Chapitre 10 - Nora
Quelques heures plus tôt
J'émerge de mon sommeil alors que le soleil s'invite déjà à travers ma chambre. Je prends le temps de revenir doucement à moi, comme pour repousser encore un peu le moment où il me faudra renouer avec le passé. Je me redresse en frottant activement mes deux yeux et je m'étire de tout mon long, avant de poser ma tête contre le mur blanc de la pièce.
Je me sens éteinte. Parce que pour la première fois depuis des années, la douleur n'est pas l'émotion qui m'accueille à mon réveil. J'ai prié tant de fois pour laisser ce poids derrière moi, sans jamais me questionner sur ce que je ressentirais lorsque j'y parviendrais enfin.
Du bonheur ?
De la joie ?
Du soulagement.
Je saute sur mes deux pieds quelques minutes après avoir fait la rencontre de cette douce sensation. Elle est toutefois de courte durée. Aucune trace de mes boules de poils préférées dans la pièce, alors qu'elles se sont assoupies à mes côtés hier soir. Mes yeux préoccupés se posent sur la porte parfaitement fermée de la chambre, alors qu'une boule de stress vient alourdir mon estomac.
Oliver est rentré.
Cette nouvelle devrait m'enchanter. Elle devrait m'arracher moue attendrie et sourire éclatant, et je devrais déjà avoir parcouru la moitié de notre appartement pour trouver refuge au creux de ses bras.
Alors pourquoi ai-je tant la nausée à l'évocation de son simple prénom, à l'image de son simple visage ?
Je connais la réponse depuis le jour où j'ai succombé à ses avances. Il est une vie où le célèbre Oliver Wilde aurait pu me rendre heureuse. Une vie où je serais réellement tombée amoureuse de lui, non pas en entretenant l'illusion d'un sentiment fort mais en sachant avec toutes les certitudes du monde que je ne voudrais pas que mon cœur appartienne à quelqu'un d'autre.
Mais dans cette vie-là, Oliver n'est rien de tout ça. Il ne l'a jamais été.
Je me rassois sur le lit, la tête entre les mains. Une plainte s'échappe de mes lèvres alors que j'affronte pour la première fois cette vérité que je m'étais pourtant évertuée à fuir.
Qu'est-ce que je suis en train de faire ? De cette relation, de ma vie ? Où sont passées mes promesses, et ces valeurs que j'avais jurées d'à jamais respecter ?
Alors que mon esprit me noie dans un tourbillon de pensées, une vieille conversation entretenue avec mon père me revient en tête. Je me remémore un à un ces mots qu'il m'avait fait le cadeau de prononcer, et que j'avais lâchement enfouis au plus profond de moi.
La vie est une succession éternelle de combats, Nora. Tu en perdras la plupart du temps, d'ailleurs. Mais tu en gagneras aussi quelques-uns.
Je me rappelle avoir retenu mon souffle, comme aujourd'hui.
Gagne les bons combats, Nora.
***
J'ai pris ma décision.
Celui de perdre ce combat pour gagner tous ceux qui viendront à moi après.
Les larmes roulent le long de mes joues lorsque j'imagine la discussion qui va suivre dans les prochaines minutes. Je ne presse pas le destin, me laissant le temps d'accepter ce choix avant de l'imposer autour de moi. Je murmure à mon cœur des mots qu'il sera le seul à entendre, lui promettant qu'il guérira au fil de chaque nouvelle aventure qui m'attend.
Je sors de mon lit quelques minutes plus tard, et prends machinalement la direction de la salle de bain. J'ai besoin de ce temps offert à moi-même avant d'affronter quiconque : j'ai besoin de ce temps pour m'offrir la force d'affronter la tempête que je suis sur le point de provoquer.
Je sors de la pièce seulement dix minutes plus tard, vêtue d'une robe-pull grise que j'ai mis en valeur avec des collants noirs et une petite touche de maquillage. Le reflet que me renvoie la glace me plaît. La cosmétique n'a jamais été une passion ou un choix pour moi, mais ma meilleure arme. Je me sens drôlement invincible ce matin, ce qui me semble presque ironique lorsque je me remémore toute la douleur de la veille.
J'inspire une grande bouffée d'air avant d'aller à la rencontre d'Oliver. Je le trouve sans surprise dans le salon en train de lire The Guardian, comme il le fait chaque matin. Ses mèches blondes lui tombent sur le visage et un petit pli creuse son front à cause de la concentration. Sa main gauche est refermée sur une tache fumante de café noir.
Mon cœur se serre devant ce spectacle familier qui a été ma sécurité pendant un an, et que j'ai conscience de découvrir pour la dernière fois.
— Bonjour, murmuré-je du bout des lèvres.
Oliver relève la tête au son indécis de ma voix et m'adresse un léger sourire. Il semble hésiter à venir à ma rencontre, mais fait finalement le choix de rester assis sur le fauteuil. Cependant, il replie le journal qu'il pose sur notre table en bois, m'indiquant ainsi qu'il est apte à la discussion.
Ça tombe plutôt bien...
— Nous devons parler, asséné-je avant même qu'il ait pu sortir un son, de peur de me défiler.
Je guette sa réaction avec une certaine appréhension. Il soupire et se passe une main sur le visage sans me lâcher du regard.
— Je suis désolé, Nora. Pour hier soir. Je sais que j'ai merdé.
Tu as merdé hier, le jour d'avant et tous ceux qui ont précédé. J'ai merdé, moi aussi. Je me suis voilé la face en pensant que me mentir à moi-même était ma plus grande chance de survie. Quelle ironie.
— Ça ne peut plus continuer comme ça, Oli. Je... je n'en peux plus, trouvé-je le courage de prononcer en puisant dans mes dernières ressources pour ne pas être tentée de fuir son regard.
Mon compagnon se lève pour faire un pas dans ma direction, les sourcils froncés d'inquiétude. Il tente de me prendre dans ses bras, mais je me dérobe à la dernière seconde. S'il est surpris par cette esquive, il n'en montre rien.
— Je comprends, Nora. Je te promets que ça n'arrivera plus, je ferai attention à l'avenir.
— Je crois que... ça ne peut plus continuer du tout, Oli.
Voilà. C'est dit. Un poignard s'enfonce au plus profond de mon cœur alors qu'une seconde plus tard, je récupère enfin mon souffle.
Enfin.
Je me mords la lèvre en attendant que la sentence tombe. Oliver s'immobilise, me jaugeant du regard pour savoir si c'est une mauvaise blague.
— C'est une plaisanterie, n'est-ce pas ? laisse-t-il d'ailleurs échapper. Qu'est-ce que t'es en train de dire, Nora ?
Que je m'enfonce dans mes enfers et que tu n'as jamais su me ramener dans la lumière. Que demain, j'aurai encore besoin de toi et tu fuiras. On se fait autant de mal à l'un qu'à l'autre, Oliver. Seulement, je suis la seule à le voir pour le moment.
L'indifférence ne sauve pas, elle tue à petit feu. C'est encore pire que d'être consumée par un amour trop puissant.
— C'est fini, Oli, précisé-je pour ne plus lui laisser aucun doute sur mes intentions.
Ses yeux s'agrandissent alors qu'il semble continuer de croire que je plaisante. Il jette un coup d'œil méfiant autour de nous, comme s'il était la victime d'une très mauvaise caméra cachée. Quand il parvient finalement à s'exprimer, je suis anéantie par le désespoir qui résonne dans sa voix.
— Tu ne peux pas me faire ça, Nora.
Je déglutis péniblement pour faire disparaître la boule au fond de ma gorge. Je recule une nouvelle fois, jusqu'à sentir la porte dans mon dos, quand Oliver tente une approche. Cette fois, il me regarde avec horreur. Il comprend enfin que je suis sérieuse.
— On n'était pas fait pour être ensemble, toi et moi, murmuré-je en le pensant de tout mon cœur. Tu mérites quelqu'un qui t'aimera sans retenue. Et moi, je mérite...
Ma gorge se noue douloureusement et des larmes surgissent sur ma rétine sans y avoir été invitées.
— Je mérite plus que ça, Oli.
J'ai l'impression d'assister à travers Oliver à l'évolution des pensées qui nous prennent en cas de rupture. De l'incompréhension, il est rapidement passé à la tristesse et maintenant il semble prêt à me déverser sa colère au visage.
— Tu me quittes pour quelqu'un ? fulmine-t-il en me fusillant du regard. Un autre mec te tourne autour ?
Oui, un fantôme de mon passé que je n'ai jamais cessé d'aimer semble décidé à me reconquérir. Mais non, je ne te quitte pas pour lui.
— Non, Oliver. Je préfère mettre un terme à cette relation parce que de toute évidence, ça ne marche pas. Je prends la décision qui est la meilleure pour moi.
— Personne ne sera aussi patient avec toi que je l'ai été, balance-t-il comme s'il espérait pouvoir m'atteindre d'une quelconque manière.
J'ai fini d'être la proie, Oli. Ta pitié, tu peux te la garder.
Je lui souris tristement. Il semble persuadé qu'il peut sauver cette relation mais qu'il le veuille ou non, je franchirai notre porte d'entrée dans quelques minutes pour terminer ce que j'ai enfin eu le courage de commencer.
— Je préfère encore être seule que de représenter un tel fardeau dans la vie de quelqu'un.
— Qu'est-ce que ça veut dire ? s'entête mon ex en serrant les poings.
— Que j'arrête de vivre pour les autres. Aujourd'hui, je décide enfin de vivre pour moi.
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