surchauffe et risque d'exploser à tout moment. Je ne parviens pas à réfléchir convenablement, et décide de prolonger le temps offert à la nuit.

A six heures, mes pas me mènent devant mon appartement. Une ombre me précède devant la porte alors je me racle la gorge pour annoncer ma présence. Mon coloc se retourne en sursaut, brandissant la lampe de son téléphone dans ma figure.

— Pas besoin de me rendre aveugle, grommelé-je.

— Isaac, c'est toi ? Tu m'as fait peur, abruti !

— Désolé.

Mon ton est un petit sec et je m'en veux. Matt hausse un sourcil mais ne dit rien alors qu'il ouvre la porte en m'invitant à entrer. Nous restons silencieux jusqu'à ce que les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le dixième étage.

— J'en déduis que ça ne s'est pas b... commence mon colocataire en se grattant la tête, les yeux rougis par la fatigue.

Je l'arrête en me dirigeant vers notre appartement.

— Pas ce soir, Matt. Je t'expliquerai demain. Mais pas ce soir.

Mon ami m'adresse un hochement de tête pour assurer qu'il respecte mon choix et se désintéresse de moi quand nous atteignons l'entrée. Il s'agit de sa manière de ne pas empiéter sur mes pensées chaotiques. Je le remercierai demain.

Sans prendre le temps de retirer mon jean ou mon tee-shirt, je m'écroule sur mon lit comme une masse. Mes yeux sont vides mais restent grands ouverts, fixant un plafond aussi gris que mon humeur actuelle.

Eleanora...

Je suis désolé.

Pour les pleurs et la douleur.

De ne pas avoir été à la hauteur.

— Putain.

Incapable de trouver le sommeil, je m'empare de mon casque audio et lance ma playlist fétiche sur YouTube. Une succession de titres apaisants composés de la mélodie que jouent les vagues de l'océan lorsqu'elles s'échouent près de la côte sauvage. Je me détends à mesure que les plages de mon enfance se dessinent une à une dans mon esprit, et que le sommeil vienne me murmurer à l'oreille qu'il m'autorise une trêve.

***

Je sursaute quand des bruits secs résonnent dans l'appartement. Mes yeux ensommeillés se posent sur les fenêtres de ma chambre qui laissent entrer un soleil chaud dans la pièce. Je me suis endormi comme une masser hier soir, après avoir été bercé par les plus beaux sons d'Indonésie.

En me redressant, je jette un coup d'œil à mon téléphone. Il est presque quinze heures. Malgré l'heure tardive, je n'ai aucune envie de mettre les pieds hors de ce lit de protection. Je me laisse retomber sur les draps, plongeant mon visage dans l'oreiller pour ne pas encore affronter les conséquences de mes actes.

Un grognement bestial m'échappe quand je constate que les coups ne diminuent pas. Quelqu'un est en train de s'acharner sur notre porte d'entrée, et je suis presque sûr que Matt se serait déjà déplacé s'il était en état de le faire.

J'écarte les couvertures à regret et traîne des pieds pour rejoindre l'entrée. J'ouvre la porte à la volée sans rien cacher de mon agacement. J'espère que ma tête fera fuir notre inconnu avant qu'il n'ose ouvrir la bouche.

— Bonjour, Isaac, murmure Eleanora sur le pas de ma porte, en me jetant un regard inquiet.

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