Chapitre 26 - Nora
Je tape plusieurs coups contre la porte en marbre blanc pour annoncer ma présence, découvrant par la même occasion que le son produit par cette matière est proche du néant, et que sa surface est tellement dure qu'elle m'arrache une grimace de douleur.
Bien sûr, Lana n'a pas entendu cette piètre tentative pour m'annoncer.
Je passe une tête timide dans la pièce lumineuse pour tenter une approche plus efficace. J'ai conscience que je pourrais tout simplement faire fonctionner mes pieds pour rejoindre la sœur de mon compagnon, mais je ne veux pas m'imposer plus que nécessaire dans ce moment si unique auquel Lana m'a convié.
Le décor de ce salon d'appoint est minimaliste au possible : seuls quatre fauteuils se faisant face habillent la pièce, surplombant un grand tapis bleu océan qui offre la seule touche de couleur de la salle. La beauté de cet endroit est sans aucun doute due aux grandes fenêtres qui remplacent chaque centimètre carré de mur, permettant une vue imprenable sur la plage privée de Dian. En tendant l'oreille, je peux même déjà entendre les premières réjouissances qui annoncent les festivités de la journée : de la musique, beaucoup de rire, quelques cris...
Le mariage de Lana et Adrian sera parfait.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de voir le banquet aménagé sur le sable de mes propres yeux, mais je ne doute pas une seule seconde que le résultat sera plus beau que les espérances que je pouvais en avoir.
Mon regard ne se perd pas longtemps vers les décors de ce rêve. Pour être honnête, toute mon attention a été volée par Lana à la seconde où je l'ai rejointe.
Elle est tellement magnifique.
Son dos est dévoilé avec beaucoup d'élégance par une robe blanche parsemée de strass, qui gonfle à hauteur de ses cuisses pour venir s'échouer à quelques mètres derrière son dos. C'est la première fois que je découvre la tenue finale, et je dois admettre que cette robe de mariée n'a rien à envier à tous nos essais remarquables de Londres. Elles étaient sublimes, oui, mais celle-ci... celle-ci semble avoir été créée dans l'unique but d'être un jour portée par Lana.
Je croise le regard de la jeune femme à travers un grand miroir accroché au mur. Le maquillage pour lequel elle a opté est très doux, jouant sur des nuances rosées qui réchauffent avec beaucoup de tendresse ses joues. J'aurais pu rester figée encore longtemps sur la réussite de cette mise en beauté si ses cheveux coiffés en un magnifique chignon d'où s'échappent des boucles brunes n'étaient pas aussi resplendissants.
Une fois mon inspection terminée, je cherche les yeux de Lana. Je suis émue d'y lire toute sa joie et tout ce bonheur qu'un seul sourire ne suffirait à faire rayonner.
Cette journée est sienne, et si je ne connais pas tout de l'histoire de sa vie, j'ai conscience de l'importance de ce moment si singulier. Pour elle, peut-être plus que pour quiconque.
— Tu peux rentrer, Nora, rie-t-elle en me voyant figée au pas de la porte.
Je m'excuse en partageant la légèreté qu'elle met dans ses mots, et suis ses conseils. Je referme la porte derrière moi, et m'avance dans la salle gigantesque qui réveille tous mes sens. J'ai l'impression d'être plongée dans un conte de fée, et d'arriver au seul moment qui mérite d'être vécu : la fin heureuse...
— Tu es sublime, Lana.
Son sourire s'agrandit et continue de noyer ses yeux d'une joie pure.
— Toi aussi, Nora. Le bleu te va à ravir.
Je la remercie pour son compliment. Ma robe a été gracieusement offerte par Dian, comme tous les vêtements de mes amis. Nous avons tenté de refuser, mais je crois que la mère d'Isaac nous est reconnaissante d'être parvenus à ramener son fils sur ses terres natales. Ce cadeau, c'est en réalité une offrande pour Lana, Isaac, et nous tous.
— Ta mère n'est pas là ?
Ma question est une manière détournée de l'interroger sur l'absence évidente de Dian. La femme n'a pas quitté Lana depuis son arrivée il y a deux jours, et je sais l'importance qu'elle accorde elle-même à cet évènement heureux.
— Elle est allée chercher Isaac, m'explique Lana en glissant une mèche de cheveux bouclée derrière son oreille. Il m'en aurait trop voulu de découvrir cette tenue en même temps que les autres invités !
Je veux bien le croire. Isaac n'est absolument pas rancunier. En revanche, il est des choses auxquelles il accorde énormément d'importance : sa famille, notamment.
— Pourquoi m'avoir demandé de venir ici ? lui demandé-je alors que cette question me préoccupe depuis quelques minutes. Ne suis-je pas justement une invitée comme les autres ?
— Tu es particulière, Nora, confie Lana en attrapant mes mains pour les serrer au creux des siennes.
— Je ne me sens pas particulière.
— Tu as rendu le sourire à mon frère, et aujourd'hui, il est présent sur cette terre qu'il s'était fait la promesse de ne plus jamais revoir. Tu ne le rends pas seulement heureux, tu l'aides à guérir. Alors, à mes yeux, tu es particulière. Mais je voulais savoir, Nora. Toi, es-tu heureuse ?
— Avec Isaac ?
— Avec la vie. As-tu guéri des démons qui te poursuivaient ?
Je m'assois sur la chaise qui fait face à son secrétaire pour prendre le temps de réfléchir à cette question, et au sens que Lana cherche à lui donner.
— J'y travaille, réponds-je finalement. Je suis sur la bonne voie, je crois, rajouté-je avec plus de confiance.
Lana sourit, et je sens que mes mots la rassurent plus qu'elle ne veut bien le reconnaître.
— Et toi ? demandé-je en espérant ne pas faire d'impair en ce jour si spécial.
— Comme toi, Nora. Je suis sur la bonne voie. Et même si ça peut paraître anodin, je suis contente de vous avoir rencontrés. Aaly, Matt, Gina, Susie et toi. Je comprends pourquoi mon frère ne tarit pas d'éloges à votre sujet. Mon quotidien est un petit peu plus heureux maintenant que vous en faites partie.
J'ouvre la bouche pour lui affirmer que je n'en pense pas moins, et que malgré les milliers de kilomètres qui nous séparent, Adri et elle ont leur place dans cette petite famille fracassée que nous formons.
Je suis coupée dans mon élan par un bruit sourd qui résonne derrière mon dos.
Comme moi quelques minutes auparavant, Isaac prend soin de frapper quelques coups à la porte avant d'entrer dans la chambre de sa sœur. Il m'adresse un sourire éblouissant lorsque je vais lui ouvrir et qui prend fin lorsque ses yeux croisent ceux de sa sœur. Il s'avance de plusieurs pas vers elle, ébahi devant sa beauté, et murmure d'une voix chargée d'émotion :
— Tu es magnifique, Lana.
— Attention Isacounet, tu vas me faire pleurer.
— Tu pleures déjà.
Elle avance d'un pas pour serrer son frère dans ses bras.
— Je sais.
***
Je ne doute pas un instant que la cérémonie soit à la hauteur de ce qu'Adrian et Lana avaient espéré. Leurs vœux ont été prononcés dans l'intimité de la plage bordant la demeure de Dian, avec seulement une cinquantaine d'invités pour que la fête soit la plus authentique possible.
Isaac a accompagné sa grande sœur jusqu'à l'autel, et je n'ai su dire lequel des deux étaient le plus fier de se trouver au bras de l'autre. L'amour qui les unit est un joyau qu'il faut préserver à tout prix, parce qu'il rayonne et s'offre à tous les chanceux qui se situent près d'eux. Alors que le prêtre récitait les vœux de mariage, mon regard s'est perdu sur le trio singulier que forment ces trois amis d'enfance. Qui d'Adrian, d'Isaac ou de Lana est le pilier des autres ? Il m'apparaît qu'aucun ne l'est vraiment, parce qu'ils le sont tous. Aujourd'hui, c'est un amour charnel qui est célébré mais j'ai le sentiment que ce n'est pas la seule promesse qui est faite : des non-dits heureux, familiaux et amicaux, se cachent derrière ce joli moment.
Après tout, qui de mieux que mon compagnon pour être le témoin de l'amour que se portent Lana et son meilleur ami depuis toutes ces années ?
— C'est tellement romantique, commente Gina en soupirant excessivement.
— Lana et Adrian sont tellement amoureux, sourit Susie en regardant les mariés d'un air rêveur.
— Il me tarde que ce soit notre tour, chuchote Aaly à mon oreille en désignant subtilement sa compagne, et un peu moins subtilement l'homme qui fait battre mon cœur.
J'échange un regard complice avec Susie, lorsque ma meilleure amie se désintéresse de nous pour être attentive à la suite de la cérémonie. Si elle savait que son tour approche, et que dans quelques mois tout au plus, elle promettra ses vœux d'amour à la femme dont elle est tombée amoureuse il y a trois ans déjà.
Je ferme les yeux alors que les voix remplies d'émotion de Lana et d'Adrian nous parviennent enfin. La brise légère venue de l'océan bleu souffle un air de fraicheur sur la petite foule que nous formons, et guide une odeur iodée de mer salée jusqu'à mon nez. Femme insulaire, je n'ai pourtant jamais côtoyé l'Atlantique et toutes les promesses que l'horizon amène avec elle. Je le regrette un peu aujourd'hui ; peut-être que dans quelques années, Isaac acceptera que nous retournions vivre sur ses terres pour profiter pleinement de cette communion avec la nature.
Un tonnerre d'applaudissement accueille les jeunes mariés lorsque leur baiser scelle chacun des mots qui ont été prononcés. Je me laisse gagner par l'euphorie de mon voisin et me redresse sur mes deux jambes pour féliciter comme il se doit l'amour éternel de mes deux amis.
Aaly amorce un pas vers le couple pour les féliciter de vive voix, mais elle s'arrête nette lorsqu'Adrian passe un bras sous les jambes de sa femme.
— Mais qu'est-ce qu'il fa...
La fin de ma phrase meurt sur mes lèvres. Le jeune homme n'a pas perdu une seconde, et s'élance déjà vers la forêt verdoyante dressée à une cinquantaine de mètres de nous. Lana s'accroche à son cou en gloussant, et ni l'un ni l'autre ne semblent plus se préoccuper de respecter les convenances.
Je suis extrêmement confuse. Comme mes quatre amis, qui tirent tous la même tête choquée que moi.
Isaac suit des yeux les jeunes mariés avant de nous rejoindre. Il ne parvient pas à dissimuler l'hilarité qui le saisit en nous voyant si surpris, et il n'est pas le seul à apprécier notre stupeur : je suis sûre de voir Dian se retenir de sourire, à quelques mètres de là.
— C'est la tradition, assure mon compagnon en éclatant de rire devant nos mines déconfites. L'un des deux mariés « enlève » l'autre après l'échange de vœux pour s'offrir un peu d'intimité avant le début de la soirée dansante.
Bien sûr, la remarque la plus fine nous vient de Matthew.
— Eh bien, certains n'ont pas de temps à perdre ! plaisante-t-il jusqu'à ce qu'Isaac le fusille du regard.
— Ils vont planter un arbre, laisse échapper mon compagnon, les dents serrées.
Matthew lève les yeux au ciel, sans réaliser qu'il accentue l'agacement de son ami. Gina lui donne un coup dans les côtes pour le faire taire, mais le geste est insuffisant pour arrêter le jeune homme qui est toujours prêt à mettre les pieds dans le plat.
— Tu n'es pas obligé d'utiliser un langage poétique pour nous expliquer ce qui va suivre, nous avons déjà compris le sous-entendu.
— Ce n'est pas un sous-entendu, Matt ! Ils vont vraiment planter une graine dans la forêt, qui symbolise le renouveau et la longévité de leur vie commune, se désole Isaac en grognant dans ma chevelure.
— C'est un joli gage d'amour, commente Susie avant que Matt ne sorte une nouvelle bêtise.
Isaac se détend en entendant la voix de la jeune femme, et redresse la tête pour la remercier. Cette cérémonie et sa signification lui tiennent à cœur, et que sa sœur en soit l'actrice principale renforce son besoin de protéger cette part de son histoire.
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