Chapitre 18 ~ Dusk
Ma tête tournait, me laissant désorienté et chancelant. Sans sembler pouvoir s'arrêter, encore, toujours, et de plus en plus vite. Une multitude de bruits, de lumières brusques et éblouissantes s'entremêlait autour de moi, m'enveloppant dans un cacophonie incessante. Je trébuchai et me rattrapai de justesse à un poteau, essayant tant bien que mal de rétablir ma respiration sifflante. Je n'aurais pas pensé être aussi déstabilisé, et pourtant, j'avais perdu tous mes repères. J'étais perdu. Tout bonnement perdu. En réalité, c'était prévisible. La panique m'avait envahi dès l'instant où mon pied s'était posé sur le béton. Contre toute attente, j'avais véritablement perdu l'habitude de tout ça. Tout allait trop vite, trop fort. Mon regard parcourait mon environnement sans relâche, mais je ne parvenais pas à le fixer sur un point stable, ce qui accroissait la panique qui me comprimait la cage thoracique et les vertiges qui me faisaient tituber. J'avais fait une connerie, agi sur un coup de tête. Comme d'habitude.
Et pourtant, une voix quelque part au fond de ma tête me répétait sans cesse que j'avais bien fait, apaisant à moitié la tempête qui faisait rage au sein de mon crâne. Tu as bien fait. Tu ne pouvais pas rester comme ça une seconde de plus. Oui, après tout peut-être que, pour une fois, je n'avais pas fait n'importe quoi. Parce que c'était vrai, je ne pouvais pas rester. Ma place n'était pas là-bas, cela, je le savais. Mais elle n'était pas autre part non plus. Il n'y avait qu'un endroit où j'avais ma place. Je levai la tête à cette pensée qui ne m'effleurait pas l'esprit pour la première fois. Le ciel londonien était obstrué de nuages et de pollution, mais je savais que, derrière toute cette brume, brillaient les étoiles. Tu es mon étoile, Dusk. Tu brilles autant que la plus brillante d'entre elles, sinon plus. Même si tout est noir autour de toi, tu brilles toujours. Et si, un jour, ça arrive, si un jour, tout est sombre, alors lève la tête. Lève la tête, et je serai là. Je serai toujours là, comme elles. Même si parfois tu ne le vois pas.
Une larme perla au coin de mon œil, brouillant la lumière orange du lampadaire au-dessus de moi, mais je l'en chassai aussitôt. Ma place était peut-être là haut, au final. Si elle n'était pas au fin fond des enfers. Je n'étais qu'une âme errante qui, quoi qu'elle fasse, ne trouverait pas d'attaches. Jamais d'attaches. Jamais de point d'ancrage qui me ferait garder les pieds sur Terre. J'étais dysfonctionnel, tout bêtement détraqué.
Et pourtant, j'avais brièvement pensé le contraire. Pendant une seconde, le temps d'un battement de cils, j'avais cru pouvoir m'en sortir. J'avais cru vouloir m'en sortir. Puis, la réalité m'avait rattrapé, comme toujours. J'avais beau la fuir, essayer de me berner, je ne pouvais pas échapper à ce qui était ancré au plus profond de mon âme. En fait, je me fuyais moi-même, depuis le début. Sauf qu'on ne peux pas échapper à son propre esprit, aussi détraqué soit-il. J'aurais du l'apprendre, avec le temps. Le comprendre. Rends-toi à l'évidence. Tu es Dusk Davies. C'est ça, ta vie. Tu n'es pas de ceux qui s'en sortent.
Et, pour un temps, je l'avais compris. J'avais accepté cela. J'avais fait taire la voix d'enfant blessé qui résonnait dans ma tête. J'avais étouffé l'espoir qui subsistait en moi. J'avais tué cette partie de moi, qui voulait vivre. Parce que c'était cette partie de moi qui finissait toujours par me détruire. Et pourtant, lorsque j'avais cru que tout était fini, tout avait recommencé une énième fois. Cet espoir naïf et rempli d'illusions qui, lorsque je baissais ma garde, refaisais surface. Voilà pourquoi je ne devais pas baisser les armes. Parce que voilà ce qui arrivait. Je reprenais foi en la vie, l'espace d'un court instant. Pendant une seconde, je chérissais les particules d'oxygène qui emplissait mes poumons, chacun des battements de mon cœur. Avant qu'un élément me rappelle à quel point j'étais réduit en miettes depuis toujours, sans aucune possibilité de rédemption, et envoie tout voler en éclats.
Je reculai d'un pas et mon dos butta contre le mur. Je me laissai glisser contre lui pour m'asseoir à terre et relevai la tête vers le ciel. Pendant une seconde, les nuages semblèrent s'effilocher, et j'aperçus la lueur blanche de l'étoile du berger. Mais, un battement de cils plus tard, elle avait à nouveau disparut, et je me demandai si je ne l'avais pas simplement imaginée. Lève la tête, et je serai là. Je serai toujours là, comme elles. Même si parfois tu ne le vois pas. Sa voix résonnait avec clarté dans ma tête comme si elle était assise à mes côtés.
« Pourquoi ça fait si mal, maman?» murmurai-je.
Cette question, que je m'étais posée chaque jour de ma vie. Après tout, la douleur n'était-elle pas qu'un message nerveux de notre cerveau? Une réaction de notre corps à un danger potentiel? Alors pourquoi est-ce que cette souffrance-là, si différente des autres, semblait monter des tréfonds de mon âme écorchée, pour me consumer de l'intérieur? Pourquoi est-ce que j'avais toujours aussi mal? Pourquoi est-ce que la blessure de mon poignet s'était déjà refermée après quelques semaines, alors que celles de mon âme saignaient encore depuis toutes ces années?
La voix du psychiatre, au rendez-vous duquel je m'étais finalement rendu la veille, me revint en tête.
« Cette douleur que vous ressentez toujours, depuis tout ce temps, vient du fait que vous n'arrivez pas à accepter ce qu'il vous est arrivé, Monsieur Davies. Vous devez accepter le passé pour avancer, et trouver la paix. Vous donner la mort ne vous fera pas trouver la paix. »
Si seulement il savait. Je ne m'étais pas plus ouvert qu'à la première séance, et le thérapeute avait, semblait-il, rapidement compris que je ne comptais rien lui dire. Cependant, il avait aussi bien saisi d'où découlaient tous mes démons. Mais s'il savait tout, il comprendrait que ce qu'il avait dit était absurde. Parce que je ne pouvais pas accepter. Je n'accepterais jamais. Comment l'aurais-je pu? Le cœur humain était fort et résistant. L'âme humaine possédait cette capacité du pardon. Mais n'y avait-il pas certaines choses qu'on ne pouvait pas pardonner?
Je savais bien que mettre fin à mes jours n'était pas la bonne solution. Je le savais parfaitement. Mais il n'y en avait pas, de bonne solution. J'étais au pied du mur. J'avais mis du temps à le comprendre, mais le temps avait fait son travail, pour mon plus grand malheur. Les années s'étaient écoulées, et alors que mon entourage était persuadé que je finirais par m'en remettre, ils avaient tous fini par admettre qu'ils avaient eu tort.
« Il y a des choses dont on ne se remet pas. » avais-je entendu dire mon grand-père, un soir où il me pensait endormi.
De ma vie, je n'avais jamais été aussi en accord avec lui. Je me rappelais de cette nuit, comme si ça avait été la dernière. Étendu dans mon lit, je l'avais entendu prononcer ces quelques mots alors qu'il était au téléphone dans la pièce d'à côté. Ça avait été la première nuit, en presque six mois, où j'avais réussi à dormir sans que des cauchemars atroces ne me réveillent. Et cela avait aussi été la première fois où je m'étais senti compris et soutenu. Certains auraient peut-être pris ces paroles pour un abandon, mais pas moi. Parce que j'avais senti une pression quitter mes frêles épaules, celle de se sentir obligé à guérir. Cela avait été la première fois où je n'avais pas eu l'impression d'être un poids, un dégénéré de qui tout le monde attendait qu'il fasse bonne figure. Ne te morfonds pas, me disait-on. Va de l'avant. Ne regarde plus en arrière, ça ne sert à rien. Si seulement c'était aussi simple.
Pendant des années, malgré mon mal-être, j'avais toutefois voulu les croire. Après tout, ils étaient des adultes. Ils savaient sûrement mieux que moi. J'avais laissé l'espoir qu'un jour tout serait derrière moi guider mes pas. Jusqu'à ce que ceux-ci me conduisent au bord du gouffre. C'était comme si je me tenais au bord d'une falaise, le vent me poussant sans relâche vers celle-ci. J'étais obligé de lutter à chaque seconde pour ne pas basculer.
Puis, je m'étais rendu à l'évidence. Jamais tu ne pourras revenir en arrière, Dusk. C'est soit tu continues à lutter, mais pour rien. Parce que tu sais que tu devras te battre chaque seconde, sans pour autant avancer. Soit tu laisses tomber, et tu sautes de cette putain de falaise. Tu parles d'un choix. Alors oui, j'avais finis par prendre la deuxième option. Parce qu'après plus de dix ans, j'étais simplement fatigué. Je ne pouvais plus porter ce poids qui me semblait celui de la Terre entière sur mes épaules abîmées.
A quoi bon l'avoir fait pendant tout ce temps pour au final abandonner, me diriez-vous? Je m'étais posé la même question. Peut-être juste parce que je savais que je ne tiendrais pas dix ans de plus. Est-ce que je pensais pour autant que c'était la bonne solution? Non. Parce qu'encore une fois, il n'y en avait pas.
Pour la troisième fois, je levai la tête vers le ciel. J'aurais du être là haut. Avec toutes les personnes qui avaient compté pour moi, et pour qui j'avais compté.
Un vieux couple me regarda de travers en passant devant moi, et je finis par me lever, mes pas me guidant automatiquement vers le seul endroit où je savais que je pourrais trouver un semblant de paix.
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