Chapitre 22 - Nora

 — Vous êtes sûres que je ne peux pas vous accompagner, les filles ? grogne Adrian en faisant les yeux doux à Lana. Matthew insiste pour que nous allions voir un match de football opposant Londres à Liverpool, et j'ai besoin d'un argument valable pour me défiler.

L'insistance d'Adri pour que nous lui servions d'alibi m'arrache un sourire, puisque c'est la cinquième fois qu'il ramène le sujet sur le tapis depuis ce matin. Isaac était censé tenir compagnie à son colocataire pour l'évènement de ce soir, mais ses jours de travail ont changé tardivement alors Matt a vu une occasion en or d'initier Adrian au sport local.

— Non, tu ne peux pas, lui répond Lana en lui tirant la langue. Ça porte malheur aux mariés de découvrir les tenues avant la cérémonie.

— Mais, se défend Adri en faisant la moue, ce n'est pas comme si tu allais acheter ta robe ici ! La tienne t'attend déjà à la maison !

Ah ?

— Pourquoi aller essayer des robes, dans ce cas ? m'enquis-je avec beaucoup de curiosité.

— A défaut d'être une belle princesse avec une garde-robe à rendre jalouses les filles du monde entier, je peux m'offrir le plaisir de défiler dans un accoutrement sublime à de rares occasions.

— C'est...

— ... parfaitement inutile, me coupe Adrian en se prenant la tête entre les mains.

— ... du pur génie. Lana, tu es un génie ! m'exclamé-je en lui offrant un regard empli d'admiration.

Lana me lance un clin d'œil. Cette attention renforce le drame qu'Adrien s'entête à vouloir créer, puisque je l'entends marmonner que les « femmes sont tout bonnement incompréhensibles ». Il est coupé net dans son élan lorsque sa chère et tendre fiancée se rapproche de lui pour s'emparer de ses lèvres. Je détourne les yeux devant cette petite démonstration d'amour et en profite pour jeter un coup d'œil à mes messages. Je confirme à Isaac que je passe la journée avec sa sœur pour faire plus ample connaissance – le mardi étant mon second jour de repos – et que j'ai hâte de le retrouver ce soir. Sa réponse ne tarde pas, et j'en viens à me demander s'il est réellement possible de finir par se lasser de ce genre de petites attentions de la part de sa moitié.

Le second message me vient de Susie. Je ne peux réprimer une exclamation enjouée lorsque mes yeux se posent sur la photo qu'elle m'a adressée. Les tourtereaux tournent leur visage vers moi en une synchronisation parfaite, mais j'adopte un sourire énigmatique qui les informe que je ne dirai rien. Lana fait une grimace qui ne passe pas inaperçu ; à la vue de mon sourire niais, elle doit penser qu'Isaac m'a envoyé une photographie intime. Elle est bien loin du compte.

Il fut si drôle d'assister aux chamailleries d'Aaly et d'Isaac toute la soirée de mon anniversaire, alors que mon plus beau cadeau, c'est Susie qui en est à l'origine. Parce que, dans les prochaines semaines, elle va demander Aaliyah en mariage. Et dans les prochaines semaines, Aaly dira oui.

Susie vient de m'envoyer une photo de la bague de fiançailles qu'elle a choisi avec sa mère il y a deux semaines. Elle souhaite obtenir mon approbation avant de l'acheter. La bague dorée est composée de deux anneaux très fins qui se rejoignent en un sublime cercle renvoyant l'image d'un soleil. Il ne fait nul doute qu'Aaly l'aimera de tout son cœur.

De : Nora

A : Susie

C'est parfait, Susie. La bague est parfaite, tout comme le sera ta demande en mariage.

Je range mon téléphone dans ma poche lorsque Lana se lève pour se préparer. Je lui emboîte le pas pour l'imiter. J'attrape rapidement un manteau, ainsi qu'une écharpe verte – s'accordant à mes yeux – avant de rejoindre la sœur d'Isaac dans l'entrée, où elle m'attend patiemment.

Avant que nous quittions l'appartement, Adrian fait une dernière tentative d'appel à l'aide... qui échoue lamentablement.

— Ne tire pas cette tête-là, lui reproche Lana en éclatant de rire. Ce sport ne peut pas être aussi terrible qu'il n'y paraît.

Je fais semblant de tousser pour camoufler mon hilarité derrière ma main. Elle n'a jamais regardé un match de football, c'est certain.

***

Le taxi onéreux que Lana a demandé nous dépose en plein cœur de la capitale anglaise, dans le quartier de Trafalgar Square. La jeune femme relève les yeux vers la statue excessivement haute de l'amiral Nelson, protégé par quatre lions sauvages sortis tout droit du conte de Narnia. Elle retire le téléphone de sa cachette pour prendre un cliché.

— Tu dois me prendre pour une idiote, commente-t-elle en rangeant son combiné dans son sac à main, mais c'est magique de pouvoir enfin me promener dans ces lieux que j'ai vus tant de fois à la télé. Et les photos sont le meilleur moyen de capturer les souvenirs figés dans le temps.

— C'est loin d'être idiot, la rassuré-je alors qu'elle attrape mon bras pour faire le tour de l'édifice. C'est même intelligent ! Je ne suis pas très douée de mes deux mains, alors je n'en prends jamais, mais je le regrette un peu aujourd'hui. J'aurais aimé conserver des photos de certains moments importants de ma vie.

De la Namibie, notamment.

De Iansã, Sanyu et Dhakiya.

Souvent, je me demande ce que cette fratrie est devenue. Au départ, nous échangions quelques lettres. Puis, un jour, Iansã m'a écrit dans le plus grand secret. Elle me demandait de rentrer, pour eux, parce qu'ils avaient besoin de moi. Mon père était en phase terminale : je ne pouvais pas me résoudre à l'abandonner encore, pour un aurevoir qui aurait été cette fois-là, j'en étais consciente, définitif. J'étais livrée à moi-même, menant un combat qui déchirait mon cœur aux quatre coins du globe. En Europe, où ma famille avait besoin de moi. En Amérique, où se trouvait mon destin avec Isaac. Et dans ce petit pays aux mille couleurs, où j'avais oublié la moitié de mon pauvre cœur.

J'avais promis de revenir, mais j'en étais incapable. Je n'avais ni l'argent, ni la force de remettre les pieds dans cet endroit maudit qui avait représenté un amour impossible, l'éclat de mes espoirs les plus fous, et la déchéance de ma mère.

Et cela, Iansã ne me l'a jamais pardonné.

***

Trois heures et quatre magasins plus tard, Lana me pousse dans une énième boutique de robes de mariées à proximité deOxford Street où nous avons passé l'après-midi. Elle n'a eu de cesse de suggérer de me prêter au jeu des essayages avec elle, une gentille proposition que j'ai systématiquement déclinée en riant.

Lorsque nous passons la porte d'entrée, une petite clochette résonne dans la boutique pour annoncer notre venue. Le magasin n'est pas très grand, mais nous sommes loin d'être les seules à déambuler dans les rayons. Toutefois, je n'identifie aucune personne comme des vendeurs potentiels. Lana dresse une liste mentale des trois robes qui auront l'immense honneur d'être portées par sa personne, et je ne peux m'empêcher de prendre du recul pour l'observer un petit peu. Elle semble posséder les lieux avec un naturel que je lui envie. Elle ne rougit jamais de demander quelque chose, et ne se prive d'ailleurs jamais pour le faire. Ses fins yeux bleus qu'elle partage avec son frère s'émerveillent toujours de ce que notre environnement a à lui proposer, même si la rigidité de sa posture témoigne de la méfiance qu'elle se contraint à garder. Ce bout de femme est une force de la nature. Je me demande ce que la grande sœur d'Isaac a traversé, avec une figure paternelle si violente et mondialement connue. Quels sont les démons qui la hante jusque dans ses songes, alors qu'ils sont déjà omniprésents à son réveil ?

Ses longs cheveux bruns dansent en bas de son dos lorsqu'elle se tourne vers moi. Ses yeux trahissent une inquiétude qui disparaît en un battement de cil, et je me fais un devoir de la rassurer avec un sourire.

— Tout va bien, Nora ?

J'acquiesce en me rapprochant d'elle. Je feins de prêter attention aux robes qui glissent sous mes doigts, espérant que cela atténue l'air chargé entre nous. Toutefois, Lana semble attendre une réponse, alors je trouve rapidement une question à lui poser.

— Adrian et toi. Vous êtes ensemble depuis longtemps ?

Son regard s'illumine à la mention de son fiancé, et par sa joie, elle fait vibrer mon cœur.

— Sept ans ! Ce crétin m'a avoué ses sentiments la veille de son départ pour le Pérou, où il partait un an pour ses études. Il voulait avoir du temps pour digérer la honte de mon probable rejet.

Je laisse mes lèvres s'élever vers le ciel, en imaginant assez bien la scène. Adri est de toute évidence très attentionné envers Lana, et par l'affection qui l'unit à Isaac, je suppose que ça a toujours été le cas. Il est toujours effrayant de se jeter dans le vide en sachant que peut-être personne ne viendra nous y sauver.

— Et tu ne l'as pas rejeté ? deviné-je naturellement, un sourire gravé sur les lèvres.

— J'étais trop abasourdie pour réagir, Nora ! Je sortais d'une période compliquée, et je... je ne pensais pas que quelqu'un pouvait s'intéresser à moi. Surtout pas Adri.

— Parce qu'il est le meilleur ami d'Isaac ?

— Parce qu'il était là lorsqu'il n'aurait jamais dû l'être. Quand il m'a avoué ses sentiments, je croyais qu'il me prenait en pitié. Ma santé était au plus bas, Isaac se trouvait à l'autre bout du monde... je me sentais si seule. Adrian a toujours été un type amusant et attentionné, mais je n'y avais jamais réellement prêté attention. Je ne pouvais pas me le permettre.

Je me pends à ses lèvres pour connaître la suite de cette histoire, qui de toute évidence, est digne des plus grands films romantiques de notre siècle.

— J'étais tellement furieuse que je lui ai claqué la porte au nez, glousse Lana en se cachant derrière sa main, et il s'est envolé vers Lima quelques heures plus tard.

Je trépigne d'impatience à l'idée de connaître le fin mot de leur histoire. Quel est le retournement de situation qui leur a offert leur chance de vivre cet amour au grand jour ?

— J'ai passé les trois jours suivants enfermée dans ma chambre, trop épuisée pour faire autre chose que dormir et pleurer. Entre deux moments de lucidité, je devinais la présence de ma mère à la maison grâce à de petites attentions : un thé fumant sur ma table de chevet, le vent frais qui s'engouffrait par la fenêtre ouverte, le soleil qui s'invitait dans ma grotte pour me rappeler que la vie continuait envers et contre tout.

La détresse qu'elle a connue me brise le cœur. J'ai souffert du départ de mon père et de l'ignorance de ma mère, mais que représente cette douleur face à ce que Lana et toute sa famille ont enduré par la faute d'un homme ? Sans rien savoir des larmes qui picotent mes yeux et que je m'efforce de ne pas laisser couler, la jeune femme continue son histoire tranquillement. Elle en connaît les moindres détails, et pourtant, je devine qu'elle n'a pas pour coutume de la raconter.

— Au bout du troisième jour, je suis sortie de ma tanière. Si j'étais terrorisée par le monde, je pouvais bien accorder encore un peu de ma confiance aux murs qui m'avaient sauvée de l'enfer de mon enfance. Je suis descendue jusqu'au salon, en pensant y retrouver ma mère, mais... c'est sur Adri que je suis tombée. Il était endormi de tout son long sur le canapé, plongé dans un silence tellement profond qu'il ne m'a pas entendue arriver. J'étais tellement confuse que j'ai dû le dévisager pendant une vingtaine de minutes, sans savoir quoi en penser. Puis j'ai compris. Les gens qui nous aiment savent se montrer patients. Sans s'imposer, ils deviennent l'épaule la plus solide sur laquelle nous pouvons nous reposer.

Je réalise que j'ai perdu mon combat contre les larmes lorsque Lana passe son pouce sur ma joue, pour les essuyer.

— Mon histoire ne mérite pas qu'on la pleure, Nora. Plus maintenant.

Lana, tu es la personne la plus forte que je connaisse.

— Et comment Isaac a-t-il réagi à la nouvelle ? demandé-je pour reprendre en main mes émotions, malgré une voix vacillante. Il ne devait se douter de rien !

— Comment aurait-il pu le prendre, sinon bien ? sourit Lana en attrapant quelques robes pour mieux les observer. Il me voue une confiance aveugle, et à Adrian aussi. Ainsi, il est sûr que personne ne brisera notre cœur. Ni à l'un, ni à l'autre.

J'ouvre la bouche pour approfondir la conversation mais nous sommes coupées par une vendeuse, venue nous offrir son aide. Peut-être est-ce mieux ainsi ; Lana a déjà fait preuve d'un courage hors-norme pour se confier ainsi à une inconnue.

— Souhaitez-vous essayer cette robe ? s'enquiert-elle auprès de Lana qui répond par l'affirmative.

La sœur d'Isaac m'adresse un clin d'œil. Nous voilà reparties pour une bonne heure d'essayage. Et contrairement à ce que j'aurais pu penser, j'en suis profondément ravie.

***

La robe blanche en soie choisie par Lana lui va à ravir. Sans toucher le sol, elle glisse élégamment jusqu'à ses pieds nus grâce à un dégradé du tissu. Un entrecroisement transparent dans son dos met en avant le tatouage tribal qu'elle possède à même la peau, et qui ressemble à s'en méprendre à un joli mandala. Le décolleté de sa poitrine est plus léger ; un pendentif court serait parfait pour sublimer la tenue.

— Tu es sublime, Lana.

Ses cheveux noirs lui retombent dans le dos mais il n'est pas bien difficile de les imaginer tresser ou surélever par un chignon sophistiqué. Tous les essayages précédents ont été tout aussi concluants. Il ne fait nul doute que Lana sera une magnifique mariée.

— En effet, cette robe semble avoir été cousue pour vous, mademoiselle, se félicite la vendeuse en tournant autour de mon amie d'un regard entendu.

J'échange un regard complice avec Lana. Malheureusement, ces louanges ne suffiront pas à la convaincre de l'acheter.

— Nora ?

— Oui ?

— Pourrais-tu me ramener le pendentif que tu avais vu à l'entrée ? J'aimerais voir le rendu avec la robe.

Je suis touchée qu'elle ait prêté attention à ce détail futile. Je me détourne des deux femmes avec un grand sourire sur les lèvres, pressée de mettre la touche finale sur une tenue déjà incroyable.

— Je vais la chercher tout de suite, lui précisé-je par-dessus mon épaule alors que je suis déjà loin.

Avec probablement trop d'entrain, je prends le virage séparant les cabines d'essayage du reste de la boutique. Je trébuche sur un pied sorti de nulle part et je manque de peu de m'étaler de tout mon long sur le sol.

Décontenancée, je me retourne pour affronter la femme qui m'a bousculée. Le sang quitte totalement mon visage quand je la reconnais. Alors qu'elle affichait une moue d'excuse, ses traits se métamorphosent pour redevenir le monstre sans cœur qu'elle n'est qu'en présence d'une seule personne sur Terre.

Moi.

— Mam... maman ?

Ai-je encore le droit de l'appeler ainsi, après toutes les horreurs qu'elle m'a crachées à la figure lors de notre dernière rencontre ?

— Qu'est-ce que tu fais là, Nora ? siffle-t-elle en me toisant du haut de ses pitoyables talons bleus et d'un visage tartiné de maquillage pour se donner vingt ans de moins que ce qu'elle en a en réalité.

Et toi ? Pourquoi, de tous les lieux du monde, te trouves-tu dans cette petite boutique londonienne qui vend des robes de mariée ?

Grand-Ma m'avait bien dit il y a quelques semaines qu'elle avait signé les papiers pour que ma mère soit autorisée à sortir de son centre, mais elle était censée rejoindre l'Écosse pour rester sous la tutelle de ses parents. Pas revenir hanter mon présent en s'installant dans la ville où j'ai construit ma vie.

Un petit peu plus loin, je reconnais une vieille amie de maman. La future mariée, si j'en crois la bague argentée qui brille à son annuaire. Derrière ses lèvres pincées, je devine qu'elle hésite à se rapprocher de nous. Elle m'a reconnue, et elle sait probablement l'animosité qu'entretient ma tendre mère contre sa fille. Quant à moi, c'est vers elle que je nourris de la rancœur. Je ne me rappelle plus son prénom, mais je me souviens de son visage. Elle venait dîner toutes les semaines à la maison lorsque j'étais enfant. Puis, quand le diagnostic de papa fut posé, ses visites s'espacèrent de plus en plus jusqu'à ne plus exister. Pas une fois, une seule fois, elle n'est venue rendre visite à son amie alors qu'elle affrontait seule ses démons dans un endroit inconnu.

Oui, si quelqu'un mérite ma colère, c'est bien cette femme.

Pensait-elle réellement, comme tant d'autres, que le cancer est une maladie contagieuse ? Que la sensibilité mentale fait de sa victime un fou ? Ou bien avait-elle juste honte de vivre, alors qu'un de ses présumés amis allait mourir et que sa femme y était impuissante ? En abandonnant mes parents, elle s'est rendue coupable d'une lâcheté pour laquelle je ne la pardonnerais jamais. Ni elle, ni tous ces autres adultes qui auraient dû être là.

Et malgré cela, la violence verbale ne sort ni de mes lèvres ni des siennes. Mais bien de la femme qui m'a mise au monde.

— J'espère que ce n'est pas toi qui te maries, Nora, m'attaque ma mère en se plaçant dans mon champ de vision pour que je ne vois qu'elle.

Je suis tentée de répondre que si, pour observer l'expression que mon bonheur loin d'elle provoquerait. Une indifférence qu'elle croit ressentir, ou une haine qu'elle ne cesse de hurler ? Pourtant, je ne dis rien. Je baisse les yeux, comme une jeune enfant punie pour une bêtise commise, et j'attends que la sentence tombe. Je préfère encore m'écorcher le cœur que de blasphémer mon âme, en devenant le monstre qu'elle cherche à faire de moi.

— Ton fiancé doit être bien pitoyable pour supporter une gamine dans ton genre, rit-elle en cherchant un soutien auprès de son amie. Je donne quelques mois à ce garçon avant de se lasser et de t'échanger contre la première venue. Elle sera toujours meilleure que...

— Taisez-vous !

Surprise, ma mère s'exécute. Elle tourne la tête vers cette voix en colère, que j'ai identifiée dès la première intonation. Mes mains sont prises de légers tremblements lorsque je réalise que Lana a assisté à toutes les horreurs verbales dont je viens d'être la victime. Que pour la première fois de ma vie, quelqu'un est mis dans la confidence de cette souffrance que je porte derrière moi tel un boulet depuis des années. Même Aaly, qui connaît mes secrets les plus noirs, n'en a jamais rien su ; ou du moins, si elle s'en doutait, elle n'a jamais été témoin de l'une de ces disputes qui m'écorchent l'âme.

Le front de ma mère se plisse de mécontentement, et elle commence à regarder Lana de la même manière qu'elle me regarde moi.

— Je peux savoir qui vous êtes pour me parler ainsi ? s'impatiente-t-elle en relevant la tête, en adoptant un très mauvais air hautain.

— Je peux savoir qui vous être pour vous adresser à mon amie ainsi ? lui rétorque Lana alors que je sens sa présence dans mon dos, signe qu'elle se rapproche.

Oh, Lana, si tu savais...

— Sa mère.

Un silence désagréable s'installe, les étrangers de mon passé comprenant la dureté de ce qui est en train de se produire. Le visage de Lana devient rouge. Les vendeuses n'osent pas intervenir. Si des clientes se promenaient dans la boutique, il est fort probable que nos éclats de voix les aient fait fuir.

— Et moi, la sœur de son copain. Alors, je ne sais pas très bien d'où vous vient cette haine pour votre adorable fille, mais vous feriez mieux de la garder pour vous-même. Et merci de vous en soucier, mais mon frère est un jeune homme très charmant qui a une chance inouïe d'être tombé sur une âme aussi belle que Nora. Il ne la trompera pas, parce que contrairement à vous visiblement, il connaît la valeur de l'amour et des engagements qu'il prend. Maintenant, si vous voulez bien nous excuser, nous avons des essayages à terminer.

Je me laisse tirer par Lana vers l'arrière de la boutique sans piper mot. Lorsque le rideau de la cabine d'essayage se referme sur moi, je me laisse tomber au sol sans contrôler le flot de larmes se déversant sur mes joues à cause de l'humiliation publique que je viens de subir.


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