Chapitre 11 - Nora

Hello ! Merci de suivre encore cette histoire qui attend présentement sa maison d'édition... Pour pardonner le délai, voici un long chapitre ! Particulièrement croustillant, en plus !

Je ne me suis pas éternisée dans l'appartement après ma discussion avec Oliver. Je préférais lui laisser le temps de se faire à l'idée de notre séparation sans m'avoir dans les pattes.

J'ai d'abord envisagé de trouver refuge chez Aaly et Susie, convaincue d'y être accueillie avec tout l'amour et le soutien dont je pouvais avoir besoin. Toutefois, il me semblait que ce n'était pas vraiment l'endroit où je devais être.

Encore un peu de courage, Nora.

A l'heure actuelle, j'ignore si j'ai agi par bravoure ou par folie. Aaly m'a envoyé l'adresse d'Isaac à peine une minute après avoir reçu mon message, et je me suis mise en route sans me poser plus de questions.

Je fixe la porte de l'appartement depuis cinq minutes, indécise. Au moment où je frapperai quelques coups et qu'Isaac viendra m'ouvrir, je ne pourrai plus reculer. Que je sois prête à entendre ses vérités n'y changera rien.

Soit je pars maintenant sans un regard en arrière, soit je relève la tête et affronte ce passé espéré que je redoute désormais plus que tout au monde.

Alors que je me rapproche de la porte, je remarque deux prénoms sur la sonnette. Matthew Smith... Isaac a-t-il un colocataire ? Je n'ai aucune envie de me retrouver nez à nez avec un inconnu en cet instant de vulnérabilité totale. J'enroule une longue boucle rousse autour de mon doigt pour intérioriser mes inquiétudes, et peser pour la millième fois le pour et le contre.

Je viens de rompre avec l'homme qui a partagé plus d'une année de ma vie, et voilà que je me mets dans tous mes états pour un mec que je n'ai côtoyé que trois mois. Il y a une éternité, en plus.

J'effectue un pas en arrière alors que mes doutes m'assaillent. Peut-être qu'Isaac ne souhaite pas me parler après le comportement abject que j'ai eu envers lui hier. Je ne lui en tiendrais pas rigueur... Quand j'étais petite, maman disait que j'étais comme un soleil. Lumineuse la plupart du temps, dangereuse quelques fois.

Gagne les bons combats, Nora.

Je ferme les yeux pour m'insuffler du courage et romps les centimètres qui me séparent de la porte. Puis je toque contre la surface en métal.

Une fois.

Deux fois.

Trois fois.

Je ne me rends pas compte que je répète ce geste à l'infini, sans me préoccuper du désagrément que cela pourrait susciter chez les voisins... ou les locataires de cet appartement.

Ouvre cette fichue porte Isaac, avant que je ne change d'avis.

Je continue de déverser l'explosion de mes sentiments sur le mur qui fait barrage entre Isaac et moi.

Nostalgie. Colère. Tristesse. Rancœur. Soulagement.

Je n'ai pas le temps de continuer d'énumérer toutes les émotions que ce retour tant espéré et redouté suscite en moi. La porte s'ouvre à la volée, créant un courant d'air gigantesque dans le couloir pour laisser apparaître un homme grand à la chevelure désorganisée et au regard furieux.

Isaac.

Ses yeux marrons s'adoucissent quand il réalise que je me tiens devant lui. Je lui adresse une grimace gênée pour m'excuser du bazar que je viens de créer. Heureusement que ce n'est pas son colocataire qui a ouvert...

— Nora...

— Je ne te fuirai pas, Isaac, le coupé-je pour m'assurer de rester maîtresse de la situation. Je ne te dirai pas ce que tu veux entendre, mais je refuse de te fuir pour autant.

Isaac se mord la lèvre inférieure. Il reste immobile, me faisant comprendre qu'il respecte la distance que j'instaure entre nous. Il m'analyse sous tous les angles, et si je n'étais pas autant stressée, peut-être en ferais-je de même. Qu'il est douloureux de voir quelqu'un qu'on a tant aimé tenter de briser la carapace de survie qu'on s'est créé avec le temps. Cette situation me force à voir la vérité pour ce qu'elle est ; je ne ressemble en rien à la jeune femme qu'il a aimée et abandonnée en Namibie.

— Tu veux rentrer ?

Isaac me désigne son salon. J'hésite une seconde avant d'accepter de pénétrer pour de bon dans sa nouvelle vie. C'est pour ça que je suis venue, me rappelé-je.

— Ton colocataire est présent ?

Je n'ai pas spécialement envie que ce Matthew ait vent de notre histoire. Il m'est déjà difficile d'affronter le regard familier d'Isaac, alors celui d'un inconnu... je n'ose même pas y penser.

— Oui, répond-il en refermant la porte derrière moi. Il était de garde à l'hôpital toute la nuit, donc il dort actuellement. Du moins, reprend-il après une pause de trois secondes, si tes coups ne l'ont pas réveillé.

— Désolée, marmonné-je en rougissant légèrement.

Isaac se contente d'un infime sourire avant de m'inviter à m'asseoir sur le canapé bleu. Je m'exécute, en espérant que l'air s'allège au fil de notre échange.

—Tu veux boire quelque chose ? me propose-t-il depuis la cuisine en ouvrant le frigo à plusieurs reprises.

— Un thé serait parfait.

Ma réponse le coupe net dans son élan. Il se redresse et m'adresse un regard moqueur.

— Toujours accro au thé, hein ?

— C'est toujours meilleur que le café, répliqué-je alors qu'il commence à faire chauffer de l'eau.

— Permets moi d'en douter, plaisante-t-il en grimaçant.

Isaac me rejoint quelques minutes plus tard, les bras bien chargés. Il me tend une tasse de thé, et dispose une assiette de pancakes entre nous. Je refuse poliment la nourriture qu'il me met sous le nez.

— J'ai déjà mangé, merci.

Quelques secondes – à moins que ce ne soient des minutes – s'écoulent sans que l'un de nous deux n'ose briser le silence établi. Je dissimule ma gêne derrière ma tasse de thé tandis qu'Isaac grignote calmement les contours d'un pancake. Comme je suis à l'origine de ce malaise, je décide d'entamer la conversation.

— Je suis désolée pour mon comportement d'hier soir. J'étais contrariée par certaines choses et quand je t'ai vu, j'ai... j'ai été prise par surprise. Je...

J'expulse tout l'air de mes poumons pour me forcer à prendre une grande inspiration, sans jamais oser affronter son regard. J'ai déçu déjà tellement de personnes dans ma vie... je ne supporterais pas de l'avoir déçu lui aussi.

— Je n'ai aucune excuse pour t'avoir si mal traité et pour avoir ruiné la soirée de ma meilleure amie. Je suis profondément désolée, Isaac.

— Ne dis pas de bêtises, Eleanora.

Eleanora.

Isaac est le seul à m'appeler Eleanora.

Le ton indécis de sa voix m'incite à relever les yeux pour m'attarder sur les expressions de son visage. Un pli d'incompréhension perdure sur son front mais ce qui me frappe le plus, c'est le combat qu'il semble se livrer.

— Tu as tous les droits de m'en vouloir. Je l'ai compris trop tard mais je réalise maintenant l'erreur que j'ai faite il y a cinq ans. Je n'aurais pas dû t'abandonner. J'aurais dû trouver une meilleure solution pour te...

Il semble se reprendre au dernier moment, et quand il termine sa phrase, je suis convaincue qu'il en a changé les mots.

— ... garder.

— Mais tu ne l'as pas fait, constaté-je parce qu'il nous est impossible de changer le passé et que ressasser de mauvais choix n'a jamais été sain.

— Non, je ne l'ai pas fait. Et aujourd'hui, tu as Oliver, rajoute-t-il avec une pointe de déception dans la voix.

Je reprends une petite gorgée de thé tout en méditant sa phrase. Se pourrait-il que j'aie occupé ses pensées autant qu'il a occupé les miennes ? Que je lui ai manqué autant qu'il m'a manqué ?

Mais si tel est le cas... pourquoi l'avoir retrouvé dans les bras d'une étudiante le jour où nous aurions pu avoir le droit à notre seconde chance ?

Je pourrais atténuer sa peine en l'informant de ma rupture avec Oli. Je ne le fais pas, pourtant. Mes mots étaient sincères, ce matin. J'ai rompu avec lui parce que j'avais besoin de sortir de cette relation qui ne menait nulle part et ce n'était en aucun cas pour flirter avec un autre. Je crois seulement que le retour d'Isaac a été l'élément déclencheur. Une seconde a suffi à raviver de forts sentiments que je n'ai jamais ressenti pour Oliver. Je me devais d'être honnête envers lui.

Mais surtout, je me devais d'être honnête avec moi.

— Tu étais bien entouré à Boston, si je me rappelle bien, contrebalancé-je en tentant d'ignorer le picotement désagréable que cela suscite.

Les yeux d'Isaac s'agrandissent légèrement, avant de reprendre leur forme en amande. Ses yeux m'ont toujours subjugué ; ils sont si fins, si beaux. Aujourd'hui, je réalise pourtant qu'ils me dissimulent une part de la vérité.

Qui a le plus menti à l'autre dans cette histoire ?

— Tu as vu à Boston ce que j'avais besoin que tu vois, soupire-t-il en se prenant la tête entre les deux mains.

Il me faut quelques secondes pour comprendre ce qu'il sous-entend.

— Tu savais que j'étais là ? m'exclamé-je en sautant sur mes pieds, sentant la colère reprendre du terrain sur la route l'opposant à ma raison.

— Tu préférerais que je continue à te mentir ? réplique-t-il du tac au tac en serrant les bras contre sa poitrine, dans une vaine tentative de ne pas se laisser autant submerger par ses émotions que moi. J'ai une explication, Eleanora. Laisse-moi une chance de tout te raconter. Tu te feras une opinion ensuite.

Je lui jette un regard méfiant, mais consens à me rassoir.

— Tu ne diras que la vérité ? m'assuré-je.

— Je te le promets.

Sa réponse me satisfait même si j'ignore réellement la confiance que je peux lui accorder. Peu importe ; je dois ravaler ma fierté si je souhaite obtenir ces réponses que j'ai attendues cinq interminables années.

— Pour Boston, soupire-t-il, j'ignorais ta venue. Mais il ne m'a pas fallu longtemps pour te reconnaître. Quand je suis arrivé, mes amis parlaient déjà de la belle écossaise venue jusqu'aux Etats-Unis pour retrouver un garçon. J'ai fait le tour de la maison, et je suis enfin tombée sur toi à l'entrée du jardin. Tu étais magnifique, Eleanora.

Je me retiens de lever les yeux au ciel. Pour le moment, il ne m'apporte aucune réponse satisfaisante.

— Je m'apprêtais à venir à ta rencontre quand j'ai remarqué que quelque chose clochait. J'avais ce sentiment d'être épié sans savoir ce qu'il en était réellement à cause du monde grouillant dans le grand salon. Ce sentiment d'insécurité ne me quittait pas alors j'ai répété les vieux schémas enseignés par ma mère quand je n'étais encore qu'un enfant. J'ai pris du recul, j'ai observé. Et je l'ai vu.

— Qui ça ?

La main d'Isaac tremble au-dessus de la cuillère qu'il s'apprêtait à saisir. Il ferme les yeux et inspire longuement.

— Abyan Suko, laisse-t-il échapper dans un souffle.

Je cligne des yeux à plusieurs reprises. Qu'est-ce qu'un criminel comme lui ferait aux Etats-Unis dans une soirée étudiante ? Repérait-il de nouvelles victimes pour alimenter son réseau de tueurs à gages ?

Mais surtout, pourquoi Isaac n'a-t-il rien dit ?

— Il était là pour moi.

Les mots me manquent, je ne sais plus vraiment quelle attitude adopter. Les poils de mes bras se hérissent alors qu'un sentiment désagréable me fait bouger sur le canapé, sous le regard défait d'Isaac. Pourquoi Abyan Suko s'intéressait-t-il à mon ex ? Pourqu...

Suko.

La vérité m'explose au visage. J'ouvre de grands yeux ébahis en comprenant ce que tout cela implique.

— Abyan Suko est ton père, murmuré-je de manière à peine perceptible.

Isaac acquiesce pour confirmer ce qui n'était jusque-là qu'une théorie, me laissant bouche bée et pleine d'interrogations. Son père était en cavale depuis une dizaine d'années, se terrant dans l'ombre pour alimenter des organisations clandestines voire parfois terroristes. Sa tête était réclamée par tous les pays des Nations Unies depuis longtemps, très longtemps.

Et l'année dernière, ils ont enfin mis la main sur lui. Personne ne sait où il est retenu captif mais son arrestation a suscité une grande vague de soulagement à l'échelle mondiale.

Et ce monstre n'est autre que... le père de mon premier amour.

— Je suis désolé.

Les excuses d'Isaac me tirent de mes pensées. Il se passe une main dans les cheveux et je réalise seulement à quel point cette confession a dû lui coûter. Qui est au courant de ce lien de paternité ? Isaac et son père ont beau porter le même nom, cela n'induit pas forcément de lien.

Surtout quand on connaît Isaac et son dévouement envers la vie.

— Ne t'excuse pas, Isaac. Ce n'est pas ta faute, et les actions de ton père ne te définissent pas. Tu m'en as suffisamment donné la preuve par le passé.

Les bras d'Isaac retombent le long de son bras.

— Et pourtant, tu me détestes.

Je secoue la tête en tentant de réfléchir à mes prochains mots. Je ne veux commettre aucune maladresse. Hier, j'ai parlé sous le coup de la surprise et du désespoir. Aujourd'hui, je ne compte parler qu'à travers moi.

— Je ne te déteste pas, Isaac. Mais je t'en ai voulu longtemps. J'en ai voulu au monde entier.

Isaac semble hésiter avant de poser la question qui lui brûle les lèvres :

— A cause de tes parents ?

Je suis prise au dépourvu par sa connaissance de l'enfer familial que j'ai traversé. Il y a beaucoup de choses que j'ai ratées ces dernières années, mais pas ma capacité à lui cacher les démons qui m'attendaient de pied ferme en Écosse.

— Aaly a vendu la mèche, deviné-je en jouant avec mes cheveux pour atténuer mon anxiété.

— Elle ne voula... cherche à la défendre Isaac, avant que je ne l'arrête en levant une main.

— Ne t'en fais pas, je ne lui en tiens pas rigueur. Tu aurais fini par l'apprendre, et ça m'enlève une sacrée épine du pied de ne pas avoir à le faire.

Le silence s'étire. Chacun encaisse les secrets avoués de l'autre. Quand je tourne la tête vers Isaac, je le découvre perdu dans la contemplation du plafond. Se dit-il la même chose que moi, à l'heure actuelle ? Que nous n'avons appris à aimer qu'une infime partie de nous-mêmes il y a cinq ans ?

Cela signifie-t-il que notre amour n'était pas sincère ?

Cela signifie-t-il que notre amour pourrait être en réalité bien plus fort que nous ne l'avions envisagé, si nous nous donnions une nouvelle chance aujourd'hui ?

— Je suis désolé, Eleanora. Je suis vraiment désolé pour ton père.

Ma gorge se noue. C'est la première fois que nous abordons ce sujet, lui et moi. Mon père n'était pas encore parti, lorsque nous nous sommes connus. Mais il était déjà malade. Il était déjà condamné.

— Je suis allée le voir, hier soir. Je crois que... ça m'a fait du bien. Ça m'a libéré d'un poids.

Avec beaucoup de prudence, Isaac s'enquiert de mes années passées à Edimbourg, puis à Londres. Ses questions sont plutôt générales, mais je comprends ce qu'il cherche à faire : renouer le lien, avec douceur.

Quand je finis ma tassé de thé, Isaac propose de m'en servir une seconde. Je décline poliment alors il se dirige vers la cuisine pour tout ranger. J'en profite pour jeter un coup d'œil à mon téléphone pour voir l'heure ; à la place, je tombe sur sept messages d'Aaly.

De : Aaliyha

A : Nora

J'exige d'être tenue au courant des tenants et aboutissants de cette rencontre dès que tu sors de chez Isaac !

De : Aaliyha

A : Nora

Je sais que tu lui en veux, Nora, mais je crois que tu devrais écouter ce qu'il a à te dire. Il ne t'a jamais oubliée, et je crois qu'il a enfin appris de ses erreurs.

De : Aaliyha

A : Nora

Trente minutes que je suis sans réponse, j'en déduis que tout se passe bien. A moins que tu ne l'aies tué et que tu sois actuellement en train de chercher un moyen de te débarrasser de son corps ? Si c'est le cas, je n'approuve pas, mais tiens-moi au courant. Je pourrais t'être utile en cas d'interrogation par les flics.

De : Aaliyha

A : Nora

Je demande très légitimement de devenir la marraine de tous vos enfants quand vous vous serez rabibochés – en prétendant que ce ne soit pas déjà fait et que ton silence ne soit pas lié à ce que je pense !

De : Aaliyha

A : Nora

Nora, je ne veux pas te faire paniquer mais où que tu sois, restes-y. Oli vient de débarquer à l'appart et il n'a pas l'air d'humeur très cordiale. Il fulmine parce que tu l'as largué ce matin – et tu ne me l'as même pas dit ! – et il est convaincu que tu es chez nous. Susie essaie de le calmer et de le faire partir, mais crois-moi, tu es plus en sécurité chez Isaac pour le moment. Je te dis quand la voie est libre.

De : Aaliyha

A : Nora

PS: Je suis fière de toi ma Nora ! Ce crétin n'a eu que ce qu'il méritait.

De : Aaliyha

A : Nora

C'est bon, il est parti. Je pensais commander des sushis pour ce soir, interdiction de te défiler !

Bisous

Toutes ces informations me font tourner la tête. Je ne pensais pas que Oliver prendrait si mal notre rupture, lui qui s'est si peu battu pour nous offrir une chance.

Je commence à récupérer mes affaires pour ne pas m'éterniser. J'ai obtenu les réponses que j'étais venue chercher, et il vaut mieux que je rejoigne Aaly avant que mon ex ne décide de retourner chez elle.

— Tu pars ? m'interroge Isaac alors que je saute sur mes deux pieds.

J'acquiesce en m'étirant, les jambes engourdies d'être restées si longtemps dans la même position.

— Aaly m'attend, élucidé-je sans savoir si je suis en train de mentir ou d'énoncer un fait réel.

— Est-ce que tout va bien ?

Je hoche timidement la tête en me dirigeant vers la porte. Avant de partir, je réalise qu'il me reste une question à lui poser. Ensuite, je saurais tout ce que j'ai loupé ces dernières années loin de lui.

Du moins, presque tout.

— Y a-t-il quelqu'un dans ta vie actuellement ?

— Il n'y a eu personne dans ma vie depuis toi.

Je fronce les sourcils, agacée par son mensonge alors qu'on était enfin parvenu à établir un climat de confiance, ce qui n'était quand même pas gagné.

— Et cette fille de la soirée ?

— Je te l'ai dit, Eleanora. Mon père était là. Tu étais là. J'avais besoin de brouiller les pistes pour m'assurer qu'il ne remonterait pas vers toi.

Ma vie était-t-elle réellement menacée ?

— Qu'est-il arrivé à cette fille, alors ?

Le visage d'Isaac pâlit considérablement et je décèle de la culpabilité dans ses yeux, ce qui m'intrigue énormément. Il inspire longuement avant de lâcher :

— Elle est morte.

***

— Tu es sûre que ça va ? m'interroge Susie pour la dixième fois en me couvant d'un regard inquiet.

En sortant de l'appartement d'Isaac, je me suis empressée d'appeler Aaly pour savoir si Oli avait réellement déserté. Elle m'a répondu par l'affirmatif, me précisant qu'elle m'attendait de pied ferme pour que je lui raconte tous ces retournements de situation qui m'ont explosé à la figure après une bonne nuit de sommeil.

Je suis arrivée il y a une heure déjà ; ma meilleure amie vient de s'absenter pour répondre à un coup de fil lié à son boulot – oui, malgré le fait qu'on soit dimanche – alors Susie et moi en avons profité pour discuter un peu.

— Tout va très bien, confirmé-je en lui souriant gentiment.

Ma rupture avec Oliver ne s'est pas bien passée mais ça aurait pu être pire. Mon interaction avec Isaac hier était catastrophique, mais tout a été rattrapé par la vérité et la fin des non-dits aujourd'hui.

Elle est morte.

Mille questions ont surgi, et pourtant, j'ai préféré n'en poser aucune. Je crois que les mots d'Isaac ne m'auraient rien appris de plus que le désespoir de ses actes.

Elle est morte... parce qu'elle était avec lui ce soir-là.

Elle est morte... pour que ce ne soit pas moi.

Non, Susie, ça ne va pas. Pourtant, si je parviens à enfouir ce sentiment de malaise au plus profond de moi-même, peut-être pourrais-je même me convaincre qu'il n'a jamais existé. Et pourtant...

Elle est morte.

J'ai haï Isaac cinq années pour une erreur qu'il n'a pas commise. J'aurais aimé qu'il me confie plus tôt les menaces qu'il encourrait et qui m'impliquaient indirectement. J'aurais compris, et respecté son choix de m'évincer de sa vie quelques temps. Cette fille, innocente, serait toujours en vie...

Mais le silence ? L'indifférence ? C'est cela qui a commencé à me tuer à petit feu.

Je sursaute quand mon téléphone vibre dans ma poche. Passé l'inquiétude qu'il s'agisse d'Oliver ou d'Isaac, j'expulse un soupir de soulagement qui n'échappe pas à Susie quand le prénom de Keith s'affiche sur l'écran. Si je suis surprise par l'envoi de ce message un dimanche – Keith apprécie de consacrer cette journée exclusivement à sa famille - je le suis encore plus par son contenu.

De : Keith

A : Nora

Nora, tu trouveras ci-joint une offre d'emploi pour un refuge animalier qui a ouvert il y a quelques années en périphérie de Londres.

Tu sais à quel point j'apprécie ta compagnie à l'animalerie, et à quel point j'ai de l'affection pour toi. Mais j'ai l'impression que ce n'est plus un endroit où tu t'épanouis. Tu as besoin de retrouver un cadre de liberté, où tu trouveras des âmes qui sauront mieux te comprendre que moi.

Je crois sincèrement que tu pourrais te plaire là-bas, auprès de tous ces animaux qui en ont besoin.

Je ne t'impose rien. Le choix est le tien. Je veux juste que tu sois heureuse, Nora. C'est ce que ton père aurait souhaité pour toi.

Je t'embrasse,

Keith

Un sourire s'étend sur mes lèvres à mesure que mes yeux parcourent le message de mon patron. Quand mon père est mort, son meilleur ami s'est occupé de moi comme si j'étais sa propre fille. Aujourd'hui, il continue de veiller sur moi dans l'ombre. Quand je m'enfonce un petit peu trop, il vole à ma rescousse.

Les refuges ont toujours été mon havre de paix, même petite. Les animaux sauvages ont une liberté que je leur ai toujours envié, même lorsqu'ils sont pris en charge à des kilomètres de leurs environnements naturels. Leur indépendance mentale est puissante et inspirante, parce qu'elle ne connaît, me semble-t-il, aucune limite.

Je n'ai pas la formation requise pour soigner ces bêtes comme je le voudrais mais Keith a raison sur un point : j'ai besoin d'avancer. Cette opportunité ne sera peut-être pas le travail de mes rêves mais c'est un début qui me permettrait de côtoyer mon paradis jour après jour.

— Un refuge animalier vient d'ouvrir à Londres, et propose des postes intéressants, murmuré-je avec une mine enjouée lorsqu'Aaly nous rejoint dans le salon. Je crois... que je vais les contacter.

Susie et Aaly échangent un regard avant de reporter leur attention sur moi. Ma meilleure amie ouvre la bouche pour parler, mais je la devance de quelques secondes.

— Aaly, tu fais quelque chose demain ? l'interrogé-je en restant volontairement énigmatique.

— Non. Pourquoi ? renchérit-elle en adoptant une posture faussement méfiante.

Je lui adresse un clin d'œil qui la rend encore plus confuse. On aura rarement vu quelqu'un d'aussi heureux et prêt à se projeter dans l'avenir après avoir mis un terme à une relation longue de quinze mois.

— Réserve ta journée, l'informé-je en croisant mes mains derrière ma tête. Toi et moi, nous allons faire un petit tour chez le tatoueur.


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