Chapitre 7 ~ Dawn
Je laissai un bâillement m'échapper, mon regard suivant paresseusement les passants que je voyais défiler à travers la vitre du café dans les rues agitées de Londres. C'était mon seul soir libre de la semaine, et la fatigue se faisait clairement ressentir. Cependant, j'avais choisi de profiter de cette soirée de liberté pour passer du temps avec mes amis de longue date.
Les oreilles légèrement bourdonnantes, je portai ma bière à mes lèvres et en sirotai une gorgée en prêtant une attention relative à la conversation qu'entretenaient mes deux acolytes. Hailey racontait sa semaine d'enregistrement en studio avec enthousiasme. Elle avait signé un contrat pour son premier album avec une maison de production quelques mois auparavant, et y travaillait dur comme fer. Dorian ne l'écoutait toutefois que d'une seule oreille en reluquant le barman.
« J'ai bouclé deux chansons sur les sept, je commence la troisième demain! Honnêtement j'adore, même si c'est long et fastidieux!
- C'est génial! » commenta Dorian en hochant doucement la tête, ses yeux noisettes toujours rivés avec curiosité sur la même personne.
Hailey jeta un coup d'œil par-dessus son épaule pour épier discrètement l'homme qui retenait l'attention de notre ami depuis quinze bonnes minutes. Automatiquement, je suivis son regard et le posai sur le brun qui s'activait derrière le bar. Son marcel gris laissait voir ses bras musclés et couverts de tatouages, et ses cheveux d'un noir corbeau un peu trop longs tombaient devant ses yeux. Plutôt pas mal, et clairement dans le style de Dorian. En prenant conscience que Hailey s'était tue et que nos regards avaient suivi le sien, celui-ci toussota en reportant son attention sur la blonde, les joues roses.
« Tu disais? »
La chanteuse esquissa un sourire amusé en passant ses doigts dans sa longue crinière dorée, et secoua la tête en portant sa paille à sa bouche.
« Rien, rien. »
Elle marqua une longue pause tout en gardant sur notre ami un regard taquin, ses yeux bleus brillant d'espièglerie.
« Tu devrais lui demander son numéro. »
Le jeune homme rougit cette fois jusqu'à la racine des cheveux en passant nerveusement la main dans ses boucles châtain clair. Il secoua la tête en baissant les yeux.
« C'est... c'est hors de question. »
J'esquissai un sourire devant sa personnalité timide qui ressortait. En notre compagnie, Dorian se laissait aller, se transformant même parfois en véritable clown et moulin à paroles, mais il agissait de cette manière uniquement parce qu'il nous connaissait depuis plus de sept ans. A l'inverse, en présence d'inconnus, il perdait tous ses moyens et se fermait comme une huître. Un peu comme moi, mais à l'opposé de Hailey. La chanteuse était, surtout depuis que je m'étais refermée sur moi-même cinq ans auparavant, l'extravertie du groupe, elle n'avait jamais eu de problème pour dialoguer avec les gens, ni pour pousser Dorian à le faire d'ailleurs.
Mon ami, remarquant sans doute que j'étais encore plus silencieuse que d'ordinaire, ou voulant simplement détourner l'attention de lui, posa son regard noisette sur moi.
« Ça va Dawn? T'as pas l'air dans ton assiette... »
La gorge serrée, je haussai les épaules et tentai un sourire, alors que les souvenirs de mon entrevue chaotique avec ma mère remontaient à la surface, accentuant le nœud de mal-être qui me tordait déjà le ventre. Hailey fronça légèrement les sourcils avec une moue inquiète et reposa son verre sur la table pour recouvrir ma main de la sienne.
« Dis-moi que ce n'est pas à cause de ce connard de Winston. »
Nerveusement, je passai une main dans mes cheveux roux.
« Tu devrais porter plainte, ça...
- Non, ça va... la coupai-je. Il n'y est pour rien. »
Mon amie fronça le nez d'un air désapprobateur. Si je minimisais souvent ce problème comme le cadet de mes soucis, elle le prenait très à cœur.
À présent, tous deux me couvaient d'un regard soucieux et inquisiteur. Me mordillant nerveusement la lèvre, je finis par baisser les yeux et mes doigts se crispèrent sur le tissu de mon jean que je triturais fébrilement depuis quelques minutes.
« Je suis allée voir ma mère. » lâchai-je d'une voix monotone.
Ils restèrent silencieux quelques instants, et je les fixai tour à tour dans le blanc des yeux, avant de baisser les miens vers mon verre, ne supportant plus leurs regards désolés.
Dorian finit par bouger le premier, et passa son bras autour de moi pour m'attirer à lui. Je me laissai faire alors que Hailey se levait de sa chaise pour s'asseoir à ma gauche sur la banquette en cuir brun. Elle passa une main dans mes cheveux avec douceur alors que le futur styliste serrait mes doigts dans sa grande main avec force. Le cœur lourd, je fixai le mur en face de moi, retenant tant bien que mal les larmes qui me montaient aux yeux tandis que les paroles acerbes de ma mère résonnaient encore et encore dans mon crâne sans que je ne puisse les en chasser.
« Ça s'est mal passé? »
Mes yeux quittèrent leur point d'ancrage pour rencontrer les prunelles bleues de Hailey, et ce simple mouvement suffit aux larmes pour se bousculer derrière mes paupières et embuer ma vue malgré moi.
« Ça ne se passe jamais bien. » lâchai-je dans un souffle, presque un murmure, car je savais que si j'élevais la voix elle déraillerait aussitôt.
Dorian me frotta le dos doucement avec sa main libre sans rien dire.
« Qu'est-ce qu'elle a dit, cette fois? »
Je lâchai sa main et enroulait nerveusement mes bras autour de moi comme pour me réchauffer.
« Rien, rien. Je ne devrais pas lui en vouloir, elle n'est pas vraiment méchante intentionnellement. »
L'étudiant fronça le nez à son tour mais ne releva pas. Malgré toutes les raisons qu'on pouvait lui accorder, il avait toujours trouvé l'attitude de ma mère à mon égard aberrante. Enfin, toujours, depuis l'accident. Celui qui avait fait voler en éclats l'équilibre serein qui régnait sur ma vie. Avant tout cela, bien que je n'aie jamais été aussi proche de ma mère que je ne l'avais été de mon père, un lien d'amour solide était tissé entre nous. Je clignai des yeux pour tenter d'en chasser mes larmes, sans succès. Solide. Pas tant que ça visiblement. Mais, si fragile eut-il été, l'amour maternel était une simple notion qui me manquait cruellement depuis quelques années.
« La dépression ne lui donne pas une excuse pour se comporter comme ça avec toi. reprit Hailey d'une voix douce.
- Ce n'est pas la dépression, sa raison. Ni la mort de Papa. Si c'était juste ça elle serait exécrable avec Kathleen aussi. C'est à cause de ce que j'ai fait, moi. »
Hailey poussa un profond soupir alors que Dorian se retenait à vue d'œil de lever les yeux au ciel.
« Tu n'as rien "fait". En tous cas rien que n'importe qui n'aurait pas fait. C'était normal. Si elle ne veut pas te pardonner, alors qu'honnêtement tout ce qu'elle devrait faire, c'est te remercier, qu'elle aille se faire voir. »
Je le réprimandai d'un regard désapprobateur et il baissa les yeux d'un air penaud.
« Je sais ce qu'on pourrait faire! »
s'exclama Hailey avec un enthousiasme à moitié forcé en serrant ma main.
Nous nous tournâmes vers elle, et je tentai de m'imprégner de la joie soudaine que son sourire laissait transparaître, sans grand succès.
« Aller faire un tour de grande roue! »
J'esquissai un faible sourire devant son allégresse, mais n'eus pas la force de lui répondre immédiatement.
Aller faire un tour dans le London Eye. Comme au bon vieux temps. Une perspective agréable, si j'avais été encline à ce genre de choses à cet instant. Depuis nos années lycée, nous avions pris l'habitude, tous les trois, de nous payer un tour dès que l'envie nous en prenait. Nous étions alors comme dans une bulle, oubliant tous nos tracas quotidiens en observant la vue imprenable sur la ville. J'aurais sans doute aimé me replonger le temps d'une soirée dans ces habitudes naïves d'adolescente qui pensait qu'un simple tour de manège la sauverait de ses problèmes. Oui, j'aurais aimé revivre ces instants qui m'étaient jadis si précieux, si je n'avais pas été exténuée, physiquement et mentalement. Je n'avais pas le courage de repenser au passé, je ne voulais pas me replonger dans ces souvenirs heureux et bercés d'une insouciance presque mensongère, qui me feraient plus de mal que de bien en refaisant surface. Parce que j'avais grandi depuis tout ça. Parce que maintenant, je savais que mes tourments referaient surface, trois fois plus puissants, dès que mon pied quitterait la cabine de la grande roue.
Devant son regard implorant, je finis par secouer la tête en baissant les yeux.
« Je suis fatiguée, je ferais mieux de rentrer. »
La blonde hocha doucement la tête non sans me couver d'un regard inquiet, et nous finîmes par nous lever tous les trois pour enfiler nos manteaux. Dorian partit payer l'addition avec un petit sourire timide à l'intention du barman. Celui-ci lui rendit la monnaie avec une moue amusée et un clin d'œil qui n'échappa probablement qu'à notre ami.
Hailey m'administra un coup de coude dans les côtes en me désignant les deux jeunes hommes du menton, m'arrachant un léger sourire. Notre ami était attendrissant, mais son côté introverti le perdrait. Sa beauté attirait naturellement les regards, mais il semblait qu'il ne s'en rendrait jamais compte. L'apprenti-couturier revint bientôt vers nous, les joues rosies.
« Bon, on y va? » demanda-t-il.
Hailey et moi échangeâmes un coup d'œil complice avant de hocher la tête et le suivre hors du café. Sitôt sortis de l'établissement, le vent froid de novembre qui soufflait sur la capitale nous prit au visage, et je me dirigeai vers ma voiture en frissonnant, resserrant mon manteau marron autour de moi. En arrivant devant mon véhicule, je me retournai et embrassai mes deux amis sur la joue en leur souhaitant une bonne soirée. J'ouvris ma portière et me laissai tomber sur le siège conducteur en les regardant s'éloigner côte à côte. Je m'en voulus aussitôt de n'être pas restée à leurs côtés. Il fut un temps où j'étais presque aussi joyeuse que Hailey, et aussi positive que Dorian. J'étais une vraie boule d'énergie, le genre à sortir avec eux dès que je le pouvais, faire la fête tous les week-ends, sans qu'aucune préoccupation ne vienne obscurcir mes soirées.
Grâce à eux cependant, j'avais gardé la tête hors de l'eau, et je continuais à chérir la vie et à en profiter, même si c'était avec moins d'entrain. Mais mon entrevue avec ma mère et l'arrivée brutale de Dusk dans mon quotidien m'avaient inévitablement fait replonger, et je dormais mal. Mes cauchemars étaient revenus à la charge, et les cernes se creusaient sous mes yeux.
Avant de tourner à l'angle de la rue, Hailey se retourna et agita la main dans ma direction en souriant. Dorian l'imita et m'adressa quant à lui une grimace. Je forçai un sourire et mis le contact avant de démarrer.
****
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top